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L’altermondialisme d’Etat
--> Nicolas Barto
Lu sur Mondialisme.org : "La guerre économique a pour corollaire une guerre du sens (*1). Chaque État développe, suivant ses moyens et avec plus ou moins de succès, sa propre stratégie idéologique. L’État français, qui sait défendre et mener une politique néolibérale lorsque cela sert les intérêts de sa classe dirigeante, joue en même temps, et pour les mêmes raisons, la carte de l’altermondialisme. Il est à priori surprenant de constater l’importance de la rhétorique altermondialiste dans le discours institutionnel français : déclarations présidentielles, rapports officiels, prises de position de hauts fonctionnaires, etc. Or, ce qui constitue un véritable altermondialisme d’État n’est pas une opération de récupération anodine. Il est partie intégrante de la diplomatie d’influence au service de l’impérialisme français et européen.

Agir sur les opinions La « diplomatie d’influence » est une des attributions de la Direction générale de la coopération internationale et du développement (DGCID). Dans le rapport d’activité 2000 de cette institution, Bruno Delaye, directeur de la coopération scientifique et ancien chef de la cellule africaine de l’Élysée (1992-1995) (*2), écrit : « Dans un monde qui se globalise, les victoires ne sont plus celles des armées ni celles des idéologies, mais celles des idées et des valeurs. (...) La mise en place des nécessaires régulations de la globalisation, l’indispensable adoption de règles de vie communes sur la planète, sont devenues l’enjeu majeur de notre action extérieure. Mais pour faire valoir nos idées, il nous faut auparavant gagner les opinions publiques des nations du Nord et du Sud. Ici intervient le rôle stratégique de la DGCID : elle met au service de notre diplomatie les outils qui doivent nous permettre de faire partager nos valeurs. (...) sachons que notre message intéresse et intéressera chaque jour davantage s’il offre les moyens intellectuels et politiques de maîtriser la mondialisation, dans un cadre rationnel, humaniste et universaliste. Face à une mondialisation incontrôlée et aux réactions de repli identitaire, ethnique ou religieux qu’elle peut provoquer, la voix de la France est attendue. »

Les rapports suivants poursuivent dans la même veine. Le rapport 2002 affirme ainsi que « l’objectif de maîtrise et d’humanisation de la mondialisation » fait partie « des grands objectifs de la politique étrangère de la France ». La DGCID souligne aussi la nécessité « d’associer l’ensemble de la société française à l’effort de solidarité internationale » et évoque son soutien à la « coopération non gouvernementale ».

L’objectif d’influencer les opinions, en France et à l’étranger, est clairement revendiqué. Pour ce faire, il n’est pas inutile de disposer de leviers au sein de la société civile. La diplomatie française a subventionné le Forum mondial de Porto Alegre. Le Monde diplomatique, le média international à l’origine de l’association ATTAC, co-organisateur de ce sommet, est lui aussi nourri de subventions par le biais du « fonds d’aide à l’expansion de la presse française à l’étranger ». Le rapport 2002 de la DGCID nous apprend également que « la DGCID a aidé les collectifs africains à se mobiliser et à participer aux grandes rencontres internationales telles que le Forum social mondial de Porto Alegre ». Au cours du procès ELF, Loïc Le Floch-Prigent a déclaré que « M. Bongo finançait son opposition. C’était sa manière à lui d’avoir un pays calme. » La diplomatie française fait, à l’échelle du continent, ce que fait Bongo au Gabon. En effet, le Forum social africain, émanation du Forum de Porto Alegre, a été largement financé par la coopération française (*3). Dans un article publié par Marchés tropicaux et méditerranéens, Comi Toulabor note que « Les FSA s’attellent aujourd’hui à des cibles indolores et peu concrètes pour le commun des africains, tels que le néolibéralisme, la Banque mondiale, le Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD), avec pour objectif de faire apparaître les États africains comme des victimes de la mondialisation.

Le jour où ils aborderont des questions relevant de la quotidienneté des populations africaines, qui seront d’une extrême sensibilité pour les pouvoirs africains, le jour où ils manifesteront dans la rue pour se faire entendre, il est clair qu’ils ne trouveront plus un pays d’accueil sur le continent et il n’y aura plus de société civile panafricaine. Pour exister réellement, les organisations de la société civile devraient cesser de brasser le vide et l’impuissance comme les États savent le faire. A moins que les unes ne soient que le reflet des autres (*4). Il est clair que la dénonciation des institutions de Bretton Woods, aussi justifiée soit-elle, fait diversion vis-à-vis des maîtres (les politiciens locaux) et des exploiteurs directs (les filiales des multinationales occidentales, fréquemment françaises). Il faut aussi observer que dans bien des situations, elle sert directement les intérêts français. L’État français ne se contente pas de subventionner ces forums sociaux. Il a également financé, à hauteur de un million d’euros, le contre-sommet du G8 d’Évian, en mai 2003. Un article paru dans La Tribune note que l’État français, organisateur de ce G8, a retenu des thèmes qui « s’inspirent largement des préoccupations du mouvement altermondialisation » : maîtrise de la mondialisation, prévention des crises financières, devoir de solidarité notamment à l’égard de l’Afrique ». Le même article rapporte les propos du chevènementiste Bernard Cassen : « le gouvernement sur ordre de Jacques Chirac, fait le maximum pour faciliter l’organisation et les manifestations du contre-sommet ». Dans le contexte de la guerre d’Irak et du conflit ouvert entre la France et les États-Unis, le mouvement « altermondialisation », marqué par la dénonciation de « l’Empire », était sans doute bienvenue.

La notion « d’Empire », au singulier, évacue l’existence et la critique des impérialismes rivaux. Parmi les nombreuses publications reprenant la notion, signalons La France contre l’Empire de Pascal Boniface. Directeur de l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), Pascal Boniface est chevalier de l’Ordre national du mérite, ancien membre du Haut Conseil de la coopération internationale (HCCI), ancien directeur de l’Institut national de défense et ancien adjoint du conseiller diplomatique au cabinet de Jean-Pierre Chevènement (ministre de la Défense). L’objectif de l’IRIS est de « mettre l’expertise au service de la pédagogie et d’aider l’opinion publique à s’intéresser à l’actualité internationale pour mieux la comprendre ». Parmi les membres du conseil d’administration de l’IRIS figurent des politiciens de droite et de gauche, des hauts fonctionnaires, un représentant de Vivendi ainsi qu’un représentant du marchand de canon EADS. Autant de personnages que la dénonciation de « L’Empire » ne dérange probablement pas.

Le 31 octobre 2001, le député Alain Barrau organisa à l’Assemblée nationale un colloque sous le haut patronage de Raymond Forni, alors président de l’Assemblée, sur le thème de « l’Union européenne face à la mondialisation ». Il fit cette déclaration : « Les Français et leurs représentants doivent continuer à travailler ensemble pour faire advenir cette mondialisation maîtrisée que nous appelons tous de nos vœux. Car nous pensons tous que le monde n’est pas une marchandise ». Les exemples de cet altermondialisme d’État pourraient être multipliés. Afin que cette rhétorique au service de la diplomatie d’influence soit efficace, l’État français se devait de lui donner un minimum de contenu. Au mois de septembre 2002, cette question de l’influence française était le thème de la conférence du Haut Conseil de la coopération internationale (HCCI). Cette conférence mit en avant « la nécessité d’activer les réseaux universitaires et associatifs » : « dernière révolution à engager : celle des concepts. Une bataille d’influence pour laquelle la France doit s’engager en activant ses réseaux au coeur des centres de recherche, des universités, des ONG (*5) ». La nécessité de développer des « concepts » dans la bataille d’influence internationale explique sans doute l’étrange similitude entre les positions d ATTAC et celles de l’État français.

Les concepts

L’intervention de Jean-Louis Bianco, président du HCCI, lors du débat suivant l’audition de Charles Josselin à l’Assemblée nationale en avril 2000, est marquée par la reprise des thèmes majeurs de l’altermondialisme, à savoir la dénonciation de la mondialisation et de la politique du FMI. Bianco explique l’absence de développement dans la plupart des pays africains par trois raisons : « la mondialisation qui produit toujours plus d’inégalités ; les effets déstabilisants, voire dramatiques des politiques d’ajustement structurel conduites sous la direction du FMI ; le caractère mal ajusté, mal coordonné et peu efficace des politiques internationales de coopération (6) ». L’explication, juste mais aussi très partielle, présente l’avantage d’occulter la responsabilité de l’impérialisme français. Car stigmatiser la mondialisation et le FMI, c’est oublier les mécanismes fondamentaux de la domination néocoloniale qui ont contraints les États africains à accepter les plans d’ajustements structurels. Il faut le rappeler, l’intervention néfaste du FMI résulte des difficultés économiques de ces pays, qui sont donc antérieures à cette intervention. Le rapporteur de l’allocution de Jean-Louis Bianco indique que le président du HCCI a estimé que, en ce moment, où l’idée de régulation du système mondial perce et où la société civile se mobilise, la remise en cause des orientations du FMI ne doit pas demeurer purement verbale.

Les idées que défend la France depuis longtemps peuvent aujourd’hui gagner, à condition que notre pays sache être présent, afficher ses priorités et les traduire en acte. La remise en cause des orientations du FMI ferait donc partie « des idées que défend la France depuis longtemps ». En ce qui concerne « les sources innovantes de financement » de la coopération, l’instauration de taxes internationales est « une solution soutenue par la France (*7) ». En 2001, Jean-Louis Bianco, président du HCCI et Jean-Michel Séverino, directeur général de l’Agence française de développement, publient un texte intitulé : « Globalisation, gouvernance, développement, un autre monde est possible. » Ces personnages, qui jouent un rôle non négligeable dans le dispositif institutionnel français, y défendent la mise en place de la taxe Tobin, qui serait selon eux, « la mesure la plus pertinente (*8) » pour réguler les marchés financiers. Les auteurs perçoivent les obstacles à son application mais « défendent néanmoins le symbole que procurerait la taxe Tobin ». Ils exposent également « les améliorations qu’ils estiment nécessaires d’apporter au FMI et à la Banque mondiale, à commencer par une réforme des droits de vote ». La mise en place de taxes internationales a été défendue par Olivier Giscard d’Estaing, vice-président de la section française la Ligue européenne de coopération économique (*9) (LECE).

Le rapport d’activité 2002 de la DGCID évoque lui aussi l’instauration d’une taxation internationale : « les autorités françaises mènent une réflexion sur la possibilité de mettre en place une taxation internationale. A Johannesburg, le président de la République a ainsi évoqué le nécessaire prélèvement de solidarité sur les richesses considérables engendrées par la mondialisation ». Mais la diplomatie française a d’autres « concepts » altermondialistes dans sa besace. Toujours selon le rapport de la DGCID, elle propose aussi la création d’une « organisation mondiale de l’environnement ». Celle-ci pourrait « donner une impulsion à la nécessaire révolution des modes de production et de consommation que le président de la République a appelé de ses vœux au sommet de Johannesburg en 2002 ». Le discours de Johannesburg était certainement à usage externe. Mais tout de même, Chirac révolutionnaire, il fallait oser. Peut-être va t-il bientôt nous faire le sketch mitterrandien de la rupture avec le capitalisme ? Le rapport de la DGCID poursuit : « La prise en compte environnementale a conduit la France à faire sienne la notion de développement durable. » Sans doute une allusion aux choix énergétiques français. Ce discours illusoire est certainement très utile pour, selon les termes de la DGCID, « gagner les opinions publiques des nations du Nord et du Sud ». Il est pourtant insensé d’en attendre une transformation économique et sociale véritable. L’altermondialisme d’État transparaît dans de nombreux documents officiels. Il est également présent sous le masque de l’impérialisme que constitue la francophonie.

La francophonie dans l’autre mondialisation

Le livre de Serge Arnaud, Michel Guillou et Albert Salon intitulé Les Défis de la francophonie. Pour une mondialisation humaniste, pourrait, de par la personnalité de ses auteurs, de hauts fonctionnaires au ministère de la Coopération, nous apporter quelques indications sur les espérances de l’État français en matière de francophonie et de mondialisation. Selon les informations du Who’s who in France, Serge Arnaud a été chef de service au ministère de la Défense (1989-1993), conseiller technique au cabinet de Jacques Toubon (ministre de la Culture et de la Francophonie), directeur du développement au ministère de la Coopération (1996-1998) et secrétaire interministériel pour l’océan indien. Son confrère Albert Salon est ministre plénipotentiaire, ancien ambassadeur, ancien directeur- adjoint au ministère de la Coopération, chargé de la francophonie. Quant à Michel Guillou, présenté comme « foccartien » par François-Xavier Verschave (*10), il a été chef du département de l’enseignement supérieur et de la recherche au ministère de la Coopération, directeur général (1991-2000) de l’association des universités partiellement ou entièrement de langue française (Aupelf), délégué national du RPR chargé de la coopération (1985-1986), chargé de mission auprès de Michel Aurillac (1986-1988). Ces trois passionnés de langue prennent soin de préciser que « La francophonie n’est pas un succédané d’empire mais une idée, un espoir, un projet » (p.51).

Ils estiment qu’ « une autre mondialisation est possible » et se demandent « comment construire la francophonie pour qu’elle en soit le moteur » (p.141). Une des pistes avancée est l’action auprès du monde associatif : « Un monde associatif fort et de grandes ONG francophones sont plus que jamais nécessaires à la francophonie [...] à la fois pour inspirer et stimuler les institutions gouvernementales de la francophonie et pour accompagner voire relayer leur action de coopération » (p.157). Évoquant l’action des institutions internationales, ces grands internationalistes n’hésitent pas à affirmer que « dans un certain sens, il s’agit d’une nouvelle forme de colonisation » (p.89). Leur livre, très hostile aux États-Unis, laisse pressentir l’importance des rivalités inter-impérialistes : « La globalisation, c’est-à-dire la mondialisation libérale, est un phénomène américain. [...] Elle conduit à une exploitation très dure, sans concession. Elle exclut le Sud et laisse les pays pauvres, ceux d’Afrique en particulier, sur le bord du chemin.Ce vaste processus de globalisation permet aux États-Unis de rayonner sur l’ensemble de la planète. [...] Les États-Unis s’opposent à une forme européenne d’universalisme fondé sur un libéralisme éthique et social. L’universalisme américain se révèle hégémonique voire totalitaire, en ce sens qu’il ne peut être atteint que si tout le monde l’adopte, alors que l’universalisme venu du messianisme catholique est un universalisme de synthèse qui recherche l’unité dans l’apport des différences. » (p.46).

Voilà comment les auteurs tentent de donner un contenu idéologique à ce qui n’est très probablement qu’une question d’intérêts et de rapport de force. L’important est de faire rêver : « Il faut supprimer la primauté de l‚économique sur l’humain, le politique, la culture.[...]La francophonie est une autre mondialisation. Voilà pourquoi il est nécessaire de placer face au rêve américain le rêve francophone » (p.50). La francophonie « se dresse contre les tendances à l’uniformisation du monde en un vaste marché aux produits standardisés. [...] Le déclin des valeurs humanistes et la montée du matérialisme, le comportement hégémonique des États-Unis, renforcent le besoin de francophonie » (p.51). L’altermondialisme d’État est célébré : « La France a aujourd’hui un rôle moteur à jouer pour mettre en place l’autre mondialisation » (p.51). Mais pourquoi la France devrait-elle jouer ce rôle ? En dehors d’une vague glose humaniste, les auteurs ne le précisent pas.

Derrière la morale se cachent les intérêts.

Les positions internationales du capitalisme français seraient certainement les grandes bénéficiaires de cette « autre mondialisation », particulièrement en Afrique. En 1998, l’Afrique était le troisième destinataire des produits français, après l’Union européenne et les autres pays de l’OCDE (*11). Ce qui valait à la France un excédent commercial avec les pays africains de 33,5 milliards. Le continent africain est toujours le terrain privilégié de nombreuses multinationales françaises : Totalfina, Bolloré, France Télécom, DAGRIS, Bouygues, Pinault-Printemps-Redoute, BNP, Société générale etc. Cependant, en Afrique « francophone » les positions hégémoniques de ces groupes sont menacées par l’ingérence des institutions financières internationales. Les conditionnalités exigées avant l’octroi de crédits, à savoir les politiques de libéralisation ainsi que les consignes de « bonne gouvernance » lors de l’attribution des marchés publics, se traduisent par l’arrivée de concurrents sur des marchés qui, depuis la période coloniale, relevaient du « pré-carré » de l’impérialisme français. Un article de Marchés tropicaux l’observe à sa manière : « de plus en plus, l’Afrique cherche à développer ses relations commerciales avec un nombre croissant de pays, et ce souci de diversifier ses acheteurs s’explique dans le contexte de la mondialisation et de l’ouverture des marchés (*12 ».

La mise en cause des institutions financières internationales n’est pas seulement indolore pour l’État et les multinationales français, elle sert directement leurs intérêts. Le maintien de monopoles est en jeu. C’est par exemple le cas dans la filière coton. En Afrique « francophone » elle est encore largement contrôlée par des sociétés cotonnières nationales, filiales de la multinationale française DAGRIS. Celle-ci a pour principal actionnaire l’État français (64,7% du capital) mais aussi le Crédit du Nord, la BNP, l’Union des industries textiles, la Société générale. Les sociétés cotonnières exportatrices vendent à crédit les intrants aux producteurs et fixent le prix d’achat du Coton. Ainsi, avant d’être dépendants du prix international, les producteurs, qui en réalité travaillent pour ces sociétés cotonnières, sont soumis aux prix fixés par la DAGRIS associée aux États africains. Les premiers actionnaires de ces sociétés sont les É tats africains, mais la DAGRIS détient des positions de contrôle minoritaire sur ses filiales (40% de la CMDT au Mali, 34% de la SOFITEX au Burkina Faso, etc).

Les monopoles de ces sociétés devraient disparaître avec la libéralisation de la filière exigée par la Banque mondiale. Ce mode d’organisation « est contesté par la Banque mondiale qui préconise que les différentes activités soient confiées à des opérateurs indépendants pour un meilleur prix pour le producteur et pour réduire les charges. Cette logique de libéralisation est suivie par plusieurs États d’Afrique francophone notamment en Côte d’Ivoire et au Bénin où le monopole des sociétés cotonnières est remis en cause et une partie des activités est confiée au secteur privé (*13) ». Le conflit a été vif (et l’est peut être encore) entre la Banque mondiale et la DAGRIS (et donc l’État français) opposée à la libéralisation (*14). La lutte de classes autour de la fixation du prix d’achat, opposant cotonculteurs et sociétés cotonnières, elle aussi peut être vive. Ainsi, les paysans maliens ont « décidé fin mai de suspendre le travail dans les champs pour protester contre la baisse du prix d’achat du coton et leur surendettement (*15) ». Au Burkina Faso, la filiale de Dagris a eut recours à une vieille méthode patronale pour contrer la lutte de classes. Elle a en effet promu un syndicat maison : « Le soutien de la SOFITEX a été décisif pour l’émergence de l’Union nationale des producteurs de coton du Burkina (UNPCB). Il s’explique en partie par les positions modérées affichées par les responsables de cette organisation, en décalage avec l’approche plus revendicative et syndicale des leaders de la FENOP(*16) ».

Pour maintenir ses bénéfices face à la baisse des cours mondiaux, DAGRIS a intérêt à baisser le prix d’achat aux producteurs. En même temps, la multinationale française ne peut se permettre d’exercer une trop forte pression, comme l’indique Gilles Peltier, son directeur général, qui souligne le risque d’explosion sociale ou encore de changement d’activité des producteurs (*17). D’où le soutien de l’État français à « l’initiative africaine » dénonçant les subventions de l’Europe (Espagne et Grèce) et surtout des États-Unis à leurs producteurs de coton. Contrairement à la lutte entre producteurs et sociétés cotonnières, ce sujet a beaucoup intéressé les médias français. Normal puisque l’État français soutien l’initiative. Il est en outre en concurrence directe avec le coton américain. L’impérialisme français a su maintenir « ses liens privilégiés » avec ses anciennes colonies, notamment à travers les accords de coopération économique qui ont accompagné l’octroi des indépendances. Or ceux-ci sont remis en cause par l’ouverture des marchés et les politiques de libéralisation impulsées par les institutions financières internationales. Est-ce pour conserver ces liens privilégiés que Jacques Chirac s’est prononcé en faveur d’un « régime commercial spécifique (*18) » pour l‚Afrique ?

Généralement, l’altermondialisme d’Etat présente l’action de la Banque mondiale et du FMI de manière manichéenne. Car si cette action est, par bien des aspects, fortement nocive sur le plan social et mérite effectivement d’être combattue, elle contient aussi un volet relativement positif, mais là encore, nuisible aux intérêts français. Ainsi, ces institutions exigent par exemple l’audit de la SNPC (Société nationale du pétrole du Congo). Elles ont également poussé l’État camerounais à renforcer sa fiscalité forestière et souhaitent étendre cette politique à l’ensemble du bassin forestier d’Afrique centrale (*19). En outre, l’action néfaste du FMI et de la Banque mondiale ne doit pas nous faire oublier les caractéristiques structurelles de la domination, dans la continuité de la période coloniale : la division internationale du travail, le pillage des matières premières, les accords néocoloniaux bilatéraux, la mainmise de capitaux occidentaux sur les appareils de production etc.

Sous couvert de bons sentiments et de nobles causes, l’altermondialisme d’État reproche aux institutions financières internationales d’être au service de l’impérialisme concurrent : « Pierre Duquesne, administrateur pour la France de la Banque mondiale et du FMI le reconnaît : "nous avons du mal à peser sur la Banque mondiale. Celle-ci dispose de moyens financiers et de la capacité à thésauriser. C’est une agence très puissante qui a tendance à s’imposer à ses clients." Et largement imprégnée de l’idéologie américaine. Les États-Unis sont les premiers actionnaires de la banque (17% du capital), loin devant le Japon. Le fait que le quart des effectifs de la Banque mondiale et du FMI soient américains, que leur siège soit à Washington, leurs relations étroites avec les ONG et les universités américaines, mais aussi la prédominance de la langue anglaise au sein des deux institutions font qu’il existe une influence naturelle des États-Unis qui, sans conduire à une détermination de la politique, l’oriente néanmoins largement (*20) ». Nul doute qu’une réforme des institutions financières internationales, par exemple leur placement sous contrôle de l’ONU revendiqué par l’association citoyenniste ATTAC, serait à l’avantage de l’impérialisme français. On peut concevoir, sans forcément approuver, que certains adhèrent à ce projet de réforme. Toutefois, il y a manipulation politique lorsque des nationalistes le présentent comme un projet désintéressé, déconnecté des rapports de force internationaux, et même comme anticapitaliste, notamment par le biais d’amalgames : mondialisation libérale-capitalisme, impérialisme étatsunien-capitalisme ou encore institutions financières internationales-capitalisme.

Les rivalités inter-impérialistes ne sont pas cantonnées à l’Afrique. Il y a sans aucun doute de bonnes raisons de combattre l’Accord de libre échange nord-américain ainsi que le projet de Zone de libre échange des Amériques (ZLEA) dont bénéficie l’impérialisme étatsunien. Mais pour l’État français, les bonnes raisons sont lucratives : « La négociation de la Zone de libre échange des Amériques (ZLEA) présente néanmoins de réels dangers pour l’Union européenne. Si la ZLEA entre en vigueur avant l’accord d’association avec le Mercosur, l’Europe perdra d’importantes parts de marché en Amérique latine. Elle a déjà fait cette expérience au Mexique, à la suite de la mise en place de l’ALENA : la part de marché de l’Union dans ce pays a reculé de 17% en 1994, à 9% en 1999. »

Ces informations instructives proviennent d’un rapport d’information de l’Assemblée nationale française, qui offre un bel exemple de l’altermondialisme d’État : « La démarche de l’Union européenne traduit donc un véritable engagement en faveur d’une mondialisation organisée dans le sens du droit et de la justice [...]. Si l’Union européenne ne parvient pas à partager sa conception de la mondialisation avec d’autres entités régionales, les États-Unis pourront alors imposer leurs propres règles du jeu. [...] Or, plus les Américains réussiront à imposer leurs normes en matière commerciale sur de vastes ensembles régionaux, plus il sera difficile pour l’Europe de trouver des alliés à l’OMC pour défendre des valeurs essentielles pour la cohésion des sociétés. Le projet de mondialisation défendue par l’Union européenne est donc en concurrence avec celui défendu par les États-Unis (*21) ».

L’altermondialisme d’État ressemble à « la propagande d’agitation (*22) » dont se servent parfois les États, une propagande fort utile en ces temps d’intensification de la concurrence et de guerre commerciale entre les États-Unis et l’Union européenne (*23). Dans L’Empire américain, Claude Julien, ancien directeur du Monde diplomatique, expliquait à propos des États-Unis comment « une mystique internationaliste devient l ’alibi d’une politique strictement nationaliste (*24) ». Claude Julien connaissait le sujet. Car si cette phrase s’applique bien sûr aux États-Unis, elle vaut également pour l’État français ainsi que pour la ligne éditoriale du Monde diplomatique. L’altermondialisme d’État n’est ni de droite ni de gauche. Il est le produit de l’Etat et se place, de manière gaullienne, au-dessus des partis. En prenant le masque de la dissidence et de l’internationalisme, il est aussi une mystification, une arme idéologique dans la vaste confrontation inter-impérialiste. S’il ne s’agit pas de dénigrer l’ensemble du mouvement altermondialiste, dont les aspects positifs sont nombreux, il importe d’en cerner les limites et d’identifier les intérêts et les enjeux tapis derrière certaines envolées lyriques. Un autre monde est possible, à condition d’éviter ou de dépasser l’écueil d’une agitation d‚Etat.

Nicholas Barto, le 05.10.03.

— - NOTES —

1 - L’expression est celle d’un haut gradé : général Loup Francart, La guerre du sens. Pourquoi et comment agir dans les champs psychologiques, Economica, 2000.

2 - Bruno Delaye occupa cette fonction au cours du génocide rwandais. Lire Jean-Paul Gouteux, La nuit rwandaise, L’implication française dans le dernier génocide du siècle, p.484.

3 - Anne-Cécile Robert, « Emergence d’une voix africaine », Le Monde diplomatique, février 2003.

4 - Comi Toulabor, « Introuvable société civile panafricaine », Marchés tropicaux n°3000, 9 mai 2003.

5 - Christelle Marrot, « L’influence française au cœur de la conférence du HCCI », Marchés tropicaux, 27 septembre 2002.

6 - Commission des affaires étrangères, compte rendu n°35, 25 avril 2000.

7 - Ibid.

8 - Xavier Moulinot, « Concilier mondialisation et développement ? », Marchés tropicaux, 27 juillet 2001.

9 - Organisation où pullulent les banquiers de diverses nationalités européennes. Sa section française est coprésidée par Jean Deflassieux, président honoraire du Crédit Lyonnais, ancien président de la Banque des échanges internationaux et membre fondateur de l’association « Les Amis du Monde Diplomatique ». Autre membre fondateur des AMD, Roger Lesgards , ancien directeur de cabinet au ministère de la Communication.

10 - Noir Silence, Qui arrêtera la Françafrique, Les Arènes, 2000, p.407

11 - Jacques Alibert, « Le commerce extérieur de la France avec l’Afrique en 1998 », Marchés tropicaux, 31 décembre 1999.

12 - Ibid.

13 - Alain Bonnassieux, « Libéralisation de la filière coton et affirmation d’une élite paysanne au Burkina Faso », dans Afrique des réseaux et mondialisation, Karthala, 2003, p.51.

14 - « Contresens et contre-vérités sur les filières cotonières africaines », Marchés tropicaux, 17 juillet 1998. Cet article anti- libéralisation est une réponse à un rapport de la Banque mondiale.

15 - Marchés tropicaux, 17 novembre 2000.

16 - Alain Bonnassieux, Libéralisation, op.cit., p.50.

17 - « Coton : Dagris en quête de participations majoritaires », Marchés tropicaux, 11 juillet 2003.

18 - « TICAD III : M. Chirac plaide pour un nouveau type de commerce avec l’Afrique », AFP, 29 septembre 2003.

19 - Christian d’Alayer, « Rentabilité oblige », Jeune Afrique/L’intelligent, n°2225.

20 - Christelle Marot, L’influence française, op.cit.

21 - Rapport d’information déposé par la délégation de l’Assemblée nationale pour l’Union européenne, sur les relations avec les entités régionales, 28 juin 2001.

22 - Lire Jacques Ellul, Propagandes, Economica, 1962.

23 - Lire « Les différends commerciaux entre États-Unis et Union Européenne », Le commerce mondial, La documentation française, novembre-décembre 2000.

24 - Claude Julien, L’Empire américain, Grasset, 1968, p.12.
Ecrit par libertad, à 22:15 dans la rubrique "Pour comprendre".



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