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Donner une explication, essayer de comprendre la révolte des jeunes des cités est absolument nécessaire car sinon, toutes les interprétations sont possibles, tous les fantasmes peuvent s'exprimer, toutes les tentatives de provocations, de déstabilisation peuvent être mises en œuvre.
Il n'est pas question de « crier au loup », mais la situation actuelle pour grave qu'elle soit n'a aucune perspective de résolution... Nous sommes peu à peu mis au pied du mur.
L'Histoire, et en particulier celle du 20e siècle est pleine de ces processus fantasmatiques (nationalisme, racisme, religion,...), devenus plus ou moins, plutôt plus que moins, incontrôlables qui ont conduit aux pires catastrophes.
LES FERMENTS DE GUERRE CIVILE
Ne soyons pas naïfs, toutes les forces qui agissent ne vont donc pas dans le sens de l'apaisement. Certes, les gestionnaires du système marchand aspirent à un retour au calme, parce que les affaires ont besoin de stabilité. Ils veulent la paix sociale parce qu'elle assure la stabilité d'un système dont ils profitent alternativement. Ceci est tellement vrai qu'à y regarder de près, la manière dont ils abordent la question est truffée de sous entendus, de perspectives, de chassés croisés politiciens... Mais rien sur l'essentiel, sur les raisons de l'exclusion, des inégalités. Pas l'ombre de la moindre « solution » n'est esquissée.
Cependant, cette révolte n'est pas vue de la même manière par tous les acteurs politiques.
Il est aujourd'hui évident que certaines forces politiques, l'extrême droite et ce qui gravite autour, trouvent dans la révolte des jeunes des cités un levier pour développer leurs thèses et mobiliser pour des actions politiques à venir et qui pourraient leur permettre d'accéder légalement au pouvoir (ça s'est déjà vu !). L'intégrisme religieux, même s'il n'est pas à l'origine de la révolte, et est certainement aujourd'hui moins dangereux que l'extrême droite, a lui aussi tout intérêt à exploiter cette révolte.
La déstabilisation d'un système peut-être un moyen de redistribuer les cartes sur l'échiquier politique, c'est bien connu : voir l'Allemagne des années 30, la Yougoslavie des années 90,...
Le discours de haine, car c'est bien de cela dont il s'agit, a ceci d'avantageux c'est qu'il permet de répondre, avec un minimum d'analyse, à des questions que se posent le plus grand nombre. Le problème c'est que le discours de la haine, même s'il est celui des médiocres, même s'il ne résout rien, bien au contraire,... passe, et même parfois très bien, trop bien... doit-on donner des exemples ?
Ce discours permet de préserver soi et de tout rejeter sur l'autre... C'est tellement plus facile, tellement plus sécurisant, tellement plus valorisant, tellement moins angoissant, tellement plus, disons le mot, économique.
Ce discours donne l'illusion de la solution aux difficultés présentes en désignant un bouc émissaire : l' « immigré », «la « bande ethnique » pour l'extrême droite, l' « infidèle » pour le religieux.
Ce discours, sans remettre, bien entendu, en question les fondamentaux du système marchand : exploitation, rentabilisation, affairisme,... jette les bases d'une fausse problématique politique dressant des « communautés » les une contre les autres. Le processus de l'affrontement, de la guerre civile est alors enclenché.
Ce processus est extrêmement insidieux, pourrit lentement les consciences, arme les bras et fait se dresser les unes contre les autres des populations qui ont pour vocation de vivre ensemble...voir l'ex Yougoslavie.
UN LENT POURRISSEMENT
Le risque est donc bien présent, pas simplement au moment des émeutes, mais même et surtout après parce que rien n'est réglé. Il n'y a plus de flamme, mais les braises sont sous la cendre. Ces braises ce sont les inégalités, l'humiliation quotidienne, l'exclusion, le chômage,... avec pour corollaire, la violence, la délinquance... Or, si les pompiers de l'ordre marchand ont réduit les flammes, il n'ont pas noyé le foyer... d'ailleurs, le peuvent-ils ? Certainement pas, c'est un problème qui est hors de leur champ d'intervention, de leur compétence... Ils ne sont pas là pour ça.
La classe politique quant à elle le peut-elle ? La réponse est non, car résoudre le problème au fond, c'est le poser dans toutes ses dimensions, et en particulier la dimension socio économique qui implique évidemment de remettre en question le sens du système. Or de cela il n'en est pas question.
Les gestionnaires du système, de Droite comme de Gauche ne sont pas là pour remettre en question ses fondements, au contraire, mais pour essayer de rendre supportable ses contradictions. Pour cela ils ne nous épargnent rien, ni dans le domaine des promesses faramineuses, dont on sait qu'ils ne les tiendront pas, ni dans le domaine du spectaculaire, répressif avec Sarkozy pour la Droite, ou le tragi-comique avec Tapi, souvenez vous !, pour la Gauche. Le « cirque présidentiel » -car il faut bien l'appeler par son nom - est la seule pitoyable réponse qui a été faite après trois semaines de violences.
Tout le monde a pu remarquer durant la vingtaine de jours d'émeutes urbaines que la Bourse n'a pas bronché, les affaires ont marché comme si de rien n'était. Le trouble politique, social, moral de la population n'a eu aucune influence sur les investissements et le niveau du CAC 40. Pourquoi donc changer fondamentalement la situation ?
La richesse, la sécurité, la protection sociale, l'avenir existent pour une minorité. Le reste de la population se partage entre ceux qui n'ont rien et celles et ceux qui peu à peu perdent leurs acquis. La révolte légitime des premiers fait peur aux seconds qui voient leur situation se déstabiliser et aucune perspective d'avenir. Ces derniers vont être de plus en plus prêts à se jeter dans les bras du premier démagogue venu qui va leur promettre « monts et merveilles » sur le dos des précédents... Le processus est connu. Le 21 avril 2002 a été le premier avertissement...
DEPASSONS L'ILLUSOIRE !
Face à ce pourrissement il n'y a pour le moment rien.
Ce ne sont pas les discours stéréotypés d'une extrême gauche qui, soit se fige dans les vieux grimoires, soit flirte avec les charmes de la politique politicienne (réunions unitaires, colloques, assises, discussions programmatiques en vue des élections, chasse au candidat,...) qui vont nous rapprocher de la solution.
Ce ne sont pas non plus les trépignements jouissifs de celles et ceux qui voient dans les flammes le symbole du début de la fin qui font avancer la réflexion et la pratique.
Il faut bien reconnaître qu'il n'y a pas que les jeunes des cités qui ont perdu leurs repères. Si eux ont perdu leurs repères sociaux, nombre de militants politiques ont perdu leurs repères politiques et historiques. En effet, voir dans une révolte, aussi spectaculaire qu'elle soit, et qui plus est dans ce cas parfaitement « infra politique », au sens de la « conscience politique » , en dit long sur les manques de références historiques et la compréhension des mécanismes des changements sociaux. Bien entendu tout le monde peut se tromper, mais prenons garde, il arrive un moment, critique, ou se tromper fait faire un pas fatidique vers l'abîme (faut-il citer des exemples ?). Face à nous, nous avons des forces politiques qui ne reculeront devant rien pour alimenter l'incendie et la qualité de notre réponse sera la seule garantie d'éviter la catastrophe qu'ils nous préparent.
Même si le combat pour la dignité peut revêtir des formes qui elles ne le sont pas, il est en effet peu glorieux de brûler une voiture, un bus, une école ou un édifice religieux, ce combat doit être reconnu en tant que tel. Or là est toute la difficulté : faire la part entre l'expression de la révolte, la destruction de symboles, et son sens, la revendication de la dignité et l'exigence de la reconnaissance en tant qu'être humain.
Le sens du spectacle que nous a inculqué le système marchand nous joue des tours quant à la compréhension des phénomènes sociaux. L'imagerie historique qui réduit le fait social à un exploit, à une date, à un homme ou, plus rarement une femme, enflamme notre esprit au point de réduire l'essentiel qui n'apparaît jamais, au spectaculaire. La désapprobation hypocrite de l'acte, dans le cas des violences, est aussi absurde, que l'admiration sans limite... certes pour des raisons différentes. L'une et l'autre oublient l'essentiel : le mouvement qui produit et fait la transformation sociale est le vrai sens de l'Histoire. Celui-ci ne s'accommode guère, ni du repris frileux sur les dispositifs que tout système a mis en place pour assurer sa survie, ici et aujourd'hui, les élections, ni des débordements d'enthousiasme pour des révoltes historiquement sans lendemain.
La multitude des conflits sociaux donne pour les uns l'espoir d'une mobilisation électorale lors des prochains, lointains, scrutins, pour d'autres l'espoir d'un embrasement général. Ces spéculations ne sont qu'illusions.
Le champ de la violence urbaine, comme d'ailleurs celui des élections n'est pas celui où se joue le changement. Les confronter l'un à l'autre ne peut donner qu'un dialogue stérile.
Le champ du changement est celui de la pratique sociale, celle qui, accompagnant le pourrissement des rapports sociaux marchands, ouvrira concrètement la voie à des rapports sociaux nouveaux. C'est celui dans lequel le plus grand nombre s'auto éduque à vivre d'autres relations, à considérer l'autre autrement qu'il ne le considère dans les rapports marchands, qui évitera les sirènes de démagogues proposant des « paradis artificiels »
C'est cette problématique qui a manqué au 20e siècle dans la plupart des conflits sociaux majeurs. Ce n'est pourtant qu'à cette condition que nous pourrons éviter le pire.
Patrick MIGNARD