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Il ne s’agit pas de porter un jugement sur cette activité (chacune et chacun sera à même de le faire en connaissance de cause), mais au-delà des lieux communs et anathèmes faciles, de comprendre le « pourquoi » d’une telle situation.
« Economie parallèle », « trafic »… les qualificatifs ne manquent pas pour la nommer, par contre les statistiques manquent pour l’évaluer… et pour cause. Elle est une réalité de plus en plus prégnante et en particulier dans les cités dites « sensibles », et porte en deçà de la drogue, sur des biens de consommation courante. Elle est devenu un véritable moyen de vie pour certains des exclus de nos cités.
La chasse à l’économie souterraine n’est pas aussi systématique qu’on pourrait le supposer. En effet, entre l’entorse à la norme et le maintien de la « paix sociale », l’Etat n’hésite pas. A-t-il d’ailleurs le choix ?
LE LIEN SOCIAL EN DECOMPOSITION
Nous savons que le fondement même du système marchand en matière de constitution du lien social réside dans le fait de disposer, et d’intégrer la force de travail, donnant ainsi les moyens au salarié d’exister économiquement et socialement (voir les articles « LE TRAVAIL EN QUESTION »).
Ce mécanisme social n’est cependant pas automatique… il est en effet soumis à la règle du marché de cette même force de travail. Le statut marchandise de celle-ci fait qu’elle est employée, non pas du fait de son existence, mais en fonction des besoins de la production. Autrement dit, c’est le marché, et le calcul économique de l’entreprise qui détermine l’existence sociale ou non de l’individu.
Tant que le système a eu un besoin massif de force de travail pour faire fonctionner son appareil de production, il arrivait à créer, de manière contradictoire, mais à créer tout de même, et à stabiliser le « lien social » (plein emploi), quoique des périodes de crises pouvaient rompre cette « harmonie » (chômage conjoncturel). Cette situation a été celle des pays industriellement développés jusqu’aux années 70 du 20e siècle, c'est-à-dire jusqu’à la fin de l’époque de leur monopole de domination économique.
La mondialisation marchande a mis fin à cette situation en redistribuant les marchés (voir l’article : « AUX LIMITES DU SYSTEME MARCHAND ») ; le travail, mais aussi le progrès technique qui a permis de remplacer avantageusement une force de travail de plus en plus chère et exigeante (productivité croissante, recherche de la rentabilité et donc tendance au chômage structurel…).
Une telle évolution ne pouvait aboutir qu’à un processus d’exclusion économique et par voie de conséquence, sociale.
Les premières et principales victimes, ont été, et sont encore aujourd’hui, celles et ceux qui ont vu leurs postes, soit transformés par la robotisation, soit leur entreprise carrément disparaître, victime de la concurrence internationale.
Les « cités ouvrières » des années de l’ « âge d’or de la croissance » sont peu à peu devenues des cités de concentration d’exclus. Les travailleurs immigrés et / ou d’origine immigrée, sans avoir été les seuls à être touchés par l’exclusion ont cependant payé un lourd tribu à cette évolution… car, étant essentiellement non qualifiés, donc rapidement et facilement remplaçables par la robotisation. Et les travailleurs sous payés des nouveaux pays industriels.
Les « cités » sont donc logiquement devenues des lieux dans lesquels, le lien social, la reconnaissance sociale, ont été le plus fragilisés.
UNE RECOMPOSITION PROBLEMATIQUEDU LIEN SOCIAL
Toute collectivité humaine a besoin de produire et d’assurer la reproduction du lien social, c'est-à-dire d’une relation normalisée qui assure l’existence et la reconnaissance sociales de tous ses membres.
Le système marchand est désormais incapable d’assurer cette tâche, du moins en ce qui concerne une forte minorité de la population (voir l’article « DECADENCE »).
Ces populations sont socialement (au sens du lien social) abandonnées à leur sort, même si elles bénéficient, dans une certaine mesure, d’une aide sociale. Notons que cette aide sociale n’est pas, et n’est d’ailleurs pas perçue, comme constitutive du lien social (voir l’article « TRAVAIL SOCIAL, MISSION IMPOSSIBLE »). L’aide sociale agit sur les conséquences, pas sur la cause de la destruction de ce lien.
L’alternative qui s’impose à des populations est donc clair : soit dépérir économiquement et socialement, soit créer du lien social en organisant une « activité économique » et/ou à la marge du système qui les exclu.
Dans un système aussi développé et normalisé que le notre, trouver sa place, alors que l’on est exclu, n’est pas facile. En l’absence d’un vision et d’une conscience politique claires, c’est donc dans les failles de celui-ci que réside la/les « solutions ».
L’ « économie » qui s’installe est donc, non officielle, hors norme et hors législation, « souterraine » par opposition à celle qui s’exerce au « grand jour » et qui est soit officielle, soit politiquement revendiquée (structures alternatives).
La production n’existant pas, à proprement parler, dans cette logique, celle-ci vient du détournement et donne lieu à ce que l’on appelle des « trafics ». La source de l’échange étant illégal, tout le reste le devient : trafic, recel, détention illégale,. Les participants deviennent des « complices » (et non des associés), l’organisation, une « bande de malfaiteurs », une « maffia » (et non une entreprise).
Si l’on ajoute à cela le fait que l’exclusion a frappé, et frappe, des communautés immigrés (les plus vulnérables dans l’appareil de production), on en arrive logiquement au stéréotype largement exploité par le racisme des « bandes ethniques » foncièrement délinquantes,… même celles et ceux de cette population en situation légale sont suspects et sont « mis dans le même sac ». … les fantasmes racistes font le reste.
En comprenant bien le mécanisme de l’exclusion on se rend compte que ce n’est pas un communauté qui s’exclue, mais que c’est son statut économique qui l’exclu.
La solution n’est évidemment pas dans la répression. Celle-ci peut, certes, dans une certaine mesure, contenir les dérives, mais en aucun cas apporter une solution au problème posé.
La prévention a elle aussi ses limites. Elle permet de prévoir, de tenter d’éviter les dérives. Elle permet d’organiser des structures dites de prévention, d’insertion. En aucun cas elle ne résoud le problème de fond, en aucun cas elle ne peut remplacer le système dans sa capacité de créer du lien social.
Le problème, et sa solution, est essentiellement économique et social. Ce ne sont pas des individus et/ou des communautés qui font problème, ce qui fait problème c’est la manière dont le système marchand traite, considère l’individu et ce, que ce soit à l’échelle de la ville ou à celle de la planète.
ILLEGALITE ET IDENTITE
Une telle situation peut-être non seulement assumée, par celles et ceux qui en sont victimes, mais aussi revendiquée. Elle devient un moyen de survit, mais aussi de reconnaissance au sein du groupe et une manière d’identification. L’attitude de délinquance n’est plus perçue comme une déviation, mais au contraire comme une attitude de défi, un astucieux moyen de débrouille au regard d’un système qui exclu, qui nie l’individu. Une telle attitude est parfaitement incompréhensible pour celles et ceux qui ne sont pas dans cette situation, le citoyen moyen, « normalement » inséré. Paradoxalement, la répression, qui ne manque pas de s’abattre sur ces catégories sociales déviantes, dévient un référent socioculturel, une manière de souder les membres de la communauté, une manière d’accroître la différenciation, la différence, d’avec le reste de la société perçue comme hostile.
L’appel à la répression devient général et est largement partagé par les victimes réelles et potentielles de cette délinquance. Les minoritaires (militants politiques, associatifs, travailleurs sociaux,…), qui le sont effectivement, qui s’y opposent et la dénoncent passent pour des irresponsables et des rêveurs.
L’incompréhension entre victimes sociales du système et le reste de la population se double d’une incompréhension entre ceux qui appellent à la répression et celles et ceux qui s’y opposent. L’incompréhension est générale ce qui bloque toute tentative de dépassement de la situation. Seul le système « tire les marrons du feu » en stabilisant la situation, jouant l’arbitre neutre (ce qu’il n’est pas) en utilisant la répression et/ou la prévention en fonction des circonstances et des enjeux politiques électoraux…. Jouant en cela sur les peurs et les fantasmes.
INTERVENIR OU LAISSER FAIRE ?
C’est le dilemme devant lequel se trouve l’Etat. En principe il ne peut se laisser se dérouler une activité qui se situe en dehors de la norme… il y va dans le meilleur des cas de sa crédibilité. Tout trafic, toute activité non socialement organisée et autorisée est illicite. L’Etat se doit d’intervenir.
La réponse apportée n’est cependant pas aussi systématique.
L’économie parallèle a en effet le pouvoir de faire vivre une partie de la population qui sans cela serait dans l’indigence et la pauvreté. Elle permet ainsi, sinon de supprimer les tensions, du moins de les atténuer en tolérant ce qui est, aux yeux de la loi, tout à fait inacceptable. L’Etat fait donc une « coupe mal taillée » entre une tolérance apaisante socialement et le respect d’une norme excluante. Aux yeux d’une opinion publique qu’il cherche par tous moyens à séduire, l’Etat ne reconnaît évidemment pas cette politique ambiguë. Lorsque politiquement (élections, évènement exceptionnel), il est indispensable pour l’Etat d’intervenir, il intervient, de préférence très médiatiquement pour montrer qu’il maîtrise la situation et qu’il combat la délinquance.(voir les évènements de juin 2005 dans la cité des 4000 et l’extraordinaire attitude des autorités qui préviennent de leur intervention). Dans les fait, cette intervention n’est que superficielle et ne règle en rien le problème qu’il est incapable de résoudre : celui de l’exclusion. En effet, éradiquer les trafics et de manière générale l’économie souterraine c’est priver toute une partie de la population de moyens de survie et courir le risque d’une déstabilisation sociale… risque que l’Etat ne veut évidemment pas prendre.
L’Etat pourrait-il éradiquer concrètement l’économie souterraine ?
Certainement en grande partie. Il sait (et dans une cité tout le monde sait) qui trafique et où se situent les trafics (qui se font souvent au grand jour). Une telle éradication coûterait de toute manière très cher en moyen à mettre en œuvre… mais l’Etat procède ailleurs à des dépenses bien plus considérables pour un objectif moins sérieux. De plus, une telle opération ne pourrait se faire sans un déploiement policier conséquent ce qui, sur un plan politique, pourrait être dommageable à l’image « démocratique » que veut se donner l’ « Etat moderne »… encore que le déploiement policier est un bon argument électoral. En fin, nous l’avons vu, pour être réellement efficace et conséquente, une telle politique devrait offrir des garanties d’intégration dont l’absence est justement la cause de l’émergence d’une telle économie… garantie que l’Etat est bien incapable de fournir.
La non intervention radicale de l’Etat, qui peut-être aussi considérée comme une sorte de laisser faire, lui est donc dictée fondamentalement par son incapacité à dépasser les contradictions du système marchand dont il est le garant.
URBI ET ORBI
Cette attitude de l’Etat au regard de la société civile est identique à celles des pays développés à l’égard des pays producteurs de stupéfiants, avec en plus il est vrai une dimension diplomatique.
Les pays producteurs de stupéfiants sont en effet parfaitement identifiés, parfois même leurs dirigeants, reconnus diplomatiquement, sont complices de ces productions, voire en sont directement bénéficiaires (voir le cas de NORIEGA à la fois chef de l’Etat du Panama avec la bénédiction des USA, trafiquant notoire et agent de la CIA… arrêté par les Américains ( ?), condamné par un tribunal US ( ?) en 1992 à 40 ans de prison lors d’un procès truqué et au secret depuis dans une prison de Floride).
Souvent poussés à la production de la drogue par le mécanisme des marchés mondiaux du café, du maïs,… les paysans de ces pays n’ont plus que cette ressource pour vivre. Cette situation a permis le développement de réseaux maffieux dont les frontières avec le monde « fréquentable » des affaires et de la politique est particulièrement flou.
Couper ce moyen de subsistance aux paysans de ces pays, c’est courir le risque de provoquer des conflits sociaux et politiques qui ne tarderaient pas à se transformer en lutte armée et guérillas. De cela, aucun pays riche ne veut… et pour cause ; l’expérience, et en particulier pour les USA, des années 60 et 70 en Amérique Latine, leur suffit.
La lutte contre la drogue est donc rythmée, comme au niveau local, par une tolérance plus ou moins bienveillante et une répression à géométrie variable et médiatiquement orchestrée. Le bilan est tel que rien ne change et rien ne saurait changer. L’argent de la drogue transite par les paradis fiscaux connus de tous et alimente le système financier international auquel sont connectées tout ce qu’il y a de plus présentable dans le monde des affaires. Les apparences sont sauves aux yeux de l’opinion publique internationale.
L’économie souterraine n’est finalement pas si souterraine que cela, et pas souterraine pour tout le monde. Ce qui l’est, souterrain, ce sont surtout les raisons politiques qui fait que les autorités, toutes les autorités, agissent avec prudence et circonspection. Officiellement condamnée par le système marchand, elle en est en fait son expression ultime dans ses marges, dans les couches d’une population exclue par le système et qui ne trouve plus dans ce système les moyens de reconnaissance sociale et de vie.
La condamnation morale et civique de cette activité par les autorités officielles, gardiennes du système marchand, est l’expression de la plus parfaite hypocrisie et d’un cynisme achevé, ne serait qu’au regard des dégâts et drames politiques, sociaux et humains de ce qu’il est convenu d’appeler les « affaires officielles » : commerce des armes, pillage des ressources, destruction de l’environnement, scandales alimentaires, OGM,… Dans un cas comme dans l’autre il s’agit de l’expression de ce qu’est le rapport marchand, pour l’un il est officiel, pour l’autre il ne l’est pas.
Patrick MIGNARD