Cyber Archi : D'où vous est venu ce goût pour ces "autres architectures" ?
Jean
Soum : Je ne suis pas architecte mais physicien de formation. Recruté
comme enseignant à l'école d'architecture de Toulouse, je me suis
intéressé aux modèles inspirés de la géométrie comme le dôme
géodésique, une solution alternative en rupture avec l'angle droit et
l'architecturalement correct. J'en ai construit et habité un dans les
Pyrénées, découvrant donc l'autoconstruction et rencontrant d'autres
auto constructeurs explorant des solutions différentes. C'était dans
les années 70 et depuis je construis encore un peu, toujours des formes
non conventionnelles, je conseille ou assiste des auto constructeurs et
j'observe comment évolue ce phénomène. Et je rapporte mes rencontres
sur Internet.
En quoi ces architectures s'affranchissent-elles des règles "classiques" de l'architecture et en quoi s'y soumettent-elles ?
Il
n'y a finalement qu'une contrainte physique qui gouverne l'architecture
: la loi de la pesanteur. La règle classique, ou plutôt
conventionnelle, c'est d'y répondre par des murs lourds et verticaux.
C'est une solution archaïque, sans imagination. Bien sûr de nos jours
on fait quand même plus léger qu'un château fort mais l'inspiration est
dans cette continuité. Or il existe bien d'autres solutions pour créer
un volume avec une réflexion sur la structure, l'organisation,
solutions plus légères, résistantes, économes en matériaux.
Une
architecture de la nécessité - je pense aux horréos (greniers à grains)
- peut-elle être une architecture libre ? Toute architecture n'est-elle
pas au final la codification et formalisation de l'autoconstruction ?
Si
je fréquente des architectures marginales et préconise de nouvelles
formes de constructions, je porte aussi de l'intérêt pour les
architectures traditionnelles, de nos régions ou d'ailleurs, tels ces
greniers sur pAied de Galice et des Asturies qui répondent bien sûr à
leur fonction mais qui en plus ont une certaine grâce, ils embellissent
le paysage et sont un signe d'identification pour les habitants de ces
provinces espagnoles. On ne peut en dire autant de la solution adoptée
par les agriculteurs du sud-ouest de la France : une cage grillagée en
plein air pour contenir les épis de maïs.
Avec l'exemple du
Jardin de pierre et ses géants (visible sur votre site) et d'autres
constructions, est-il légitime de parler d'Art Premier (alors que
celui-ci revêt souvent une connotation exotique) ?
Je suis
curieux de ces anonymes inspirés qui construisent pour leur plaisir,
des sculptures plutôt qu'architectures, dans leur jardin ou ailleurs,
et qui sont des formes d'art que je ne qualifierai pas de Premier,
plutôt de fantastique (les américains parlent de land art ou pop art).
Quoi qu'il en soit, c'est loin d'être une manifestation reconnue comme
artistique, classée peut être comme une curiosité ou la manie de
quelqu'un de légèrement perturbé. Si l'oeuvre existe encore après la
mort de son auteur, pourquoi ne pas organiser la visite. Mais de son
vivant ? Si c'est assez sage, bien enclos dans une propriété privée,
cela pourra continuer. Sinon ?
L'administration de Catalogne
n'a pas hésité à exiger la démolition l'été dernier du travail que
Josep Pujiula avait mené durant plus de 20 ans, un fantastique et
colossaAl labyrinthe en branches d'acacia, offert, libre et gratuit. Et
tout ça pourquoi ? Pour élargir une route !
Une architecture
sans architecte, et donc débarrassée des codes, peut-elle être
novatrice ? Ou n'est-elle, au mieux, que chanceuse ?
Il
y a quand même un problème. L'architecte qui conçoit et les artisans
qui exécutent sont tenus d'adopter des solutions éprouvées, des
matériaux et des mises en œuvre qui ont reçu un avis technique,
question d'assurance. Un auto constructeur assumera mieux les risques
de ses choix. On ne peut pas attendre des codes qui sont là pour
contenir qu'ils apportent des solutions novatrices. Ces dernières
viennent davantage des ingénieurs pour les travaux d'envergure ou des
auto constructeurs pour des bâtiments plus modestes. On peut rappeler
que les premières constructions utilisant l'énergie solaire dans les
années 60 sont justement le fait d'ingénieurs et de marginaux
américains. On assiste aujourd'hui à la même chose avec les matériaux
écologiques (dits sains). Demander et obtenir un agrément étant très
coûteux, cette démarche est lancée par les sociétés importantes
lorsqu'elles perçoivent une forte demande (un nouveau marché).
On
trouve souvent aux Etats-Unis des maisons en dur évoluant au gré des
envies et des finances des propriétaires dont le point de départ était
une caravane (mobil home) ou une maison en bois (ce qui ressemblerait
pour nous à une cabane). Pourquoi un tel concept est-il si marginal en
France ?
Même aux USA je ne crois pas que c'est une
pratique courante. Contrairement à l'Europe, ce pays n'a pas un
patrimoine architectural très ancien, certains états sont peu peuplés
et encore terres de pionniers, la mobilité est plus dans les mœurs… Et
la réglementation porte plus sur la sécurité et moins sur l'aspect
extérieur comme en France où la cabane est marginale même si par la
suite elle peut s'agrandir et devenir une véritable maison si elle a
réussi à résister aux pressions.
Les occidentaux en
général, les français en particulier, ne sont-ils pas finalement des
victimes consentantes de canons architecturaux plus ou moins imposés,
comme ils le sont avec la mode ou la nourriture (les belles tomates
bien rouges, sans point noir et sans saveur) ? L'usage de
l'architecture n'est-elle finalement pas irrémédiablement liée à la
contrainte "2+2=4" ?
Bien
que les architectures auto construites ou marginales soient aussi
diverses que les gens qui y habitent, on peut au moins dire que ce ne
sont pas là des architectures dAe consommation. A voir comment s'est
transformée la terre, il n'y a pas de doute : l'homme est un animal
constructeur, qui a besoin de construction mais aussi prend plaisir à
construire. Tout tend aujourd'hui à déposséder l'individu de cette
création élémentaire, c'est devenu une affaire de spécialistes. De
plus, ceux qui ont du temps à mettre dans la construction de leur
environnement n'ont pas forcément l'argent pour le faire, et
inversement.
De fait, les auto constructeurs ne sont-ils
pas considérés, au mieux comme des "excentriques", au pire comme des
déviants, autrement dit des marginaux ? Ce phénomène ne bride-t-il pas
toutes velléités de s'exprimer, en dehors de coins discrets ou reculés
? Sans compter les cauchemars en perspective avec l'administration ?
Le
milieu du bâtiment est des plus conservateurs. La réglementation en est
une illustration. Avec la nouvelle loi SRU, on m'a signalé que certains
départements refuseront le permis de construire à ceux qui voudraient
s'éloigner de plus de 300 mètres d'un poteau électrique (sortir de
l'aile protectrice d'une centrale nucléaire, alors qu'on sait très bien
en marge et sous le soleil assurer l'électricité de ses besoins hors
EDF ou encore assainir l'eau usée avec les plantes). Ceci dit, bien des
autoconstructions soAnt personnalisées mais sans look provocateur ou
choquant. Et beaucoup sont très visitées montrant par là un réel désir
d'habitat différent plutôt qu'une simple curiosité (qui rêve encore
d'une maison standard clés en main dans un lotissement de banlieue ?).
Et même s'il en est peu qui passeront à l'acte. Ce pourra être en
solitaire, en famille ou avec l'aide d'amis ou d'associations d'auto
constructeurs qui pratiquent l'entraide et l'échange (les "castors" par
exemple ou les "auto constructeurs de l'économie solidaire", une
association récente qui vise plus large). Et rien n'interdit de n'en
faire qu'une partie à sa mesure et de faire appel à des artisans pour
le reste.
Comment votre recherche personnelle s'inscrit-elle dans votre enseignement ?
J'établis
une certaine séparation entre mon intérêt personnel et mon enseignement
: les études d'architecture n'ont pas pour vocation d'engendrer des
constructions marginales. Tout au plus il m'arrive de présenter
quelques photos, comme ouverture d'esprit, montrer qu'il n'y a pas
seulement l'architecture prestigieuse ou de riches (celle qui apparaît
dans les revues) et que les besoins et désirs du public sont plus
divers. Quelques retombées dans mon enseignement notamment sur les
formes ou sur les matériaux et techniques nouvelles, l'architecture
environnementale,… IlA reste que l'autoconstruction aurait besoin de
professionnels pour concevoir dans l'espace, faire des plans et
démarches administratives, connaître matériaux et techniques nouvelles
et économiques, coller aux désirs des clients et proposer des solutions
adaptées à chacun selon son savoir faire, et surtout descendre de son
piédestal de maître d'œuvre pour participer physiquement aux chantiers.
Ce peut être là une bonne formation généraliste comme une
diversification des métiers de l'architecture.
Pour finir, pouvez-vous définir ce que sont pour vous des Architectures "libres"?
Archilibre,
un mot qui sonne bien. Architectures du désir et de la nécessité qui
libèrent l'individu d'une aliénation non fatale en lui révélant des
possibilités créatrices trop souvent canalisées sinon niées, et qui lui
apportent un supplément d'autonomie dans la maîtrise de sa vie. Libres,
selon le plus ou moins grand radicalisme du constructeur.
A découvrir sur le site : http://archilibre.free.fr |