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L'En Dehors


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L’Enquiry Concerning Political Justice de William Godwin – Extraits :

La Nation souveraine ?

« Aimez votre patrie, nous dit-on. Noyez l'existence person­nelle des individus dans celle, collective, de la communauté sociale. Faites peu de cas des particuliers dont la société se compose, mais tendez à la richesse, à la prospérité, à la gloire de l'ensemble. Purifiez votre esprit des grossières perceptions de vos sens et élevez-le à la seule contemplation de cette individua­lité abstraite, de cette entité invisible dont tous les hommes de chair et d'os sont autant de membres détachés, aucun d'eux n'ayant de valeur que par la place qu'il occupe et la fonction qu'il remplit. »

Oui, tel a toujours été le refrain des hommes d'Etat, leur exhortation à tous les dirigés. Mais les leçons de la froide raison démentent ces déclamations enflammées :

« La société, dit-elle, est un être imaginaire qui ne mérite en lui-même aucune considération. La richesse, la prospérité et la gloire d'un ensemble social sont d'inintelligibles chimères. N'ac­cordez donc de valeur qu'à ce qui est capable de rendre plus heureux et plus sages les hommes pris individuellement. Faites du bien de toutes les façons possibles à l'être que vous avez devant vous, et ne vous laissez pas duper par l'idée spécieuse de rendre service à un corps constitué, c'est-à-dire à une entité insen­sible. La vie sociale n'a pour but, ni la Société elle-même, ni la Gloire, ni l'Histoire, mais le bien de ceux qui y participent. Cet amour du pays, dont on parle tant, est une escroquerie montée par des charlatans pour mettre en leur pouvoir la multitude aveuglée. »

Quant à nous, gardons-nous de tomber d'un extrême dans l’autre. Dans l'ensemble de ces vertus qu'on nomme « civisme » ou « patriotisme », tout n'est pas à condamner. Le souci de l'égalité et de la liberté sont choses excellentes et valables, étrangères à l'étroitesse nationale. Le sage ne méprise point les conquêtes de la liberté et de légalité. Il est prêt à agir pour leur défense, là où elles existent. Et il ne peut rester indifférent, lorsque l'enjeu de la lutte à mener est sa propre liberté et celle des hommes dont il a pu apprécier les intentions et les capacités. Mais tout son attachement est ici pour la cause juste, et non pour la nation dont il est issu.

Partout où il y a des hommes qui comprennent la valeur de la justice et qui sont prêts à en donner l'exemple, là est ma patrie. Partout où je puis contribuer à la diffusion de la vérité et au bon­heur réel des hommes, là est mon pays. Et je ne veux pour aucun pays d'autre avantage que la justice.

Vanité de la puissance

Le seul objet légitime de la cité, comme ensemble permanent de rapports sociaux, est l'avantage des individus participants. Tout ce qui n'est pas réductible au bonheur individuel du simple citoyen — tout ce que l'on nomme richesse nationale, prospérité nationale, gloire nationale — engraisse l'égoïsme et l'imposture des dirigeants. Ceux-ci n'ont, depuis les temps les plus reculés, obscurci par des mots l'entendement des hommes, que pour les plonger avec plus de sûreté dans l'avilissement et la misère.

Le désir qu'a le citoyen d'accroître le territoire national, de vaincre ou de tenir dans la crainte les Etats voisins, de les surpasser en armement ou en industrie, n'est qu'un leurre fondé sur le préjugé et sur l'erreur. La puissance ne fait pas le bonheur. La sécurité et la paix valent mieux qu'un nom terrible qui fait trembler. Les hommes sont frères. Nous-nous associons par régions ou climats particulier, lorsque l'association est nécessaire à notre bien-être — ou lorsque nous avons à nous défendre contre les menaces d'un fléau commun. Mais la rivalité des peuples est un produit de l'imagination.

Guerre et Paix

Lorsque les nations ne sont pas conduites par leurs maîtres à une hostilité déclarée, toute jalousie entre elles ne tarde pas à s'évanouir comme un rêve. Je réside sur un certain coin de terre parce que j'y trouve bonheur et utilité. Je m'intéresse au bien maté­riel et moral de mes semblables parce qu'ils sont hommes — c'est-à-dire, à mes yeux, des êtres éminemment capables de justice et de vertu ; je puis avoir des raisons supplémentaires de m'occuper de ceux qui vivent sous le même gouvernement que moi, parce que je suis mieux qualifié pour comprendre leurs aspirations et plus capable d'agir en leur faveur; mais je n'ai certainement aucun intérêt à infliger aux sujets des autres gouvernements une peine quelconque, à moins qu'ils ne soient expressément engagés dans des actes d'in­justice. L'objet d'une conduite et d'une moralité saines est de rapprocher les hommes, non de les séparer; d'unir leurs intérêts, non de les opposer.

La Politique

Les individus ne sauraient avoir entre eux des rapports privés trop fréquents ni trop complets ; mais lorsque les sociétés ont des intérêts à faire valoir ou à régler, c'est toujours l'erreur et la violence qui sont à la base de leurs démêlés. Pour nous, cette considération anéantit d'emblée les principaux objets de la politique, spéculation aussi mystérieuse que perfide, qui accapare l'attention des gouver­nements. La justice est affaire privée. En présence de ce principe, le gouvernement lui-même est appelé à disparaître, et avec lui, les états-majors de l'armée et de la marine, les ambassadeurs et les diplomates. Tout l'appareil artificiel, qui fut mis sur pied pour tenir les autres nations aux abois, pénétrer leurs secrets, traverser leurs machinations, former des alliances et des contre-alliances, doit retomber dans le néant. Du même coup, les budgets des nations seront réduits à presque rien, et par là disparaîtront les moyens de contraindre ou de corrompre la volonté des citoyens.

Décentralisation

La forme que l'humanité peut attendre d'un meilleur système de rapports entre les vivants présentera peut-être en tous lieux le même caractère, quelle que soit la nature du pays — parce que nous avons tous les mêmes facultés et mêmes besoins ; mais en même temps, elle offrira l'aspect de branches autonomes limitées à de petits territoires, parce que les plus proches voisins sont les mieux informés de ce qui mutuellement les concerne, et par suite les plus capable de mettre au point leurs affaires communes. Il n'y a point de considération qui milite en faveur d'un grand territoire plutôt que d'un petit, mise à part la sécurité extérieure. Au contraire, tous les maux que recèle l'idée abstraite de gouvernement sont aggravés à l'extrême par l'étendue croissante de la juridiction, et adoucis par sa restriction à un domaine plus modeste. L'ambition, véritable calamité publique dans les grands Etats, n'a guère la place de se déployer dans un canton. De même, les commotions populaires, pareilles aux vagues de l'océan, produisent les effets les plus tra­giques dans les espaces immenses ; l'agitation d'un lac ou d'un étang, ou celle des petites sociétés, est relativement inoffensive.

On peut sans doute objecter que les grands talents sont enfantés par les grandes passions, et que la tranquille médiocrité d'une petite république tiendrait en jachère les puissances de l'intellect. Cette objection, si elle est vérifiée par les faits, doit être prise en consi­dération. Mais il faut admettre aussi que, dans l'hypothèse avancée ici, toute l'espèce humaine formerait en quelque sorte une république universelle ; et les perspectives offertes à qui voudrait agir de façon bienfaisante sur les cerveaux et sur les cœurs, seraient, en ce sens, plus larges et plus enthousiasmantes que jamais. Enfin, pendant la période intermédiaire, la comparaison entre les bienfaits mutuels ici et les iniquités régnant plus loin, serait un aiguillon de plus pour nous stimuler à la tâche.

L'usurpation des droits individuels par les assemblées

Si l'on se rappelle nos arguments contre l'absurde fiction au nom de laquelle les sociétés s'érigent, comme on dit, en « personnes morales », on concevra notre peu de tendresse pour les assemblées nationales. A quoi bon vouloir forcer la nature des choses ? Une multitude d'hommes, quoi qu'on fasse, reste une multitude d'hommes, et ne constitue pas un « individu ». Rien ne saurait unir intellectuellement les membres d'une assemblée, sinon une parfaite égalité dans les capacités mentales, et une parfaite identité de per­ceptions ; aussi longtemps que les esprits restent divers au sein d'une collectivité quelconque, les forces et les volontés qu'elle assemble ne peuvent être réduites en une force et une volonté unique que d'une seule façon : par le jeu de l'usurpation et de la servitude.

La tyrannie

Un homme, pour un temps plus ou moins long, prend la direc­tion du troupeau. Il en utilise toute la force, toute la puissance physique et mentale, et cela d'une façon mécanique, comme il se servirait d'un outil. C'est en lui, et par lui que l'assemblée du peuple devient « souveraine », que chacun de ses membres se fait esclave et que l'institution entière se convertit en machine. Tout gouverne­ment répond en quelque mesure à l'idée que se faisaient les Grecs de la tyrannie, avec cette nuance que, dans les régimes de despo­tisme, l’esprit humain est écrasé sous une oppression constante et uniforme, tandis que, sous une usurpation plus libérale, l’esprit con­serve une plus grande part de son activité (cette usurpation se pliant d'ailleurs plus aisément aux va-et-vient de l'opinion).

L'illusion du « collectif »

Les corps constitués se prétendent dépositaires d'une sagesse collective. C’est bien la plus criante de leurs impostures. Les déci­sions d’une société ne vont point au delà des suggestions qui leur sont proposées ou imposées par tel ou tel de ses composants — et de composants qui sont bien loin d être une élite ; en effet, comment la masse, en tant qu'être collectif, pourrait-elle s'égaler aux meilleurs éléments qu'elle recèle ? Laissons de côté la question de savoir si les meilleurs sont effectivement disposés à prendre la tête ; il n'en reste pas moins deux motifs suffisants pour que l'homme — quel qu'il soit — qui assume le rôle de chef, se conduise, au nom de l'ensemble, de façon moins honnête et moins sage qu'en toute autre circonstance.

En premier lieu, il y a peu d'hommes qui, sentant leur respon­sabilité couverte par un nom collectif, ne cèdent à des motifs moins avouables, et à des impulsions moins justifiables par l'épreuve des faits, que s'ils agissaient en leur propre nom. Ensuite, il est constant que ces mêmes hommes, agissant par délégation, ne déploieront guère l'activité et l'énergie bienfaisante qu'ils pourraient mettre en œuvre individuellement,

Sur l'instruction publique

Les méfaits qui résultent d'un système d'« éducation natio­nale » sont, au premier chef, liés à l'intangibilité postulée par toute institution. Dans le meilleur des cas, c'est une tentative pour enseigner, en matière d’idées et de faits, ce qui a antérieurement été reconnu avantageux à la société — mais en négligeant tout ce qui reste à apprendre. Ainsi l'avantage réalisé par l’« éducation nationale », lors de son introduction, devient par la force des choses de moins en moins sensible, cependant que s’accentuent avec le temps les vices fondamentaux d'un enseignement organisé par l'Etat. Dès le moment qu'un système quelconque est assuré de sa perma­nence matérielle, il est marqué d'un conservatisme inhérent à cette situation : il tend à briser l'élan des esprits, et à les enfermer dans la vénération d'erreurs déjà reconnues. Qu'une violente pression exercée sur les dirigeants les oblige à adopter avec bien du retard une philosophie nouvelle — et les voilà obstinément attachés à cette doctrine de remplacement, contre toute nouveauté ultérieure.

L'enseignement public a toujours consacré ses énergies les meilleures à la défense du préjugé : il encourage chez ses élèves, non pas l'audace de soumettre toute proposition à l'épreuve de la raison et des faits, mais l'art de faire prévaloir les opinions en vigueur, c'est-à-dire les idées établies par la force du précédent. Tout cela est directement contraire aux intérêts véritables de l'esprit humain; et tout cela doit être individuellement désappris avant que nous puissions commencer à devenir éclairés et sages.

Un développement intellectuel authentique exigerait au con­traire que les esprits fussent élevés, aussi rapidement que possible, au degré de connaissance atteint parmi les hommes les plus éclairés de la société, pour qu'ils puissent s'élancer de cette plate-forme à la poursuite de nouvelles acquisitions.

Comment on s'instruit

Ce qui s'applique ici aux individus est également vrai à l'égard des collectivités. Il n'y a aucune proposition aujourd'hui reconnue comme vraie qui soit assez valable pour justifier la création d'une établissement destiné à l'inculquer à l'humanité. Renvoyez donc les gens à la lecture, à la conversation, à la méditation ; mais ne leur enseignez ni croyances, ni catéchisme, ni dogmes moraux ou poli­tiques !

D'ailleurs, l'idée d'une éducation officielle est fondée sur une méconnaissance des réalités mentales. Tout ce que chaque homme en particulier fait lui-même et pour lui-même, est bien fait ; tout ce que ses voisins ou son pays entreprennent de faire pour lui par procuration, est mal fait. Notre affaire consiste à inciter les esprits à agir pour eux-mêmes et par eux-mêmes, et non pas à les main­tenir en tutelle. Celui qui apprend parce qu'il désire apprendre, écoute les leçons qu'il reçoit et en saisit le sens ; celui qui enseigne parce qu'il désire enseigner, apporte à cette occupation son enthou­siasme et son énergie. Mais du moment que l'institution politique entreprend de fixer à chaque homme sa place, les fonctions de tous ne sont remplies qu'avec soumission et indifférence. Ecartez tous les obstacles qui empêchent les hommes de voir clair, et qui les entra­vent dans la poursuite de leurs avantages réels, mais n'assumez pas la besogne absurde de les soulager de l'effort que cette poursuite exige d'eux. C'est le comble de la folie que d'essayer de procurer aux autres, sans activité de leur part, les moyens d'être heureux.

L'école et l'Etat

Tout projet d'établir une « éducation nationale » mérite enfin notre opposition, à cause de la connexion évidente qui existe entre l'école publique et le gouvernement national. Il y a là une coalition bien plus formidable que la vieille alliance (si menacée) de l'Eglise et de l'Etat. L'éducation est la clé de l'avenir. Avant de mettre une aussi puissante machine que l'Ecole sous la direction d'un maître aussi dangereux que l'Etat national, il importe bien de savoir ce que l'on fait. Le gouvernement ne manquera pas d'utiliser l'enseignement pour renforcer son pouvoir et perpétuer à jamais ses institutions. Si même nous pouvions supposer chez les agents de l'Etat d'autres intentions que celle-là, (qui ne saurait en tout état de cause leur apparaître qu'innocente et même hautement méritoire), le mal n'en serait pas moins inévitable. Leurs vues de gouvernants, en tant que fondateurs d'un système éducatif, ne sauraient manquer d'être ana­logues à celles qui ont trait à leurs fonctions proprement politique : les données sur lesquelles se fondent la conduite des hommes d'Etat et les principes qui lui servent de consécration, seront assurément les données et les principes sur lesquels se fondera l'enseignement organisé par eux !

Or, il n'est pas vrai que notre jeunesse doive grandir dans le respect de la Constitution, si excellente qu'elle puisse être. Ils doivent grandir dans le respect de la Vérité ; et, pour ce qui est de la Constitution, l'exalter seulement dans la mesure où elle s'accorde avec les déductions qu'en toute indépendance chacun d'eux tirera de l'étude sincère des faits.

Admettons qu'un système complet d'« éducation nationale » soit adopté en plein triomphe de despotisme ; certes, nous avons peine à croire ce système capable d'étouffer pour toujours la voix de la vérité ! Mais il n'en formera pas moins la plus formidable et la plus profonde barrière mentale que l'imagination puisse concevoir.

Quant aux pays où prévaut la liberté dans la plupart des domaines, tout y est subordonné à la possibilité de reconnaître et de surmonter l'inexpérience et l'erreur, alors qu'une « éducation natio­nale » aurait précisément la tendance la plus directe à perpétuer l'erreur et à prendre l’inexpérience en modèle pour la formation de tous les esprits.

Sur l'institution des jurys

Il se peut qu'au début de la réforme des opinions, une certaine somme d’autorité et de contrainte soit encore nécessaire. Cette nécessité pour nous ne résulte pas de la nature de l'homme, mais des institutions par lesquelles il a été préalablement corrompu. L'homme, en effet, n'est pas vicieux par nature, et il ne refuserait pas d'écouter les paroles de raison qui lui sont adressées, ni de s’en laisser convaincre, s'il n'avait été habitué de longue date à se méfier des propos que ses voisins, ses parents et ses dirigeants politiques lui adressent avec hypocrisie, prétendant parler uniquement dans son intérêt, alors qu'ils n'ont en vue que de faire prévaloir le leur propre, et à ses dépens ! Tels sont les effets désastreux du mystère et de la complexité sociales. Débrouillez l'écheveau mystificateur, simplifiez le système social (sans rien sacrifier, que l’imposture et l'ambition) ; mettez les maximes de la justice à la portée de toutes les capacités ; faites disparaître la nécessité d'une foi implicite dans ce qui ne supporte point l'examen — dans l'imposture d'une légalité vide de sens — et toute l'espèce humaine deviendra plus raison­nable et plus honnête. En cas de différend, il suffira alors aux jurys d'arbitrage de recommander telle ou telle méthode d'accommode­ments, sans assumer la prérogative de rien trancher par un arrêt formel. Ils se contenteront d'indiquer les erreurs et d'inviter leurs auteurs à les réparer. Et si ces indications et ces conseils se mon­traient en certains cas inefficaces, les maux mêmes qui résulteraient de cette carence seront toujours moins graves que ceux qui pro­cèdent d'une perpétuelle violation exercée sur la conscience indivi­duelle et sur le souverain jugement de chacun dans les affaires qui le concernent.

Là où l'empire de la raison serait universellement reconnu par les détenteurs mêmes de la force, le délinquant saurait s'incliner de lui-même devant les conseils autorisés ; ou bien, s'il leur résistait et sans d'ailleurs être molesté pour ce fait, il sentirait tout le poids de la désapprobation publique.

Dissolution du pouvoir

Le lecteur aura sans doute été au devant de la conclusion qu'imposent ces remarques. En effet, si avec le temps, les jurys cessent de décider et se contentent d'indiquer et d'inviter ; si toute la confiance accordée à la force passe graduellement à la seule raison, ne s'apercevra-t-on pas un jour que les jurys eux-mêmes et toute autre magistrature d'institution publique peuvent être laissés de côté comme n'étant pas réellement nécessaires. A lumière égale, est-ce que les raisonnements d'un homme sage ont moins de portée que ceux de douze jurés ? Est-ce que la capacité d'un individu à éclairer son prochain ne se fait pas connaître d'elle-même, sans qu'il soit nécessaire de passer par la formalité d'une élection ? Et y a-t-il, au surplus, tant besoin de vouloir corriger les vices d'autrui et vaincre l'obstination du prochain, alors que s'offre à chacun de nous la tâche de mettre en harmonie son être intérieur ?... Nous touchons ici à l'une des étapes les plus mémorables du développe­ment humain.

Avec quelle joie tout ami éclairé de l'homme ne doit-il pas tourner les yeux vers cette phrase décisive : la dissolution du pouvoir politique ? Oui, nous saluerons un jour la fin de cet engin bestial, dont l'existence seule a perpétré les vices de l'humanité, et qui incorpore à sa substance tant de maux divers, tant de crimes qui ne peuvent être abolis que par son complet anéantissement !

De la loi

Pas de précepte plus clair que celui-ci : « Tout fait contient sa propre norme ». Aucune action humaine n'est identique à une autre ; aucune action humaine n'est égale à une autre par ses conséquences bonnes ou mauvaises. Il semblerait qu'il appartient à la justice de discerner les qualités des hommes, et non de les confondre ; mais quel résultat a-t-on obtenu en se servant pour cela de la loi, qui ne traite que du général ? A chaque cas nouveau, son insuffisance se manifeste ; et comment en serait-il autrement ? Les législateurs n'ont pas la science infuse ; ils ne peuvent embrasser l'avenir ni définir l'infini. Il en résulte cette alternative, qu'il faut ou bien forcer la loi pour y faire entrer l'imprévisible, ou bien édicter une loi nouvelle pour chaque cas particulier. L'art de forcer la loi s'est élevé à des prodiges : les finasseries des chicaneurs et l'art avec lequel ils faus­sent les textes sont passés en proverbes ; mais quelle que soit leur adresse, ils ne peuvent tout faire : l'abus serait parfois trop criant. D'ailleurs la même sophistique permet indifféremment à l'homme de loi (faisant fonction d'accusateur public) de trouver des délits où le législateur n'en prévoyait point, ou de découvrir (comme avocat) des subterfuges inouïs pour violer le code. Force est donc de faire sans cesse de nouvelles lois. Ces lois, pour éviter qu'elles ne soient tour­nées, sont pleines le plus souvent de pesanteurs, de minuties et de radotages. « Le livre où la justice a gravé ses arrêts » s'enfle tou­jours, et le monde ne contiendrait pas tous les grimoires qui lui font jurisprudence.

De l'infinitude de la loi découle son incertitude, qui sape direc­tement le principe où elle se fonde. On fit les lois pour mettre fin à toute ambiguïté, pour que chaque homme sût à quoi s'en tenir ; et voyez comme elles ont bien répondu à ce dessein ! La loi fut faite pour que le simple particulier sache sur quoi compter, et pourtant les praticiens les plus experts ne s'accordent pas sur l'issue de mon procès. Serait-elle aussi incertaine si je n'avais qu'à m'en remettre au bon sens ordinaire et naturel de mes voisins constitués en arbitres et à l'idée qu'ils se font de la justice en général. Les légistes ont absurdement maintenu que la justice devait être payante, pour éviter la multiplication sans limite des procès. Mais la cause de cette multiplication est l'incertitude. Les hommes ne se querellent point devant l'évidence, mais en face de l'obscurité.

Gouvernants  et gouvernés

Pourquoi diviser les hommes en deux catégories, les uns devant penser et raisonner pour l'ensemble et les autres adopter de con­fiance les conclusions de leurs supérieurs ? En fait, cette distinction n'est pas fondée sur la nature des choses : il n'y a pas, d'un homme à l'autre, la différence inhérente qu'elle suppose. En droit, elle est injuste ; les deux classes qu'elle établit sont au-dessus et au-dessous de l'homme. C'est trop attendre des premiers de la nation que de leur demander, en les investissant d'un monopole contre nature, d'avoir strictement égard au bien de tous. C'est abaisser injustement les autres hommes que de leur interdire d'employer jamais leur entendement, d'aller jamais au fond des choses ou au-delà d'une décevante apparence. De quel droit des êtres raisonnables seraient-ils privés des principes de la simple vérité ? De quel droit tâcherions-nous d'entretenir leurs égarements et leurs erreurs enfantines ? Le temps doit bien venir un jour où l’illusion disparaîtra, où l'imposture monarchique et aristocratique ne pourra plus se maintenir. Ne vaut-il pas mieux dès maintenant enseigner honnêtement la vérité ? Ne vaut-il pas mieux en nourrir sainement et solidement les esprits qui, dans la mesure même où leur compréhension théorique les y incitera, auront demain la charge de la mise en pratique ?

Les maîtres d'eux-mêmes

Les hommes sont faibles à présent, parce qu'on leur a toujours dit qu'ils sont faibles et ne doivent avoir nulle confiance en eux-mêmes. Sortez-les du carcan, dites-leur de chercher, de raisonner et de juger, et vous trouverez en eux des êtres nouveaux. Dites-leur qu'ils ont des passions, qu'ils sont parfois imprudents, intolérants, injustes, mais qu'ils n'ont qu'eux-mêmes pour fonder leur confiance. Dites-leur que les montagnes de paperasses, où ils se sont retranchés jusqu'à aujourd'hui, ne sont bonnes qu'à en imposer à des âges de superstition et d'ignorance ; et qu'ainsi nous n'avons d'autres recours que dans la justice spontanée des vivants ; que si leurs passions sont géantes, ils doivent se lever avec une énergie géante pour les dominer; que si leurs décrets sont iniques, ils doivent oser ne s'en prendre qu'à eux. L'effet de cette disposition des choses sera bientôt visible ; les esprits s'élèveront à la hauteur de la situation qui leur est faite ; les jurys et les arbitres seront pénétrés de la grandeur des espoirs qui  reposent en  eux :  un premier  pas  décisif s accomplira vers l'équité  et l'égalité.

L'Egalité, condition de la Paix

Un peuple où règne l'égalité a tout ce qu'il lui faut là où se trouvent ses moyens de subsistance. Pourquoi rechercherait-il ailleurs un supplément de richesse ou de territoire ? L'homme est au monde pour cultiver son arpent de terre ; la guerre et la con­quête ne font qu'élever quelques fortunes aux dépens des misères publiques ; elles ne sont entreprises que lorsque la masse consent à servir d'instrument à quelques meneurs.

Valeur de l'Anarchie

L'état d'anarchie populaire est transitoire, l'état de despotisme tend à perpétuer. Le premier éveille l'esprit, répand dans toute la société l'énergie et l'audace d'entreprendre, encore que ses fruits trop hâtifs, n'aient point toute la vigueur désirable. Mais le second foule au pied l'esprit humain, le réduit à la plus odieuse uniformité : car tout ce qui promet une grandeur est alors destiné à tomber sous la main exterminatrice de la suspicion et de l'envie.

L'anarchie populaire a en soi quelque chose qui suscite l'idée, l'image trouble et véhémente, de la vraie liberté. Elle est communé­ment engendrée par la haine de l'oppression. Elle s'accompagne d'un esprit d'indépendance. Elle arrache les hommes à la croyance aveugle et au préjugé et, dans une certaine mesure, les incite à scruter avec impartialité les motifs de leurs actions.

La vérité et le pouvoir

L'erreur doit sa permanence à la consécration sociale. Si, au lieu de prétendre régler tout développement sur l'état de nos insti­tutions publiques, nous laissions les individus poursuivre librement leur évolution, l'humanité ne tarderait guère à se retourner vers la vérité pour lui prêter allégeance. La lutte entre le vrai et le faux est en elle-même trop inégale pour se perpétuer ; et, n'était l'alliance politique du pouvoir privilégié avec l'erreur ou l'imposture, elle aurait déjà pris fin.

Aveuglement et misère des riches

Le premier effet des richesses est de priver leur possesseur de ses meilleures facultés d'entendement et de le rendre incapable de discerner la vérité pure et simple. Elles le conduisent à fixer ses affections sur des objets inappropriés aux besoins et à la structure de l'esprit humain, ce qui entraîne pour lui le désappointement et l'insatisfaction. Le plus grand de tous les avantages personnels est l'indépendance d'esprit, qui nous fait sentir que nos contentements ne sont à la merci ni des hommes ni de la fortune ; joignons-y la vivacité alerte, l'industrieuse bonne humeur qui naissent d'une âme perpétuellement occupée à des objets dont notre jugement reconnaît la valeur propre, et nous avons le tableau de ce que la vie peut offrir d'attraits inépuisables.

Confiance en soi

Notre première tâche, c'est de faire tomber toutes les entraves qui retiennent l'esprit de voler selon sa nature. Croyance aveugle, soumission à l'autorité, timidité, veulerie, méfiance en nos forces, sous-estimation de notre propre importance pour nous-mêmes et des desseins généreux que nous sommes capables de réaliser, tels sont les principaux obstacles à surmonter. Il faut rendre à chacun la cons­cience de sa valeur ; lui apprendre, en écartant la contrainte et le châtiment, à n'écouter que la raison même ; lui inspirer la confiance en soi dont il a besoin, pour traiter ses compagnons d'existence non plus en ennemis qu'il doit craindre, mais en frères qu'il doit aider.

Le chemin de la sagesse

Rien n'éclate comme la toute-puissance de la réalité, de la vérité, dans l'absolu contrôle que le jugement de l'homme exerce sur sa conduite. Si la science, si la connaissance théorique sont capables d'un accroissement perpétuel — n'en sera-t-il pas de même de la sagesse et de la justice pratique ?

Posez la perfectibilité de l'homme et vous posez du même coup son avancement nécessaire vers un état de choses où le vrai sera trop proche de l'homme pour être méconnu, le juste trop évident pour être violé à dessein. Pour notre part, nous ne voyons pas, dans l'examen le plus sévère des troubles d'à présent, une seule raison de désespérer de la perfectibilité humaine.

Loi ou justice ?

Au défi du grand principe de philosophie naturelle qui enseigne qu'il n'est point, dans le monde entier, deux atomes de même forme, la Loi prétend réduire à une même norme les actions des hommes, ces composés de mille éléments impalpables et impondérables. Si au contraire la justice, individualisée, était le résultat découlant de la contemplation de toutes les circonstances dans chaque cas particu­lier, avec pour seul critère de promouvoir l'utilité commune, l'inévi­table conséquence en serait que, plus nous aurions de justice, plus nous aurions de vérité, de vertu et de bonheur.

Libre examen

L'entendement s'élargira dans la mesure où tous les hommes sentiront l'importance de la mission qui leur est confiée et la liberté illimitée de leur investigation. C'est ici qu'ils commenceront un ordre de choses dont l'entendement d'aucun homme d'aujourd'hui ne peut prévoir le résultat : le détrônement de la foi implicite et l'inaugura­tion de la justice sans nuage.

William Godwin – Extraits de Recherches sur la Justice Politique (Enquiry Concerning Political Justice and its Influence on General Virtue and Happiness – 1793)

Ecrit par Mirobir, à 03:07 dans la rubrique "Pour comprendre".



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