La manifestation lycéenne parisienne du 8 mars contre la loi Fillon est le révélateur d’un phénomène d’une extrême gravité. Bien évidemment cet aspect a été totalement «oublié» par les médias et les politiciens La gravité réside bien sûr dans le degrés de violence qui s’est exprimée, mais aussi et surtout dans l’incapacité politique et sociale d’une analyse et d’une réponse adéquates à de tels évènements.
Ce qui s’est passé le 8 mars à Paris est
symptomatique de l’éclatement du tissu social et de l’attitude de l’Etat en
pareille situation.
DECADENCE ET BARBARIE
Rappelons
que l’Etat est le garant du système en place, en l’occurrence le système
marchand. Sa fonction est moins d’apporter une solution aux contradictions qui
sont fondamentalement les siennes (il ne le peux et ne le veux pas) que de
mettre en place un dispositif qui assure la perpétuation des rapports sociaux
qui le fondent… et ce, quel qu’en soit le prix.
Mais il y a un danger
encore plus grand: en l’absence d’analyse, dont les partis politiques sont
incapables, en laissant faire, en faisant jouer à ses mercenaires (gendarmes et
policiers) un rôle, dans ce cas, purement passif, l’Etat cautionne les pires
interprétations. En effet, comment ne pas voir dans ce déferlement de violence
l’action de «bandes ethniques» si chères aux conceptions racistes de l’extrême
droite. Cette violence dite «gratuite», qui est en fait l’expression de la
dégradation ultime du lien social, l’expression la plus violente de l’exclusion,
la haine se substituant à toute conscience (voir le «
lunpum prolétariat»
au 19
e et 20
e
siècle) ne peut être que génératrice des plus graves et les plus aberrantes
dérives politiques, dérives qui font le lit de l’état fort dans sa forme
extrême, le
fascisme ou quelque chose qui y ressemble. Nous n’en sommes
pas là, mais c’est la «pente glissante» sur laquelle nous nous engageons.
Le système marchand a aujourd’hui perdu toute maîtrise des conséquences
de l’essentiel de son fonctionnement, et ce, dans à peu prés tous les domaines.
Il n’a plus affaire à une classe ouvrière qui demandait une part du gâteau et
qui était prête à négocier. Il a affaire à une population exclue, méprisée,
«ghettoïsée» qui n’a aucun avenir et est prête à tout pour survivre. Il n’a plus
affaire à des «organisations responsables» capables de contenir la colère des
exploité-e-s, mais à des exclu-e-s qui ne se reconnaissent dans aucune
structure, qui ont perdus tous leurs repères. Sans pour cela disparaître
l’
exploitation contrôlable a cédé la place à l’
exclusion
incontrôlable, massive, structurelle, comme contradiction essentielle dans
notre société et ce sont ces conséquences que l’on vit
aujourd’hui.
LES RISQUES DE DERIVES
Ils sont
immenses et aux conséquences incalculables. Rappelons nous le 20
e siècle et ce à quoi nous ont conduit les
inconséquences et la débilité politique de celles et ceux qui étaient censés
nous conduire sur les chemins de «lendemain qui chantent».
L’Etat, quel
que soit la couleur politique de son personnel, ne sait et ne saura que défendre
les intérêts du système qu’il représente. Il saura jouer des contradictions, des
faiblesses, des ambiguïtés, des antagonismes, des fantasmes et des haines pour
dévier les coups qui pourraient menacer l’ensemble du système… les médias sont
les canaux de propagation de son idéologie, ses mercenaires, sa force brutale,
ses institutions, sa caution démocratique… tant qu’il en aura besoin.
En
période de décadence, l’Etat se révèle dans tout ce qu’il a de plus brutal, de
plus abject, sans fard: la police qui a laissé les bandes agresser la
manifestation lycéenne c’est le vrai visage et la fonction de la police… croire
le contraire, c’est vivre dans le mythe, dans la croyance naïve d’une
«police-service public»… elle a laissé faire parce qu’une telle attitude servait
les intérêts de l’Etat et de son système. Même chose pour l’attitude des
pouvoirs publics à l’égard des OGM, du nucléaire, des licenciements, des sans
logis, des sans papiers,…
La dérive totalitaire est toujours
potentiellement présente, même si elle ne s’exprime pas… Celles et ceux qui
n’ont pas compris cela l’ont payé très cher au siècle dernier. Son expression
est fonction des difficultés dans lesquelles se débat le système, de ses marges
de manœuvre, du niveau de conscience et d’action des citoyens-nes grugé-e-s par
les politiques anti sociales.
QUE FAIRE?
Il est
urgent de repenser l’action politique, la contestation sociale, la critique
sociale. Repenser l’action politique dans une perspective historique et non pas
électorale. Or de cela, les organisations politiques et les syndicats en sont
incapables. Pourquoi? Parce qu’ils sont devenus des bureaucraties plus
soucieuses de leur confort matériel que d’analyses sérieuses et d’actions
alternatives. Parce qu’ils sont devenus les gestionnaires d’une situation qui a
court terme les arrange et est conforme à leurs intérêts immédiats, les seuls
qui les intéressent. Parce qu’ils sont devenus les rouages régulateurs,
reconnus, du système économique et politique dominant.
C’est donc aux
citoyens-nes de contourner ces structures vermoulues et obsolètes qui ne
peuvent, par leur incurie et leur compromission, que nous conduire au désastre,
en ne leur accordant plus la moindre confiance.
C’est donc aux
citoyens-nes d’organiser des structures alternatives
Le rapport aux
institutions ne doit être
que tactique, en
aucun cas stratégique.
La vie, la vraie vie citoyenne se construit en dehors des structures du système,
un peu comme la bourgeoisie commerçante qui a construit l’embryon de son système
en marge de l’Ancien Régime, dans les villes,…
Tout les indicateurs
sociaux sont aujourd’hui au rouge: l’exclusion, la pollution, la destruction des
sources d’énergie non renouvelables, le rapport au travail, le pouvoir citoyen,…
La manifestation lycéenne du 8 mars est un indicateur supplémentaire, ignoré des
politiciens qui, pour la plupart,n’ont vu qu’un épiphénomène somme toute
marginal, trop occupés à leurs querelles d’appareil pour penser à l’essentiel,
trop occupés par leurs petites et grandes affaires.
Il est aujourd’hui
impensable de recommencer ce genre d’expérience, de faire vivre à des jeunes de
telles scènes, de courir le risque qu’elles se répandent dans toutes les grandes
villes, d’aboutir petit à petit à une guerre civile larvée, rampante qui
permettra au système d’affiner sa domination et de détourner l’attention
citoyenne des vraies raisons, des vraies causes d’une telle situation.
De même qu’il est politiquement absurde de se livrer pied et poings liés
à la violence d’Etat devant un champs d’OGM, de même qu’il est absurde de faire
une grève qui n’exerce aucune pression sur l’Etat et le patronat mais leur
permet par contre de retourner l’opinion publique contre les grévistes, il est
absurde de courir le risque de faire des manifestations des lieux
d’affrontements qui font le jeu politique du pouvoir en place et qui attisent la
haine entre citoyens-es… et ce n’est pas à la base un problème de «service
d’ordre» comme le pensent certains bureaucrates.
Ce constat est
difficile à assumer car être conscient de la situation et en tirer toutes les
conséquences obliqe à procéder à des révisions déchirantes, que certains vivront
comme des trahisons des traditions ouvrières, des traditions ancestrales qui ont
fait la gloire des luttes passées… c’est d’ailleurs ce genre d’arguments
qu’utilisent les bureaucraties syndicales pour…. ne rien faire d‘innovant. C’est
difficile car il s’agit de faire preuve d’imagination et d’initiative pour
impulser des rapports sociaux nouveaux, au travers de formes de luttes
nouvelles.
Aujourd’hui nous ne faisons que reproduire des pratiques, des
gestes, qui datent du 19
e siècle sans se rendre
compte que les conditions de développement du système marchand ont changé, sans
se rendre compte que ses marges de manœuvres sont infiniment moindre qu’à cette
époque, sans se rendre compte que les moyens de communication entre nous nous
permettent ce que nos ancêtres n’auraient jamais osé imaginer et espérer.
Sans vouloir jouer les devins et autres «porteurs de mauvaises
nouvelles», on peut dire que nous sommes à l’aube d’une situation dramatique, à
l’aube d’un déchirement généralisé du tissu social, et la situation de
mondialisation marchande ne peut qu’accélérer et aggraver le
processus.
Rien n’est jamais inscrit dans l’Histoire quand aux réponses
qui sont apportées aux situations. Notre époque ne fait pas exception, mais il
est évident que nous sommes désormais devant un dilemme: subir ou agir. Le
20
e siècle nous a montré les conséquences de la
première attitude, reste la seconde en n’oubliant surtout pas que les périodes
changent, les modes d’action aussi.
On ne pourra pas dire que l’on ne
savait pas.
Patrick
MIGNARD
Voir également les articles:
«
DECADENCE»
«
TRANSITION»
«
VIOLENCE ET CHANGEMENT SOCIAL»
«
LUTTES
SOCIALES ET REPRESSION»
«
DROIT DE GREVE ET SERVICE PUBLIC»
Sur la
manifestation parisienne lycéenne du 8 mars, voir:
http://www.altermonde.levillage.org/article.php3?id_article=2384