Le système marchand aurait un fondement humaniste. Il a pour le prouver le fait qu’il est issu culturellement et politiquement de la Révolution Française «mère» de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.
L’argument historique est incontestablement de poids en faveur du
système, mais la réalité de son fonctionnement et toute son histoire
peut légitimement faire douter de la véracité et de la crédibilité
d’une telle affirmation.
LE CONTRE EXEMPLE DE L’HISTOIRE
Toute l’histoire du mouvement ouvrier qui s’est écrite en lettres de
sang en Europe et aux Etats-Unis au 19e et 20e siècle, mais aussi le
colonialisme qui a ensanglanté les quatre coins de la planète, vont à
l’encontre de cette idée d’humanisme. L’humanisme marchand est à «
géométrie variable»
dont les paramètres sont déterminés par les intérêts industriels,
commerciaux, politiques, culturels et stratégiques des nations qui s’en
réclament. Ca fait beaucoup de paramètres et autant de conditions pour
un exercice désintéressé de la démocratie.
Pourtant, ce système, comme tous les autres d’ailleurs dans l’Histoire
a réussi le tour de force de légitimer moralement sa domination. Il n’y
a là aucun mystère ni magie. Ce système a lui aussi produit une
idéologie qui servait ses desseins et il a réussi à en convaincre
celles et ceux qu’il dominait au point que «ses valeurs» sont devenues
«leurs valeurs»… Au point que ces valeurs ont acquis le statut
d’universalité… Au point qu’elles se sont confondues avec le système et
la défense de ses intérêts… même quand ceux-ci étaient en parfaite
contradiction avec celles là.
Ainsi, celles et ceux qui à travers les époques et les continents se
sont battus pour la défense de ces valeurs sont passés pour des
rebelles et des terroristes… voir pour cela les conflits sociaux et
toutes les luttes d’indépendance à l’époque de la décolonisation.
Ce système né dans le sacré a sombré peu à peu dans le sordide.
LE MIROIR BRISE DES ILLUSIONS
Le salariat et la consommation marchande ont donné l’illusion de l’universalité de leur accessibilité pour toutes et tous.
Sur le plan social, tout individu a pu, et peut, en principe, accéder à
toute fonction… le fondement de cet accès n’étant plus, en principe,
déterminé par l’origine sociale, chose qui était sinon impossible du
moins extrêmement compliquée dans les systèmes antérieurs. La force de
travail s’est démultipliée dans une infinité de fonctions et de métiers
au point de faire appel à toutes et tous. La terre qui avait constitué
depuis les origines le lieu principal de la production, s’est vue peu à
peu détrônée, comme élément essentiel, dans la constitution de la
structure sociale: le règne du capital s’est substitué à la gestion
foncière de la terre.
Cette accessibilité à l’emploi, condition de l’intégration sociale, qui
pouvait apparaître comme illimitée et absolue à l’époque où le système
avait un besoin impérieux et massif de force de travail s’est avérée,
au cours de son développement, toute relative. Les aléas du marché et
de son expansion, les exigences de l’accumulation du capital, la
concurrence entre les unités de production ont ramené l’individu à sa
véritable place qu’il a dans ce système: un instrument de la production.
Le système a révélé, lors de ses crises, et aujourd’hui de manière
structurelle, sa véritable nature: il ne considère l’être humain, et
tout ce qui existe sur cette planète… et même au-delà, qu’au regard de
ses propres intérêts. (voir l’article «
LE TOTALITARISME MARCHAND»)
Sur le plan de la consommation, la production illimitée de biens et de
service, a pu faire croire à l’imminence d’un âge d’or que les
économistes officiels n’hésitaient pas à prédire. La «
société de consommation» était née et attendait sa petite sœur, la «
société de loisirs»… l’«
âge d’or» et le «
paradis sur Terre» étaient, enfin, à portée de la main…
En fait, la production de masse et le développement de l’économie de
marché, caractérisée par l’impératif de la vente, réalisation du
chiffre d’affaire et surtout du profit, considérait, et considère, tout
individu comme consommateur potentiel. Or, le «consommateur potentiel»
est le «consommateur solvable», autrement dit celle ou celui qui peut
acheter… et pour pouvoir acheter encore faut-il qu’il ait un
emploi.(voir les articles «LE TRAVAIL EN QUESTION» :
http://endehors.org/news/5943.shtml http://endehors.org/news/5997.shtml http://endehors.org/news/6076.shtml http://endehors.org/news/6187.shtml ). L’abondance de la
production qui a entraîné en valeur absolue une abondance de la
consommation, n’a pas, dans le même temps empêché l’explosion des
inégalités et de la pauvreté, y compris dans les pays riches… sans
parler des pays pauvres.
De plus, et c’est un des aspects les plus pervers de ce système, la
production, poussant la consommation, moyen de réaliser la valeur
produite, a donné naissance à des excès d’une gravité extrême:
alimentation industrielle, prolifération à l’infini de gadgets,
pollution massive sous toutes ses formes, atteinte à la santé publique,…
Cette société dite «de consommation» s’est révélée être un piège
redoutable qui non seulement n’a pas permis d’instaurer une égalité
dans la distribution des richesses mais a porté une atteinte qui
pourrait être fatale à l’écosystème.
UN DOULOUREUX RETOUR AUX PRINCIPES DU SYSTEME
Le mythe de la «
société de consommation» s’est arrêté aux bornes fixées par la logique de la marchandise.
Le système marchand sur le berceau duquel s’était penché la fée des
«Droits de l’Homme» a, en grandissant, dénoncé les vœux qui avait été
prononcé, en son nom, lors de son baptême.
Ainsi a grandi, en dépit des conditions effroyables de la production
pour les prolétaires du 19e siècle, des conflits meurtriers qu’il a
engendré et des luttes sociales jusqu’à aujourd’hui, un système qui a
su habilement concilier, dans l’inconscient collectif, «droits de
l’homme» et exploitation des salariés, justice formelle et injustice
sociale, liberté d’entreprendre et asservissement du travail, égalité
devant l’urne mais inégalité dans la condition sociale et la
répartition des richesses…
La condition de salarié «être» soumise au bon vouloir des conditions de
la production et du marché est en passe de s’enrichir d’un nouveau
concept: l’exclusion. En effet, celles et ceux qui pensent que l’emploi
est un acquis en sont pour leurs frais (voir l’article «
ACQUIS
SOCIAUX…RIEN N’EST JAMAIS ACQUIS»). Le fameux «droit au travail»,
pourtant inscrit dans le préambule de la Constitution est une bonne
farce qu’a joué le système aux naïfs. Il a promis une chose qu’il était
incapable de tenir. L’exclusion n’est donc ni une exception, ni le
produit d’un dysfonctionnement, mais la conséquence logique du
fonctionnement du système marchand. L’exclusion montre, s’il en était
besoin, que la priorité pour le système n’est pas l’Homme, mais la
valeur qu’il peut tirer de son travail en vue d’une appropriation
privée.
Quant au salarié qui «a la chance» d’avoir un emploi, il est un exclu
en puissance. Tous les acquis sociaux qui fondaient de manière
trompeuse l’«humanisme» du système sont, dans leur ensemble menacés. La
mondialisation marchande a fait de la situation de salarié une
situation parfaitement instable… ce qu’elle était par ailleurs au 19e
siècle… puis atténuée par suite grâce aux «conquêtes sociales». Le
froid calcul égoïste de la maximisation du profit, unique objectif du
système, peut désormais se passer des revendications des salariés et
contourner leurs moyens de pression. La déréglementation est désormais
la règle… seule la loi du profit est aux commandes de la société. La
précarité devient ainsi l’antichambre de l’exclusion.
Le système marchand, dans les principes de son fonctionnement n’a pas
changé depuis le 19e siècle. Seules les conditions de son développement
ont changé. Le mythe de la puissance de la production qui devait
profiter à l’ensemble est désormais mort. L’être humain n’a plus rien à
attendre des grandes déclarations «humanistes» d’un système qui
fondamentalement le méprise et l’instrumentalise.
La tâche principale n’est plus seulement à la dénonciation, quoiqu’elle
soit aussi utile, mais surtout à l’élaboration d’un nouveau système…
Ainsi va l’Histoire. Ainsi se fait l’Histoire.
Patrick MIGNARD