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L'En Dehors


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« La prison limite ultime de la liberté de l’information »
Lu sur Samizdat.net : "Pris en tenaille entre la rentabilité que seul le suivis de l’actualité et donc la rapidité est supposé leur assurer et des pratiques de dépendances envers ceux qui sont leurs premiéres sources d’information, les journalistes voient peu à peu leur crédibilité s’effritter.



Faute de pouvoir entrer dans les prisons, les journalistes sont condamnés à n’en parler qu’en reprenant des informations de seconde ou troisiéme source.

Faute de temps pour mener des enquêtes, leur couverture se résume souvent à n’en suivre que l’actualité des réformes legislatives et des faits divers.

Faute de pouvoir y circuler, leurs reportages se résument a des visites ou ni le temps, ni les conditions ne permettent de percevoir ce qui en fait l’essence même.

Figures de style rhetoriques aux acteurs quasi imposés, l’information sur la prison n’arrive que rarement à dépasser la reproduction mettant en scéne, politiques, directions d’administations, syndicats, associations.

Une impasse qui se voile derriére des titres emplis de superlatifs ou des reprises de communiqués d’une indigence formatée.
Prison : une actualité morbide qui ne trouve pas de débouchés politiques

Le 5 janvier 1973, le quotidien « Le Monde » publiait une liste de trente sept noms de détenus s’étant suicidés durant l’année 1972 provoquant débats et polémiques. Trente années plus tard les cent vingt deux suicides qui ont eus lieu en détention durant l’année 2002 dont de nombreux sont pourtant plus que suspects, n’ont donnés lieu qu’à des articles presque policés, quelques brèves « factuelles » induisant comme une fatalité, une déja presque normalité alors que le taux d’incarcération explose.

Annoncé en février dernier, la création des « Eris » (Equipes regionales d’intervention et de sécurité) puis leur entrée en action en mars dernier, en charge d’intervenir en détention en cas de troubles, n’ont là encore été annoncés que par des articles convenus et sans passion. Formés par le GIGN ces groupes créent pourtant les conditions idéales et permanentes pouvant mener à un surcroit de violence et à la violation des droits minimum des détenus, garantissant un total anonymat aux gardiens-volontaires-cagoulés qui les composent.

« Le niveau des journaux n’est pas bon. » Ce constat que fait Patrick Marest délégué de l’OIP [1] association qui joue un rôle d’alerte, est plus que partagé par l’ensemble des associations, bénévoles ou militants qui agissent de l’intérieur ou de l’exterieur de la prison. Pourtant, jamais autant que ces trois dernières années, la sécurité, l’insécurité (ou son sentiment), la justice, la détention et ces conditions n’auront été autant traités à travers une multitude d’articles, de brèves, de reportages.

« Le reproche principal que je leur ferai c’est d’être complétement passif face au fait qu’ils ne peuvent pas faire leur travail en prison » estime Patrick Marest des journalistes avec lesquels il entretien des relations quotidiennes pour l’OIP depuis sa création.

Le 10 décembre 1997, journée mondiale des droits de l’homme, l’OIP organise avec l’accord de l’administration pénitentiaire des délégations citoyennes qui entrant en détention iront remettre aux détenus responsables des bibliothéques les premiers guides des prisonniers.

L’ensemble de la presse nationale est de la partie, la liste des noms des personnes devant entrer dans chaque prison transmise à l’administration. Au dernier moment l’accés des journalistes sera refusé, les syndicats pénitentiaires n’ayant pas supportés d’être informés quelques jours plus tôt par la lecture d’un journal, d’un projet de parloir familiaux. Face à ce camouflet, les journalistes rentreront dans leurs rédaction préparer leurs articles qui racontent l’histoire, une histoire de rendez-vous manqué.
Les médias-machine à enregistrement ?

Lorsqu’en décembre 2000, le quotidien Le Monde publie « les bonnes feuilles » du livre du docteur Monique Vasseur, c’est pourtant comme un coup de tonnerre qui vient troubler la lente émergence de l’information sur ce qui se vit derriére les murs. Dès le lendemain de cette publication en double page centrale, le directeur de la maison d’arrêt de la santé organise une presque journée portes-ouvertes. Les journalistes de la presse nationale présents auront droit à une visite guidée et à de multiples mises au point concernant la vie « réelle » version administrative dans cette Maison d’arrêt. La machine médiatique s’emballe, pas un support ne restera absent de ce soudain intérêt pour la suite de constats accablants que le livre raconte, multipliant les superlatifs épouvantés. A l’assemblée nationale, une commission d’enquête est crée dans les semaines suivantes, alors même que dès juillet 1999, un groupe de travail présidé par le premier président de la cour de cassation, Guy Canivet travaille lui aussi à la préparation d’un rapport.

Trois ans plus tard alors que les conditions d’incarcération n’ont cessés de se dégrader et que le taux d’occuppation atteint désormais jusqu’a 200% dans certains établissements de détention et 260 % dans des Maisons d’arrêt, qu’aucune des proposition des différents groupes de travail ou commissions d’enquêtes n’ont été mises en oeuvre, c’est avec distance et parcimonie que les informations continuent le plus souvent à percer, à être publiées, enregistrant et consignant les soubresauts d’une réalité qui loin d’être figée ne cesse de se dégrader plus encore.

« Les journalistes qui franchissent les grilles de la détention ne voient que ce que l’administration pénitentiaire veut bien leur montrer » estime Philippe, ancien détenu systématiquement « bouclé » dès qu’une visite avait lieu dans la maison d’arrêt où il était détenu, car considéré comme un meneur pour son franc parlé. Et pour cause, abrité derrières des consignes de sécurité draconiennes, l’administration pénitentiaire accueille et guide, les journalistes qu’elle reçoit avec le plus de parcimonie et d’attention possible. Pourtant par manque de personnel, les visites ne peuvent évidemment n’être que courtes. Pour raison de sécurité, qu’encadrées et partielles. Par surcharges de demandes, elles ne peuvent être qu’exceptionnelles. Mais avant même d’entrer, c’est tout un parcours de validation politique et administrative qui aura eus lieu, écartant d’emblée le plus souvent sans daigner leur répondre ceux des journalistes qui risqueraient de ne pas rendre l’image qu’une administration souhaite voir donner d’elle même.

Trouvant pourtant la critique trop systématique et le cadre de ces visites pas assez précis, le cabinet du nouveau ministre Dominique Perben mets en place dès son arrivée place Vendôme, une procédure visant à s’assurer qu’aucune demande de reportage ne soit laissée au hasard ou à la distraction. Il est désormais prévus que les détenus interviewés soient choisis par le chef d’etablissement (ce qui était déja le cas) et que les articles ou enregistrement réalisés soient envoyés pour information au service de presse de l’administration pénitentiaire mentionnant la date de parution ou de diffusion, par conséquent préalablement à toute diffusion.

Comment dès lors rendre compte de la vie en prison où se sont désormais 57500 [2] personnes qui séjournent pour des périodes de plus en plus longues ? Cette question, peu de journalistes semblent pourtant se la poser, se contentant d’un traitement médiatique classiquement instauré par d’une part : les sources d’information disponibles, d’autre part par les limites à ne pas franchir pour continuer à pouvoir exercer et plus encore peut être l’espoir d’un passe droit qui leur ferait obtenir une autorisation d’accès exceptionnelle, une information non encore diffusée. Loin d’être les seuls à être confrontés à ce qui s’apparente à une logique de « non-droit », les quelques 30.000 personnes qui sont autorisés chaque jour à franchir les portes de la détention (visiteurs, animateurs, concessionnaires) se retrouvent eux aussi littéralement empétrés dans un sentiment de devoir de réserve qui laisse tout latitude à l’administration pénitentiaire de laisser l’arbitraire, le dérogatoire régner s’appuyant sur la possibilité permanente de refuser l’accés.

Faute de regards extérieurs témoignants au quotidien, faute d’une analyse de ce qui produit de la « mort-lente » et l’échec absolu de la vocation proclamée de réinsertion, les avancées notables de ces vingt dernieres années se résument à une poignée de mesures (permanences d’avocats, livrets du reglement interne remis au detenus, jumelage avec des etablissements hospitaliers et depuis peu « parloirs familiaux ») qui ne remettent jamais en cause l’échec du modéle pénitentiaire français.

Pourtant, malgré ce constat d’échec qui effleure de bon nombre d’articles, c’est plus une logique d’urgence qui semble guider le traitement médiatique de cette question, une logique d’urgence qui s’assumerai individuellement de rebondissements de l’actualité en rapports en passant par des circulaires de mise en application ?

Alors que cette année encore, les journalistes autocélébrent « leurs martyrs » emprisonnés ou morts dans l’exercice de leurs fonctions, ne peut il apparaitre plus choquant encore que des dizaines d’hommes placés « sous la main de la justice » d’un pays démocratique prônant un strict respect des droits de l’homme décident de se donner la mort dans des lieux réputés pour les plus sécurisés du pays et qu’à jamais ils ne demeurent anonymes, inexistants ?
Des rapports qui se suivent et se ressemblent

Dans le cadre de la commission d’enquête du Senat « Prisons : une humiliation pour la République » menée elle aussi entre 1999 et 2000, un chapitre entier était consacré à « l’importance et aux limites des regards extérieurs » concluant à la nécessité de les encourager... Constatant « la forte inertie et le manque de transparence de l’administration pénitentiaire », cette commission recommandait de favoriser la transparence. Trois années après la remise de ce rapport, le huis-clos qui se déroule à quelques rues de chez nous est plus que jamais la régle. Mais comment espérer un autre monde et une autre prison tant qu’il n’y aura pas d’alter-journalisme pour en dresser sans complaisance l’inventaire et la liste des responsabilités et enfin réclamer collectivement un droit à l’accés et à l’information sur les prisons ?

Olivier Aubert à été photoreporter puis journaliste. Il est désormais collaborateur d’un élu municipal parisien. Il a dans le cadre d’un reportage passé 5 semaines à la Maison d’arrêt de la Santé à Paris en 1990 puis a été autorisé à y retourner de façon plus brève en 1999, 2000. Il a également réalisé des reportages dans la prison agricole de Naphlio (Grèce) et la Maison d’arrêt de Nanterre, est intervenus lors de débats à la Maison d’arrêt de Nancy. L’essentiel de ses demandes de reportages lui a pourtant toujours été refusé.

[1] Observatoire international des prisons. Voir : http://www.oip.org.

[2] Chiffres au 1er octobre 2003.
Ecrit par libertad, à 21:47 dans la rubrique "Actualité".



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