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Une hypothèse à propos du leitmotiv « on ne travaille pas assez en France »
La même antienne...

On se souvient que, l'an dernier, lorsque sous la pression des événements, feu le gouvernement Raffarin II avait d0 envisager un plan destiné à prévenir la reproduction de la catastrophe sanitaire provoquée par la canicule (15 000 morts), il n'a pas trouvé d'autre moyen pour le financer que d'envisager de supprimer un jour férié. Bref, pour éviter aux petits vieux de casser leur pipe avant l'heure, les actifs employés n'avait qu'à retrousser un peu plus longtemps leur manche.

La même antienne («on ne travaille pas assez en France») nous avait été servie pendant tout le printemps précédent, où il s'était agi pour le gouvernement, ses mentors patronaux et leurs chiens de garde académiques et médiatiques de prévenir puis de combattre les manifestations de rue et les grèves que le projet de réforme de l'assurance vieillesse avaient déclenchées. D'ailleurs, ce projet revient lui aussi tout entier à contraindre à faire travailler davantage, sur l'ensemble de leur vie active, ceux qui seront pourvus d'un emploi, pour au mieux conserver leur droit à pension et, le plus souvent, les voir révisés à la baisse.

Et, depuis quelques semaines, c'est le même refrain que les mêmes nous resservent en s'en prenant cette fois-ci à la semaine de 35 heures et aux lois Aubry qui l'ont instituée. C'est d'autant plus étonnant que, ainsi qu' ACC l'avait parmi d'autres dénoncé à l'époque, ces lois ont surtout permis au patronat de bloquer les salaires pendant deux à trois ans; et d'imposer une plus grande flexibilité dans l'usage de la main-d'oeuvre. Sans compter les quelques 400 000 emplois qu'elles auront permis de créer, selon différentes études de l'INSEE et de la DARES (le service statistique du Ministère du travail et de l'emploi).

Inutile ici s'appesantir sur la récurrence du discours visant à culpabiliser les chômeurs, en les rendant responsables de leur inactivité forcée. Remarquons toutefois que cette pression idéologique est suivie d'effets : à travers le PARE et la transformation du RMI en RMA, on a cherché à convertir l'inactivité forcée en un travail forcé, à contraindre les chômeurs à reprendre un emploi, fût-ce à des conditions de rémunération et de qualification généralement inférieures à celles accordées aux salariés en général.

La récurrence de ce slogan «on ne travaille pas assez en France» et des pressions qui l'accompagnent - dont je n'ai donné ici qu'un petit aperçu - demande à être expliquée. Certes, historiquement, la bourgeoisie a toujours fait l'apologie du travail en général. Rien d'étonnant à cela, C'est le travail en général, abstraction faite de ses contenus et de ses formes particuliers et concrets, ce travail abstrait dont parle Marx, qui produit seul de la valeur. Et le capital n'est pas autre chose qu'une «valeur en procès» (Marx encore), c'est-à-dire une valeur qui se conserve et qui s'accroît en un continuel procès cyclique, au cours duquel elle absorbe sans cesse une valeur nouvelle, fruit d'une nouvelle dépense de force de travail. On aura compris que, derrière son apologie du travail, c'est l'exploitation de la force de travail salariée que la bourgeoisie exalte.

Dans cette apologie du travail, la bourgeoisie est traditionnellement rejointe par la petite-bourgeoisie, agraire, artisanale, commerçante ou intellectuelle (les professions libérales), dont les revenus et le statut social reposent sur la mise en oeuvre, par une force de travail individuelle ou familiale, de ses propres moyens de production. Ce qui est ici exalté, par contre, c'est l'effort personnel ou familial poursuivi dans le cadre d'un métier ou d'une profession déterminée, fiers de leurs propres savoirs et savoir-faire, de leurs propres normes et traditions, de leur autonomie et de leur indépendance aussi, volontiers opposées au statut subordonné du travail salarié.

Bien que leur expérience du travail soit, pour l'immense majorité de leurs membres, celle de l'exploitation, de la domination et de l'aliénation, les classes salariées elles-mêmes n'ont pas été à l'abri de cette apologie du travail. Dans son pamphlet célèbre, Le droit à la paresse (1883), Paul Lafargue se désolait déjà de cette c étrange folie (qui) possède les classes ouvrières des nations où règne la civilisation capitaliste » qu'est «l'amour du travail, la passion furibonde du travail, poussée jusqu'à l'épuisement des forces vitales de l'individu et de sa progéniture» (1). Sans doute faut-il y voir l'effet conjugué de la nécessité se faisant vertu; mais aussi un des moyens que les classes ouvrières en question ont trouvés pour reconquérir dignité à leurs propres yeux et, de ce fait, un moyen paradoxal de résistance à leur propre oppression.


... Une antienne moins pesante à une certaine époque


Cependant, au cours des dernières décennies, cette apologie du travail s'était singulièrement atténuée et infléchie. Y avaient contribué les formes d'exploitation et de domination du travail que le compromis fordiste, par lequel s'étaient soldées et la crise des années 1930 et la seconde guerre mondiale, avaient mis en place.

Du côté de la bourgeoisie, la valorisation du capital reposait désormais non pas tant sur l'exploitation extensive de la force de travail (la production de plus-value absolue par augmentation de la durée journalière, hebdomadaire, annuelle du travail et par son intensification) que sur son exploitation intensive (la production de plus-value relative par augmentation de la productivité du travail). Cela explique pourquoi, pendant les soi-disant «trente glorieuses» fordistes, en contrepartie d'un élargissement et d'un approfondissement des méthodes fordistes de production (dont le travail à la chaîne est l'archétype), la bourgeoisie a pu consentir, en plus d'une augmentation des salaires réels, une diminution du temps de travail journalier, hebdomadaire, annuel ainsi que de la durée de la vie active. C'est que les gains de productivité, générés par les méthodes fordistes, étaient suffisants pour financer à la fois ces concessions au salariat et l'accumulation du capital.

Du côté du prolétariat, l'élargissement et l'approfondissement de ces mêmes méthodes fordistes, en vidant le travail du restant de son contenu d'autonomie et d'inventivité, en le privant de tout sens par sa parcellisation et par sa réduction à la répétition indéfinie de quelques opérations élémentaires, autrement dit en le rendant de plus en plus abstrait (sacré Marx !), eurent également raison de l'exaltation du travail productif. On sait que cela devait aboutir à une « crise du travail » à partir de la fin des années 1960, dont les manifestations multiples et variées furent l'absentéisme ouvrier grandissant, l'accélération du turn-over, le coulage et le sabotage le long des chaînes, enfin la révolte des OS, ces soutiens du fordisme, et notamment des plus jeunes d'entre eux, qui n'étaient plus disposés à «perdre leur vie à la gagner» en pratiquant un boulot abrutissant à force d'abstraction.

Crise et révolte d'autant plus radicales que le fordisme avait doublé la production de masse d'une consommation de masse, auquel son caractère marchand-spectaculaire donne une apparence de fête permanente ; mais aussi de loisirs de masse (tourisme, spectacles culturels et sportifs, télévision, etc.) occupant et colonisant le surcroît de temps libre dégagé par la réduction du temps de travail ; enfin d'une scolarisation (secondaire puis bientôt supérieure) de masse, pour alimenter ses besoins grandissants en cadres moyens et supérieurs. Autant de processus générateurs d'un individualisme grandissant, d'une personnalité narcissique à tendance autoréférentielle, peu disposée à se plier au régime de caserne que continuait de pratiquer l'usine fordiste.

II ne restait plus que la petite-bourgeoisie pour vouer un culte au dieu Travail, à côté des déesses Famille et Patrie. Son repli sur ces valeurs vichystes était d'autant plus violent que, de toute part, elle voyait son univers matériel, social, institutionnel et mental s'écrouler sous la dynamique économique et idéologique du fordisme. Mais pareil repli constituait du même coup l'aveu que ce culte semblait bien appartenir à un passé décidément révolu ; que seuls quelques fossiles politiques tels que l'inénarrable Royer, ministre du Commerce et de l'Artisanat (traditionnellement le ministère en charge de la petite-bourgeoisie urbaine) des trois gouvernements Messmer (1972-1973), osait défendre, en dépit de l'hilarité générale qu'il provoquait par ses prêches moralisateurs.


Et survint la crise


Survint la crise, au milieu des années 1970, celle dont nous ne sommes toujours pas sortis. Crise provoquée par l'essoufflement du régime fordiste d'accumulation, sous l'effet conjugué du ralentissement des gains de productivité; de l'augmentation de la composition organique du capital (encore Marx: la part croissante du coût des équipements matériels et des matières premières dans les avances de capitaux); la saturation de la norme de consommation fordiste, les marchés moteurs de la croissance fordiste (l'automobile, l'équipement ménage, le logement social, etc.) devenant des marchés de renouvellement, par définition plus fluctuants et plus différenciés, par conséquent moins appropriés à l'appareil fordiste de production. Le tout aboutissant à une chute du taux de profit.

Crise aggravée par l'éclatement du mode fordiste de régulation, sous les coups de l'internationalisation grandissante des marchés (de marchandises et de capitaux), provoquée aussi bien par la dynamique du fordisme que par les prodromes de sa crise. La part grandissante des exportations et des importations, de marchandises comme de capitaux, rendaient non seulement inopérants mais contre-productifs tous les mécanismes de régulation qui, dans le cadre des différents Etats-nations, avaient rendu «glorieuse» l'accumulation fordiste.

On sait comment, à partir de la fin des années 1970, la bourgeoisie a cherché une solution à cette crise, sous couvert et avec l'appui des politiques néo-libérales auxquelles, en quelques années, pratiquement tous les gouvernements des Etats centraux se sont ralliés. D'une part, il s'est agi de laisser filer le chômage, de manière à faire jouer à « l'armée industrielle de réserve » (coucou, revoilà le vieux barbu) des chômeurs et des précaires sa fonction disciplinaire à l'égard de l'armée active des salariés employés ; et de renverser globalement le rapport de forces en sa faveur dans la négociation des conditions d'échange (salaires) et d'usage (conditions de travail) de la force de travail.

D'autre part, de nouvelles formes d'exploitation et de domination du travail ont été inventées et diffusées, en remplacement des formes fordistes dont les limites étaient devenues évidentes, de manière à rendre les procès de travail plus fluides, plus flexibles mais aussi plus diffus (par le recours à la filiation et à la sous-traitance à grande échelle). Les conditions en ont été de nouveaux moyens de travail (impliquant l'automatisation des machines et des systèmes de machines); mais aussi de nouvelles formes d'organisation du travail (la réorganisation de la chaîne productive en équipes polyvalentes semi-autonomes), ainsi que des nouvelles formes de disciplines au travail, moins militaires et plus sportives (la constitution d'équipes semi-autonomes faisant jouer le contrôle réciproque et l'auto-contrôle des différents membres en lieu et place du contrôle par l'encadrement inférieur des agents de maîtrise). L'objectif étant bien évidemment de redresser le taux de profit en réalisant des économies de capital; mais aussi en aggravant le taux d'exploitation de la force de travail, par son intensification mais aussi par une nouvelle dynamique de gains de productivité.

Ce sont ces mêmes objectifs, enfin, que les capitaux les plus concentrés, qui s'étaient formés pendant la période fordiste sous forme d'oligopoles nationaux, se sont mis à poursuivre en se lançant dans un vaste mouvement de décomposition internationale des procès de production, aboutissant à une véritable transnationalisation de ces derniers. Le principe en est simple : il s'agit de délocaliser les segments les plus déqualifiés des procès de travail fordiste en direction d'Etats semi-périphériques (en Amérique latine, en Europe de l'Est, en Afrique du Nord, au Moyen-Orient et en Extrême-Orient), pour y exploiter une main-d'oeuvre souvent (presque) aussi productive que celle des Etats centraux mais bien meilleur marché que cette dernière et surtout plus docile qu'elle, du fait de l'absence de tradition syndicale ou de la présence de régimes policiers musclés. Initié à la fin des années 1980, le mouvement n'a fait que s'élargir et s'accélérer sous l'effet de la dynamique de la crise du fordisme, pour aboutir à la constitution des grands groupes industriels et financiers qui dominent l'économie mondiale actuelle, constituant de véritables oligopoles mondiaux dans la plupart des branches de production.


Des réserves de productivité qui s'épuisent


Replacé dans ce contexte, le leitmotiv selon lequel «On ne travaille pas assez en France» et les pressions politiques pour allonger la durée du travail qui l'accompagnent depuis quelques années apparaissent d'autant plus étonnants. J'avancerai l'hypothèse qu'ils sont le signe de l'insuffisance des méthodes que je viens de détailler pour faire sortir l'ensemble du capital des formations centrales de sa crise (2) ; obligeant dès lors le capital à régresser vers des méthodes visant à se valoriser par la formation de plus-value absolue (l'augmentation de la durée et de l'intensité du travail) plutôt que par celle de plus-value relative (impliquant l'augmentation de la productivité du travail). Autrement dit, faute d'être capable de rendre le travail plus productif, le capital central doit en revenir à des méthodes visant à en prolonger la durée et en augmenter l'intensité.

Cette hypothèse est à rapprocher d'un autre phénomène contemporain, non moins paradoxal à première vue. Face aux projets gouvernementaux de réforme de l'assurance vieillesse ou de l'assurance maladie en cours dans les différents Etats centraux, visant à réduire la prise en charge sociale de la vieillesse et de la maladie au prétexte de leurs coûts croissants et en définitive insupportables, on a souvent fait valoir que la solution gisait dans une augmentation de la productivité du travail ; autrement dit que les gains de productivité de demain seraient suffisants pour générer la richesse sociale nécessaire à la prise en charge des malades et des personnes âgées, comme les gains de productivité d'hier ont été suffisants pour faire face à la montée en charge des régimes d'assurance maladie et d'assurance vieillesse depuis leur institution aux lendemains de la seconde guerre mondiale. Au-delà des profits escomptés par les assureurs privés d'un démantèlement des systèmes publics de protection sociale, ne faut-il pas chercher la raison d'un tel démantèlement dans le fait que, tel qu'il est mis en oeuvre parle capital, le travail social ne dispose plus aujourd'hui de réserves de productivité susceptibles d'éviter une révision â la baisse des normes actuelles de protection sociale ? On retrouve ici l'hypothèse précédente : la stabilisation voire la diminution de la valeur de la force sociale de travail (c'est à-dire de son coût social de reproduction, dont ce qu'on nomme habituellement la protection sociale fait intégralement partie), que le capital obtenait jusqu'alors par une exploitation plus intensive de la force de travail (un accroissement de la productivité du travail), le capital ne serait plus en mesure de l'obtenir que par des moyens extra-économiques, en imposant autoritairement (par des moyens politiques) la révision à la baisse des normes de reproduction de la force de travail.

Le développement de cette hypothèse sort des cadres du présent article. Mon objectif était ici simplement de la suggérer. Je me propose d'y revenir ultérieurement en la situant dans le cadre plus général d'une évaluation de la situation actuelle du capitalisme en crise.



Alain Bihr


  1. Le droit à la paresse, réédition Spartacus, 1987, page 24.

  1. Car il est évident que, pour sa part, la fraction oligopolistique du capital industriel et financier qui a su réussir sa transnationalisation et qui en tire bénéfice (dans tous les sens du terme) semble, pour sa part, être tiré d'affaire. Notamment parce que sa position oligopolistique lui permet de réaliser des surprofits (des profits supérieurs au profit moyen - c'est la dernière fois que je vous sers Marx, promis juré !) aux détriments du restant des capitaux.



A contre courant syndical et politique #156 juillet 2004

Ecrit par libertad, à 21:57 dans la rubrique "Pour comprendre".



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