Penser le « politique » n’est pas simple, cet exercice se heurte à un certain nombre de pièges dans lesquels on n’a même plus conscience de tomber et qui altèrent largement à la fois notre analyse et les projets mis en place.
La multitude des courants de pensée-s et des expériences vécues ne nous mettent que dans l’ « embarras du choix » pour ce qui est… du choix de références. Mais quels sont les critères de choix… s’il y en a, et,.. doit-on, peut-on, véritablement faire un choix ?
De l’Histoire, tout le monde, et en particulier les partis et les organisations, en tirent ce que « bon lui semble », mais ne rêvons pas… l’Histoire n’appartient à personne. Essayons de la comprendre avant de nous en servir… de lui faire dire ce que nous souhaitons qu’elle dise.
Il est curieux, et inquiétant qu’il faille, dans toute discussion politique « montrer patte blanche », s’identifier, montrer explicitement quelles sont nos références, de « qui », ou de « quoi », on se réclame, de quel mouvement, de quelle tendance, de quel parti,… Si l’on n’est pas « ceci » ou « cela » on n’est rien…La pensée autonome n’existe pas… on doit être toujours l’expression de quelqu’un ou de quelque chose. Il est d’ailleurs de bon ton de faire des références, des citations… « Untel a dit que … »… « D’après Untel… », « Pour ne citer qu’Untel… », « D’ailleurs Untel à dit… »…… Bref, la pensée est aujourd’hui enserrée dans un moule préétabli qui l’empêche d’être libre, donc efficace… et ceci est vrai pour tous les « courants de pensées »… même les plus « libres »… pour ne pas dire libertaires.
Attention tout ceci ne veut pas dire qu’il faille ignorer ce qui a été dit ou fait, bien au contraire, mais replaçons ces dires et ces faits à leur juste place.
NE PAS CONFONDRE « EXPERIENCE » ET « MODELE »
Le problème avec l’Histoire c’est que nous n’en connaissons que le passé, or c’est l’avenir qui nous intéresse… encore que, la manière de « lire » le passé pose problème. Question : le passé peut-il, et dans quelle mesure, nous servir pour construire l’avenir ? Probablement que oui, mais encore faut-il savoir le manier avec précaution et en tirer des leçons pertinentes. Lire le passé ce n’est pas le reproduire mécaniquement dans ses phases qui nous paraissent les plus pertinentes. La tentation dangereuse serait, est, de reproduire ou d’essayer de reproduire ce qui a été, car dans l’Histoire tout est relatif.
La relativité de l’Histoire tient au fait que les périodes historiques ne sont jamais identiques… elles sont uniques et non reproductibles…. contrairement à la physique où l’on peut reproduire la même expérience plusieurs fois… et en tirer une loi mathématique. Les évènements historiques eux sont uniques car ils se produisent dans des conditions qui sont un ensemble de situations qui ne se reproduisent jamais à l’identique. Il ne saurait donc y avoir un quelconque « modèle », aussi séduisant et pertinent qu’il soit.
Tirer même des leçons des erreurs commises pose problème, car bien entendu les erreurs sont elles aussi relatives, liées à des conditions temporelles de l’action au moment où elles se situent.
De plus, tirer des leçons d’une expérience pour quelqu’un qui a vécu l’évènement est déjà difficile, on peut imaginer ce que ça peut-être pour quelqu’un qui ne l’a pas vécu et qui l’a appris soit de la bouche de témoins, voire de manière livresque ? Dans ces conditions, tous les abus d’interprétation sont possibles, toutes les erreurs d’appréciation, d’évaluation nous guettent.
Ce qui est intéressant dans une expérience c’est moins ce qui a marché (quoique ça le soit), que ce qui l’a fait échouer. C’est en effet dans l’analyse de l’échec que l’on peut en tirer des hypothèses pour les actions futures. Or, cette démarche, nous la faisons de moins en moins. Sous des aspects d’ouverture et d’incitation au dialogue, nous avons-nous, citoyens inorganisés des gens qui détiennent la vérité, des gardiens du temple, de leur temple.
QUI SUIS-JE ? OU VAIS-JE ?
La situation actuelle est à peu prés la suivante : chacune-e est dans sa case, bien étiqueté (c’est ce qu’il fait d’ailleurs à chaque manif dans la rue), identifié et identifiable, fier de l’être, sûr de ses certitudes, campé sur ses positions attendant l’autre de pied ferme … Les autres, les non étiquetés n’existent politiquement pas, s’ils le veulent ils peuvent rejoindre les initiés… mais attention… faut pas se tromper de case. Une fois dans la case, on a un vocabulaire à soi, un véritable bréviaire lexical,… faut pas non plus se tromper… pour les uns c’est « réforme », pour d’autres « modernité », « participation », « révolution », « grève générale », « autogestion »,… il ne faut pas oublier de citer ces mots sinon on est considéré comme appartenant à une autre case.
Quelle dérision !
Si par hasard, je ne m’identifie pas clairement (au sens des partis, des organisations ayant pignon sur rue), je passe pour un je ne sais quoi. Peu importe mon idée, mon analyse… si je ne prononce pas les mots « sacrés », mon discours n’a pas de sens. La référence aux vieux grimoires (chacun a les siens), aux vieux prophètes (De Gaule, Trotsky, Marx ou Bakounine…), bref … en quelque sorte aux (à ses) « tables de la loi »… est absolument indispensable pour exister politiquement. Chaque église (qui excommunie l’autre, les autres) a ses prêtres, que l’on fait venir généralement de la capitale (en « province » nous sommes des ploucs, c’est bien connu…) pour les grandes messes… et là on communie un bon coup pour se prouver à soi et aux autres que, évidemment, on a raison…
Quelle dérision ! Quelle régression !... J’exagère ? …Presque pas !.......
Est-il possible aujourd’hui, socialement, de penser, réfléchir, rêver en dehors des partis et des organisations politiques ? Réellement non. Même si on le tente on nous y ramène : « Tu parles d’où ? », « Tu es qui ? ». « T’es de quelle orga. ? » Si l’on n’a pas la référence collée sur le front, on est suspect, pas clair et probablement le « sous marin » de quelque chose ou de quelqu’un…. A moins que l’on ai une consécration médiatique qui nous donne une valeur en soi, mais alors ce n’est plus ce que l’on dit qui compte mais le fait de le dire… le phénomène l’emporte sur l’essence.
Ce cadre de la pensée politique est totalitaire. Celles et ceux qui s’y agitent sont souvent au bord de la paranoïa, enserrés dans leurs certitudes prédigérées, répétant jusqu’à plus soif des incantations surgies du passé ou exprimant des fantasmes qui peuplent leurs visions d’avenir. Il faut adhérer à leurs schémas, à leurs analyses, à leurs modèles longuement élaborés par leurs « experts », il faut adhérer à leurs modèles même s’ils ont la prétention d’être des anti-modèles. J’exagère ? Presque pas !...
Le débat, la réflexion sont confisqués, bloqués,… les organisations politiques nous infantilisent, nous instrumentalisent,… dans le meilleur des cas nous ignorent.
LA PENSEE ET L’ACTION
Seule la pratique est, et doit être, déterminante. Cette pratique est collective, sociale. Ca a d’ailleurs toujours été la pratique qui, dans l’Histoire, a été déterminante. Le discours et la théorie, lorsqu’ils n’ont pas correspondu à la pratique ont été plus ou moins rapidement, mais toujours, démentis. C’est cette vérité de l’Histoire qu’il va nous falloir redécouvrir… et ce processus va être douloureux parce qu’il relative grandement les certitudes acquises et dans lesquelles on se sent si bien…
Tout serait-il à découvrir ? Pour l’essentiel oui. Le passé ne nous donne que des bribes. La théorie n’est pas, en soi, le prélude à l’action, elle prend tout son sens dans l’action, dans la pratique… elle devient véritablement théorie lorsqu’elle permet de rendre intelligible la pratique et lui permet de progresser.
Les partis/organisations politiques sont au contraire de l’idéologie concentrée, figée… Les partis/organisations politiques qui prônent le changement (en gros la gauche et l’extrême gauche) ne sont que de purs produits idéologiques. Je veux dire par là qu’ils n’ont aucune pratique innovante dans le domaine des relations sociales. Dans le pire des cas (PS, PC, Verts) ils sont des gestionnaires du système marchand, ce qui montre bien que leur discours n’est que discours. Celles et ceux qui se refusent à gérer le système marchand (et l’intention est louable) ne s’en tiennent qu’à de vagues discours sur des principes : interdire les licenciements, plus d’état, plus de pouvoir, étendre les luttes, grève générale et illimitée, autogestion, démocratie directe, égalité intégrale. Mais qu’elle est la réalité concrète de la mise ne application de ces mots ?
Peut-on croire vraiment qu’à répéter obsessionnellement « qu’il faut », « qu’il n’y a qu’à », « qu’il est indispensable »… on va faire avancer l’Histoire ? Peut-on imaginer un seul instant que par la multiplication de tracts (que personne ne lit), en collant des milliers d’affiches (que personne ne regarde)… on va faire avancer l’Histoire Certainement pas !
Une idée devient force matérielle et convainc quand elle s’exprime par une pratique sociale (voir les articles
« DECADENCE » et
« TRANSITION »), et c’est la pratique sociale qui permet non seulement de valider l’idée, de la faire partager par le plus grand nombre mais aussi de relativiser, voire de rendre caduque, le discours des organisations politiques purement propagandistes. Alors oui, à ce moment là on montrera que, si ce que nous disons est utopie, et bien cette utopie est réalisable, réalisée et peut-être partagée par tous.
Ne nous figeons pas sur des slogans ou des modèles préétablis Méfions nous même des « anti-modèles » qui ne sont finalement que des modèles, en creux. Le possible ne surgit pas d’un discours, il sera fonction de ce que nous aurons fait, des relations sociales nouvelles que nous aurons établies. L’avenir est à porté de notre main, encore faut-il que nous créions les conditions de son émergence.
Patrick MIGNARD