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La chaîne de télévision nationale (dès le début de l’article, plein de gros mots !) belge francophone (RTBF), organe de bien-pensance patenté, a lancé une espèce d’opération consultative et citoyenne, en plusieurs épisodes, qui permettrait de prendre le pouls de la citoyenneté des Belges. Intitulé du dispositif : « Bye-bye la démocratie ? » Durant plusieurs jours, enquêtes et reportages se succèdent. Avec un résultat qui désole profondément les chantres du bon vieux parlementarisme à papa.
« Ne tournons pas autour du pot : ce que nous apprenons des enquêtes et reportages réalisés en amont est dur, votre ressentiment est flagrant. Il est profond. Un coup de poing. » Bienvenue dans le monde réel, celui des fins de mois difficile, celui de la précarité, du mépris de classe et des inégalités sociales !
Les maîtres d’œuvre de l’opération enchérissent : « Car oui, une majorité ne veut plus de la démocratie telle qu’elle est mise en place aujourd’hui. » Tiens donc ?! Et ça vous étonne ? Peut-on même appeler démocratie un système qui repose principalement sur le sacro-saint passage par les urnes pour désigner des représentant·e·s confortablement installé·e·s dans leurs privilèges ? Citoyennes et citoyens belges connaîtraient-ils enfin un sursaut libertaire ? Le désir les étreindrait-il finalement de décider en assemblée des choix qui les concernent au premier chef ?
Las ! Non, c’est plutôt le contraire, tout le contraire même !… En effet, plus d’un belge sur trois sondés réclame « de l’autorité dite "éclairée". Un "bon Poutine" disent certains. » Mince… Déception… Tu t’attendais sans doute à entendre un peuple en liesse réclamer tout pouvoir aux soviets mais non. Flop total. « Parmi les sondés, 37,4% des Belges estiment qu’ils sont d’accord voire totalement d’accord avec le fait que la société serait mieux gérée si le pouvoir était concentré dans les mains d’un seul leader. » Flûte alors, c’est donc ça qui les fait frétiller ? Le fantasme du lider maximo, du führer, du caudillo ? Oh misère, tas de gros nœuds, vous avez donc rien appris depuis L’Internationale ?! « Il n’est pas de sauveur suprême, ni dieu ni césar ni tribun »…
A ce point, que retenir ? D’abord, est-ce que nous, anarchistes, partageons l’émoi des hérauts du parlementarisme démocratique ? Oui et non. Non, nous ne partageons pas la terreur petite-bourgeoise des auteurs de l’enquête Bye-bye la démocratie. Faut-il s’étonner de voir une partie de la population exprimer son insatisfaction face à un exercice de la démocratie représentative dans lequel elle se sent si peu représentée ? Et ce n’est pas en agitant le hochet de la « participation citoyenne », imposture phénoménale bidouillée par les « grands partis traditionnels » que les colères, les frustrations, le sentiment de ne pas être entendu, écouté, d’être dépossédé du pouvoir d’être acteur et actrice de son existence, vont s’atténuer. Parce que ce type de démarche, on peut le regretter, s’adresse encore à une catégorie de la population relativement privilégiée, dotée d’un capital symbolique suffisant pour lui donner accès aux codes de l’expression citoyenne.
Il faut toutefois prévenir un risque grandissant de confusion – et nous, compagnons et compagnonnes du groupe Ici & Maintenant l’avons constaté notamment en manif : tout qui est en révolte contre « le système » n’est pas nécessairement anarchiste ! Certains, certaines ont l’air de le croire, quand ils ou elles nous abordent. Mais non ! Nous ne serons jamais favorables à une solution menant à mettre au pouvoir un despote, fût-il ou fût-elle éclairée ! La tyrannie, la dictature, c’est niet, tovaritch ! Malheureusement, le populisme semble amener tout doucement à l’idée que, vu l’état de la « démocratie » dans laquelle nous vivons (il est question de la Belgique, ici et maintenant, à chacune, chacun de transposer selon sa situation), une bonne dictature, eh ben ce ne serait pas plus mal !…
Les anarchistes ont toujours refusé et refuseront toujours d’avoir à choisir entre la peste et le choléra, préférant toujours l’alternative dans laquelle la liberté et l’égalité permettent d’établir les bases d’une société fraternelle, adelphique, dont l’organisation répond à des critères d’autogestion, et où l’exercice du pouvoir est systématiquement déjoué par des dispositifs de discussion et de prises de décision au consensus.
Pour autant, entre deux maux, il convient aussi de prendre nos responsabilités. Entre la peste fascisante et le choléra du parlementarisme – cette démocratie tellement imparfaite -, nous faisons le choix de déplorer, dans un premier temps, l’affaiblissement du second et de lutter contre la tentation de la première.
Toutefois, une autre réserve survient. En examinant de plus près les résultats du sondage, ainsi que le commentaire de la rédaction de la RTBF l’énonce, il apparaît que : « […] ce sont surtout les jeunes, les inactifs, les ouvriers et les personnes avec un diplôme de primaire ou de secondaire inférieur qui veulent un régime fort. » A qui la faute ? Cré nom, si cette démocratie parlementaire et représentative continue de produire de l’exclusion et du ressentiment, à qui la faute ? Définitivement, c’est un déficit coupable de la capacité des partis traditionnels, et plus encore ceux dits de gauche (à commencer par le Parti Socialiste), à se faire les défenseurs des opprimés et des opprimées, à être la voix des sans voix, à demeurer les porte-parole de toutes les victimes du mépris de classe. Et à s’être convaincu que transformer la société consistait à s’emparer électoralement du pouvoir et à le conserver. Et, le détenant, de sauver les apparences en favorisant deux ou trois mesurettes sociétales, sans avoir la grande ambition d’une société authentiquement libertaire, égalitaire et adelphique (indistinctement, de frères et de sœurs). Tous ces accommodements avec la nécessité de se plier à la loi du marché, les compromissions insupportables avec les détenteurs et détentrices du Capital, ont mené à un complet discrédit du projet socialiste.
Mais aussi, peut-être, sans doute… honte à nous, anarchistes, d’avoir été incapables de faire entendre cette alternative anti-autoritaire, ce message qui depuis la Commune de Paris est la véritable expression de la volonté des peuples de s’organiser sans devoir subir le paternalisme d’une autorité prétendument bienveillante. Bienveillante, elle ne l’est jamais, l’autorité. Le pouvoir est maudit, disons-nous, nous autres anarchistes. Mais à force de nous méfier de nous rendre trop visibles aux yeux des instances contrôlantes et flicaillesques, nous avons réussi l’exploit d’être parfaitement invisibles… Que les compagnons et compagnonnes de France et d’ailleurs ne le prennent pas pour elles, ici encore, il est question de la situation belge !… Et c’est bien dommage. Car une révolution sociale sans les anarchistes, c’est la porte ouverte à la tentation despotique. Cette même tentation qui semble devenue plus attractive, aux yeux de plus d’un tiers de la population, qu’une forme de démocratie si imparfaite soit-elle, mais aussi que l’alternative anarchiste elle-même, qui représenterait pourtant une voie où nous pourrions, loin du miroir aux alouettes de la « participation citoyenne », retrouver l’exercice d’une participation authentique aux prises de décision concernant nos existences même.
Le bruit de bottes commence à monter, la pantoufle des démocrate patine à force de s’essuyer au paillasson de l’indignation… et les anarchistes se sont peut-être comportés comme de vieilles savates. N’empêche ! La savate, ça désigne aussi un sport de lutte. Il est temps de se rappeler que les anarchistes, même si y en a pas un sur cent, ils ont frappé si fort qu’ils peuvent frapper encore !
Christophe, groupe Ici & Maintenant (Belgique) de la Fédération anarchiste
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