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EXTRAIT de HISTOIRE NATURELLE DU PLAISIR AMOUREUX.
« Nous disséquons les mouches, dit le philosophe, nous mesurons des lignes, nous assemblons des nombres ; nous sommes d'accord sur deux ou trois points que nous entendons, et nous nous disputons sur deux ou trois mille que nous n'entendons pas ».
Les scientifiques sont d’abord des sceptiques. Comme l’illustre tellement l’amusante réponse faite à Micromégas, le doute constitue la méthode de raisonnement la plus solide pour élaborer et vérifier la valeur d’un modèle verbal. Au contraire de la foi, qui soumet l’esprit à une adhésion factice aux croyances anciennes, la raison ne peut admettre que le consensus fasse démonstration en science. Car, loin de fabriquer des opinions spéculatives, toute idée scientifique doit d’abord répondre à des critères de scientificité. Le chercheur veille à la cohérence entre l’hypothèse et le déroulé des faits, en éprouvant alors chaque anomalie, pour vérifier la pertinence de la nouvelle théorie et débouter chaque exception. L’étonnement préalable se livre à une curiosité active. La connaissance minutieuse des autres travaux et références, l’observation détaillée de la nature et l’expérimentation méticuleuse en deviennent la procédure afin d’émettre les questions propices. Et chaque conception originale doit montrer à la fois son pouvoir explicatif et sa parcimonie, c’est-à-dire fournir l’analyse la plus simple et ne pas s’avérer redondante au regard des autres explications du phénomène. La controverse constitue donc un moment important de la clarification théorique. Alors, l’efficacité heuristique de la conception nouvelle peut être entérinée, du moins temporairement.
Toutefois, la routine anesthésie la réflexion en se référant à l’habitude ou pire, à la coutume. Beaucoup de scientifiques focalisent leur carrière à ajouter des études de cas, d’autres entérinent une unicité confortable des idées. Le scepticisme méfiant peut, alors, facilement charrier une inertie analgésique de la raison, un conservatisme rassurant qui obscurcit le besoin scientifique de confrontation et de changement des paradigmes. De temps à autres, l’imprudence de contestations sarcastiques fustige le moindre désaccord avec la version officielle, prononçant plus souvent des anathèmes déjà répétés que des critiques avancées. D’autant plus que l’appréhension de la nouveauté est soumise, non seulement à la sanction de ses propres pairs, mais aussi à la vindicte sociale de la pensée dominante. Aussi, les thèses scientifiques s’expriment-elles souvent dans les méandres nuancés d’une rédaction composite, qui édifie provisoirement une connaissance réunissant des milliers de recherches.
À chaque fois pourtant, la validation d’un modèle s’établit à partir des exceptions qu’il éclaire pour, enfin, dégager une explication générale.
Cela dépend aussi de l’énigme avancée. La grande question que la biologie pose est entièrement comprise dans cette interrogation : d’où provient la diversité biologique ? L’arbre phylétique a fait son temps. Aujourd’hui, chacun reconnaît que l’évolution révèle une histoire buissonnante et mosaïque. Elle trouve son chemin en tâtonnant, se répète et s’introduit par inadvertance, sans intention, ni finalité. Le nombre inouï des espèces apparues sur notre terre montre que le vivant chemine pas à pas, formant des emboîtements complexes, comme des poupées russes, depuis l’union aveugle des premières molécules, la formation des bulles primitives, l’association des organes et l’alliance des corps, et jusqu’à la structuration des écosystèmes. Un épisode minime et inopiné entraîne alors une cascade d’évènements contingents au milieu de tous les autres. Un effet papillon provoqué par un simple incident fortuit. Une écologie qui évolue.
Mais quel en est le moteur ? Il est aisé de constater combien le rôle essentiel est tenu par l’échange des gènes et par la reproduction qui à la fois perpétuent, hybrident et transforment les êtres vivants. Ordinairement à petit pas, à coups de multiples changements à peine perceptibles. Parfois en bouleversant considérablement la descendance sous l’effet d’une cascade d’évènements. Parfois même, la brusquerie d’un accident titanesque réduit à néant des pans entiers du vivant. Seulement, quelle est-elle, cette reproduction différentielle ? Une réplication automate des gènes, une promotion d’organes grâce à l’élimination de phénotypes mal conçus, une répétition binaire des corps, une sélection entière des individus ? À quel niveau d’intégration, gène, phénotype, individu, groupe social, espèce, voire écosystème, agit cette force ?
Le propre du vivant consiste à se mêler de la vie des autres. C’est ce que l’on nomme une interaction. Cette relation mutuelle peut se décliner en génétique, en physiologie et entre organismes dans une écologie coévolutive. Ici, chacun dépend des autres et les autres de chacun. Pas d’essence transcendantale dissimulée dans les gènes, la vie se distille juste à partir du vivant et des milliers d’interactions précaires qui s’évertuent à se stabiliser. Pas de finalisme de causes finales, mais une histoire qui se poursuit aveuglément. Car ce sont bien les êtres vivants qui seuls transportent cette merveilleuse aventure. L’évolution n’est pas une symphonie qui améliore les procédures organiques en éliminant des gènes, mais une histoire qui multiplie des rebondissements de la matière et établit des rénovations d’équilibre entre tous les êtres vivants. Alors, comment expliquer l’évolution autrement qu’en exposant l’histoire de cette inouïe transformation des espèces ? Chaque assemblage s’imprime ou disparaît. Mais sa reproduction génère à chaque fois d’infimes variations et cette diversité extraordinaire prolonge le vivant. Il faut donc développer une théorie de la différenciation dans l’écologie des espèces.
Les fantaisies de la sexualité déchaînent résolument l’incroyable variation des mœurs animales. Toutes les études démontrent que les partenaires sexuels ne cherchent pas l’individu le plus fort, le plus adapté, non plus que le meilleur gène, mais la différence. Les amoureux restent des dupes consentantes de leur séduction réciproque. Mais il faut que l’autre accueille la demande, s’en émeuve, et progressivement s’en galvanise alors. Il faut que se construise l’alliance ou qu’elle se cherche ailleurs. L’évolution commence justement par cet assentiment délicat, ces choix reproducteurs raffinés, ces préférences étranges et parfois exotiques d’un partenaire sexuel qui nous convient. Pour que l'acte sexuel se multiplie, se maintienne dans le courant évolutif et fabrique des engagements amoureux, il a fallu que quelque chose vienne s'ajouter. La jouissance sexuelle y contribue parfaitement. Et cette poursuite hédoniste délibérée et répétée à tâtons peut entraîner la divergence des espèces dans sa dynamique écologique.
La vie sexuelle des animaux illustre comment la mécanique du plaisir a participé à la création des interrelations de l’écologie. Et cette expérience positive est partagée par la plupart des espèces.
Si l’orgasme reste d’abord une affaire de glandes, le développement des centres nerveux de la récompense, le déploiement des organes sexuels et la libération des gamètes s’y entrecroisent. La fécondation interne cache la paternité en contribuant largement à rendre invisible la fertilisation des femelles. Ensuite la rétention des ovules et la viviparité ont pour conséquence une réduction drastique du nombre de jeunes. Bois et couleurs extravagantes annoncent comment les mâles font leur propagande. Mais, loin d’une supposée recherche des « bons gènes », la rencontre amoureuse gratifie toujours la différence à travers une reconnaissance des MHC. À partir de variations de potentiels électriques et de la chimie des émotions, l’amour devient une affaire de parfums, de sons et de mélodies. Sans doute, d’autres sensations viennent encore guider l’alliance dans cet univers sensoriel, chimique, électrique, infra et ultrasonore, magnétique peut-être.
Bien moins libertins que libertaires, les animaux arrangent leurs alliances au sein de communautés élargies, à travers la fusion ou la fission libre de leur vie sociale. La sexualité des amants réalise l’union des divergences, dans une dynamique antagoniste de conflit sexuel à apaiser. L’absence de pénis chez les oiseaux met en évidence que, si l’orgasme introduit le plaisir, les organes génitaux découlent directement de l’existence de l’antagonisme entre les sexes. L’un qui se dit raisonnable, l’autre qui devine qu’il ne l’est pas. D’ailleurs, les répliques des femelles à la formation des organes intromittents des mâles sont plurielles. La séduction repose sur la confrontation des illusions attractives et sur le rôle nécessaire d’un choix sexuel délibéré. Ici encore apparaît la prise en compte du système immunitaire et l’on y retrouve aussi l’importance du baiser amoureux et des fluides de l’amour.
Néanmoins, le sexe reste, de loin, la plus mauvaise solution à la reproduction. Venu des bulles les plus libertines qui ont imposé l’échange et la méiose des eucaryotes, le sexe est privilégié parce qu’il constitue une machine à diversité biologique. Et c’est par le ravissement qu’il s’est imposé dans les corps. Les espèces, en effet, rejettent tous les risques de manifestations de douleur pour, au contraire, abuser d’expériences plaisantes. Non seulement le plaisir est un produit de l’évolution, mais il accompagne la diversification des espèces au cours d’une longue histoire naturelle.
Car les gradients du plaisir animent d’abord une motivation évolutive immédiate et qui n’a pas d’autre valeur que de faire vivre. Ici, les interactions constituent la cible privilégiée de l’évolution parce que la stabilité des relations est ce qui structure le vivant. Des milliers d’études ont déjà exprimé la puissance de ces influences réciproques à travers la force structurante de toutes les interférences mutuelles de cette écologie.
Quelles sont-elles ces interrelations du vivant ? Dès qu’un morceau d’ADN, une cellule, un être vivant habite un milieu, des interdépendances s’organisent. Transferts horizontaux, hybridations, dérives, déplacements de caractères ou divergences sympatriques résultent aussi de ces ingérences. L’épigénétique annonce combien l’expression des gènes dépend des interférences entre le génome et l’environnement. Endocytoses, osmotrophies, phagotrophies, prédations, concurrences, parasitismes, amensalismes, commensalismes, mutualismes et sexualités, chaque fois des actions réciproques et délibérées s’instaurent, distribuant les organisations du vivant.
Les symbioses constituent ainsi des mutualismes plus ou moins durables, mais au-delà de ces associations bénéfiques, il n’est pas un organisme sur la planète qui n’intervienne sur les autres. Lorsque des êtres vivants interagissent, ils peuvent déplacer des caractères, ajuster leurs phénotypes positivement ou négativement sous l’effet de leur partenaire ou de leur adversaire respectif. Ce changement phénotypique réciproque dans l’interaction reflète la réponse évolutive des espèces, et cette influence déclenche, en cascade, toujours instable et provisoire, la structuration des systèmes.
Et ces épisodes se répètent dans toutes les interrelations.
Quand l’été déploie ses couleurs, la martre des pins Martes martes fait ses emplettes. Se promenant d’un boisement à l’autre, le mustélidé saisit délicatement des baies délicieuses et autres mûres exquises tout au long de son vagabondage culinaire. Mais cette cueillette importe aux buissons. Car au-delà du rythme épicurien de la gourmandise du petit carnivore, la digestion des fruits entraîne une dispersion des semences. Une cause proximale. Comme le geai Garrulus glandarius plante des chênes, la martre sème des fruitiers. Maître renard aussi, bien sûr, ensemence la prairie, et le tapir de Malaisie Tapir indicus régénère la forêt en disséminant des déjections encore emplies de graines. Le dromadaire est lent mais il disperse aussi dans ses excréments des graines qui refleuriront les étendues du désert. Grâce à l’appel de différences des potentiels électriques entre le pollen et les pétales, le colibri à gorge rubis Archilochus colubris s’empare des délices sucrés et accroche le pollen, lui permettant de féconder les fleurs. Le nectar fournit juste le signal mielleux de l’inconsciente coopération entre l’animal et le végétal qui l’attend. Une association bénéfique pour l’un comme pour l’autre. Et cette interaction sans direction ni loi, initiée seulement par le plaisir, est démultipliée partout dans la nature, et fait l’évolution biologique. Une écologie évolutive.
Les effets ciblés par la plus petite relation tendent alors à se stabiliser dans des entrelacements d’interactions, parce que les espèces ont une histoire commune. Chacun définit provisoirement sa place. Cette spécialisation, en retour, précède la divergence, mais invite à la formation d’espèces nouvelles. Trouvant ses partenaires, chacun s’intègre sciemment dans ses choix particuliers, au milieu de tous les autres et y fabrique une niche écologique dans la dynamique mutuelle de leurs contradictions. Une affaire de communautés libertaires, sans dieu ni maîtres, mais pas sans conflits, délibérément organisées dans le partage singulier des richesses de la planète. Des faunes et des flores entières s’incorporent entre elles, se dynamisent, et parfois disparaissent sous les coups de butoirs de désastres planétaires. La perte d’une seule espèce constitue alors une semonce à l’équilibre entier de ce fragile château de cartes, soutenu par des milliards d’interactions, et « le nid ôté de la forêt manquerait à l’équilibre du monde ». L’émergence du vivant se consolide dans des réseaux d’écosystèmes incertains, fabriqués par tous et par chacun. Encore qu’il faille que rien d’irréversible ne précipite l’extinction définitive des pangolins, des abeilles, des gypaètes barbus, des visons d’Europe ou des éléphants, enfin de tous les êtres qui accompagnent et fabriquent cette incroyable aventure.
La sexualité y tient un emploi particulier. Et la satisfaction est, chaque fois, l’évènement dynamique qui favorise ou déjoue l’interaction. Mais contradictoirement pour la science, il faut développer la notion de douleur pour mettre en évidence l’argument heuristique en faveur du rôle évolutif de l'expérience de ce que l’on nomme plaisir. Végétaux et champignons cultivent leur discrétion comportementale pour éviter, au mieux, les environnements funestes. Les protistes aussi continuent de s’échapper des milieux néfastes, et les poissons comme les guépards cherchent la douceur de l’ombre. Désormais, le cheval commence à dévoiler les proportions des ondes cérébrales thêta et bêta qui expriment son bien-êtrei. En esquivant les conditions désagréables et en cherchant activement les situations agréables, le plaisir constitue ainsi un moteur positif de l’évolution biologique. D’ailleurs, si la formation d’espèces nouvelles est le produit des assortiments reproducteurs, les espèces existent de s’aimer alors qu’elles divergent de ne plus s’aimer.
Le choix amoureux n’est pas une force aveugle, mais un désir pluriel, délibéré et inconscient à la fois. La faveur va au partenaire dont l’apparentement s’avère assez éloigné. Le consentement et le choix s’élaborent savamment dans la lecture énigmatique des différences et les complémentarités des MHC, à la découverte du charme des partenaires. Ceux-là restent encore si nombreux que chacun devient juge de l’avenir, à travers les gradients du ravissement et de ses prédilections. La relativité des attirances invite encore la diversité des amours. La sexualité bouleverse les gènes à tel point que les espèces se forment et s’épanouissent. Au milieu des fragiles équilibres écologiques toujours provisoires, se font et défont les unions, et le plaisir les encourage. Ici, même l’orgasme s’est constitué en apportant une extraordinaire dynamique à cette évolution hédoniste, stimulant les séductions, l’érotisme, les rencontres et les alliances.
Car le bien-être incite les animaux à vivre ensemble. Ici, agréable et désagréable sont les deux termes antinomiques d’un gradient sensoriel d’opposition symétrique qui entraîne la réplique du vivant : fuir des menaces nocives et préjudiciables pour quêter au contraire des situations propices et bienveillantes. L'évolution des systèmes sensoriels a étendu la perception des stimuli néfastes ou gratifiants dans les subtils réseaux d’environnements très diversifiés. Tout autant que la réaction à la douleur ou à des conditions pénibles constitue une réponse adaptative, la recherche de bienfaits s’avère clairement une motivation évolutive. Alors, certes, les gènes impliqués dans ces épisodes positifs sont plus susceptibles de se propager et de s’exprimer dans la descendance.
Le plaisir agit comme la mécanique immédiate et progressive d’une évolution partagée. Comme le fait remarquer Balcombe, l’origan ou le thym contiennent des substances qui limitent les toxines alimentaires, mais nous épiçons nos aliments d’abord parce que cela réhausse leur goût. Une faveur purement proximale.
Les rendez-vous du vivant explorent toutes les combinaisons. La biologie se nourrit de diversité génétique et de toutes les petites et grandes différences des êtres vivants qui s’unissent et se développent. Contre un malthusianisme qui cherche son application idéologique dans la lutte de tous contre tous, l’écologie évolutive démontre combien, sous l’effet de la résolution du conflit sexuel, la satisfaction et la réconciliation mutuelles favorisent l’existence de chacun et des autres, sur une planète ouverte à tous les réseaux et à toutes les mailles. Bien sûr, toutes les relations de la nature ne sont pas harmonieuses, le plaisir n’est pas tout puissant pour apaiser les conflits de pouvoir qui interviennent pour brouiller les cartes, mais toutes les interactions font l’évolution.
Petit rongeur des prairies boréales, le lemming Dicrostonyx peut mourir sous la dent du lynx. Mais même la prédation possède sa face positive : non seulement le lynx exerce un effet vétérinaire en prélevant les animaux malades, mais son action permet aussi la régulation et le renouveau des populations de rongeurs, favorisant la renaissance des mousses et du lichen des toundras fatiguées par le broutage assidu des rongeurs. Même l’interaction la plus terrible revivifie l’ensemble de l’écosystème.
Tous les corps se sont édifiés en associant des petits morceaux. Les alliances du vivant restent le résultat d'une attraction fondamentale, qui a trouvé de nouvelles fonctions, en dérivant de ces rencontres fortuites. Même quand la grenouille brune chante, une femelle sent battre son cœur. Et quand bien même il ne s'agit que d'intentions primesautières, diffuses, inconscientes et spontanées en dépit de leur mystère, l’émotion et l’amour ont néanmoins introduit une liberté au cœur de l’évolution. Assurément. Le choix délibéré ouvre une liberté innovante dans l’histoire naturelle elle-même.
Aussitôt après le Big Bang, il existe cette force insensée de l’association des choses. L’immense diversité de l’univers a simplement son histoire alterdarwinienne, faite de petits morceaux, distribués et assemblés au fur et à mesure de mouvements sidéraux au cours de temps immémoriaux qui ont construit l’univers, sans plan, ni projet. Nous ne sommes que des miettes de ces soleils intersidéraux. Finalement, la diversité biologique provient de cette force structurante qui prend les interactions pour cible et qui a permis, en agglomérant des molécules, des cellules, des organes de former des corps en des milliards d’années de connivences immodérées. La mort dissocie tout, mais l’écologie résiste en imposant ses interactions à la matière. Car le vivant a édifié sa propre autonomie. Chacun est progressivement devenu souverain de ses choix.
L’aventure de la sexualité montre combien une interrelation archaïque et conflictuelle s’est progressivement déployée en une mécanique à diversité biologique, sous le simple effet de renforcement du plaisir. Au lieu d’être due à la seule élimination sélective de variations préconçues, l’apparition des divergences évolutives dérive de l’histoire des multiples immixtions plus ou moins délibérées du vivant. Évidemment, les « variants favorables » sont conservés, mais seulement s’ils s’avèrent propices à la constance de l’interaction. De la sorte, l’écologie évolutive se présente comme une théorie de l’émergence de la différence, des différenciations de l’évolution. Le maintien des diversités découle aussitôt de la stabilité précaire que composent les interrelations complexes de la nature. En mettant l’accent évolutif sur la force structurante des interactions, de toutes les interactions, l’écologie évolutiveii dessine une conception alterdarwinienne de l’évolution biologique. Face aux anomalies, désaccords et explications routinières, des perspectives enthousiasmantes s’ouvrent aujourd’hui à tous les curieux, à tous les jeunes chercheurs et enseignants pour éprouver et développer la pertinence de ce paradigme original.
La nature ne veut pas notre bonheur. Elle poursuit son histoire, aveugle et amorale depuis la nuit des temps. À travers l’expression contingente de milliards de corps, le choix et le plaisir en organisent et en soutiennent les précaires emboîtements biologiques. Matériellement. Ainsi, les gradients de la satisfaction, de la plus mince à la plus orgasmique, aiguillonnent l’incroyable cheminement de l’évolution. Car ce sont les êtres vivants qui construisent l’écologie évolutive du monde en poursuivant la satisfaction des désirs immédiats. Et cette diversité des formes, des corps et des comportements explore peu à peu un fragile équilibre, à peine dérangé par des rencontres qui brouillent ou enfièvrent chaque relation. Finalement, il n’y a rien d’étrange dans l’amour.
Sa seule loi est l’inouïe diversité que la sexualité engendre.
Thierry Lodé. (EXTRAIT de HISTOIRE NATURELLE DU PLAISIR AMOUREUX, 2021, Eds Odile Jacob).
i Stomp M, d'Ingeo S, Henry S, Cousillas H & Hausberger M. 2019. L'activité cérébrale peut-elle refléter l'état de bien-être du cheval ? 49ème Colloque Annuel de la SFECA. Lille.