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Ni Dieu, Ni Darwin, l’écologie évolutive

« Ce n’est pas l’un des moindres avantages de l’autogestion généralisée que la bataille pour la vie y supplante la sinistre struggle for life »

(Raoul Vaneigem)

 

Quand la faune n’est plus qu’un décor du marchandage généralisé.

 

Depuis des années où on la croyait figée, l’évolution évolue encore. Car peu à peu se découvre que le vivant est apparu et s’organise comme une commune libertaire.

Dieu disparait de la biologie

 

Revenons. C’est Lamarck qui, le premieri, entre 1799 et 1809, va formuler la thèse de l’évolution biologique. Les espèces proviennent toutes de la nature et se transforment au cours des temps. Ce changement est une réponse aux circonstances et l’action du milieu serait prépondéranteii. Mais c’est la reproduction qui en est la cléiii : « Tout ce que la nature a fait perdre ou acquérir par l’influence des circonstances (…) elle le conserve par la génération aux nouveaux individus qui en proviennent, pourvu que les changements acquis soient communs aux deux sexes ». Il existerait un processus de complexification, lié à la physique du vivantiv. Il invente même l’idée de l’arbre du vivant. L'évolution n'obéit cependant ni à une volonté supérieure ni à un projet de la nature. Il découvre que les oiseaux descendent des reptiles et esquisse aussi un scénario de l’évolution de l’humain à partir d’un singe primitif. Mais Buffon auparavant avait déjà osé placer l’humain parmi les primatesv. Geoffroy Saint-Hilaire exulte dès 1835 « d'où les crocodiles de l'époque actuelle peuvent descendre, par une succession ininterrompue, des espèces antédiluviennes, retrouvées aujourd'hui à l'état fossile »vi. Devant ce coup de génie, Lyell écrira à Darwin en 1848, « Avec Lamarck, l’évolution est le résultat d’une loi et non d’une intervention miraculeuse ». Dieu pouvait disparaitre de la biologie.

Alors que les évolutionnistes français sont encore vilipendés par un Cuvier royaliste, l’évolution fait son chemin bien que souvent traitée par les officiels d’avatar de la révolution française. Darwin se convertit à l’évolution en 1848. Il veut apporter une théorie qu’il espère décisive, c’est la sélection naturellevii, écrit en 1859. L'évolution est inévitablement avantageuse : la sélection fait progresser les espèces vers la meilleure adaptation, c’est un filtre aveugle qui trie les individus les plus aptes dans la lutte pour la vie. Darwin fait alors de la concurrence le moteur de l’évolution biologiqueviii. Ce n’est pas neuf. La rivalité économique n’a rien de nouveau dans le capitalisme victorien triomphant. « Il est curieux, écrivait Marx en 1862, de voir comment Darwin retrouve chez les bêtes et les végétaux sa société anglaise avec la division du travail, la concurrence, l’ouverture de nouveaux marchés, les « inventions » et la « lutte pour la vie » de Thomas Malthus ». Évidemment, dans la nature, tous les survivants possèdent des aptitudes qui les ont fait survivre. On reproche au texte cette curieuse tautologieix qui, imprégnant l’ensemble du darwinisme, le rend pratiquement indiscutable. L’intérêt heuristique du terme « sélection » reste tout autant discutable puisque la sélection apparaît à la fois comme le processus er le résultat de l’évolution. En conséquence, les êtres vivants sont obligatoirement le résultat de la sélection puisque que le molt signifie aussi le résultat d’une évolution.

Toutefois, la mesure de la sélection naturelle reste l’adaptation, c’est-à-dire la survie des individus et leur reproduction différentielle. Cette théorie historique reste aujourd’hui admise comme la théorie fondatrice de la biologie évolutionniste par la communauté scientifique. Mais il nous faut encore faire la part critique entre validité scientifique et rôle social.

Darwin, darwiniste social 

Mais Darwin va plus loin encore. En 1871, il décide d’appliquer sa sélection naturelle à l’espèce humaine et aux sociétés dans son livre « la descendance de l’homme ». Il juge que l’être humain est le résultat d’un très long processus de sélection naturelle et de lutte pour la vie et affirme que la civilisation empêche le bon déroulement de la sélection naturelle. Il écrit « c'est principalement grâce à leur pouvoir que les races civilisées se répandent…jusqu'à prendre la place des races inférieures. » Ou encore « Nous autres hommes civilisés, au contraire, faisons tout notre possible pour mettre un frein au processus de l'élimination; nous construisons des asiles pour les idiots, les estropiés et les malades; nous instituons des lois sur les pauvres; et nos médecins déploient toute leur habileté pour conserver la vie de chacun jusqu'au dernier moment. Ainsi, les membres faibles des sociétés civilisées propagent leur nature et en conséquence, nous devons subir sans nous plaindre les effets incontestablement mauvais générés par les faibles qui survivent et propagent leur espècex ». Ces « imprudences » littéraires sont toutefois amoindries par des compléments moins incisifs dans la suite du texte, minorant l’utilité de mesures sélectives chez l’espèce humaine.

Certes Darwin n’est pas responsable des horreurs eugénistes, mais ces mots valident naturellement le darwinisme social que son cousin Francis Galton applaudira en fondant l’eugénisme en 1883xi. Galton consacrera sa fougue à la défense du darwinisme. Notons pourtant que, chez Spencer, l’expression de «survie du plus apte» reste marginale dans ses écritsxii. Les socialistes n’ont trouvé, dans le darwinisme, que de quoi étayer leurs critiques de l’obscurantisme, mais, qu’on ne s’y trompe pas, c’est bien l’idée lamarckienne d’une évolution autonome et matérielle et celle d’un humain dégagée du singe primitif que honnissent les créationnistes. Les réactionnaires, eux, s’emparèrent du darwinisme pour justifier l’exploitation capitaliste et le colonialisme. Toutefois, dès 1880, l’anarchiste Émile Gautierxiii essaiera de contrer l’idéologie darwinienne avec verve. Car c’est bien au nom de la « nature » que s’acharne l’hystérie des racistes, des sexistes, des nationalistes et des fanatiques. Darwin s’avère également plutôt sexiste, décrivant les femmes comme inférieures aux hommesxiv. Plus tard, l’historien André Pichotxv constatera : « Darwin raisonne d’abord dans une optique de darwinisme social. Et c’est ce darwinisme social qui a fait le succès du darwinisme biologique de la sélection naturelle ». L’élevage d’animaux domestique applique une politique résolument eugéniste pour améliorer les races domestiques. Si l’élimination sélective qualifie le darwinisme, l’idée est forcément eugéniste. D’ailleurs, comment croire en l’indépendance du darwinisme par rapport à l’eugénisme politique quand une grande part des darwiniens a plongé avec enthousiasme dans cette résolution.

En tout état de cause, les tendances eugénistes de Darwin ne sont guère discutables. Aujourd’hui finalement, toujours présent à l’école, dans les entreprises, dans le monde marchand, le darwinisme social est au darwinisme biologique ce que le stalinisme a été au léninismexvi, une application froide et méthodique.  

Néodarwinisme et gènes égoïstes

Pendant ce temps, la génétique se développera, avec Sageretxvii qui découvrira dès 1826, l’indépendance des caractères héréditaires, Pyrame de Candolle, puis Naudin qui établiront les lois de l’hérédité des caractères et d’autres encore. Plus tard vers 1920, avec les avancées génétiques de Thomas Hunt Morgan, on reconnaîtra dans le gène le support héréditaire des caractères. Alors, avec la découverte des variations aléatoires du génome, la synthèse aura lieu. Après les premières corrections de Weismann vers 1890, Huxley et Mayr proposent la théorie synthétique de l’évolutionxviii, c’est le second néodarwinisme.

Darwin jugeait « les espèces comme de simples catégories arbitraires inventées pour notre commodité », les espèces ne seraient que des catégories de la pensée. On peut en effet, considérer le flux du vivant comme une ligne continue dont la fragmentation en espèces ne consisterait qu’en des coupures arbitrairement définies par la biologie. Ou pas. Ainsi, Mayr, pourtant darwiniste, reconnait à l’espèce une propriété intrinsèque a priorixix. Il observe aussi que les espèces se séparent en espèces différentes si elles ne se croisent que difficilement. En cela, Mayr invente l'isolement reproducteur comme fondement d’une espèce, véritable entité dans la nature. La diversité des êtres vivants provient de la mutation aléatoire des gènes. L’évolution reste la sélection des individus, mais il s’ajoute le tri aveugle de leurs gènes à travers leur succès reproducteur, car, sans concurrence des individus, pas de darwinisme. La sélection naturelle présente plus clairement ses deux facettes, l’élimination des gènes à faible valeur adaptative d’une part, et le succès reproducteur différentiel d’autre part. Watson en 1997 conclut qu’une « femme doit avorter si son enfant possède des gènes homosexuels » ou encore Crick écrit en 1978 « qu’un nouveau-né perd son droit à la vie » s’il ne « réussit pas des tests génétiques pour être reconnu humain »xx.

La variabilité des gènes est directement due à des erreurs de transcription dont certaines seraient favorables, par hasard, c’est-à-dire favoriseraient le succès reproducteur dans un environnement donné. L’évolution est donc saisie en termes binaires, c’est-à-dire qu’un caractère phénotypique est favorable ou non à la reproduction d‘un individu, la concurrence intervient dans ce succès binaire. L’évolution est alors conçue comme une fonction mathématique d‘invasionxxi, le gène se dissémine et le caractère favorable se répand progressivement dans la nouvelle population jusqu’à former une nouvelle espèce. Immortel, le gène serait donc égoïste, affirme Dawkins.

Bien après, on associera encore davantage les gènes et un darwinisme orthodoxe pour affirmer avec Dawkinsxxii, que « l’évolution est la sélection des meilleurs gènes » dans une théorie de plus en plus irrécusable. Mais face au déterminisme absolu du gène qui règne en biologie, Kupiec propose une vision plus probabiliste de l’expression génétiquexxiii. Aujourd’hui, la théorie synergique de l’évolution tente de réactualiser la théorie moderne. Elle admet une sélection naturelle agissant à plusieurs niveaux qui peuvent se contrarier, et inclut d’autres évènements biologiques. Enfin, gommant l’idée gênante de concurrence, le consensus des scientifique s’accorde sur une définition moderne de l’évolution, réduite maintenant à «des variations de fréquences relatives d'allèles (les variants des gènes) transmis d'un individu à l'autre via un support d'information biomoléculaire (l’ADN) au sein d'une population donnée», sans bien expliquer pourquoi cette définition-là a autant glissé. La recherche de consensus a conduit à une théorie moderne plus ouverte, admettant un certaines nombre de processus de dissémination des gènes, mais qui reste profondément ancrée dans chacun des deux côtés de la sélection naturelle.

Darwin et après ?

Mais voilà. Aujourd’hui, des dizaines d’évènements non-darwiniensxxiv ont été découverts, les endosymbioses, la dérive génétique, les transferts horizontaux de gènes, l’épigénétique, les catastrophes, les hybridations et même la spéciation sympatrique, le déplacement de caractères et la construction des nichesxxv. Mais il n’existe pas de consensus sur ces épisodes et beaucoup de ces évènements ont été réintégrés à la théorie moderne après des réinterprétations en minorant les effets. On sait aussi que l’arbre de la vie dissimule une évolution beaucoup buissonnante que linéairexxvi. La théorie évolutive elle-même gomme peu à peu l’idée que la concurrence serait le moteur de l’évolution et commence à incorporer la coopérationxxvii. On reconnait aussi que l’évolution est une histoire naturelle, ainsi que la décrivait Lamarck. Car comme l’affirmait déjà Piotr Kropotkinexxviii, l’entraide est indispensable en biologie.

Comment passer en effet d’une cellule à un corps organisé sans se réunir. Les êtres vivants tirent une grande part de leur diversité de la variation fortuite des gènes. Toutefois, il est possible de proposer d’autres interprétations de l’histoire évolutive. Ainsi, le gène n’a rien d’un organisateur, il est juste un livre de cuisinexxix. Le gène ne peut rien faire sans que la cellule ne l’exprime. De même, on peut considérer que le vivant s’est formé, non pas le long d’une série continue, mais par morceaux, l’espèce constituant une unité discrète et fonctionnelle dans les écosystèmes. Se séparant définitivement des bactéries, des bulles prébiotiques, des cellules encore archaïques, sont entrées en interaction et leur association a formé des tissus chez les seuls eucaryotesxxx. C’est le principe des poupées russesxxxi. Les interactions entre ces tissus ont fait émerger des organes, à la manière de ce que forment les siphonophoresxxxii par exemple. La simple force structurante des interactionsxxxiii a engendré des corps vivants au cours d’une longue histoire évolutive. À chaque étape de ces poupées russes, les communautés vivantes se sont liées, sans hiérarchie, sans chef, sans état central.

Ni gène égoïstes, ni gènes altruistes, le succès reproducteur des espèces sexuées dépend souvent de la coopération des deux partenaires, ou, du moins, des apports si minimes soient-ils de chacun des protagonistes. Le succès reproducteur, influence la dissémination des gènes de chaque individu et c’est même le moteur le plus efficace de l’évolution biologique à chacun des niveaux. La reproduction commence comme coopérative, car le succès reproducteur ou l’échec de l’un dépend de l’autre. C’est aussi pourquoi les conflits génomiques, biologiques et sexuels paraissent très importants. Le côté élimination sélective peut disparaître dans sa tautologie, car, qu’elle soit nommée sélection naturelle ou sélection sexuelle, le principe de l’évolution tient en fait entièrement dans la reproduction différentielle. Le concept actuel de succès reproducteur devrait donc perdre toute dimension darwinienne.

La notion de densité-dépendance intervient aussi pour nuancer l’hypothèse néodarwinienne de la fonction mathématique d’invasion. Il existe bien des cas où l’avantage reproducteur n’existe pas en termes binaires. Le succès reproducteur est typiquement dépendant des autres espèces. Le cas des espèces batésiennes illustre plus complétement encore cette relativité évolutive. Un batésienxxxiv est une espèce dont le phénotype copie la physionomie d’une autre espèce, par exemple une espèce venimeuse. Ainsi, les syrphes, des mouches batésiennes inoffensives, exhibent les mêmes coloris que des guêpes. Les espèces venimeuses possèdent également des couleurs d’avertissement qui alertent leur prédateur. Ce prédateur apprend donc que cette couleur est associée à un individu dangereux et apprend peu à peu à l’éviter. Du coup, une espèce batésienne qui affiche ce même type de couleur bénéficie d’une protection relative même sans posséder d’organes venimeux. Mais cet avantage reste très limité. En effet, si cet avantage du batésien lui conférait un plus grand succès reproducteur, les individus batésiens pourraient dépasser en nombre les individus des espèces qu’ils miment. Cela aurait pour effet que les prédateurs ne pourraient plus apprendre à éviter les batésiens, qui ne possèdent aucune qualité d’envenimation et constituent des proies comestibles. Du coup, leur succès reproducteur ne peut excéder celui des espèces venimeuses qu’ils copient. Il ne peut donc pas être seulement mesuré par la fonction mathématique d’invasion.

Au contraire, le succès reproducteur des espèces est contraint par l’ensemble des interactions écologiques qui dessinent l’espace-temps de l’espèce. Ce hasard contraint par la seule présence des autres constitue donc un modèle mathématique plus proche de la contingence, telle que définie par les calculs du chaos. La dynamique de l’évolution répond bien davantage à ces mathématiques du chaos permettant de mesurer comment un système très sensible à des conditions fortuites initiales, comme les nommait Henri Poincaréxxxv, change et se modifie. C’est l’effet « aile de papillon »xxxvi. 

Une écologie évolutive

L’évolution biologique parait beaucoup plus contingente, car à chaque étape, les probabilités aléatoires se font plus fortesxxxvii. Alors, quand bien même la concurrence darwinienne serait une force d’évolution, ne peut-on pas considérer que toutes les interactions combinées, mutualismes, coopérations, déplacements de caractères, sexualités, symbioses, HGT, constituent la véritable force structurante et diversifiante de l’évolution. On n’évolue jamais seul. L’évolution est une écologie libertairexxxviii, où chaque élément, chaque être vivant cherche et trouve sa place dans la communauté écologique des espèces où chacun dépend des autres et les autres de chacun. Nous sommes tous fait de morceaux, associés par en bas, dans une écologie qui s’organise depuis les origines dans des poupées russes et où chaque épisode rend plus probable le suivant. Dans des environnements hétérogènes, la diversité semble alors nourrir alors un sensible accroissement de la complexité des formes de vie. Et chaque moment géologique voit s’organiser des flores, des faunes, comme un château de cartes où chaque espèce qui disparait peut mettre à terre tout l’édifice du vivant.

Il est possible de regarder les espèces comme des unités discrètes et fonctionnelles constituées de groupes d’individus qui sont d’abord susceptibles de se séduire. Pour reprendre la définition de Paterson, l’espèce serait un groupe d’individus qui possèdent en commun un système de reconnaissance spécifiquexxxix. Il faut encore nuancer cette idée, car la reconnaissance n’est jamais spécifique, mais reste individuelle. L’individu appartient à une espèce parce qu’il reconnait un individu sans le connaître, et c’est bien sa résolution délibérée de séduction, d’affinité ou de rivalité qui accomplira la dimension spécifique.

L’espèce existe donc dans un gradient de reconnaissance individuelle et dans un temps donné, qui dépend par conséquent de la seule sensibilité des individus. Mais, collectivement, cela fait exister concrètement l’espèce comme une véritable entité biologique et fonctionnelle. À mon niveau d’analyse de la vie, la sexualité reste l’interaction décisive de l’évolution des eucaryotes, et le sexe constitue essentiellement un choix délibéré de chacun envers les autres, contrairement à l’hypothèse d’une sélection aveugle. Le consentement naturel des amoureux, depuis les paramécies jusqu’aux tigres, fait l’avenir du monde. Car l’espèce forme l’un des emboitements irrévocables de la série des emboitements du vivant, dans les autres éléments des poupées russes depuis l’organisation cellulaire jusqu’à l’individu et l’inscription dans les écosystèmes. À chaque étape, l’évolution agit en cascades à travers toutes les interactions produites. Et si le vivant s’emboite comme dans des poupées russes, chaque emboitement évolutif a besoin de processus coopératifs pour s’initier.

À partir de ces milliers de liaisons et de coopérations, se sont formées les communautés écologiques de notre histoire évolutive. À la fin de cette cascade évolutive faite de milliards d’interactions, c’est toujours la reproduction qui est décisive. Le sexe y a sa part. Loin de constituer un tri aveugle, l’évolution est aussi faite des multiples choix sexuels des espècesxl. Les espèces existent de s’aimer et, corollaire absolu, se séparent de ne plus s’aimerxli. En dépit des inconnus qui restent sur l’origine du sexe, on peut supposer qu’il dérive d’une interaction très ancienne. La théorie des « bulles libertines » interprète le sexe en tant que l’une des interactions les plus puissantes de l’évolution depuis l’apparition des premières bulles prébiotiquesxlii. Ces bulles ont échangé de l’ADN et, répétant la réduction méiotiquexliii, ces bulles, devenues de plus en plus libertines, ont inventé le sexe et toute sa diversité. Loin d’être une solution à la reproduction, le sexe résulterait d’une interaction archaïque. Et depuis, l’évolution n’est pas aveugle, mais résulte de choix sexuels délibérés. Les préférences sexuelles vont le plus souvent à des partenaires qui diffèrentxliv, entraînant la diversification du monde. Nous ne sommes donc pas prisonniers du déterminisme de nos gènes. L’évolution est même contenue dans le plaisir des orgasmesxlv, puisque les individus qui font l’expérience du plaisir tendent à répéter plus facilement leur comportement.

On peut par conséquent regarder l’évolution comme l’effet des interactions d’un ensemble de communautés dynamiques, ce que je nomme l’écologie évolutive. Ces communautés libres dirigées par elles-mêmes forment ensemble sur notre planète une écologie qui évolue, l’évolution est une écologie évolutive. Voilà, l’évolution biologique possède sa théorie libertaire, alterdarwinienne, discutable, scientifiquexlvi. L’écologie évolutive est le résultat des milliards d’interactions qui, depuis la nuit des temps, associent les molécules entre elles, les cellules, les organes et les corps, sans hiérarchie dominante, sans chef, sans Dieu, sans Darwin. 

 

 

Thierry Lodé. 

 

i Pierre-Louis de Maupertuis avait cependant déjà supposé des transformations du vivant dès 1740. « Chaque degré d'erreur aurait fait une nouvelle espèce : et à force d'écarts répétés serait venue la diversité infinie des animaux que nous voyons aujourd'hui ». 1749.

 

ii « Ainsi, par l’influence des circonstances sur les habitudes, (…) chaque animal peut recevoir dans ses parties et son organisation, des modifications considérables ». Lamarck, 1801.

 

iii In Jean-Baptiste Lamarck, « Zoologie philosophique » 1801. Certes, Lamarck utilise la métaphore de l’usage et du non usage des organes, mais sans expliquer en quoi les circonstances agissent sur l’usage. Darwin ou Weismann utiliseront aussi cette idée. Mais ce sont principalement les calomnies adressées par Cuvier que retiendront les darwinistes pour réduire la portée de la découverte de Lamarck (voir note 8).

 

iv L'histoire naturelle du monde biologique semble dessiner un accroissement de la complexité dans la plupart des lignées végétales et animales. Pour Lamarck, cela tient à une qualité intrinsèque du vivant. Darwin rejettera cette idée, renonçant à discerner cette apparente tendance, mais insistera sur le « progrès » évolutif.

 

v Georges Buffon « Histoire naturelle » 1749-1804.

 

vi Etienne Geoffroy Saint Hilaire 1825, d'après Grimoult, C., 2001. L'évolution biologique en France: une révolution scientifique, politique et culturelle. Ed. Droz Genève

 

vii Charles Darwin « De l'origine des espèces au moyen de la sélection naturelle, ou la préservation des races favorisées dans la lutte pour la vie » 1859-1863. 

 

viii Le terme la survie du plus apte, défendue par Wallace, est utilisé par Darwin dans « l’origine des espèces » qu’à partir de la troisième édition.

 

ix Stephen Jay Gould, “Darwin's Untimely Burial", 1976; from “Philosophy of Biology: An Anthology”, Rosenberg, & Arp ed., John Wiley & Sons. 2009


 

x In Charles Darwin, « La descendance de l’homme », 1871. Il ajoute « les différences humaines semblent agir les unes sur les autres de la même manière que la sélection naturelle - le plus fort éliminant toujours le plus faible ». Plus loin, il regrette que « les membres nuisibles de la société tendent à se reproduire plus rapidement que ses membres vertueux ». Il note également que « parmi les pauvres urbains et les femmes qui se marient très tôt, la mortalité est heureusement, semble-t-il, élevée ». Mais, si ces freins et d’autres « n’empêchent pas les imprévoyants, les malsains, et les autres membres inférieurs de la société d’accroître leur nombre plus rapidement que les hommes de la classe supérieure, la nation régressera, comme cela s’est trop fréquemment produit dans l’histoire du monde ». Ou encore « Le fossé entre l'homme et ses plus proches alliés sera alors plus large, car il séparera d'une part l'homme arrivé à un état plus civilisé, pouvons-nous espérer, que le Caucasien lui-même, et d'autre part quelque singe aussi inférieur que le babouin, au lieu de passer comme aujourd'hui entre le nègre ou l'aborigène australien d'une part et le gorille d'autre part »

 

xi L’eugénisme est responsable de milliers de meurtres dirigés et de stérilisations forcées.


 

xii Herbert Spencer 1864.  Principles of Biology. 


 

xiii Emile Gautier « Le Darwinisme social », 1880.

 

xiv L’homme a fini ainsi par devenir supérieur à la femme. Pour rendre la femme égale à l’homme, il faudrait qu’elle fût dressée, au moment où elle devient adulte, à l'énergie et à la persévérance, que sa raison et son imagination fussent exercées au plus haut degré, elle transmettrait probablement alors ces qualités à tous ses descendants, surtout à ses filles adultes. La classe entière des femmes ne pourrait s’améliorer en suivant ce plan qu’à une seule condition, c’est que, pendant de nombreuses générations, les femmes qui posséderaient au plus haut degré les vertus dont nous venons de parler, produisissent une plus nombreuse descendance que les autres femmes. Ainsi que nous l’avons déjà fait remarquer à l’occasion de la force corporelle, bien que les hommes ne se battent plus pour s’assurer la possession des femmes, et que cette forme de sélection ait disparu, ils ont généralement à soutenir, pendant l’âge mûr, une lutte terrible pour subvenir à leurs propres besoins et à ceux de leur famille, ce qui tend à maintenir et même à augmenter leurs facultés mentales, et, comme conséquence, l’inégalité actuelle qui se remarque entre les sexes." (Darwin C., 1871, La Descendance de l’homme).


 

xv André Pichot, « Aux origines des théories raciales de la bible à Darwin » 2008 Ed. Flammarion, et La Société pure. De Darwin à Hitler, 2000, Ed. Champs Flammarion

 

xvi D’après un mot que nous avons échangé avec l’anthropologue libertaire, Charles Macdonald.

 

xvii Et déjà en 1826, Augustin Sageret, travaillant sur l’hérédité horticole, réfute l’hérédité par mélange en insistant sur la ségrégation et la recombinaison des caractères, 50 ans avant que Mendel ne les mesure.

 

xviii Julian Huxley en 1942 écrit « Evolution: the Modern Synthesis » et, avec Ernst Mayr,« Systematics and the Origin of Species », 1942, il propose d’associer la génétique et la sélection naturelle en développant ce que l’on nomme alors la théorie synthétique de l’évolution. Huxley était partisan d’un eugénisme « de gauche ».

 

xix Lors d’un séjour en Papouasie, Mayr constate que les papous identifient le même nombre d’espèces d’oiseaux que les biologistes, donnant à l’espèce un statut de réalité biologique.


 

xx «Aucun nouveau-né ne devrait être reconnu humain avant d'avoir passé un certain nombre de tests portant sur sa dotation génétique... S'il ne réussit pas ces tests, il perd son droit à la vie.» 1978, Francis Harry Crick.


 

xxi La fonction mathématique d’invasion est une formule mathématique qui peut avoir de profondes répercussions. Elle constitue les bases de calcul de l’eugénisme et confère encore une place à des théories d’extrême-droite, comme celle dite « du grand remplacement ».


 

xxii Bien qu’il ait affirmé haut et fort son athéisme, Richard Dawkins est l’apôtre d’un darwinisme très réactionnaire qui, à la suite de la sociobiologie, affirme que le gène seul forge sa propre évolution, c’est un « gène égoïste »(1976). Voir à ce propos les critiques d’André Pichot, auxquelles il n’a jamais répondu.

 

xxiii J. J. Kupiec « Et si le vivant était anarchique » 2019, Ed. les liens qui libèrent et « Ni dieu, ni gènes » avec P. Sonigo, 2000, Ed. Seuil.

 

 

xxiv On nomme épisodes non-darwiniens des évènements dont l’explication ne peut pas se trouver dans la sélection darwinienne. C’est le cas par exemple des transferts de gènes horizontaux qui passent d’un organisme à un autre directement sans descendance ou encore des endosymbioses qui incorporent des anciennes bactéries, comme les mitochondries, à nos propres cellules. Paul Portier écrit dans un texte en 1918  que « tous les êtres vivants, tous les animaux (…), toutes les plantes (…) sont constitués par l’association, l’emboîtement de deux êtres différents. Portier P. (1918) Les Symbiotes. Masson ed., Paris.

 

xxv Tous ces thèmes ont été abordés dans les émissions de Radio libertaire, « Science en Liberté ». Les endosymbioses sont des inclusions d’organismes à l’intérieur d’autres organismes, comme les mitochondries, la dérive génétique est un effet aléatoire sur la fréquence des gènes, les HGT consistent dans le passage direct de gènes d’un organisme à un autre, l’épigénétique est un effet direct de l’environnement sur les gènes, le rôle des catastrophes, comme la comète participant à la fin des dinosaures, la spéciation sympatrique est la formation d’espèces nouvelles sans isolement d’habitat, le déplacement de caractères est l’effet d’une autre espèce sur les caractères de la première, la construction des niches est aussi l’œuvre des individus comme l’éléphant fabrique de la prairie en arrachant des arbres. Enfin, des émissions ont abordé l’origine du sexe, les bulles libertines, la théorie des poupées russes etc…

 

xxvi Rokas A, Carroll SB (2006) Bushes in the tree of life. PLoS Biol 4(11): e352. DOI: 10.1371/journal. pbio.0040352


 

xxvii La coopération reste toutefois souvent interprétée dans les cadres conceptuels de la parentèle ou de la sélection de groupe, plus compatibles avec la sélection naturelle.


 

xxviii Piotr Kropotkine publiera le livre « l’entraide, un facteur de l’évolution » en 1901.

 

xxix J’ai développé l’image que les gènes, loin de gouverner le corps, ne constituaient qu’une sorte de livre de recettes, voire de haute cuisine, que les cellules utilisaient selon la force des interactions entre elles et les produits du métabolisme. (La biodiversité amoureuse, 2011, Ed. Odile Jacob).

 

xxx Les eucaryotes sont tous les organismes (végétaux, champignons, protistes et animaux) dont la cellule a incorporé un noyau au cours d’une première étape décisive de l’évolution.

 

xxxi En proposant que les corps vivants se forment par en bas, en s’agglomérant de morceaux en morceaux, à la manière des poupées russes, j’ai proposé une théorie écologique de la formation du vivant, reposant sur la force structurante des interactions, voir notamment « Manifeste pour une écologie évolutive » (2014)..

 

xxxii Les siphonophores sont des « méduses » marines dont les « organes » sont formés d’une colonie d’individus différents très spécialisés.

 

xxxiii Le monde vivant est un immense réseau d’interrelations et son évolution est une histoire faite de nombreux évènements et de toutes les interactions entre organes, milieux, et organismes qui structurent et dynamisent les écosystèmes, le parasitisme, l’amensalisme, la compétition, la prédation, les mutualismes, la symbiose, le commensalisme, la sexualité et les catastrophes, mais aussi la simple présence des autres comme dans le cas du déplacement de caractères ou de la construction de niches. 

 

xxxiv Henry Walter Bates explorait les forêts primaires d’Amazonie en 1863 quand il découvrit l’artifice de ce mimétisme anti-prédateur chez des papillons. (Voir aussi Th Lodé « Pourquoi les animaux trichent et se trompent », 2013, Ed. O Jacob.


 

xxxv « De petites différences dans les conditions initiales en engendrent de très grandes dans les phénomènes finaux…/…la prédiction devient impossible et nous avons le phénomène fortuit » Henri Poincaré, (Science et méthode 1908).


 

xxxvi En 1972, Edward Lorenz appelle « effet aile de papillon » le jeu aléatoire des circonstances en météorologie, retrouvant sans le nommer, le phénomène fortuit.


 

xxxvii Le jeu de dés est du hasard. À chaque lancer, on peut déterminer statistiquement le nombre de chances que le dé tombe. Mais si on projette trois dés à chaque fois, les probabilités restent toujours les mêmes. Au contraire, dans l’évolution, la probabilité s’accroit sans cesse, car c’est de la contingence. Chaque évènement augmente la probabilité de l’épisode suivant. La contingence, c’est le fer à cheval mal fixé, qui fera chuter le cheval, ce qui fera tomber le cavalier qui ne pourra pas remettre son message au général qui perdra la bataille. A chaque fois, c’est un tout petit évènement, mais chacun produit un effet qu’un autre évènement va décupler encore. Ces multiples petits changements précaires et insignifiants s’ajoutent et s’ajoutent encore dans l’histoire du vivant.

 

xxxviii Th Lodé « Manifeste pour une écologie évolutive, Darwin et après » Ed. O Jacob 2014.

 

xxxix Pour Hugh Paterson, toutes les espèces se caractériseraient d’abord par un système de reconnaissance spécifique (Specific Mate Recognition System). Paterson, H. E. 1980. A comment on “mate recognition systems.” Evolution 34:330–331.


 

xl Th Lodé « Pourquoi les animaux trichent et se trompent » Ed. O Jacob 2013.

 

xli L’isolement reproducteur est ce qui forme une espèce et cet isolement est loin d’être absolu.

 

xlii Th Lodé 2011 « Sex is not a solution for reproduction: the libertine bubble theory. BioEssays 33: 419-422,The origin of sex was interaction, not reproduction (what's sex really all about),” Big Idea. New Scientist 2837: 30-31, et 2012 “Have sex or not? Lessons from bacteria.” Sexual Dev: 6: 325-328

 

xliii La méiose constitue le fondement de la sexualité en opérant deux divisions cellulaires successives, la première qui divise le matériel génétique, la seconde qui élabore les gamètes, les cellules sexuelles.  

 

xliv Les choix sexuels portent le plus souvent sur des indices révélés par le système immunitaire (MHC) et chacun s’efforce de choisir un partenaire compatible génétiquement mais différent ou complémentaire par son MHC. Loin de chercher les « meilleurs gènes », la sexualité produit ainsi d’abord de la diversité.

 

xlv Th Lodé 2019 « A brief natural history of the orgasm”. Frontiers in Life Science, 13:34-44

 

xlvi K Popper explique que le principe de réfutabilité est ce qui établit une science. 1990 Le réalisme et la science. Ed. Hermann.

 

 

Ecrit par libertad, à 17:48 dans la rubrique "Pour comprendre".



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