L'En Dehors

Ainsi donc le Canard Enchaîné révèle que des soupçons courent dans les milieux du renseignement sur un compte en banque japonais de Chirac qui serait crédité de … 300 millions de FF  (près de 50 millions d’€) !!!

Le chiffre paraît tellement astronomique qu’une courte réflexion amène à trois hypothèses :

1) C’est faux : dans ce cas, c’est une intox pour nuire à Chirac, et celui-ci va donc en appeler à la Justice en se constituant partie civile pour laver son honneur. Ce faisant, il se met à la disposition de l’enquête, car il n’a rien à se reprocher … Manifestement, le Chef de l’Etat n’est pas prêt à entamer pareille démarche. Qu’a-t-il à craindre des juges ?

2) C’est vrai mais un comparse des « services » compte encore en anciens francs, et le compte n’est crédité que de 3 millions de FF. Dans ce cas, ce « petit » patrimoine correspond bien à la carrière (40 ans) d’élu et de dirigeant du personnage Chirac, qui n’a donc à se reprocher, en la circonstance, que des pêchés véniels, type évasion fiscale. Rien de plus donc que tous ceux qui ont vraiment des comptes chez Clearststream.

3) C’est vrai, Chirac a bien 300 millions de côté au Japon (et peut-être alors d’autres choses ailleurs ?)

…

Pour avoir écouté la presse radio depuis 24 heures, personne ne semble vouloir poser la seule question qui vaille : comment une somme pareille peut-elle être évoquée au sujet d’un personnage qui dirige le pays ou une partie importante du pays (Mairie de Paris et RPR, donc élus locaux partout) depuis 40 ans ?

Jusqu’à présent, depuis plusieurs années, Chirac est apparu en ombre chinoise (et non japonaise) dans une quinzaine d’affaires de détournement de fonds, d’abus de biens sociaux, de corruption … dans des affaires de marchés publics du bâtiment, de l’armement, de liens avec des régimes étrangers (Irak, Liban, Maroc, Tunisie ..). Son rôle, au dessus de barbouzes et autres personnages exotiques ou baroques (tous plus ou moins disparues depuis dans des circonstances parfois troublantes) semblait d’assurer la survie politique de son mouvement, en n’oubliant pas au passage quelques amis, sa famille, et lui-même.

Si les 300 millions de FF devaient être confirmés, ce schéma serait à jeter à la poubelle. Pareille somme confirmerait par sa seule présence que les pires soupçons sur Chirac seraient encore en dessous de la vérité. On aurait affaire à un parrain maffieux dont le soucis majeur, durant toute sa carrière politique, aurait été de détourner l’essentiel de l’argent d’où qu’il vienne. On tournerait en effet au rythme d’un million de FF par mois de 1974 à 2001 (date du chiffre), soit de Chirac-Premier Ministre qui reçoit Saddam Hussein à Chirac-président convoqué par le juge Halphen !

Etant donné la gravité de l’hypothèse, il me semble que la moindre des choses serait que l’intéressé, la presse, la justice, prennent la peine de démontrer la fausseté de l’information.

Au lieu de quoi, aujourd’hui, on a eu droit à un démenti paresseux de Chirac, repris tel quel par des media complaisants. Obligés d’en parler par la publication du Canard, on n’entend rien d’autre sur cette affaire qu’une explication sans étonnement du fait que l’équipe de la DGSE qui a commencé en 2001 à enquêter sur ce compte en banque a été virée en 2002 par Chirac réélu !

Il y a eu enquête sur les enquêteurs pour pouvoir arrêter l’enquête. Et ça ne gène personne ?

Déjà, on entend Sarkozi et le PS calmer le jeu. Personne ne touche à Chirac. Ont-ils tous peur (mais de quoi ?) ou bien sont-ils tous complices ?

Car si ces 300 millions existent, c’est la condamnation non seulement de Chirac, mais de toute la Ve République, de toutes ses pratiques autour de l’argent public, des appels d’offres, des grands travaux d’aménagement qui ont changé le pays en 50 ans (autoroutes, collèges, lycées, aéroports, La Défense, les villes nouvelles …), de sa politique militaire et de sa politique énergétique.

Qui a envie de déballer tout ça ? Pas ceux qui ont (eu) accès à la gamelle.

C’est ce qui sauve Chirac depuis 20 ans.

Roltis

Texte écrit mercredi 10 mai 2006

après avoir écouté la veille au soir, le matin, le midi et le soir

les journaux de France-Culture et de France-Inter.