Lu sur
A contretemps :
"L’équilibre du jugement n’est pas la sérénité. Et moins encore la
sagesse. C’est une prédisposition à garder le cap, non sur des
certitudes – et pas davantage sur des doutes –, mais sur les enjeux
intellectuels et politiques d’un temps si manifestement confus qu’à
l’interpréter, la pensée du malaise devient malaise de la pensée. Ce
cap, Renaud Garcia le tient sans faillir, mais en se gardant de l’excès.
Car, il le sait, la cause qui l’occupe – saisir en quoi les théories de
la déconstruction ont si largement contribué à légitimer la
marchandisation généralisée du monde et son artificialisation –, ne
pouvait se satisfaire de jugements à l’emporte-pièce ou de condamnations
morales pour qu’apparût le lien entre leur triomphe comme idéologie
dominante et le recul général de l’idée d’émancipation sociale. Elle
exigeait de faire retour sur ses origines et sur l’époque qui les vit
naître – un après-68 où s’opéra subrepticement, dans l’arrière-salle
postmandarinale d’une rébellion festive, un « changement dans la manière
d’appréhender le réel et, par voie de conséquence, dans la manière
d’exercer le jugement critique » (p. 9). Elle impliquait aussi de
revenir sur l’attrait qu’exerça ce renouveau conceptuel sur une jeunesse
apparemment radicalisée mais surtout désireuse de sortir du « vieux
monde » – ce « vieux monde » que le capitalisme, lui-même en phase
« néo », rêvait parallèlement de déconstruire pour le délester de ses
pesanteurs (nos acquis, entre autres) et étendre à l’infini ses infinis
taux de profit. Elle imposait, enfin, à partir d’une analyse de leurs
fondements et d’une lecture critique de leurs principales productions,
de se pencher sur les soubassements politiques des théories de la
déconstruction dont l’essor, sur une bonne trentaine d’années, a fini
par assécher le champ de la critique de l’aliénation. Devenue esprit du
temps, la
French Theory, ce performant simulacre de pensée
subversive, inspire aujourd’hui, dans un même élan et tous ensemble, les
laudateurs de l’économie-monde, les petits-maîtres de l’Alma Mater, les
militants d’une gauche devenue sociétale et les adeptes d’un
postanarchisme transgressif qui, tout acquis aux fadaises et délires de
cette idéologie du néant
[1], est en passe d’en devenir l’avant-garde.
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