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Déployés, ils barrent la rue d’Enghien et les entrées parallèles. Ils quadrillent, vérifient, arrêtent. Pour rentrer chez eux, les habitants doivent montrer leur pièce d’identité. Une vieille femme présente une facture d’électricité en expliquant « sur mon passeport, c’est encore mon ancienne adresse, je ne l’ai jamais changée, mais cela fait vingt ans que je vis là ». Cela ne suffit pas et un policier en civil, talkie-walkie et oreillettes, l’accompagne jusqu’à sa porte. Un père de famille, enfant au bras, montre sa carte d’identité et lance un « c’est révoltant » significatif. Un homme, portant un autocollant marqué « Sarkozy nous promet un monde de droite », est tout simplement prié de l’enlever, sous peine de rester derrière le cordon de police et de ne jamais rentrer chez lui. Un groupe de jeunes venus retrouver un ami pour déjeuner s’énerve. En vain. Ils ne passeront pas, c’est leur ami qui descendra. Dans ce quartier cosmopolite où toutes les communautés cohabitent, le ras-le-bol est évident. « Je ne peux plus les voir, dit Sabrina Caraco, une habitante. Ils sont sous nos fenêtres 24 heures sur 24, il pleut des PV, mon fils est contrôlé tous les matins à 7h30. Il est cuisinier. De temps à autre, il doit emporter avec lui ses couteaux de travail, je crains qu’ils ne l’arrêtent en pensant qu’il est armé. De quel droit un candidat se permet-il cela ?! »
Du côté des commerçants, on parle peu. La présence policière a fait fuir les habitants pas toujours en règle avec leurs papiers, le chiffre d’affaires s’en ressent, et puis traînent sur les têtes des menaces de contrôles fiscaux alors on fait contre mauvaise fortune silence, hormis ceux qui soutiennent Nicolas, comme Francis, le serveur du bar « Chez Jeannette ». Le café s’avale difficilement sur fond de « Ces gens plutôt que de manifester, ils feraient mieux d’aller bosser. Chez toi, quand tu reçois des amis pour dormir, tu peux pas en prendre à l’infini, après c’est trop serré, et bien la France c’est pareil, c’est si serré qu’on n’en dort plus. Alors ce que j’en pense de Sarko, c’est qu’il a raison. » Les clients sont muets ou sourient. Certains glissent qu’il n’est pas méchant le serveur, juste un peu bourru. Jean-Michel Conte préside le blog anti-Sarkozy « Rentre chez toi » et ne décolère pas. « Nicolas Sarkozy aurait pu se promener dans la rue et serrer des mains, mais c’est plus fort que lui, partout où il va, il y va avec les flics. »
Dès l’arrivée du candidat, les habitants des trois immeubles qui font face au QG ont reçu une enveloppe saumon, non cachetée par La Poste. À l’intérieur, une lettre leur demandait de répondre à un recensement de sécurité et d’appeler un numéro. Au bout du fil, un policier questionnait : nom, prénom, date de naissance et conseillait de ne pas recevoir de journalistes chez soi et de rester sur ses gardes pour cause de menaces terroristes. Officiellement, la préfecture de police de Paris a renforcé ses effectifs « au cas où il y aurait une manifestation de sans-papiers devant le siège de la campagne ». La loi est pourtant claire et précise : les agents et officiers de police ne peuvent effectuer des contrôles d’identité dans les lieux publics qu’à l’égard des personnes dont un indice laisse penser qu’elles ont commis ou tenté de commettre une infraction, qu’elles se préparent à commettre un crime ou un délit, qu’elles sont susceptibles de fournir des renseignements sur un crime ou un délit ou font l’objet de recherches ordonnées par une autorité judiciaire. En s’installant rue d’Enghien le candidat s’est clairement assis sur les droits fondamentaux de liberté d’expression, de liberté de circulation et de respect de la personne. Paco Rabanne avait prédit la fin du monde. Celui que nous prépare Nicolas Sarkozy ne donne pas envie de rire.
Article publié dans CQFD n° 43, mars 2006.