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Libérez la route ! La rue pour tous !
La politique d'aménagement cyclable vise aujourd'hui à augmenter la longueur des bandes et pistes cyclables (ou couloirs mixtes), pour améliorer le maillage du réseau cyclable. Cette politique remporte actuellement un large consensus1. Au point que la remettre en question est devenu une hérésie.S'agit-il pourtant d'une politique pertinente ?

Ce texte montre que, tant sur le plan de la sécurité, que sur le plan économique, et dans le contexte actuel de développement massif d'une économie autour de la pratique du vélo, plusieurs arguments jouent en sa défaveur. Je vais les examiner, en prenant soin de distinguer trois types de « pistes cyclables ». 1. L'itinéraire pour vélo balisé, sans aménagement particulier, à part des indications sur la route à suivre (fréquent en zone rurale). 2. Les bandes cyclables, balisées au sol, mais incluses dans une route allouée à la circulation automobile. 3. Les pistes cyclables à proprement parler, séparées de la route allouée à la circulation automobile, avec, ou non, cohabitation avec les piétons, les bus ou les taxis. Mes arguments ne portent que sur les bandes et les pistes cyclables.

1. Un premier aperçu sur l'impact économique et environnemental.

D'abord, premier constat. Malgré tous les appels bien-pensant des « écologistes » et des « urbanistes » à la construction massive des pistes et bandes cyclables, peu d'entre eux semblent prendre en compte un fait évident : l'aménagement des pistes cyclables est coûteux d'un point de vue environnemental et économique. Chaque piste cyclable construite hors d'une route est en effet :

  • une source de dégâts environnementaux directs supplémentaires, avec un empiétement considérable sur les milieux naturels : a. la piste, et le plus souvent, b. les aménagements qui l'accompagnent et induisent, en particulier, l'artificialisation de zones qui l'entourent – sauf, bien sûr, si la piste est aménagée sur le trottoir.

  • potentiellement, une source de dégâts environnementaux et de coûts économiques indirects, qui sont liés à la production et à l'entretien régulier de la piste. Plus généralement, il faut ici inclure :

    • les coûts de fabrication et d'entretien des pistes, et les coûts informationnels : gestion administrative, communication sur les pistes, prévention, signalisation, etc.

    • les dégâts environnementaux indirects liés à ces activités et l'énergie grise nécessaire qui est nécessaire à leur réalisation.

 

Certes, l'argument est moins pertinent pour les bandes cyclables, même s'il le demeure (le marquage au sol est très polluant, par exemple). Néanmoins, les maigres avantages des bandes cyclables, en terme de sécurité – j'y reviens –, rendent leur généralisation peu crédible, en particulier dans les zones rurales, peu fréquentées par les vélos.

D'autre part, indirectement, mais je reviens plus loin sur ce point, le « parcage » des vélos dans des zones de circulation obligatoires a pour incidence probable un accroissement de la vitesse sur les routes, avec des conséquences économiques et environnementales indirectes : a. la pollution liée à la vitesse, b. l'accroissement du parc automobile, les voitures circulant plus facilement, c. l'accroissement de la distance domicile-travail engendré par une meilleure fluidité du trafic, etc.

2. Le mythe du bilan de sécurité positif.

Les bandes et pistes cyclables (non pas les itinéraires cyclistes) favorisent-elles la sécurité des cyclistes, des piétons et des automobilistes ? Bien des défenseurs de ce mode de circulation semblent le croire. Ils souscrivent à cet endroit à deux hypothèses.

  • La première est que les usagers limitent la pratique du vélo du fait des problèmes de sécurité qu'ils rencontrent sur la route.

  • La deuxième est que les aménagements cyclables fondés sur la séparation physique entre les différentes catégories d'usagers de la route, en particulier les pistes cyclables, sont favorables à la sécurité des cyclistes2.

En fait, aucune de ces deux hypothèse n'est vérifiée, ou en tous les cas, testée.

A. Bilan en terme d'accidentologie.

Tout d'abord, rien ne permet d'affirmer que l'accroissement des aménagements cyclables a, et a eu, un impact négatif en terme d'accidentologie. Certes, les rapports concluent à une diminution du nombre de victimes cyclistes depuis une trentaine d'années (voir par exemple, le rapport gouvernemental Pratique du vélo et sécurité routière), mais celle-ci est à relativiser du fait de :

  • La diminution du nombre de victimes de la route, tous véhicules confondus. Des années 1970 aux années 2000, le nombre d'accidents mortels pour les automobilistes et les cyclistes est divisé par trois dans les deux cas. Le facteur est à peu près le même. Sauf que si le parc automobile s'est considérablement accru durant la même période (il y a plus de voitures, plus de personnes qui circulent en voiture, et ils le font plus souvent), il n'en va pas de même pour les vélos. Il est difficile de disposer de données fiables, mais il est fort probable, que sur les trente dernières années, le nombre de vélos en circulation, et la pratique du vélo (fréquence, route parcourue, etc), ont diminué3, avant de ré-augmenter ces dernières années. Par conséquent, si la sécurité s'était réellement accrue pour les vélos, le facteur de diminution devrait être supérieur pour ceux-ci. Or ce n'est pas le cas.

  • L'amélioration de la sécurité des véhicules automobiles, aujourd'hui, par exemple, équipée de systèmes de freinage limitant la déviation sur les côtés de la route,

  • L'adaptation des automobilistes et des cyclistes à l'environnement routier : petit à petit, des normes, des habitudes contrebalancent les conduites dangereuses,

  • La diminution probable du nombre de personnes qui circulent à vélo, comme je l'ai souligné.


En fait, quelle que soit la cause de cette diminution, et il y en a probablement plusieurs, il n'y a aucune preuve chiffrée, à ma connaissance, corroborant de manière indiscutable, l'impact des aménagements cyclables sur la diminution des accidents à vélo.

B. Partage avec les piétons.

Pire, l'impact des aménagements cyclables peut, contrairement à une idée reçue, être négatif pour la sécurité des piétons, des cyclistes et des automobilistes. Voyons d'abord pourquoi, en prenant le cas des piétons.

Lorsqu'il y a partage des pistes entre les cyclistes et les piétons, ou lorsque la piste cyclable est la seule à être aménagée pour permettre la circulation des personnes non-motorisées, les piétons, peuvent être plus facilement victimes d'accident.

  • D'abord, parce qu'un vélo roule vite, il a donc plus de mal à s'arrêter brutalement ; et autre point, le cycliste se considère généralement comme prioritaire sur une piste cyclable. D'où un désagrément et un risque de collision accrus avec les piétons.

  • Ensuite, parce que le piéton n'est pas libre, sur une telle piste, de circuler comme il l'entend. Fréquemment, un piéton, ou un cycliste qui s'arrête au milieu d'une piste cyclable, se fait enquiquiner par les cyclistes, en particulier par les cyclistes qui roulent vite.

  • Enfin, une conséquence indirecte de l'aménagement des pistes cyclables, est de rendre pour les cyclistes, plus délicate (plus vulnérable et pouvant faire l'objet d'une interdiction : vélos à contre-sens, etc.), la circulation sur les routes non aménagées. De ce fait, les cyclistes sont obligés de rouler sur les trottoirs, et risquent alors, potentiellement, de percuter plus facilement un piéton.

C. Baisse de la vigilance, dé-responsabilisation des conducteurs.

Ce qui m'amène au point suivant. Pourquoi transformer les routes en ayant en tête une logique d'apartheid (chacun dans son coin) est une absurdité ? Car l'augmentation des aménagements cyclables incite les automobilistes à avoir des comportements dangereux à l'égard des cyclistes. N'étant plus confrontés à la présence et à la vulnérabilité des cyclistes, ils sont moins accoutumés et moins vigilants, et ont donc ont plus de risque d'en percuter un malencontreusement. Ils ont une conduite moins prudente, plus rapide, moins respectueuse à l'égard des piétons et des cyclistes ; et indirectement, à l'égard d'eux-mêmes puisqu'en roulant plus vite, ils augmentent le risque d'accident entre eux4.

À l'inverse, quand la route est mixte, c'est à dire partagée par tous, aussi bien par les vélos que par les trottinettes, les rollers, les voitures, les carrioles, les animaux, etc., les principales sources de danger sur la route, c'est à dire, les voitures, sont bridées dans leur élan. Les automobilistes doivent faire très attention, et adaptent leur conduite en conséquence. Ils limitent leur déplacement, ralentissent et font preuve d'une vigilance accrue. Dans le cas contraire, et c'est le cas aujourd'hui, leurs instincts de puissance sont libres de se déployer. Avec les conséquences que l'on connaît. La vitesse prend le pas sur la sécurité ; la règle arbitraire et la répression routière prennent le pas sur la vigilance, la responsabilité individuelle, la confiance et le respect mutuel ; la pollution automobile prend le pas sur les déplacements moins polluants ; et plus politiquement, le pouvoir du travail et du marché prennent le pas sur une économie moins marchande et plus autonomisante : la voiture et ses à côtés représentent un marché énorme, et c'est le principal outil pour se rendre au travail.

 

D. Risques intrinsèques liés aux pistes cyclables.

Les pistes cyclables limitent-elles le nombre d'accidents touchant les cyclistes ? C'est tout à fait incertain !

  • D'abord, les vélos étant bien plus rapprochés que sur une route normale, le risque de collision est plus élevé (le problème est fréquent dans les zones à forte densité de vélo, comme par exemple, l'île de ré). Il en va de même quand ces risques sont liés à la présence d'enfants à vélo, de groupes de cyclistes, de piétons, de chiens, etc.

  • Ensuite, il est rigoureusement impossible d'éviter tout croisement avec les zones automobiles. Or, pour les raisons vues plus haut, les franchissements n'en sont que plus dangereux. Et il est exceptionnel que des feux routiers soient installés pour permettre le franchissement exclusif des vélos.

  • Enfin, il faut rappeler qu'il existe, une quantité considérable de facteurs impliqués dans la survenue d'un accident en vélo, autres que ceux liés à la circulation automobile. À titre d'exemple : dérapages sur des graviers, choc avec une borne empêchant les voitures d'accéder à une piste cyclable, perte d'équilibre, chute dans un fossé, éclairage défaillant, etc.

En conclusion, rien, et je dis bien rigoureusement rien, ne permet d'affirmer que l'aménagement des pistes cyclables est favorable à la sécurité routière, au sens large. Au contraire, même si cela reste au stade de la supposition, il lui est probablement défavorable.

Conclusion. Au mieux a-t-il une fonction économique5 : marchés liés à l'aménagement, facilité de circulation pour les camions et les automobiles, d'où fluidité du trafic routier6 ; électorale : il vise à faire du green-washing, puisque sa fonction environnementale reste à prouver ; ou peut-être n'a-t-il pas de fonction : il est tout simplement irrationnel.


E. Mais au fait, l'aménagement des pistes et la sécurité sont-ils vraiment des facteurs incitatifs sur le choix du vélo comme moyen de transport ?

Un raisonnement souvent entendu est le suivant : il y a un facteur incitatif dans l'aménagement de nouvelles pistes cyclables, car les usagers de la route se sentant plus « rassurés », ils utilisent davantage leur vélo – donc, ils polluent moins. C'est hélas soit incertain, soit faux.

  • D'abord, pour les raisons vues plus haut, l'accroissement des pistes aménagées a pour effet pervers de rendre la route normale plus dangereuse et donc moins praticable pour les vélos – sauf à mettre une piste cyclable dans chaque rue...

  • Ensuite, rien n'est certain puisqu'on manque souvent de données concrètes. Et, même lorsqu'on en dispose7, pour arriver à des conclusions robustes, il faudrait éliminer de nombreuses variables parasites. Par exemple, la diversité des pratiques sociales. Un cycliste qui pratique le vélo sur l'île de ré, en été, n'est pas comparable à un adepte de la décroissance qui parcourt à vélo tous les matins 20 km pour se rendre au travail. Au passage, le premier achète un vélo « jetable », qu'il n'utilise quasiment pas, et en change parfois au bout de quelques années (le sel l'ayant corrodé...), contribuant ainsi à faire tourner les usines et à augmenter les déchets – n'oublions pas que le vélo est polluant, en particulier si l'on tient compte de l'énergie grise nécessaire à sa fabrication, son entretien et son recyclage. Autre exemple. Les études comparatives sur la pratique du vélo négligent souvent des facteurs évidents. En particulier, l'incidence du relief, qui rend la pratique du vélo plus ou moins éprouvante (c'est le cas aux Pays-Bas), la densité de l'habitat urbain, la présence d'une population étudiante, etc.

  • Enfin, point important, les désagréments liés à l'usage du vélo, surtout en hiver, ne sont pas forcément liés au problème de la sécurité : a. le froid, b. la pluie, c. l'effort physique nécessaire, d. la faible capacité pour le transport des charges, e. les vols fréquents, f. la lenteur, etc., sont tout aussi dissuasifs ! Augmenter les aménagements cyclables, dans ce cas, ne doit guère changer, statistiquement parlant, la fréquence dans l'usage du vélo et le nombre de personnes circulant à vélo. D'autant plus qu'en insistant trop sur la sécurité, et donc, en empêchant les cyclistes de passer au feu rouge, ou de remonter les sens interdits, et en les verbalisant en cas d'infraction, on ôte quelques-uns des rares avantages liés à la pratique du vélo, et qui pourraient compenser ces désagréments : pouvoir circuler plus rapidement qu'en voiture, au moins dans certains cas, et à faible coût.

3. Représentation sociale du cycliste et empiètement des libertés.

D'ailleurs, prendre des sens interdit à vélo, passer les feux au rouge à vélo, monter sur les trottoirs, rouler sans phare, voilà quelques pratiques qui, il y a encore dix ou quinze ans, étaient routinières. Il était alors, au moins dans la pratique, impensable de verbaliser de tels conduites. Pourquoi ? Parce que le conducteur à vélo était assimilé à ce qu'il est : une personne vulnérable, devant faire l'objet de courtoisie et de respect, au même titre que le piéton.

Le problème, c'est qu'aujourd'hui, un mouvement de répression routière est en cours, et s'appuie sur cette représentation sociale erronée, et savamment entretenue par les associations de défense du droit au vélo, selon laquelle la pratique du vélo est dangereuse. Dès lors, vous pouvez vous faire verbaliser, « pour votre bien », parce que vous avez remonté une rue en sens interdit ou parce que vous roulez sans phare.

Quelle conclusion en tirer ? D'abord, qu'il y a derrière cette évolution, un nouvel empiétement sur les libertés individuelles (après tout, chacun est maître de son destin), au profit d'une éthique sécuritaire faussement bienveillante. Mais surtout, qu'il y a une transformation de la représentation du vélo, au sens large, et du cycliste. Celui-ci se voit accoler l'étiquette « danger ». Et une grande partie des associations pour le vélo aggravent cette tendance, en orientant leur politique de communication et de lobbying vers la thématique de la sécurité, culpabilisant le cycliste (il n'a pas bien suivi les consignes de sécurité !) alors que c'est pourtant son propre choix, et son droit le plus strict de prendre des risques calculés lorsqu'il roule (même s'il calcule mal !). J'irai donc plus loin : l'intrusion de l'État et des associations, qui prennent soi-disant la défense des cyclistes, est une ingérence grave dans le droit d'aller et venir librement, et plus généralement, dans le droit de disposer de son libre-arbitre.

Car quel risque, en effet, peut bien faire porter à la société un cycliste qui ne respecte pas scrupuleusement le code de la route ? La plupart du temps, aucun ! Le seul risque est pour lui-même. Un cycliste qui remonte une rue en sens interdit ne met en danger que sa propre sécurité. Et encore ! Griller un feu rouge peut bien souvent sauver une vie, quand on sait que c'est souvent en attendant sagement que les feux passent au vert, que les deux-roues sont percutés par l'arrière par des automobilistes inattentifs. La vérité est que tous ces appareils (feu rouge, céder le passage, sens interdit, etc.) censés améliorer la sécurité routière (s'ils le font vraiment, ce qui est loin d'être certain), sont totalement inadaptés à la circulation à vélo. La preuve, deux vélos ou plus qui se croisent dans une rue à sens unique peuvent très bien continuer leur route sans se gêner. Pourquoi, alors, leur appliquer la règle du sens interdit ?

4. L'ingérence néfaste de l'État dans la Rue.

Pour mieux saisir les enjeux de cette ingérence, je voudrais dans cette partie, replacer le problème de la circulation à vélo à l'intérieur d'un débat plus général sur le rôle de l'État dans la sécurité routière. Tout le débat public sur la sécurité routière me paraît en effet aujourd'hui faussé par une vision régalienne de la sécurité routière. Seul l'État pourrait aider à rendre les routes plus sûres, et le domaine de la rue, et de la route, relèveraient de son champ d'application et de compétence quasi-exclusif. Or, l'échec de cette conception des choses, et de sa mise en œuvre, me semblent aujourd'hui patent.

 

Mais avant de le montrer, il me paraît important de souligner que cette conception, n'est pas qu'une simple croyance. C'est une idéologie, que j'appellerai l'idéologie de la sécurité routière. Idéologie au sens où elle regroupe, dans un tout cohérent, un ensemble de croyances, généralement erronées, qui conduisent à une interprétation orientée des faits, et qui permettent de justifier certains croyances et pratiques. Par exemple, elle amène à penser, au moins pour ceux qui la partagent, que les seules améliorations de la route, et de l'espace public, sont le fait des pouvoirs publics. Ainsi, la plupart des études, et plus généralement, des discours médiatiques ou populaires, sur la sécurité routière mettent en avant l'effet positif des politiques de répression des conduites à risque sur le nombre d'accidents. Or, comme vu plus haut, si statistiquement, en effet, on peut observer, au moins depuis les années 1970, une baisse régulière du nombre d'accidents, celle-ci peut s'expliquer par quantité d'autres facteurs :

  • l'amélioration technique des véhicules,

  • l'habituation culturelle (les personnes connaissent mieux leur environnement, adoptent des conduites plus sûres et transmettent ce savoir à leur proche),

  • la signalisation de mieux en mieux adaptée (les zones à risque sont de mieux en mieux repérées),

  • l'amélioration des routes (généralisation des autoroutes), etc.

Tout cela pour dire que remettre en cause l'efficacité, voire même, l'utilité de l'État dans les politiques de gestion de la route et de la rue, c'est s'attaquer à une idéologie puissante. Et pourtant, sans contester que l'État puisse parfois y avoir un rôle utile, lorsqu'il intervient en tant qu'arbitre pour régler des conflits, ou lorsqu'il empêche l'appropriation permanente de l'espace public par des intérêts privés (ce qu'il fait en réalité très mal), il faut reconnaître que, pour peu qu'on sorte de l'idéologie de la sécurité routière, l'État est un bien piteux gestionnaire, coûteux, inefficace, dangereux et superflu.

Je montre ici pourquoi, en gardant à l'esprit que l'exemple de la sécurité routière pourrait à mon avis, sans peine, être généralisé à l'ensemble des activités qui se déroulent dans la rue.

 

A. Rien ne prouve de façon indiscutable que le contrôle croissant de l'État sur la route est à l'origine de l'amélioration de la sécurité routière.

Certes, il est probablement vrai que, lorsque des mesures étatiques d'envergure sont prises, une amélioration temporaire puisse se produire. Néanmoins, comme dans toute politique publique, l'effet est vite compensé par des stratégies de contournement (ex : le poste de radar fixe est vite connu des usagers quotidiens). De plus, ce qui est bien plus grave, la finalité de ces mesures semble être rapidement doublée par des finalités économiques. Car, une fois qu'un dispositif d'application de la loi a été instauré, il doit être rentabilisé, et cela, même s'il ne sert plus à grand chose – et surtout, il emploie des personnes qui sont prêtes à faire pression pour conserver leurs emplois... Par conséquent, quand bien même il est absurde de verbaliser une personne qui roule à 100 km/h au lieu de 90 km/h, c'est elle qui fera les frais d'une telle politique. Autrement dit, passé l'« effet d'annonce » de la politique, ce ne sont plus les automobilistes ayant une conduite dangereuse qui font l'objet des mesures de répression, mais les automobilistes ayant une conduite normale. Et la cible est ratée ! Dans le même ordre d'idée, les difficultés croissantes qu'il y a à rouler sur les routes nationales (construction de ronds-points), lorsqu'elles sont parallèles à des autoroutes payantes, montre bien la logique économique qui gouverne l'État... Et que dire du marché gigantesque autour des permis de conduire...

Résumons. L'État paraît plus intéressé, dans l'affaire, par les intérêts économiques puissants, ou par la cagnotte de la sécurité routière, que par la sécurité des usagers.

 B. Les politiques de contrôle exercées par l'État sont souvent « liberticides ».

C'est le cas pour la sécurité routière, les contrôles radars, l'obligation de présenter ses papiers, etc. À l'heure actuelle, il faut rappeler que la plupart des contrôles de police subis par le citoyen moyen, sont liés à la sécurité routière. Or, étant donné les risques potentiels de dérapage liés à ce type de contrôle (contrôle au faciès, obligation de soumission étant donné le déséquilibre en terme de pouvoir, policiers armés, etc.), mais aussi, étant donné le désagrément lié à ces contrôles (perte de temps, ambiance...), c'est à chaque fois un risque, mais aussi, une charge subie par le citoyen. Si cette charge était réellement justifiée, pourquoi pas ? Mais l'est-elle autrement que par la nécessité pour l'État de pérenniser son appareil répressif (intérêts économiques) ?

 C. L'ensemble des contrôles est économiquement parlant, extrêmement coûteux.

Sans qu'on sache s'il a les effets attendus, voire, s'il ne perturbe pas la « régulation spontanée » de la sécurité routière – je reviens plus loin sur ce point.

 D. L'orientation qui est suivie par les pouvoirs publics, et les conséquences qu'elles ont, sont clairement contestables dès lors qu'on utilise une grille d'évaluation tenant compte de critères multiples.

Par exemple, le bitumage systématique des routes, l'installation de parcmètres, l'effacement des grafs, l'entretien des espaces verts, sont-ils souhaitables ? Pas nécessairement d'un point de vue culturel et écologique.

Pour ce qui est des grafs, les enjeux culturels sont clairs, même s'il y a débat. Qu'en est-il des espaces verts ? Est-il préférable de laisser leur gestion à des paysagistes professionnels, des entreprises d'entretien des espaces verts, ou à des particuliers qui vont cultiver les jardins proches de chez eux, ou bien, faire brouter leurs animaux sur les terrains vagues et les rond-points, comme cela se pratique dans de nombreux pays ? De ce point de vue, le pseudo-débat autour de l'entretien durable et écologique des espaces verts masque le véritable enjeu : a-t-on vraiment besoin de professionnels pour réaliser un tel service ?

Enfin, concernant les parcmètres, résolvent-ils vraiment les problèmes d'encombrement ? Absolument pas. En permettant un accès plus facile à plus de personnes en centre-ville, ils font surtout le jeu des commerçants au détriment du bien-être des habitants ?

Donc, en examinant le problème de manière plus générale, on s'aperçoit que l'État réglemente l'espace public selon deux orientations.

1.dans la mesure où il est le seul à pouvoir réguler l'espace public, et qu'il obéit à une logique bureaucratique et économique, il nivelle les différences, les particularismes, propres aux différentes zones géographiques, il crée donc une standardisation qui fait qu'on retrouve les mêmes schémas d'aménagement dans tous les territoires, toutes les rues, etc.

2. Il modèle l'espace public en fonction de grands schémas directeurs et de certaines valeurs : essentiellement, commerce, hygiène, sécurité. Les autres finalités dans l'aménagement de l'espace public, qui ne peuvent être que produites par les citoyens eux-mêmes, selon leur propre initiative, sont laissées pour compte.

 E. La plupart des règles qui assurent la sécurité routière, en tant que bien public, mais aussi privé, peuvent se mettre en place spontanément, sans l'intervention des pouvoirs publics.

Et pire, l'intervention abusive des pouvoirs publics, tend à brider ou à décourager les initiatives individuelles à cet endroit – fait qui est valable, de manière générale pour toutes les initiatives de rue. Ceci est particulièrement frappant dans les pays où les réseaux routiers sont encore émergents. Bien qu'il n'y ait pas de contrôle à priori des conduites routières – ce qui n'empêche pas la possibilité d'un contrôle à posteriori en cas d'accident – les usagers des routes adoptent spontanément des comportements respectueux : la mixité des routes, de ce point de vue, et l'état parfois défaillant des véhicules, contraignant de toute manière à une conduite relativement sûre.

Prenons l'exemple de Mayotte, où le réseau routier est très récent et encore peu développé. Les routes sont extrêmement mixtes, partagées par les piétons, les scooters, quelques animaux, parfois les enfants, etc. Elles sont souvent en mauvais état (en partie à cause des conditions climatiques), surchargées à certains endroits, et, point important, les contrôles de police étaient, jusqu'à une date récente, exceptionnels. Enfin, les véhicules sont souvent en mauvais état. Si l'on suit les critères de l'idéologie de la sécurité routière, ce devrait être un vrai carnage... Mais les chiffres parlent plus sûrement que les impressions guidées par cette idéologie. Le nombre de tués par accident de la route par rapport à la population totale est environ de 7 sur 100 000 en France, tandis qu'il est de 5 sur 100 000 à Mayotte. Conclusion, les routes sont plus sûres à Mayotte qu'en France. Pourtant, perdus dans leur irrationalité, la plupart des « métropolitains » qui vont là bas sont horrifiés par la dangerosité des routes8.

F. Conclusion

La conclusion paraît donc claire. Au mieux, l'ingérence des pouvoirs publics dans la régulation de la route, n'est qu'une composante, parmi d'autres, de la sécurité routière. Mais elle remplit ce rôle avec un coût exorbitant, qui est supporté par le contribuable, et en utilisant des méthodes qui tant d'un point de vue éthique qu'écologique sont contestables ; et surtout, en éliminant toutes les autres composantes qui font « la rue », c'est à dire, l'ensemble des biens publics qui peuvent être générés par des citoyens disposant des libertés fondamentales, et à même de prendre des initiatives. Au pire, l'ingérence des pouvoirs publics est sans effet, voire négative, dans la mesure où : 1. elle perturbe les mécanismes de régulation spontanée de l'espace public, elle déresponsabilise, notamment, les conducteurs individuels, 2. elle provoque, par le simple fait des contrôles, des conduites à risques (passage par des routes de campagnes peu sûres pour éviter les radars, par exemple), 3. elle est elle-même dangereuse, du simple fait de l'application des contrôles (le cas est certes assez marginal, mais non négligeable, au moins dans certains pays), 4. elle est sans effet, mais le résultat est globalement négatif du fait des coûts sociaux, économiques et environnementaux, qu'elle génère.

5. L'État et ses relais associatifs

Je voudrais toutefois apporter ici une précision. On pourrait croire, en lisant les lignes qui précèdent, que j'ai à l'esprit l'image d'un État doté d'une intentionnalité, et d'un État aux frontières clairement délimitées. Rien n'est pourtant plus éloigné, à mon sens, de la réalité. Car en soi, l'État n'est qu'une abstraction, dont les contours devraient être remodelés et redéfinis en fonction du contexte d'action et du contexte discursif. Cela est d'autant plus vrai que l'État, au sens classique du terme, est aujourd'hui en plein démembrement, et se réorganise en déléguant certaines de ses fonctions à des acteurs de la vie civile, qu'il finance en contre-partie. En particulier, il délègue certaines de ses fonctions à des associations (par exemple des associations de prévention), à des entreprises (par exemple des entreprises de sécurité), à des ONG, etc.

A. L'État moderne : État réticulaire.

Car l'État n'est pas une tour d'ivoire, il est bien plus une espèce de toile d'araignée gigantesque, un « État réticulaire », qui infiltre tous les niveaux de la vie civile, tenue par un dispositif technique impressionnant ; et qui a pour caractéristique essentielle d'être la seule organisation qui dispose du droit de taxer les individus. Autrement dit, il dispose du monopole d'usage de la force pour prélever l'impôt, ou contrôler l'émission de monnaie (ce qui est une taxation indirecte, liée aux effets de la dévaluation).

Ensuite, le fait que cette organisation redistribue les ressources ainsi confisquées à des services (police, école, prévention, armée, etc.) qui disposent de certains pouvoirs est presque secondaire – dans bien des pays, ce n'est même pas le cas. Si ce n'est, point important, que ces services, une fois constitués, et généralement, sur la base du modèle professionnel, n'ont, du point de vue de la stricte rationalité économique, d'autres objectifs que d'assurer leur propre pérennisation.

Il paraît parfaitement logique, dans cette configuration que l'État intègre de plus en plus des associations dans sa toile. C'est logique, à condition qu'on sorte de l'idée trop simpliste d'une opposition entre d'un côté, un État manipulateur, de l'autre, des associations victimes. Car dès que les associations entrent dans une logique de professionnalisation, qu'elles bénéficient de subventions publiques pour accomplir certaines tâches, qu'elles sont évaluées pour savoir si ces tâches ont été bien remplies, elles sont dans une logique étatique. Elles deviennent ni plus ni moins des relais de l'appareil d'État. Elles sont une partie de l'État.

La différence de fond, toutefois, avec les exécutants traditionnels, est d'ordre économique. En échange d'une apparente autonomie, ces associations permettent à l'État de bénéficier d'une main d'œuvre facilement interchangeable, aisément reconductible..., et peu coûteuse, voire, bénévole ! En somme, la logique qui prévaut dans l'annexion du tissu associatif par l'État, est la limitation des dépenses pour accomplir certains services. Condition nécessaire, du fait que l'endettement public augmente et donc qu'une partie de plus en plus importante des ressources du contribuable est allouée à son remboursement. Mais, je répète, je ne vois derrière cela aucune intentionnalité de l'État. En fait, le tissu associatif est demandeur d'un tel contrôle, qui lui assure, appelons les choses par leur nom, une « protection » et la garantie d'une certaine pérennité.


B. La politique de répression routière

En matière de cyclisme, l'alignement de certaines structures associatives, comme l'ADAV pour ce qui nous concerne, avec les objectifs de l'État, ou inversement, l'alignement de l'État qui est fait sous la pression de ses associations9, est significatif. Il n'y a en effet aucune différence de fond entre les orientations de ces associations et les orientations des pouvoirs publics. Considérons en effet la légitimation de la politique de répression routière. Elle s'appuie sur quatre éléments essentiels.


1. Mettre en avant, de manière quasi-exclusive, les dangers liés à la pratique du vélo dans un environnement où circulent des quatre roues motorisés. Or, je répète, ce n'est qu'une composante parmi d'autres de la pratique du cyclisme. Pour rappel, le nombre de victimes cyclistes tuées sur la route en 2003 est de 190. À titre de comparaison, les accidents domestiques provoquent 12000 décès par an en France. Devrait-on alors verbaliser les comportements à risque des piétons dans la rue ou au domicile ? Quoi qu'il en soit, il y a clairement une médiatisation et une mise en relief à outrance de ce type de problèmes, aussi bien chez les associations de défense du « droit » au vélo que chez les pouvoirs publics.

2. Après avoir délimité un certain nombre de pratiques dites « dangereuses » pour les cyclistes, généralement contre leur avis, et sans qu'il n'y ait aucune étude venant le corroborer, insister sur le fait que ceux-ci sont irresponsables et ignorent les dangers qu'ils encourent en ayant ces pratiques – ce qui laisse aux associations une fonction de prévention pouvant faire l'objet de subventions. Dans le fond, on voit bien que cette déresponsabilisation est une condition nécessaire pour que les « experts », les décideurs, soient les seuls à même de déterminer ce qui est dangereux pour les cyclistes. Car, dans la pratique, les cyclistes ne sont-ils pas les mieux placés pour connaître les dangers ?

3. Mettre en relief la bienveillance des pouvoirs publics à l'égard des personnes protégées. Tant dans le discours de prévention, tenu par les associations, que dans celui de la répression routière, il y a toujours cette idée de bienveillance. Ce qui paraît tout de même surprenant, car n'oublions pas que les principales victimes, dans l'affaire, sont les cyclistes, et que ce sont donc les automobilistes, ou les conducteurs de camion, qui devraient être pénalisés10 ! Le problème est surtout qu'à ce stade, deux voies s'ouvrent pour les régulateur public. 1. punir ceux qui représentent un danger pour autrui (les voitures), 2. punir ceux qui se mettent un danger (les cyclistes). Et, en fonction de la voie suivie, le discours produit par l'appareil répressif (législatif, judiciaire et exécutif) n'est pas le même. S'il faut punir ceux qui font du tort à autrui, on insiste sur le danger qu'ils font peser par leur conduite sur autrui, et oui ou non, sur leur responsabilité. S'il faut punir ceux qui se font du tort, on insiste sur la bienveillance du bourreau (celui qui punit) et sur l'irresponsabilité de la victime.

Le tableau ci-dessous résume les différentes configurations. Dans les sociétés occidentales, au moins dans la pratique, seuls les cas 1, 3 et 4 sont traités par l'institution judiciaire. Les autres sont examinés en référence à ceux-ci (en partie à cause des problèmes liés au dédommagement). Dès lors, les cyclistes ne pouvant être jugés responsables, une fois qu'un ensemble de pratiques dangereuses a été délimité, il faut se positionner dans le cas 1.


La personne représente →

La personne est jugée

Danger pour soi

Danger pour l'autre

Danger pour les deux

Irresponsable

Cas 1. Bienveillance > prévention / punition de la personne.

Cas 3. Soit la personne ne peut être responsable. Punition, traitement bienveillants ». Ex : psychiatrie. Prévention spécialisée. Soit transfert vers le cas 4.

Cas 5. Situation qu'on tente de ramener aux cas 3 ou 4. On cherche à déterminer un responsable.

Responsable

Cas 2. Non reconnu. Est traité sur le mode du cas 1.

Cas 4. Malveillance > prévention / punition.

Cas 6. Ramené aux cas 1 ou 4. Les deux personnes sont punies, ou une seule.


Mais ce qu'il faut bien voir, c'est que les effets pervers d'une politique interventionniste, qu'elles relèvent du cas 1 ou 4, sont tout aussi néfastes.

En effet, prenons le cas 1. Comme je l'ai expliqué plus haut, au fur et à mesure qu'on cherche à protéger les usagers vulnérables (cyclistes, piétons) des usagers dangereux, par bienveillance, on crée une ghettoïsation de la route. Progressivement, les cyclistes et les piétons sont écartés des routes, et par conséquent, les conducteurs deviennent de plus en plus inattentifs et roulent de plus en plus vite. Le cercle vicieux est enclenché. Plus la route devient facile d'accès pour les voitures, plus elle devient rapide et efficace, plus il est intéressant de prendre sa voiture, et dangereux de rouler à vélo. Conséquence : il y a de plus en plus de voitures et de moins en moins de piétons et de vélos. D'où un danger de plus en plus grand pour les usagers vulnérables. Etc.

Prenons maintenant les cas 3 à 6, ramenés au cas 4. Pour les résoudre, la solution est répressive : feux-rouge, cédez-le-passage, avec contrôle, etc. Conséquence, les routes principales deviennent des boulevards à voiture, où les voitures roulent de plus en plus vite, et où il devient de plus en plus risqué de s'engager. Il faut alors rajouter des feux, ou limiter l'accès à ces routes.


4. Car la politique de répression routière s'appuie alors sur un quatrième élément : punir et prévenir les comportements irresponsables. C'est naturellement la partie qui va intéresser les pouvoirs publics et les associations. Le reste n'est que de l'argutie idéologique destinée en dernier ressort à appuyer leurs actions..., et leurs emplois ! En effet, en jouant ainsi sur le discours de la sécurité, tant les associations que les pouvoirs publics, si l'on doit distinguer les deux, trouvent leur compte. Pour les associations, c'est une voie royale pour légitimer leur action en jouant sur le registre de la prévention. Elles trouvent de cette manière des interlocuteurs favorables dans les pouvoirs publics – qui irait contester qu'il faut diminuer le nombre de victimes ?! Pour les pouvoirs publics, c'est intéressant à double titre : a. construire des aménagements pour les deux-roues non-motorisés, d'où de nombreux marchés à la clé, et la justification de leur fonction, b. légitimer une politique de répression routière, qui, encore une fois nécessite un dispositif opérationnel et technique conséquent, avec de nombreux emplois à la clé, et donc, de nombreuses personnes prêtes à défendre leurs emplois !

     

Et c'est ainsi qu'on peut appliquer, avec la collaboration des associations censées défendre la société civile, une « politique répressive bienveillante » en toute bonne conscience. Une politique liberticide puisqu'elle supprime une des rares libertés qu'il nous reste de nous déplacer à notre guise. Une politique inefficace, voire contraire à l'objectif apparemment recherché, puisqu'en rendant la circulation à vélo potentiellement coûteuse (le prix d'une contravention est souvent de 90 €), elle n'en devient que moins attrayante. Tout cela en insistant sur le danger permanent qui pèse sur les pauvres cyclistes et sur leur irresponsabilité chronique et infantile.

Conclusion

On ne peut tirer hélas qu'une seule conclusion des arguments que je viens d'avancer ici, c'est que la politique d'aménagement en faveur des pistes cyclables, ne vise pas à protéger les cyclistes, mais principalement, pour ne pas dire exclusivement, à servir des intérêts économiques puissants. Par exemple, à libérer les routes pour faciliter et fluidifier la circulation automobile de plus en plus encombrée. Ou encore, à légitimer le marché juteux pour les entreprises de travaux publics de l'aménagement des pistes cyclables.

Cette prévalence des intérêts économiques des puissants, paraît d'autant plus critiquable qu'il existe des solutions économique, éthique et environnementale efficaces. En particulier, celles fondées sur la notion d'espace partagé, ou celles qui s'inspirent des règles de circulation en mer, ou encore des coutumes de courtoisie et de respect à l'égard des usagers vulnérables11. On pourrait, sur la base de ces expériences, déterminer un ensemble de principes efficients – au moins pour les espaces urbains :

  • Ne conserver que la règle de priorité à droite pour les croisements entre véhicules de même niveau de priorité, ce qui permet une distribution réticulaire du pouvoir de contrôle et d'application de la règle.

  • Différents niveaux de priorité, en fonction de la vulnérabilité de la personne : piétons > vélos > voitures > camions ; ou du lieu de résidence : résident > non-résident.

  • Une personne conduisant un véhicule faiblement prioritaire contourne, laisse la place ou laisse passer un véhicule plus fortement prioritaire qu'elle.

  • Prévention fondée non sur la répression, mais sur l'apprentissage du respect mutuel et du respect des usagers vulnérables sur la route.

Évidemment, ces quelques pistes devraient être creusées. Mais il me semble qu'elles constituent davantage une alternative au problème de la circulation routière, que ces pseudo-solutions que sont les bandes ou pistes cyclables. Et, en attendant que les pouvoirs publics se décident à abandonner leur politique de répression routière incohérente, coûteuse et inefficace, la seule réponse possible du citoyen est la désobéissance civile, dans la mesure où les associations de Droit au Vélo qui sont lourdement subventionnées, collaborent avec cette politique et ne prennent plus la défense des cyclistes.

Car, comme vu plus haut, si la vulnérabilité d'un cycliste équivaut, face aux voitures, à celle d'un piéton, vouloir parquer les cyclistes dans des ghettos, vouloir les empêcher de prendre des sens interdits, revient à cautionner une politique qui fait la part belle aux forts, aux puissants : j'entends par là les travailleurs à voiture12, qui, sans réfléchir, et soi-disant par obligation, vont saccager la planète et piller les ressources économiques, en travaillant dans leurs usines ou leurs bureaux. Mettre l'accent sur la responsabilité des cyclistes, jouer sur les peurs en baratinant des propos qui n'ont souvent aucun lien avec les faits, c'est inverser les rôles. C'est transformer la victime en bourreau, et décharger toute responsabilité au bourreau, lui laisser libre cours à sa puissance destructrice. Et il n'y a pas à employer d'autres mots, étant donné les dégâts économiques, sociaux et environnementaux intrinsèques à la civilisation automobile. Finalement c'est donner du pouvoir et de la légitimité aux forts (automobilistes) tout en culpabilisant les faibles (cyclistes) et en justifiant la politique qui les opprime, sous l'œil bienveillant des associations qui collaborent. Prétendre défendre les droits des cyclistes, en les incitant à être prudents, c'est donc se tromper de cible, et se fourvoyer en terme d'action politique.

Il faut en effet au contraire clairement pratiquer la désobéissance civile pour ce qui est du vélo. C'est à dire, continuer à rouler comme on l'a toujours fait, en toute sécurité, et refuser ce contrôle et cette idéologie sécuritaire qui nous sont imposés, alors que l'auto-contrôle relève de notre propre responsabilité individuelle ; et surtout, refuser catégoriquement l'idée que ce contrôle sécuritaire pourrait être légitime, car, du moins selon ceux qui l'exercent, soi-disant « bienveillant ».


Benjamin Grassineau


Notes

1 Au moins entre les associations de soi-disant « défense du Droit » au vélo, dont il va être souvent question dans ce texte, et les pouvoirs publics. Voir, à titre d'exemple, le rapport accablant de l'ADAV, Janvier 2005 : 79 propositions pour un réseau cyclable cohérent et attractif à Lille. Décembre 2007, où en est-on ?. Voir aussi le site de la FUB.

2 À titre d'exemple, dans l'un de ses rapports (Formation des correspondants locaux de l'ADAV), l'ADAV affirme, sans qu'on sache trop sur quelle base ils se fondent : « L'insécurité routière est le premier obstacle à l'usage du vélo en ville ». Ce qui est assez curieux, c'est qu'ils rattachent ce « fait » à deux exemples qui tendent plutôt à prouver l'inverse. Selon eux, « L'exemple des villes d'Italie du Nord (…) est révélateur. La création dans les années 80 de ZTL (zones à trafic limité) (...), sans véritables réalisations d'aménagements cyclables amena un essor considérable de l'usage du vélo : jusqu'à 30 % des déplacements à Ferrare. A contrario, Canberra (Australie), avec ses 350 000 habitants, 800 km de pistes cyclables et 300 km de trottoirs partagés totalement séparés de la circulation automobile (Investissement de plus de 100 millions d’euros) voit une stagnation de la pratique du vélo : 6-7 % des déplacements. » On peut en tirer deux conclusions. 1. Si on suppose que les aménagements cyclables améliorent la sécurité, alors, ce n'est pas la sécurité qui entre en jeu. En effet, à Camberra, la sécurité doit être excellente. Pourtant la pratique du vélo stagne par rapport aux villes d'Italie du nord. Ce que l'on peut penser, à cet endroit, c'est que les habitants des villes d'Italie du Nord, n'ayant pas le choix, substituent le vélo à la voiture. Donc, la sécurité n'est pas un facteur explicatif. 2. Si on suppose, malgré tout, qu'elle l'est, alors les aménagements ne sécurisent pas les usagers ; car malgré ceux réalisés à Camberra, ils boudent le vélo. Bref, passons sur le problème logique, cela prouve soit que la sécurité n'est pas importante, soit que les aménagements n'améliorent pas la sécurité – techniquement, cela n'induit pas les deux propositions simultanément.

3 Techniquement, cela signifie que l'indice de circulation automobile a augmenté (ce qui est vérifié), tandis que l'indice de circulation en vélo a diminué (ce qui est probable).

4 Ce qui tendrait à être statistiquement prouvé. En effet, dans les villes où il y a plus de vélos en circulation, il y a, proportionnellement moins d'accidents de vélo. Voir l'article Accidents à vélo : la pratique augmente, ils diminuent !. Source: http://www.leparisien.fr/paris-75/plus-de-velos-moins-d-accidents-26-08-2009-616447.php. Néanmoins, pour être honnête, il faudrait être certain que d'autres paramètres n'interviennent pas. Par exemple, les effets de la politique urbaine d'aménagement ou de prévention des villes en question...

5 Si les bandes cyclables n'améliorent pas réellement la sécurité des cyclistes, quel peut bien être leur intérêt, à part gonfler artificiellement les chiffres sur la longueur des pistes, avec subventions et argument électoral à la clé... !? Ou alors, leur accroissement ne relève-il pas en définitive de la même logique économique que celle qui préside à l'augmentation des rond-points, dont l'utilité est toute relative... ? Autrement dit, faut-il voir dans l'aménagement cyclable un coût économique, ou au contraire, un marché juteux ? Tout dépend de quel côté on se place...

6 L'idée peut aussi être la suivante : 1. un automobiliste est un travailleur ou un consommateur potentiel, il faut qu'il ait une route facile d'accès et sécurisé, 2. pour les assureurs, c'est une aubaine, le conducteur n'est plus responsabilisé, c'est le cycliste qui l'est (il roulait hors piste cyclable, par exemple). En tous les cas, sous couvert de favoriser les intérêts des cyclistes, on favorise en réalité ceux des automobilistes.

7 De plus, les rares données prouvent que l'aménagement cyclable n'est pas nécessairement incitatif, comme vu dans une note plus haut.

8 Le rapport doit toutefois être mis en perspective avec l'équipement automobile qui est plus faible à Mayotte. Mais ce point est contrebalancé par la forte densité de population mahoraise et la faible longueur des voies de circulation routière.

9Je conseille à ce sujet, de lire le rapport de l'ADAV, qui est assez édifiant : Formation des correspondants locaux de l’ADAV. Les missions du correspondant local comprennent ainsi : « Démarcher les élus, participer avec les chargés de mission aux réunions de concertations, suggérer des propositions d'aménagements qui seront ensuite validés avec les chargés de mission avant demande officielle, arpenter le terrain pour mieux appréhender les enjeux des projets qui lui sont soumis, (…), participer aux réunions publiques pour asseoir la présence de l'ADAV, proposer des actions de promotion et de sensibilisation à l'usage du vélo : (…) manifestation festive ou revendicative (respect des aménagements cyclables, dépassements frôlant...), séance de marquage contre le vol, sensibilisation aux angles morts des camions, action auprès des scolaires... »

10 D'autant plus qu'ils sont généralement responsables des accidents. Selon un rapport de la préfecture de police de Paris, « les cyclistes ne seraient responsables que de 30 % à 40 % des accidents dans lesquels ils sont impliqués ». Source: http://www.leparisien.fr/paris-75/plus-de-velos-moins-d-accidents-26-08-2009-616447.php.

11 Probablement plus répandues dans le sud de l'Europe.

12 Car si 40% de la population française pratique le vélo (17 millions de personnes régulièrement), 15 millions le font pour un usage de loisirs ou touristique. Source: www.cete-sud-ouest.equipement.gouv.fr/IMG/pdf/Annexe7_VVV_cle664bad.pdf

Ecrit par Benjamin grassineau, à 21:10 dans la rubrique "Ecologie".



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