Lu sur Sciences humaines : "La richesse offre la possibilité de libérer son
temps et son esprit de toute une série de problèmes matériels qui
empoisonnent la vie de la plupart des gens. Mais la richesse, ce n’est
pas qu’un niveau de revenu, c’est aussi une façon d’être, une assurance,
une aisance, une façon de parler, de se tenir en société, qui marque
l’incorporation physique des privilèges.
Au début de La Raison du plus faible,
un film de Lucas Belvaux, la motocyclette de Carole, une jeune
ouvrière, tombe en panne : elle s’avère irréparable. La remplacer est
financièrement impossible. Prendre le bus pour aller au travail, c’est
une heure de transport en plus. Dans une situation de crise sociale, cet
incident banal conduit au drame en enclenchant un engrenage funeste.
L’argent ne règle pas tous les problèmes, mais il aurait pu, ici, éviter
qu’un désagrément de la vie quotidienne ne tourne à la tragédie.
Pourtant
la vulgate du sens commun affirme que l’argent ne fait pas le bonheur.
Faisant de nécessité vertu, on préfère croire que la richesse n’apporte
pas la félicité et que, bien au contraire, elle est source de
contraintes : un certain dépouillement serait nécessaire à une existence
libre, et heureuse. Le financier de la fable de Jean de La Fontaine
était soucieux au point d’en perdre le sommeil alors que le pauvre
savetier
« chantait du matin au soir ». Ce lieu commun est
aujourd’hui repris dans une certaine presse qui s’attarde volontiers sur
les malheurs qui affligent les familles régnantes, les vedettes du
show-biz
ou les étoiles du football. Toutes personnes nanties et néanmoins
frappées par le destin. Certes les mêmes médias illustrent aussi leurs
articles de photographies de villas tropéziennes, de yachts
interminables et de véhicules rutilants. Mais les séparations, les
maladies, les accidents de la vie viennent remettre à sa place cette
opulence : secondaire et finalement insatisfaisante.
Notre longue et
attentive fréquentation de la haute société nous incline à penser tout
autrement. L’argent donne du pouvoir, non seulement dans les rapports
sociaux, mais aussi sur deux biens rares et précieux, l’espace et le
temps. La richesse permet certes d’acheter des objets de luxe coûteux.
Mais ce n’est là que la partie émergée des inégalités immenses qu’elle
génère : elle est à l’origine d’existences hors du commun parce qu’elles
échappent au sort commun.
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