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Marcela Iacub : “Jamais le sexe n’a été autant réprimé, dans un espace aussi érotisé”
Lu sur Télérama : "L'Etat se mêle-t-il trop de notre vie sexuelle ? Dans son dernier livre, “Par le trou de la serrure”, cette juriste à la plume alerte, volontiers provocatrice, livre une stimulante histoire de la pudeur depuis le XIXe siècle. Mais surtout, elle dénonce l'interventionnisme grandissant de l'Etat dans la sphère privée. Aurait-on raté la révolution des mœurs ? Vit-on un nouvel ordre sexuel ? Nous avons posé quelques questions à Marcela Iacub, invitée à un tchat ici même à partir de midi.

Barbant, le droit ? Pas sous la plume alerte et pleine d'humour de Marcela Iacub. C'est que cette juriste, chercheuse au CNRS, en a fait son outil principal pour mieux décortiquer nos moeurs et notre société. Libertaire et volontiers provocatrice, elle a souvent choqué par ses prises de position, qu'elle dénonce le pouvoir des mères et la « loi du ventre », qu'elle défende la pornographie ou encore s'élève contre l'immixtion croissante de l'Etat dans la sexualité individuelle. Dans le droit fil de Michel Foucault, Iacub défend l'idée d'une liberté sexuelle fondée sur le consentement des individus, où l'Etat n'interviendrait pas : une liberté sexuelle aussi libre que celle du commerce. Dans son dernier livre,­ Par le trou de la serrure (1), elle revient sur ses thèmes de prédilection, nous plongeant cette fois dans l'histoire de la pudeur publique, du XIXe siècle à nos jours. Et nous raconte comment les juges ont peu à peu substitué la notion de sexe à celle de pudeur, transformant nos espaces, nos vêtements, notre culture... Un ouvrage réjouissant où l'on retrouve la « marque de fabrique » de Marcela Iacub : un vrai talent pour traiter du droit comme d'une matière vivante, infiniment humaine. Et une capacité à bousculer les idées reçues et à nous prendre à rebrousse-poil.
 
Pourquoi vous êtes-vous intéressée à la « civilisation de la pudeur » de nos anciens ?
J'essaie de poser un regard moins idéologique et plus curieux sur notre histoire, en particulier l'histoire des moeurs. Dans ce domaine, les spécialistes sont tellement soucieux de glorifier notre « modernité » et de dénoncer un passé forcément honni qu'ils ne prennent pas le temps de réfléchir au fonctionnement des ­institutions révolues. La plupart ont oublié que la France a été un pays d'avant-garde en matière sexuelle jusqu'au XXe siècle ! Après la révolution de 1789, le droit pénal s'est séparé de la religion et la France est alors le seul pays occidental à abolir les crimes liés à l'hérésie, comme la zoophilie, la sodomie ou l'inceste (2). En 1860, les Anglais pendent encore les sodomites et les homosexuels, les Autrichiens punissent l'inceste entre adultes et les Suisses interdisent le concubinage...

Cela dit, la société est alors dominée par le père, qui a toute autorité sur la famille... Ce n'est pas vraiment un modèle d'avant-garde en matière de moeurs !
Effectivement, la société post-révolutionnaire s'est construite sur l'idée que le père était tout-puissant et disposait de pouvoirs politiques ­délégués par l'Etat, avec tous les ­risques d'autoritarisme que présentait cette situation. Je ne fais pas l'apologie de cet ordre-là ! Mais je constate que l'Etat n'intervenait pas dans l'espace privé quand il n'y avait pas de violence. L'article 330 du Code pénal de 1810, qui définissait l'« outrage public à la pudeur », avait bâti un « mur de la pudeur » départageant les mondes privé et public. Vous étiez libre de faire ce que vous vouliez dans le premier. Dans le second, l'Etat réprimait toute expression de la sexualité : il fallait alors accorder une attention au moindre de ses gestes, et vous méfier des fenêtres, des braguettes ou des portes mal fermées... Cette séparation totalement étanche et qui nous semble aujourd'hui impensable était une solution de compromis. Et une forme de libéralisme puritain ! Un peu comme si l'Etat disait : « Je ne me mêle pas de votre vie érotique mais surtout ne me la montrez pas ! Le sexe est répugnant et source de troubles, alors ne me demandez pas de le reconnaître dans l'espace public. » A la différence des autres infractions contre les moeurs, l'article 330 ne cherchait pas à s'immiscer dans les rapports entre les individus ni à juger les comportements sexuels. Il se contentait de les qualifier spatialement, selon l'endroit où ils avaient lieu. L'Etat napoléonien y a d'ailleurs trouvé l'occasion de rompre avec les pratiques envahissantes et violentes des siècles précédents.

Sauf que le monde privé était une zone de non-droit ?
Tout était possible, sauf la violence. Mais il fallait la prouver, ce qui était bien plus difficile qu'aujourd'hui en raison d'un système de preuves exigeant. D'ailleurs toute la rationalité juridique s'articulait autour de la défense de la famille : il ne pouvait pas y avoir de viol entre époux. Les rapports sexuels brutaux entre époux pouvaient à la rigueur être qualifiés d'«attentats à la pudeur avec violence », quand il ne s'agissait pas de coït classique...
Cela dit, nous ne sommes pas pour autant passés d'un monde dans lequel­ on était accablés par des contraintes injustes à un régime de liberté ­sexuelle et procréative. Le mariage, qui ­organisait la vie privée de façon ­rigide et terrifiante, a été remplacé par un autre concept tout aussi arbi­traire : le sexe. La terreur est toujours ­présente, mais elle s'applique de façon­ différente et porte sur d'autres aspects que par le passé.

Terreur, vous y allez fort !
Nous sommes convaincus que notre modernité a atteint une sorte d'optimum et, du coup, nous oublions qu'elle a aussi contribué à miner l'autorité des instances intermédiaires : les Eglises, l'école et la famille, une instance autonome qui avait la capacité de gouverner les individus et de créer des règles morales. C'était un ordre conservateur et autoritaire, mais il présentait un avantage : éviter aux individus d'être directement confrontés à l'Etat.
Or, en supprimant ces instances intermédiaires, l'Etat est devenu omniprésent dans notre vie privée. Et il nous a imposé SA vision de la sexualité : une activité dangereuse, capable de nous traumatiser à vie et de ruiner notre existence.

En même temps, jamais on n'a ­aussi librement et autant parlé de sexe : celui-ci a envahi l'espace ­public, les médias...
La sexualité a fait irruption dans l'espace public en même temps que la montée du contrôle des pulsions sexuelles par l'Etat. Car celui-ci cherche désormais à les maîtriser, à faire en sorte que les individus ne se transforment pas en pervers dans un espace où ils sont sans cesse ­tentés... Comme si on mettait le pécheur à l'épreuve en permanence ! Et c'est en cela que le sexe a permis à l'Etat de légitimer une répression pénale de plus en plus forte et l'inflation carcérale que nous connaissons depuis les années 80. Voilà bien le paradoxe de notre modernité : ­jamais le sexe n'a été autant pénalement réprimé, dans un espace aussi érotisé. La France détient le record du nombre de détenus pour crime sexuel parmi les pays du Conseil de l'Europe. L'Allemagne en compte deux fois moins, l'Italie, six fois moins et le Danemark, cent dix-huit fois moins.

Y aurait-il plus de pervers en France ?
Sans doute pas. C'est surtout le ­signe de la démagogie pénale actuelle. Nous avons inversé le modèle du XIXe siècle. Jadis l'Etat ne s'occupait pas de nos pulsions. Il se contentait d'élever des digues entre les deux mondes, public et privé. Les limites étaient posées à l'extérieur des individus. Aujourd'hui, on ­interroge de l'intérieur nos désirs et nos mobiles. Jadis, on traquait les « débauchés », ceux dont les moeurs sexuelles contrevenaient à la morale, mais pas les malades qui souffraient de pathologies comme l'exhibitionnisme. Aujourd'hui, c'est le contraire : on tolère les ­« débauchés », dans les boîtes échangistes par exemple. Et on punit les ­malades : être exhibitionniste est ainsi devenu une forme de pollution de l'espace public, mais aussi un signe de dangerosité sociale. L'expertise, qui leur avait permis dans le passé de bénéficier de circonstances atténuantes, voire d'être tenus pour irresponsables, s'est mise à jouer dans le sens contraire. Plus l'exhibitionniste est malade, plus il fait l'objet de punitions et de mesures de sûreté. Car toute personne dont les symptômes se manifestent par une déviance sexuelle est perçue comme hautement dangereuse, à terme.
La façon dont on traite l'exhibitionnisme est révélatrice de l'esprit démagogique qui inspire les réformes votées en France depuis une quinzaine d'années. On suit la croyance populaire, largement véhiculée par les médias, selon laquelle les criminels et délinquants sexuels ne peuvent que récidiver et commettre des crimes toujours plus atroces. La fasci­nation pour le viol et le meurtre des enfants infléchit l'ensemble des infrac­tions sexuelles, fait de tout agresseur sexuel un tueur potentiel.

Si on vous suit, on se dit que la révolution sexuelle n'a vraiment pas eu lieu en 1968...
Mai 68 a été le chant du cygne d'un monde voué à disparaître : le monde organisé autour du mariage. Toute la société était d'accord pour changer de modèle, depuis longtemps déjà. Le mariage, comme forme d'organisation de la vie sexuelle et reproductive, était entré en crise depuis 1900. Souvenez-vous que les enfants illégitimes ont obtenu des droits à héritage plus importants dès la fin du XIXe siècle, que la recherche en paternité a été autorisée en 1912. Autant d'étapes qui se sont inscrites dans un processus de remise en question croissante du mariage. Je suis donc convaincue que cette institution allait s'effondrer, que la libération des moeurs allait avoir lieu, avec ou sans Mai 68. C'est ce qui s'est passé dans tous les pays occidentaux. Même les Allemands de l'Est, plongés en pleine ère soviétique, ont choisi d'autoriser l'avortement...
Mais, après coup, les gens ont tendance à attribuer aux périodes révolutionnaires la fin de règles que les institutions elles-mêmes ne peuvent plus supporter et qui doivent être changées. Cela n'empêche que Mai 68 ait été une véritable époque révolutionnaire qui a laissé un large espace pour produire un monde nouveau. C'est pour cela que cette période a été aussi joyeuse, audacieuse et insolente. Mais la société a fait par la suite les choix les moins émancipateurs parmi les possibilités qui s'offraient à elle, aussi bien dans le domaine de la famille que dans celui de la sexualité. L'Etat n'a pas laissé à la société civile la liberté de construire sa relation au sexe, d'avoir des cultures sexuelles différentes, tout en respectant bien sûr un certain nombre de limites. Il aurait fallu instaurer deux paramètres minimaux : punir les violences et empêcher qu'on abuse des enfants. Mais, pour le reste, libre à nous de développer notre idée du sexe !

Et dans le domaine de la famille, que faites-vous des grandes réformes des années 70 : l'autorité parentale conjointe, l'égalité entre enfants légitimes et naturels, le divorce par consentement mutuel, l'avortement, etc. ?
Notre nouvel ordre sexuel et familial n'a pas été réorganisé autour de l'idée de consentement. La filiation a été pensée autour de la mère et de son ventre fertile, qui décide de ­faire naître ou pas, quelle que soit la volonté du père. Sur le plan de la vie privée, je crois hélas que nous avons raté la révolution des moeurs. Ce qui explique, par exemple, que les femmes soient toujours moins bien placées que les hommes sur le marché du travail, car on leur a donné beaucoup de pouvoirs privés et, en con­séquence, beaucoup d'impuissance publique. Et puis, nous avions peut-être d'autres solutions que d'aller au poste de police ou chez le juge pour régler tous nos conflits privés ! Après tout, la modernité n'est pas une, on peut toujours débattre des formes qu'elle peut prendre. Regardons autour de nous ! Certains pays ont réglé les choses différemment : on y accepte les mères porteuses, on y a légalisé la prostitution...
A l'époque de la discussion sur le pacs, certains avaient proposé de créer des liens de solidarité entre plusieurs individus, et pas uniquement au sein du couple, qu'il soit hétérosexuel ou homosexuel. Le pacs aurait pu permettre, par exemple, d'associer des personnes au moyen de liens juridiques alternatifs qui ne soient pas forcément fondés sur la famille. Voilà une proposition sociale intéressante, qui aurait permis d'inventer des formes de vie à plusieurs. Mais nous sommes loin d'une telle réflexion : le gouvernement Fillon a récemment augmenté les avantages pour les héritages, mais toujours dans le cadre familial. ??'aurait été intéressant de l'amplifier, de pouvoir en faire bénéficier des amis, pour favoriser la création de liens avec d'autres gens. Nos sociétés démocratiques auraient intérêt à inventer de nouvelles formes d'association entre individus, comme les socialistes avaient pu en rêver à la fin du XIXe siècle.

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Propos recueillis par Weronika Zarachowicz

Télérama n° 3045

(1) Ed. Fayard, 354 pages, 20 EUR.

(2) Les abus sur les mineurs étaient réprimés avec circonstances aggravantes quand il y avait un rapport d'autorité, et non pas en raison de liens familiaux.

photo (licence creative Commons) http://flickr.com/photos/gaelturpo/


Ecrit par libertad, à 10:21 dans la rubrique "Le privé est politique".



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