1906. La Congrès de la « charte » d'Amiens
EN OCTOBRE 2006, cent ans se seront écoulés depuis le IXe Congrès de la CGT, connu pour être le Congrès de la « charte » d'Amiens. Ouvert le 8 octobre 1906, il se conclut le 13, après une semaine marquée principalement par la discussion d'une motion présentée par le guesdiste Victor Renard, au nom de la Fédération du textile, visant à l'établissement de relations permanentes entre la CGT et le Parti socialiste.
Quoiqu'on ait souvent réduit le congrès à la discussion autour de la motion du Textile, bien d'autres questions occupèrent l'attention des .délégués présents, dont celle des relations entre la CGT et le Secrétariat international des syndicats ou du bilan de la campagne pour les huit heures et des suites à donner au mouvement, qui n'avait pas entièrement répondu aux désirs de ses promoteurs. On procéda aussi à l'examen de la législation ouvrière et, enfin, après l'adoption de la résolution présentée par Griffuelhes, le congrès eut à débattre' de l'antimilitarisme, comme dans toutes les assises ouvrières d'avant 1914.
La motion GriffuelhesTous ces thèmes firent l'objet, de discussions, plus ou moins passionnées, entre les divers courants de la CGT, mais aucun d'entre eux ne souleva autant d'intérêt que la proposition des guesdistes du Nord, à tel point que, quelque 40 délégués s'étant portés candidats pour intervenir sur le sujet, les organisateurs du congrès optèrent pour classer les interventions selon les trois tendances qui leur semblaient résumer les positions en présence et pour ne donner la parole qu'à trois représentants de chacun de ces courants: le syndicalo-politique, le syndicaliste réformiste et le syndicalisme révolutionnaire.
Bien que certains délégués aient demandé qu'on ne prit pas en considération la motion du Textile, le choix fut fait d'aborder d'abord une question dont on souhaitait qu'elle fut réglée une fois pour toutes, d'autant que fer trée récente à la CGT d'une fédération acquis à la fraction guesdiste et l'unification socialiste de 1905 rendaient indispensable une clarification de la situation de la CGT à l'égard socialisme politique. Mais, comme les Ion débats préliminaires au congrès le laissai augurer, le refus d'établir des relations permanentes entre la CGT et la SFIO allait permettre par contrecoup à certains délégués, sous l'impulsion des réformistes ou des « syndicalistes purs », de mettre en cause une fois de plus politique du Comité confédéral, accusé d'avoir transformé la CGT en une sorte de « parti ouvrier anarchiste ». D'où la nécessité ressentie par les rédacteurs de la résolution finale de répondre à l'offensive guesdiste mais aussi aux objections des « syndicalistes purs » - et réformistes - en rappelant la neutralité politique de la confédération ouvrière et, son indépendance à l'égard des partis et des sectes.
On sait, au moins depuis un entretien paru en septembre 1920 dans l'Humanité, que la motion adoptée le 13 octobre fut l'oeuvre conjointe de Griffuelhes et de Pouget. Mais si elle est due à la plume de ce duo de grande classe qui symbolise si bien les « temps héroïques » du syndicalisme, et bien qu'elle ait été réduite par la postérité au seul mot d'ordre de l'indépendance syndicale, la résolution d'Amiens récapitule et met en forme, dans toute leur « sobriété doctrinale », les lignes directrices qui ont guidé le grève-généralisme français dès la naissance, en 1892, de la fédération des Bourses du travail. Elle reconnait la valeur de la lutte de classe qui dresse les travailleurs «contre toutes les formes d'exploitation et d'oppression, tant matérielles que morales, mises en oeuvre par la classe capitaliste contre la classe ouvrière ». Elle met l'accent sur la double fonction du syndicat: à la fois réformiste et révolutionnaire, outil de résistance aujourd'hui, et base, demain, de la réorganisation sociale. Après un rappel, en préambule, de la finalité assignée à- la CGT dans un de ces articles fondateurs, à savoir « grouper, en dehors de toute école politique, tous les travailleurs conscients de la lutte à mener pour la disparition du salariat et du patronat », la motion Griffuelhes déclare que le syndicalisme vise, au moyen de la grève générale, à réaliser l'émancipation intégrale des travailleurs par l'expropriation capitaliste. Enfin, elle rappelle la neutralité du syndicalisme à l'égard de toute « conception philosophique ou politique » et, partant, des « partis et des sectes » qui poursuivent, « en dehors et à côté » du syndicat, « la transformation de la société ». Synthèse d'une doctrine élaborée au fil d'une quinzaine d'années, le document ne pouvait pas présenter de grandes nouveautés, et c'est bien inutilement qu'on en chercherait, excepté peut-être l'allusion quelque peu sibylline aux « sectes », un mot qui a intrigué les historiens. Peu courant à l'époque, il avait cependant été utilisé juste avant le Congrès d'Amiens par Émile Pouget puis par un autre libertaire, Charles Dhooghe, dans des textes conclus par la même devise: « ni partis ni sectes », à laquelle la motion d'Amiens allait donner l'écho que l'on sait.
De la motion Griffuelhes à la « charte » d'AmiensMalgré tout ce qu'on en a dit, il n'est pas sûr que les congressistes d'Amiens aient eu conscience d'avoir vécu un événement historique: rien, ni le nombre des délégués présents dans la petite ville picarde (100 de moins qu'en 1904), ni la « température » du congrès - que Pierre Monatte jugea assez peu passionné, moins en tout cas que celui de Bourges -, ni son issue plus qu'attendue, ni même le contenu de la résolution finale (un condensé de la doctrine qui domine le syndicalisme français depuis la fondation de la FBT), rien ne justifie qu'on regarde le Congrès d'Amiens comme plus important que celui de 1902, par exemple, qui vit la fusion des deux organisations grève-généralistes rivales, la FBT et la CGT.
Tout bien considéré, c'est parce qu'on y vota ladite « charte » d'Amiens qu'on regarde le congrès tenu en 1906 comme un événement exceptionnel, digne de figurer dans le livre d'or de l'histoire sociale. Or, il fallut plusieurs années pour que la motion Griffuelhes-Pouget accédât au rang de «charte » ou de « constitution morale » du mouvement syndical français et, très significativement, à un moment où la CGT traversait une crise profonde, qui a commencé au lendemain du massacre deVilleneuve-Saint-Georges à l'été 1908, et dont elle ne devait plus sortir avant 1914. À notre connaissance, le premier document souscrit par des responsables de la CGT où le terme apparaisse, date du 22 août 1912 et paraît dans la Bataille syndicaliste. Signé, entre autres, par Griffuelhes et Jouhaux, le texte s'oppose à ce que ces représentants du syndicalisme révolutionnaire perçoivent, à tort ou à raison, comme une tentative d'« enveloppement » [de récupération] de la CGT par le Parti socialiste ainsi qu'aux menées de la « secte » de la Guerre sociale, qui, depuis quelques année déjà, prétend en remontrer au syndicalisme en matière d'esprit révolutionnaire. Il n'est guère étonnant que, à une époque où le syndicalisme voit se briser l'élan qui le portait depuis près de quinze ans, on ait mis l'accent sur la seule idée d'indépendance du syndicat au détriment de tout le contenu subversif de la résolution rédigée par Griffuelhes et Pouget.
Toutefois, c'est après 1918 que le terme rencontrera son plus grand succès, en réaction contre l'émergence puis l'établissement durable du communisme lénino-stalinien au sein du mouvement ouvrier français, en 1922 d'abord puis en 1948, au moment des deux grandes scissions connues par la CGT. Mais, entre-temps, la page des « temps héroïques » du syndicalisme a été tournée, et le mouvement syndical dominant, définitivement domestiqué, n'est plus à même de lire dans la motion d'Amiens ce que la première généra
tion syndicaliste y avait mis.
Miguel Chueca
Le Monde libertaire #1426 du 16 au 22 février 2006
Colloque international 1906 / 2006
Les 100 ans de la Charte d'Amiens
Le syndicalisme révolutionnaire, la Charte d'Amiens et l'autonomie ouvrière
Samedi 4 et dimanche 5 mars 2006
Colloque
international 1906 / 2006 Les 100 ans de la Charte d'Amiens Le
syndicalisme révolutionnaire, la Charte d'Amiens et l'autonomie
ouvrière Samedi 4 et dimanche 5 mars 2006
Bourse du travail de Saint-Denis Entrée par la rue Bobby Sands M° Saint-Denis - porte de Paris
Table de presse et de livres (neufs et occasions) Buffet et boissons Organisé par les éditions CNT RP et CNT 93
Programme
programme |
Samedi 4 mars
9 h 30 : Miguel Chueca : Le Congrès d'Amiens Daniel Colson : Le
syndicalisme révolutionnaire et la pensée de Proudhon Gaetano
Manfredonia : Anarchisme et syndicalisme : quels rapports ? Anthony
Lorry : Indépendance et autonomie syndicale chez Fernand Pelloutier
11 h 30 : Débat 12 h 30 : Pause
14 h 30 : Francisco Madrid : L'enracinement du syndicalisme
révolutionnaire dans l'anarchisme espagnol João Freire : Influences de
la Charte d'Amiens et du syndicalisme révolutionnaire sur le mouvement
ouvrier au Portugal 15 h 30 : Débat 16 h : Pause
16 h 30 : Maurizio Antonioli : La Charte d'Amiens et le mouvement
ouvrier italien Eduardo Colombo : La FORA et la réception de la Charte
d'Amiens en Argentine 17 h 30 : Débat 18 h : Pause
18 h 30 : Table ronde : syndicalisme révolutionnaire et syndicalisme aujourd'hui
Dimanche 5 mars
9 h 30 : Miguel Chueca : L'idée de grève générale dans le
syndicalisme révolutionnaire français David Hamelin : Genèse et
réception de la Charte d'Amiens : regards à partir de quelques exemples
syndicaux locaux David Rappe : Les Bourses du travail, des structures
interprofessionnelles, à l'heure de la Charte d'Amiens 11 h : Débat 12
h : Pause
14 h 30 : René Berthier : L'expérience de l'Alliance syndicaliste et
la critique de la Charte d'Amiens Luc Bonet : L'actualisation du
syndicalisme révolutionnaire dans le contexte de la société salariale
démocratique 15 h 30 : Débat
Intervenants
100 ans |
ANTONIOLI, Maurizio : professeur d'Histoire contemporaine et
d'Histoire des mouvements sociaux à la Faculté des sciences politiques,
directeur du département d'Histoire de la société et des institutions
de l'université de Milan. Rédacteur de Rivista Storica dell'anarchismo.
Auteur de : Il Sindacalismo italiano dalle origine all fascismo ; Il
Sol dell'avvenire. L'anarchismo in Italia dalle origine alla prima
guerra mondiale (In collaborazione con Pier Carlo Masini) ; Lavoratori
e istituzioni sindacali. Alle origini delle rappresentanze operaie ;
Dizionario biografico degli anarchici italiani (avec G. Berti, D.
Fedele, P. Iuso).
BERTHIER, René : correcteur. Auteur de nombreux ouvrages, dont :-
Ex-Yougoslavie. Ordre mondial et fascisme local ; -Israël-Palestine.
Mondialisation et micro-nationalisme ; Octobre 1917, le Thermidor de la
révolution russe.
BONET, Luc : technicien, UL CNT de Poitiers.
CHUECA, Miguel : maître de conférences à l'université de Nanterre et
traducteur. Auteur de : - Une mystification idéologique : le Choc des
civilisations.
COLOMBO, Eduardo : médecin, psychanalyste. Ancien professeur de
psychologie sociale à l'université de Buenos Aires. Membre de la
rédaction de La Protesta (1955-1969) et actuellement de celle de la
revue anarchiste Réfractions. Militant de la CNT, ex-membre de la FORA.
Auteur, entre autres, de : Los Desconocidos y los olvidados ; L'Espace
politique de l'anarchie.
COLSON, Daniel : professeur de sociologie à l'université de
Saint-Étienne. Auteur de : Anarcho-syndicalisme et communisme.
Saint-Étienne 1920-1925 ; Petit Lexique de l'anarchisme ; Trois essais
de philosophie anarchiste. Islam, Histoire, Monadologie.
FREIRE, João : universitaire. Auteur de : Les Anarchistes du Portugal.
HAMELIN, David : doctorant. Collaborateur de la revue Dissidences.
LORRY, Anthony : historien au Cedias-Musée social.
MADRID, Francisco : historien. Biographe de Camillo Berneri. Auteur
de : La Prensa anarquista y anarcosindicalistaen España desde la
Primera Internacional hasta el final de la guerra civil.
MANFREDONIA, Gaetano : historien. Auteur, entre autres, de : La
Lutte humaine : Luigi Fabbri, le mouvement anarchiste italien et la
lutte contre le fascisme ; La Chanson anarchiste en France des origines
à 1914 ; L'Anarchisme en Europe.
RAPPE, David : enseignant en histoire. Auteur de : La Bourse du
travail de Lyon. Une structure ouvrière entre services sociaux et
révolution sociale.