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L'En Dehors


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En France comme en Serbie ...
Entendu sur AnarSonore : En novembre 1999, se tenait ici-même à Toulouse une assemblée plénière de l’Association Internationale des Travailleurs, avec parmi les délégations anarchosyndicalistes venues du monde entier des militants anarchistes des balkans, de Serbie entre autres. Nous les connaissions depuis quelques temps. La solidarité internationale déjà s’organisait activement, certains d’entre nous avaient déjà pu les rencontrer. Nous mesurions alors à leur contact combien la situation était désastreuse pour la population des Balkans.

En effet, à l’aube du XXIè siècle, la République Fédérale de Yougoslavie, telle qu’elle a été proclamée en Avril 1992, née de l’éclatement de l’ancienne République Socialiste Fédérale de Yougoslavie, ne compte plus que deux républiques : la Serbie (Kosovo compris) et le Monténégro.

Après l’effondrement du régime "communiste" hérité de Tito , au début des années 90, Milosevic a été propulsé à la tête du pouvoir par une vague puissante et populaire de nationalisme serbe. Parallèlement, dans les autres républiques de l’ex-Yougoslavie, sont apparus des leaders nationalistes. Grâce au soutien massif des pays occidentaux aux différents protagonistes, la guerre a embrasé la Yougoslavie. C’était l’époque de l’épuration ethnique et des bombardements démocratiques. De terribles sanctions économiques ont été imposées au pays (en fait à sa population). On peut dire, pour être concis, que le résultat de la guerre a été un appauvrissement massif de la population , une suppression totale des droits de l’homme "de base" (pas de liberté de parole par exemple) et un Milosevic alors toujours au pouvoir. Les bombardements n’ont pas affecté sa clique, ils ont par contre touché de plein fouet la population : les lieux de travail ont été détruits, les hôpitaux et les écoles ont été bombardés et le nationalisme, qui était en train de diminuer, a explosé pour atteindre des niveaux records.

En France, les opinions se rangeaient majoritairement en deux camps opposés sur la forme mais qui se retrouvaient sur le fond : les uns, au nom d’un anti-impérialisme mal compris (c’est-à-dire confondu avec le souverainisme d’Etat), soutenaient sans ménagement le régime sanguinaire de Milosevic, sans considération pour la répression et la domination de la population qui vivait en Serbie et ailleurs. Les autres, au nom d’un démocratisme mal compris (c’est-à-dire confondu avec le libéralisme économique), soutenaient sans ménagement les bombardements de l’OTAN, sans considération pour la population qui crevait sous les bombes. Pour nous, ces deux positions étaient identiques : elles étaient des encouragement à la boucherie fratricide, certes pour des motifs qui se voulaient différents, mais qui en fait étaient les mêmes : protéger les intérêts d’un clan du Pouvoir contre un autre ; et sa domination sur la vaste majorité qui ne demande qu’à vivre dignement.

C’est alors que des amis croates nous ont mis en contact avec un groupe de jeunes de Belgrade qui, sous les bombes de l’occident démocratique, et contre la police de la dictature nationale, essayaient de faire entendre cette autre voix, celle de la vie contre la mort. Nous avions fait la connaissance de ces amis de Croatie quelques années auparavant, pendant la guerre civile qui avait déchiré l’ex-Yougoslavie. Dans les hurlements nationalistes de l’époque, et malgré le bourrage de crâne, ils avaient maintenus des liens avec leurs amis de Slovénie, de Bosnie et de Serbie. Mobilisés dans l’armée croate, ils y avaient développé une propagande active anti-guerre et défaitiste. Certains avaient même déserté pour ne pas participer au carnage. Bien sûr, à l’époque, le gouvernement Croate les accusait déjà de terrorisme international puisqu’ils refusaient d’aller tuer leurs frères de Serbie.

C’est donc dans une région où les nationalismes sont exacerbés qu’un Groupe Libertaire de Belgrade développe une infatigable activité qui ignore les frontières. Ils devaient faire face à la répression de la dictature nationaliste menée par Milosevic. Déjà, ils eurent à connaître les geôles de la police serbe. Déjà ils étaient accusés de tous les maux, au motif qu’ils brisaient l’unité nationale et refusaient de marcher au pas. La répression ne les a pas ménagés. Mais jamais ils n’ont plié. Pendant les conflits bosniaques et croates ils allèrent jusqu’à distribuer des tracts aux frontières.

Finalement le 5 octobre 2000, c’est un soulèvement populaire qui chasse Milosevic du pouvoir. Les compagnons de Belgrade, qui entre temps avaient fondé un groupe anarchosyndicaliste, participèrent activement à ce mouvement qui fut déclenché par la confusion à l’annonce des résultats électoraux des Présidentielles quelques jours plus tôt.

Deux candidats avaient des chances de l’emporter : Milosevic et Kostunica, le candidat de l’opposition unifiée. Politiquement, un nationaliste conservateur ; économiquement, un néo-libéral. Les anarchistes serbes se retrouvaient face à un choix difficile : devaient-ils voter ou pas ? Voter était contre leurs convictions, même s’il est clair qu’ils auraient plus d’espace pour pouvoir militer sous Kostunica plutôt que sous Milosevic. Ils s’attachèrent donc surtout à pratiquer les idées-forces de l’anarchosyndicalisme, celles d’œuvrer à la construction de solidarités actives et d’appuyer les initiatives renforçant l’autonomie populaire, plutôt que d’abdiquer par avance face à la confiscation programmée de tout renversement du pouvoir en allant voter pour un autre. Il faut reconnaître ici la force morale que nos compagnons ont su garder puis propager dans un moment si crucial.

Toujours est-il que la nuit suivant les élections a été pleine de rumeurs et de nouvelles contradictoires, il devenait évident pour tout le monde que Milosevic avait perdu les élections et qu’il essayait par tous les moyens de conserver le pouvoir. Les mineurs de la principale mine de charbon se sont alors mis en grève illimitée. L’Opposition a alors avancé l’idée de propager la grève générale comme moyen de lutter contre Milosevic, idée immédiatement reprise par la majorité de la population.

Le Groupe Libertaire de Belgrade. bien qu’encore modeste, y a largement participé. Dès le début ils ont décidé de soutenir la grève générale, même si elle était plus ou moins organisée par des partis politiques, le contexte laissé largement la place à l’action autonome des travailleurs. Évidemment, en tant qu’anarchistes, nos compagnons pensent que les partis politiques ne peuvent rien apporter de bon à la population. De plus, ils leur sont opposés car ils sont tous -sans exception- sur des positions nationalistes serbes et néolibérales. Mais pour eux, chasser Milosevic du pouvoir était une opportunité palpable, et ils pensaient à juste titre que cela ne pouvait que bénéficier à l’ensemble des travailleurs. Pas tant sur les attendus de nouvelles libertés publiques octroyé par un nouveau pouvoir mais plutôt sur la force morale que leur procurerait un renversement de la dictature.

Dès le départ, toute la Serbie était paralysée. Les ouvriers dans la plupart des entreprises publiques avaient cessé le travail, les étudiants et les lycéens s’étaient joints à eux. C’est surtout dans les petites villes que le mouvement était perceptible, bien plus qu’à Belgrade ou seuls certains quartiers étaient bloqués. Ainsi, la ville ouvrière de Cacak, où il y avait un petit groupe anarchosyndicaliste très actif, était totalement aux mains des révoltés.

De plus en plus d’entreprises rejoignaient le mouvement. La Serbie était proche d’un arrêt total de son activité. Belgrade fut bloquée pendant plusieurs heures par des barricades et autres barrages faits de bus et de tramways. Dans certains quartiers, la police se mit à frapper les manifestants. Toutefois, les forces de police, qui avaient été jusque là un des plus fidèles piliers du régime, étaient aussi gagnées par le malaise. Certaines unités refusèrent de suivre l’ordre de réprimer les grévistes. Ailleurs, plus de 7 000 mineurs du charbon, en grève depuis trois jours, firent face à plus de 2 000 policiers anti-émeutes, au court de violents affrontements. La grève continua de plus belle, la population de la ville voisine étant venue apporter son soutien aux mineurs.

Les compagnons de Belgrade ont surtout été actifs dans la composante universitaire du mouvement, participant et organisant la grève à la faculté de Philosophie. Ceci leur a d’ailleurs valu des heurts avec les petits leaders en devenir d’Otpor, l’organisation étudiante de l’opposition qui cherchaient à empêcher l’expression de ceux qui (comme nos compagnons) proposaient des formes d’actions autres que les traditionnels sit-in. Ainsi nos compagnons apportèrent leur soutien et leurs conseils aux étudiants actifs et autonomes qui organisaient les manifestations et les ont mis en contact avec les syndicats indépendants, avec lesquels ils entretenaient de bonnes relations. Parallèlement, la grève se répandait comme une tâche d’huile, des Comités de Quartier s’occupant de l’organisation du blocage au niveau local.

L’Etat durcit une nouvelle fois le ton en nommant recteur de la faculté de philosophie un professeur bien connu pour ses positions fascistes, ancien conseiller personnel de Karadzic, le leader ultra-nationaliste bosno-serbe. La faculté de philosophie était alors l’épicentre de toutes les manifestations contre l’État et l’autorité. Les étudiants ont donc décidé qu’ils bloqueraient l’Université afin d’empêcher le recteur d’y pénétrer. Les compagnons ont été le fer de lance de ce mouvement. Le lendemain, les professeurs se sont réunis en Assemblée Générale et ont décidé de les soutenir.

Le quatrième jour fut fatal pour Milosevic. Dès le matin, on pouvait sentir dans l’air qu’un événement exceptionnel se préparait. Il devenait évident que les gens en avaient assez de Milosevic et de son régime. Les manifestants commencèrent à se réunir sur le square, devant la faculté de philosophie. Bientôt il devint impossible de dénombrer la foule, tant les gens étaient nombreux. Ils arrivaient de partout, de toutes les villes du pays. Plus de deux millions de personnes étaient dans les rues de Belgrade ce jour-là. En début d’après-midi, la manifestation s’ébranla. Soudain, dans l’une des grandes artères du centre ville, un bulldozer fit son apparition. Il était clair que quelque chose d’énorme allait avoir lieu. L’engin de chantier avait été apporté par les habitants de Cacak, et c’est un compagnon anarchosyndicaliste qui est aux commandes.

Arrivés devant le parlement, les gens y sont entrés par la force à l’aide de l’engin et ont commencé à y mettre le feu. La police a alors tiré des grenades lacrymogènes, mais pour la première fois, les gens ont riposté . Alors que quelques policiers commençaient à frapper avec des manches de pioche les manifestants, ceux-ci ont contre-attaqué victorieusement. On a alors vu des policiers cesser de combattre et rejoindre la foule.

Ensuite, les émeutiers se sont rendus à la Maison de la Radio-Télévision. Les employés des stations de télés ont alors pris le contrôle des programmes. Pour la première fois depuis dix ans, la télévision nationale parlait contre Milosevic, et bientôt, tout bascula complètement : la célébration de la liberté retrouvée éclata partout. C’était une véritable liesse populaire, les gens étaient dans la rue, s’embrassant les uns les autres. On pouvait voir sur les visages des sourires et des larmes de bonheur. De son côté, la commission électorale déclara que, finalement, c’était le candidat de l’opposition qui avait gagné. La révolution était d’ors et déjà confisquée. Au final, le nationaliste Vojislav Kostunica est devenu le président des restes de la république fédérale de Yougoslavie, les maîtres ont changé, une démocratie bourgeoise a été instituée, mais, pour les classes populaires, rien n’a changé, si ce n’est que leurs conditions de vie et de travail n’ont cessé de se dégrader.

A l’époque , 70% environ de l’économie est encore nationalisée, mais la période voit une accélération du processus de privatisations, privatisations qui se traduisent par des licenciements massifs. Dans les entreprises qui ont déjà été privatisées, de nombreux ouvriers, licenciés, se suicident, d’où le slogan des anarchosyndicalistes serbes : " Les privatisations, c’est le vol et le meurtre ! ". Le taux de chômage officiel n’est alors que de 10% environ, mais ce chiffre est falsifié : héritage de la dictature de Milosevic, de nombreux travailleurs n’ont pas été licenciés mais " mis en congés forcés ", avec même pas de quoi vivre. Et, conséquence de la nouvelle politique libérale, des travailleurs se sont vus proposés, en compensation à une perte d’emplois, de " monter leur entreprise ". Ils ont ainsi bénéficié d’une petite somme d’argent, somme qu’ils doivent rembourser quelques années plus tard, alors que peu sont ceux qui ont réussit à monter une affaire un tant soi peu viable. Le travail au noir et l’économie parallèle sont donc très présents dans l’économie serbe. Une simple ballade dans le marché de Belgrade suffit alors pour s’en convaincre, avec tous ces gens qui tentent de vivre en vendant tout et rien, quelques bricoles, une tablette de chocolat et quelques cacahouètes, voire des objets personnels.

Et encore, il faut avoir à l’esprit que Belgrade jouit d’une situation exceptionnelle : pour éviter un soulèvement, les travailleurs de la capitale reçoivent tous leurs salaires de façon régulière, un miracle par rapport à ce que vivent les autres travailleurs yougoslaves. Si la classe ouvrière yougoslave devait donner un nom à l’enfer, elle le nommerait certainement Bor. La ville de Bor, non loin des frontières roumaine et bulgare de la Yougoslavie, est une cité industrielle et minière. C’est une ville où l’on travaille et où l’on crève. Un restaurant et un cinéma, seules distractions offertes à la population, si ce n’est l’alcool. Une ville où le blanc n’existe pas, tout y est gris, ou noir, des fumées des usines et de la poussière du charbon. C’est d’ailleurs le taux d’enfumage des appartements qui y détermine le prix d’un loyer. Unique " garantie " contre une trop forte pollution, un salarié est chargé d’observer la fumée des usines et de prévenir si elle est " trop noire ". Bien sûr cette pollution ne fait pas que noircir le paysage, elle s’incruste aussi et surtout dans les poumons des habitants, enfants compris. Un compagnons qui y était allé a ensuite été malade pendant une semaine. La-bas, l’espérance de vie est de 48 ans. Une enfance dans la crasse des cheminées d’usine et de la poussière de charbon, une " vie " à se faire exploiter dans la mine... Le capitalisme occidental a, quant à lui, trouvé une autre utilisation au complexe industriel et minier de Bor : il y exporte ses déchets radio-actifs qui y sont stockés dans des puits de mines. Ceci, bien sûr en toute illégalité, mais qu’importe, les directeurs du complexe se remplissent les poches, plusieurs billions de dinars, des sommes inimaginable pour le commun des serbes.

Comme dans les autres pays de la péninsule des Balkans, la minorité rom constitue généralement la fraction la plus pauvre du prolétariat. A Belgrade, comme dans les autres villes du pays, les Roms sont parqués dans de véritables bidonvilles, loin du centre. Vivant de petits travaux, de récupération voire de mendicité, la politique des autorités est alors de " permettre aux Roms de vivre de leurs activités traditionnelles ", ce qui, clairement, signifie les faire vivre de la récupération des vieux papiers et autres détritus. Les discriminations racistes à l’encontre des Roms sont fréquentes, avec par exemple l’interdiction d’entrer dans de nombreux magasins. Autre exemple de discrimination : les Roms, considérés comme " alliés des serbes " par les nationalistes albanais ont du fuir le Kosovo. Or, si les Serbes réfugiés du Kosovo ont bénéficié d’une (très petite) aide de la part de l’Eglise Orthodoxe, les Roms, par contre, n’ont eu le droit à rien.

Si, partout dans le monde, les liens entre le capital et la mafia sont des plus naturels, dans la période dite de transition que traverse la Yougoslavie, transition entre le capitalisme d’Etat titiste et le capitalisme privé libéral, les mafieux et criminels qui se sont enrichis sous la dictature de Milosevic forment la base principale de la nouvelle bourgeoisie serbe. Ce n’est pas là-bas que le capitalisme se cache derrière une supposée légalité civilisée, la société bourgeoise se montre telle qu’elle est, sans le far des réglementations commerciales. Les exemples sont nombreux d’entreprises qui ont été privatisées et où un certain nombre d’actions ont été remises aux travailleurs, et, peu après, un homme d’affaire, accompagné de quelques gros bras, est venu convoquer les travailleurs nouvellement petits actionnaires : un prix, généralement très bas, est proposé, et si l’ouvrier refuse de vendre ses actions, l’argument est la batte de base-ball des gorilles. De tels agissements sont de notoriété publique, les libéraux au pouvoir théorisent d’ailleurs l’insertion des mafieux dans l’économie légale, expliquant que, dans tous les pays, c’est ainsi que ce sont constitué les Etats et bourgeoisies modernes. Au moins, on ne peut reprocher aux ultra-libéraux serbes de tenter de masquer la brutalité de l’économie capitaliste sous un vernis idéologique.

Beaucoup plus réjouissant, les couches successives de la pseudo-autogestion titiste puis de l’effondrement de l’Etat yougoslave, font qu’ici ou là, des entreprises sont réellement aux mains des travailleurs. C’est ainsi que le plus grand hôtel de Cacak est géré par les employés eux-mêmes, employés qui déterminent la politique salariale, l’utilisation des bénéfices, et élisent le gérant pour une durée d’un an. Bien entendu, cette autogestion, vivant sous la tutelle de la dictature du Parti ou de l’économie de marché, n’est pas le communisme libertaire. Mais elle n’en demeure pas moins une expérience intéressante, démontrant que les ouvriers n’ont besoin ni des patrons ni de l’Etat, pour faire fonctionner leur outil de travail et en vivre. Dans plusieurs villes et usines de province aussi, des travailleurs, en dehors de toute idéologie, parti ou syndicat, forment ici ou là des comités ouvriers et luttent, avec des méthodes souvent radicales, pour obtenir la satisfaction de leurs revendications, le plus souvent pour exiger le paiement de leurs salaires.

Une fois le régime de Milosevic déposé, alors que la plupart des anciens opposants baissaient les bras pour se ruer sur les nouvelles places de pouvoir ainsi libérés, les compagnons de Belgrade ont continué leur combat. Car ce qu’ils visent, au même titre que les autres membres de l’Association Internationale des Travailleurs qu’entre temps ils rejoindront, c’est la libération pleine et entière de l’humanité. Ils ont donc continué à dénoncer la domination et l’exploitation qui continue de sévir sous les masques des nouveaux maîtres de la Serbie. Ce qui leur a valu l’honneur de continuer à connaître la répression. Les régimes changent, la police non.

L’Initiative Anarchosyndicaliste naissante (ASI) rassemble des groupes de différentes villes du pays, comme Belgrade, Novi Sad, Cacak, Sabak, etc. Une des activités principales est la propagande en direction des usines. C’est ainsi que les 2/3 des exemplaires de leur journal, "Direkna Akcija" sont diffusés aux portes des entreprises Ces diffusions ne se font pas toujours sans difficultés, les copains devant faire face aux responsables syndicaux réformistes et aux vigiles. Pourtant, malgré tout, leur presse a un impact sur les travailleurs. Ils ont par exemple d’excellents contacts avec les mineurs de Bor. Aussi, afin de trouver un bouc émissaire aux difficultés du processus de privatisations (de nombreuses entreprises, vétustes, n’intéressent pas les capitalistes), des politiciens ont dénoncé publiquement cette presse anarchosyndicaliste qui ferait fuir les investisseurs étrangers.

Si leur journal traite essentiellement des problèmes et des luttes de la classe ouvrière, les compagnons veulent en faire,un véritable mensuel. On y trouve donc des articles sur l’histoire du mouvement ouvrier et libertaire, histoire complètement passée sous silence tant sous Tito que sous l’actuel pouvoir ultra-libéral. Régulièrement, des articles traitent du féminisme, ce qui est complètement nouveau en Serbie.

Il arrive d’ailleurs aux copains de prendre des positions qui, dans le contexte actuel de la Serbie, peuvent être impopulaires. Ce fut notamment le cas lorsqu’ils ont apporté leur soutien à la gay pride de Belgrade le 30 juin 2001, alors que l’homophobie reste très implantée dans le pays. Si les gays et lesbiennes, et leurs soutiens, étaient environ 300, les homophobes par contre étaient le double à crier "Serbie ! Serbie ! Mort aux pédés !". Au même moment où un pope de l’Eglise Orthodoxe Serbe a pris la parole pour expliquer qu’il voulait une Serbie "divine, sur la base des lois de Dieu ", des dizaines de fascistes ont violemment chargé le cortège de la gay pride. Tout ça sous l’œil passif et bienveillant de la police qui n’avait pas pour mission "de protéger des tapettes".

L’exemple de la gay pride de Belgrade démontre bien le rôle réactionnaire joué par l’Eglise Orthodoxe Serbe. Omniprésente dans tout le paysage serbe, on peut trouver des icônes dans les salles de la mairie de Belgrade, ou des crucifix dans les voitures de police de ce pays officiellement laïc. Plus grave encore, l’Eglise Orthodoxe Serbe, non seulement finance l’édition de publications fascistes ou néo-nazis, mais reste un des endroits où se propage la haine nationaliste et la propagande belliciste.

Officiellement, la guerre en Yougoslavie, avec ses dizaines de milliers de victimes, de morts, de blessés, de femmes violées, et de drames humains toujours présents (réfugiés, familles déchirées, amitiés brisées, histoires d’amour avortées...), est terminée, mais les foyers de tensions, les haines nationalistes maintenues par les clergés de toutes les religions, et les sources de conflits restent présentes, et ce ne sont pas les stupides affiches de l’ONU ventant son œuvre, comme la création d’une " police démocratique " en Bosnie, qui y changera quelque chose.

Si, dans des salons militants de Paris ou d’autres villes occidentales, certains "révolutionnaires", voire des "anarchistes" se félicitaient de "la guerre anti-fasciste menée par l’OTAN contre Milosevic", ou exigeaient "des armes pour la Bosnie" (comme s’il n’y avait pas déjà eu bien assez d’armes dans cette région du monde !) ou encore soutenaient l’UCK, les compagnons Serbes ont toujours été et restent sur des positions clairement internationalistes, que je qualifierais même d’anationalistes, et ils ont continué de travailler en étroite collaboration avec des anarchistes de toute la région des Balkans.

Dès mai 2001, par exemple, ils ont organisé, avec le soutien de l’AIT et de la CNT-AIT, une rencontre à laquelle ont participé une centaine de militants venus de toutes les républiques de l’ex-Yougoslavie. Cette rencontre anarchiste fut la première dans cette région après celle qui a eu lieu en 1990, avant que toutes les guerres des Balkans ne débutent... À part deux rencontres anarcho-punks, il n’y a pas eu de rencontre en chair et en os entre des anarchistes d’Ex-Yougoslavie depuis. Donc d’une certaine façon, ce fut une rencontre historique. Elle a eu lieu au village écologique de "Zelenkovac" en Bosnie. Il y avait des gens de Slovénie, de Croatie, de Bosnie et d’Herzégovine, de Macédoine et de ce qu’il restait de la Yougoslavie (la Serbie et le Monténégro). C’était pour tous ces compagnons anarchistes non seulement un grand événement politique mais également un grand moment d’émotion. Ils avaient les mêmes idées sur les problèmes, non seulement dans le monde, mais aussi dans les pays où ils vivent. La plupart d’entre eux sont dégouttés par le nationalisme et le combattent autant qu’il le peuvent. Plusieurs actions conjointes furent planifiées. Il y a eu des discussion sur des projets de publications communes et l’aide mutuelle fut discutée et approuvée. Le réseau n’a pas cessé de s’étendre depuis avec la Grèce, la Pologne, la Turquie, etc. Et ils ont aussi rejoint depuis l’AIT.

Nos compagnons mènent aussi des campagnes anti-électorales dans ce pays où, en 2002 malgré trois tours d’élections, il n’y avait toujours pas de président élu, la population s’abstenant à plus de 50%. Il serait bien sûr absurde d’affirmer que ces taux d’abstention records ne proviennent que des campagnes anarchosyndicalistes. Simplement, les copains, en prônant l’abstention, sont en phase avec un sentiment général de rejet des politiciens par la population.

Comment s’en étonner ? Non seulement les conditions de vie ne font que s’aggraver, mais en plus les politiciens apparaissent, peut-être encore plus clairement qu’en France, comme de sinistres escrocs. Prenons Kostunica, le nationaliste qui a succédé à Milosevic. En France, les médias et démocrates l’avaient encensé, transformé en "champion de la démocratie" contre la dictature. Et bien ce politicien s’est fait connaître en écrivant dans les bulletins néo-nazis financés et édités par l’Eglise Orthodoxe Serbe. Un de ses sujets favoris était de tenter de réhabiliter les collabos pro-fascistes serbes de l’occupation nazie de la Yougoslavie, expliquant qu’ils n’étaient pas tant pro-nazis qu’anti-communistes. Lors de son accession au pouvoir, les groupes néo-nazis se sont d’ailleurs sentis confortés et soutenus depuis le haut de l’Etat. Quant à l’adversaire politique principal de Kostunica, le premier ministre serbe Zoran Djindjic (ultra-libéral), sa principale réalisation est d’avoir été celui qui, avec 750.000 dinars, a été le plus grand vainqueur yougoslave du jeu télévisé "Qui veut gagner des millions" en 2002. Cet argent ne fit pas longtemps son bonheur, il est assassiné en mars 2003, l’état d’urgence est décrété en Serbie, un couvre-feu a été imposé à Belgrade, théâtres et cinémas sont fermés, les militaires, qui ont désormais les mêmes pouvoirs que la police, patrouillent dans les rues. Et alors qu’il est clair pour tout le monde que l’assassinat a été commandité par les « Bérets Rouges » (ancienne unité de police spéciale, partie intégrante de la mafia), la première mesure prise est d’interdire les grèves et les manifestations. Les fractions de la classe dirigeante se flinguent entre elles, et c’est la classe ouvrière que l’on muselle. Il apparaît clairement que ce n’est pas tant à l’encontre de telle ou telle clique mafieuse que se dirigera la répression, mais essentiellement contre les travailleurs.

Bien sûr, depuis 10 ans, nos compagnons ont régulièrement fait l’objet de menaces et d’intimidations physiques, autant par les groupes paramilitaires nationalistes que la police (qui bien souvent sont d’ailleurs les mêmes). Il ont été arrêté, interrogés et détenus. Il faut dire que certaines vieilles habitudes ont la vie dure. Mais depuis deux ans, la répression se fait plus pressante, plus incisive, plus brutale. Il faut dire que c’est la période depuis laquelle le gouvernement à lancé une politique d’attaque frontale contre le monde du travail, pour aligner la Serbie sur les critères économiques de l’Union Européenne. Plutôt que de s’en prendre aux profiteurs de guerre, ce sont aux simples travailleurs , considérés comme des variables d’ajustement, qu’on demande de faire une fois de plus tous les sacrifices, à coup de licenciements massifs et d’enfoncement dans la misère.

Sans surprise les syndicats classiques disent au travailleurs de se résigner et d’accepter leur sort, au nom de la soit disant rationalité de l’économie. Ils s’agirait de mesures nécessaires pour que l’économie aille mieux. Pourtant, lors du traditionnel Premier mai en 2008, des travailleurs de Belgrade ont commencé à dire qu’ils ne marchaient plus. Ils ont chassé de la manifestation le ministre du travail (et des privatisations …), pendant que les chefs syndicaux exhortaient les manifestants à ne pas suivre le mauvais exemple des anarchosyndicalistes.

Alors que la situation avec la crise devient plus dure, les scènes de désespoir se durcissent également. Ainsi certains travailleurs se sont coupés les doigts avant de les manger pour protester contre leurs licenciements. Mais tous ne sombrent pas dans l’auto-destruction. Dans ces conditions, face à la trahison évidente des syndicats et partis politiques, l’anarchosyndicalisme représente une alternative crédible et radicale dans le sens où il s’attaque aux racines des problèmes que sont l’Etat et le Capitalisme. Le quotidien serbe DANAS ne s’y trompe pas, qui a titré récemment que la Serbie devenait un terrain fertile pour le développement de l’anarchosyndicalisme.

C’est dans ce contexte que le 25 août dernier, un graffiti, un A cerclé plus précisément, a été peint sur le mur de l’ambassade de Grèce à Belgrade. Deux bouteilles incendiaires ont été également lancées sur ce bâtiment, sans qu’elles ne fonctionnent, fêlant tout au plus une fenêtre. Ce qui tient lieu de justice en Serbie a immédiatement décrété qu’il s’agissait là d’un acte terroriste. Et vu qu’il s’agit d’une représentation diplomatique, l’épithète international a été rajouté pour faire bonne mesure. Comme il fallait trouver rapidement des coupables, nos amis qui se revendiquent révolutionnaires et affirment au grand jour, sans se masquer, leurs convictions anarchistes - ont fait l’affaire.

Ainsi, depuis le 4 septembre dernier, bien que rejetant tout lien avec cette action (dont la méthode leur est étrangère) et avec le groupe qui l’aurait revendiqué, 5 de nos amis sont retenus otages par la police et la justice de l’’Etat Serbe. Tadej, Ivan, Sanja, Ratibor et Nikola ; un sixième, Ivan sera lui aussi arrêté quelques jours plus tard. Ils sont gardés au secret, toute communication avec l’extérieur leur est interdite, et aucune information n’est donné sur leur état présent, ni sur ce qui va leur advenir. Ils risquent aujourd’hui jusqu’à 15 ans de prison pour un acte qui n’a rien détruit, n’a blessé personne (si ce n’est l’amour propre de l’ambassadeur de Grèce) et que de plus ils n’ont pas commis !

Ne serait-ce la peine de prison que risquent nos compagnons, cette histoire serait proprement ridicule. Surtout si on compare avec l’histoire récente des Balkans : on sait là bas ce qu’est le terrorisme international. Il y a sévit malheureusement il y a à peine une dizaine d’année.

Nous pensons que c’est plutôt pour essayer d’enrayer ce mouvement d’auto-organisation et de libération des travailleurs que le pouvoir serbe a mis au cachot nos compagnons, plutôt que pour lutter contre un soit disant terrorisme international. Sinon comment expliquer que parmi les milliers de militants nationalistes qui ont assaillis et détruit par incendie l’ambassade des Etats Unis de Belgrade en février 2008, incendie qui a fait un mort, un seul lampiste ait été arrêté et qu’il n’ait été inculpé que de simple trouble à l’ordre public ? Ou encore que les militants nationalistes qui ont pu encore récemment, en toute impunité, assassiner en pleine rue un jeune supporter de foot toulousain au seul motif qu’il parle une langue étrangère, ne soient pas inquiétés par l’Etat ?

Ce gouvernement a décidé de gouverner par la peur : répression contre le mouvement anarchosyndicaliste d’une part, complaisance discrète envers les groupes de terreur nationalistes d’autre part, tout en tenant officiellement un discours contre les « extrémistes violents ». Mais personne n’est dupe : sous prétexte de la « lutte contre l’extrémisme », ceux qui exercent le pouvoir augmentent une pression toujours plus forte sur la population et mettent en place les outils d’une répression brutale.

Dejà en septembre 2008, les compagnons serbes écrivaient à propos de la répression :

« Comme par le passé, ces actions de ceux qui détruisent nos vie n’auront pour seul effet que de renforcer notre esprit et de fortifier notre conviction que nous sommes sur la bonne voie. Nous proclamons que nous n’allons pas cesser nos actions et que nous continuerons notre lutte pour la liberté, contre l’exploitation, les privatisations et les licenciements avec encore plus d’énergie, de combativité et de sérieux. »

Depuis leur arrestation début septembre un certain nombre de rassemblements de solidarité, de manifestations de soutien, de concerts et de campagne d’affichage se sont multiplié à travers le monde ces 3 derniers mois : à Belgrade, Bratislava, Varsovie, Lisbonne, Prague, Vienne,, Londre, Sydney, Zagreb, Moscou, Kiev, Thessalonique, Athènes, Hambourg, Denver, Sofia, Berlin, Lyon, Skopje, Budapest, Madrid, Oslo, Berne, St-Petersbourg, Ljubjana, Trieste, Paris, Ankara,, Grenade, New York … et ce soir à Toulouse.

À Toulouse justement où dans les semaines qui viennent, le 3 décembre précisément, l’équipe des Partizan de Belgrade rencontrera en match retour le Toulouse Football Club au Stadium.

Les évènements tragiques et criminels qui ont lieu en marge du match aller à Belgrade sont encore dans toutes les mémoires. Cette rencontre sportive sera sous les projecteurs des média internationaux et attira particulièrement l’attention des diplomaties serbe et française.

Aussi nous appelons, en dépit de l’atmosphère de terreur policière qui ne manquera de peser sur la ville ce jour-là, nous appelons les gens d’ici de bonne volonté, qu’ils soient supporters ou pas d’ailleurs du TFC, à fraterniser avec les supporter serbes qui auront fait le déplacement. À fraterniser et à les informer sur la situation de leur six compatriotes, de réclamer leur libération.

Car en effet l’histoire récente de la Serbie et l’activité infatigable de nos compagnons que je vous ai exposé nous le montre : fort heureusement tous les serbes ne sont pas intoxiqués aux mensonges nationalistes et à la propagande fasciste. Bien au contraire, à l’image de l’immense majorité de l’humanité ils n’aspirent qu’à vivre libre et dignement, là où ils sont, là où ils travaillent, là où ils rêvent, là où ils s’aiment ! Là où ils jouent au foot aussi ! De plus l’esprit d’octobre 2000 y est encore vivace.

Toutes autres actions sympathiques qui manifesteraient une solidarité active à l’égard des compagnons sont évidemment les bienvenues

Nous ne nous faisons aucune illusion. Nous n’attendons de l’Etat serbe ni clémence, ni pardon. Pas plus que nous n’en appelons à la pitié. Nous ne l’attendons ni de l’Etat serbe, ni d’aucun autre, car ce sont les gouvernements, les juges, les capitalistes, les policiers et les gardiens de prison qui nous maintiennent sous le joug du Capital. Et pour celui qui veut s’en délivrer ce sont arrestations, isolements, tortures, emprisonnements, ... qui l’attendent. La France et sa chasse obsessionnelle aux soit-disant « anarcho-autonomes » n’a de ce point vue aucune leçon de démocratie à donner à la Serbie.

Si les mots de Justice et de Vérité ont encore un reste de sens pour les tenants du pouvoir serbe, alors ils doivent libérer nos compagnons immédiatement et s’arranger avec leur propre conscience personnelle.

En France comme en Serbie, comme partout ailleurs, luttons pour la Liberté !

Vive la Solidarité Internationale !

Liberté pour les six de Belgrade !

Un militant de la CNT-AIT

Documents joints
En France comme en Serbie ... (MP3 – 33.7 Mo)
Enregistré à Toulouse, le 21 novembre 2009
Ecrit par AnarSonore, à 10:05 dans la rubrique "International".



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