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L’INTROUVABLE « NEUTRALITE »
On
peut, bien sûr, théoriquement, imaginer une éducation « neutre »
au sens d’une activité sociale qui n’a / n’aurait pour unique objectif et
impératif que la formation c'est-à-dire donner le maximum de possibilités
pour permettre de développer dans des conditions optimales talents, compétences
et créativité.
C’est
d’ailleurs, à peu près la définition que la « République » donnait,
et donne encore, de l’éducation et de l’Ecole, prenant en cela le contre-pied
d’une Eglise obscurantiste et élitiste.
Pourtant,
à l’usage, force est de constater que les choses ne sont pas aussi simples et
« pures ».
L’Education
est indubitablement devenue, si tant est qu’elle ait été autre chose, un des
instruments de domination et de pérennisation du système en place. Avoir une
« bonne éducation », au sens de « formation », n’est
absolument pas un gage de « réussite sociale », en effet la
« réussite sociale » au sens de l’ « intégration
professionnelle » telle que l’entend, et l’impose, le système marchand,
dépend à la fois du contexte culturel dans lequel on vit et des lois de marché.
Or, le premier, expression des inégalités générées par le système, reproduit la
société suivant ces mêmes inégalités. Quand aux secondes elles font le tri
entre ce dont le système a besoin et ce qui ne lui sert pas.
Autrement
dit, et ce n’est pas un scoop, plus on est issu de classes populaires, moins on
a de chance de « faire carrière » et la possession d’une formation ne
nous met pas à l’abri de l’exclusion
– surtout en période de décadence du système comme aujourd’hui.
La
Recherche se situe dans la même problématique. L’ « esprit scientifique », l’esprit de
la recherche, son universalité, tant décrié par l’Eglise, et porté aux nues par
les Lumières et la République, présente un bilan tout aussi contrasté
que l’Education. L’indépendance de la recherche, si elle a pu être effective au
Siècle des Lumières, après avoir été longtemps
clandestine et persécutée, a vu progressivement son champ se réduire et entrer
dans le moule d’une société marchande en pleine expansion. Soumettant toujours
plus les découvertes, les inventions, aux règles régissant le système marchand
– rentabilité et marketing.
Ainsi
Education et Recherche, comme Liberté et Egalité ou Démocratie et République,
sont devenus des mythes désincarnés, régulièrement cités dans les discours
politiques, mais ne correspondant absolument pas à leur réalité sociale.
Même
si la situation est préférable aux situations des siècles passés, ne nous
laissons pas abuser par les discours trompeurs qui se gargarisent, à peu de
frais, d’esprit d’ouverture en matière d’éducation et de liberté scientifique.
Il faut dire que la décadence du système actuel éclaire d’un jour nouveau l’Education et la Recherche qui, à l’image du « pâturage et du labourage mamelles de la France », sont présentées comme celles de la modernité.
LE SAVOIR SUBVERSIF
On
a besoin de gens qui savent, mais point trop ne faut de savoir. Ainsi le
domaine de la recherche doit-il être protégé de la population. En effet :
-
comment développer une industrie nucléaire, chimique si tout le monde sait
précisément les dangers qu’elles engendrent et les intérêts qu’elles servent ?
-
comment développer les OGM si tout est dit sur eux ?
-
comment gruger les citoyens si l’on explique ce qu’est l’économie – ses
mécanismes, ses enjeux, son sens ?
Or,
des sommes colossales et des pouvoirs quasi illimités sont en jeu dans ces
activités, ces industries…
La
liberté et l’ouverture concernant l’éducation et la recherche ont correspondu à
une époque de remise en question radicale de l’Ancien Régime, une époque où,
une partie de la population, celle qui y avait intérêt – la Bourgeoisie et ses
alliés – faisait « feu de tout bois » pour miner les bases d’un
système qui entravait la « marche du progrès », mais surtout n’allait
pas dans le sens de ses intérêts.
Liberté
et ouverture concernant l’éducation et
la recherche correspondaient aux
nouvelles normes sociales et canons éthiques d’un système marchand en gestation
dans l’Ancien Régime. Système marchand qui, lui aussi, promettait « développement
social égalitaire et harmonie universelle ». On sait ce qu’il en a
résulté.
Le
savoir, la connaissance, dans ce contexte, sont devenus, pour le système
marchand dominant, non plus des armes de conquête, mais des dangers de
subversion…
Le
savoir collectif peut, en effet, justifier et fonder une désobéissance
civique, mettant ainsi à mal une légitimité de manipulation acquise
difficilement par le/les pouvoir/s en place.
Il
vaut mieux fonder la légitimité de son pouvoir sur des ignares que sur des gens
bien informés. Les médias modernes sont là pour y veiller.
Ceci
explique les tripatouillages consistants, à tous les niveaux de l’enseignement
la mise au « placard», la réorientation ou la limitation des matières
« inutiles », entendez « subversives » comme l’économie,
l’histoire de la pensée économique et la promotion de matières comme le
« marketing » et les « mathématiques financières ». De même
qu’en matière de pédagogie, le développement de la concurrence au
détriment de la coopération.
Mieux vaut pour le système avoir des
praticiens qui obéissent, que des penseurs qui doutent.
Ceci explique, dans le domaine de la recherche, l’aide et le financement à des recherches « utiles », « rentables », entendez par là conformes aux intérêts des grandes firmes. C’est tout le sens de la « réforme » de l’Université et de la Recherche.
LA
MARCHANDISATION INELUCTABLE ?
La règle n’est plus l’interdit pour
raison idéologique ou déviation hérétique, mais intégration au système
conformément à sa rationalité.
Exemple :
mieux vaut savoir comment gérer rentablement une entreprise que de se
demander quel est le sens des conditions et de la finalité de sa production….
On passe ainsi d’une réflexion sur le sens de la société à une vision
purement utilitariste et rentable de l’activité humaine.
De
même il est beaucoup plus utile pour le système de travailler à la rentabilité
de la production agricole à partir des OGM, que de se questionner sur le
sens et les dangers d’une telle production.
On
peut, évidemment ainsi passer en revue toutes les activités humaines… de la
plus manuelle à la plus intellectuelle. Toutes obéissent à la même logique,
celle de la rentabilité et aux lois du marché.
Ainsi
la logique de « marchandisation » envahie tous les domaines de
l’Education et de la Recherche, et par là même toutes les activités humaines.
La
rationalité marchande est présentée au « bon peuple », par les
politiciens comme le nec plus ultra de l’efficacité,… et le bon peuple qui
ne voit pas qu’il est absurde, et criminel, de mesurer, d’établir un étalon
d’évaluation de l’éducation et de la recherche sur des critères marchands, adhère
dans sa majorité à cette escroquerie, fondant ainsi une légitimité à un système
qui va à l’encontre des intérêts de tous.
Septembre
2009 Patrick MIGNARD
Voir aussi :
« DECADENCE »