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La famille est une minifourgonnette en panne qui continue de rouler

Lu sur le blog flegmatique d'Anne Archet : "Des amis à moi qui viennent d’avoir leur premier enfant se sont achetés une minifourgonnette. Ce qui, en soit, est dans l’ordre naturel et nord-américain des choses : d’abord, on forme un couple, ensuite, on tombe en cloque, on s’hypothèque une maison en banlieue et après, on se lance dans l’achat d’un véhicule familial dont la livraison précède de quelques jours l’accouchement. Ne reste plus ensuite qu’à se marier, se procurer un chien, des appareils électroménagers, un cinéma-maison et des anxiolytiques à profusion pour oublier la dépression nerveuse et voguer tranquillement sur le long fleuve tranquille du bonheur. Sur cette minifourgonnette, le concessionnaire à eu l’idée géniale d’apposer un autocollant arborant fièrement le slogan de son commerce: «La famille et l’amour, des valeurs sûres!». Lorsque je fis remarquer la chose à ma copine, elle fit la moue et me dit: «Je sais, c’est horrible d’associer des valeurs si belles et si fondamentales à un vulgaire paquet de tôle motorisé!»

Elle roule encore.

Je n’ai pas osé la contredire, mais il est flagrant selon moi que ce n’est pas elle qui a raison mais bien Toyota Gatineau. Le consumérisme, la famille et l’amour sont bel et bien des institutions inextricablement liées, des mécanismes de pouvoir donc le but principal est de nous asservir. Si nous voulons vraiment nous réapproprier nos vies dans leur totalité, si nous voulons vraiment libérer nos désirs des griffes de la peur et de la domination, il est nécessaire de s’attaquer à ces institutions qui peuvent nous sembler à priori éternelles et immuables. Il faut s’y attaquer et les détruire comme nous le ferions avec toutes les autres institutions qui nous asservissent.

Qui dit amour dit mariage — même au Québec, champion canadien en titre de l’union libre, où seulement 30 % des couples habitent ensemble sans être mariés. Si dans les sociétés préétatiques le mariage a eu tendance à n’être qu’une façon plus ou moins informelle d’établir ou de maintenir des liens de parenté élargie, il s’est transformé, avec la montée de l’État, en une institution formelle et contraignante liée inextricablement avec la propriété. Plus spécifiquement, le mariage est devenu l’institution par laquelle le père, en tant que propriétaire de sa famille, donne sa fille à un autre homme qui, en tant que son mari, devient son nouveau propriétaire. Le mariage, qu’il soit hétéro ou homosexuel et malgré tous les oripeaux romantiques qu’on se plaît à lui donner, reste à la base une transaction, un échange de propriété qui fait de la famille le lieu fondateur de la domination des individus, domination qui s’étend ensuite à toute la société.

La nature même de la famille est hiérarchique. Son rôle principal est la reproduction de la société, ce qui, en tout premier lieu, exige la reproduction des êtres humains. Ainsi, la femme a pour objet de porter en son sein puis d’élever des enfants qui, bien qu’ultimement la propriété de leur père, restent sous l’autorité directe de leur mère. Voilà pourquoi ceux et celles qui ont eu le bonheur de grandir dans un environnement familial respectueux des rôles sexuels traditionnels ont goûté pour la première fois à la domination hiérarchique en la personne de leur mère. Le père, dans cet arrangement, reste une figure d’autorité distante, travaillant ses soixante à soixante-dix heures par semaine (malgré la théorique victoire ouvrière des quarante heures par semaine) pour donner accès aux membres de sa famille à toutes les marchandises qui sont socialement requises pour vivre décemment. La mère éduque, élève, corrige au besoin, établit les limites, définit de quelle manière ses rejetons doivent vivre leur vie, bref, devient le visage quotidien de l’autorité — tout comme le contremaître est celui du patron et des actionnaires, la plupart du temps invisibles sur les lieux de travail.

Le rôle social véritable de la famille est donc, comme je l’ai dit précédemment, la reproduction des êtres humains. Cela ne signifie pas seulement donner naissance à des enfants, mais aussi transformer cette matière première humaine en marchandise utile à la société — un sujet loyal, un bon citoyen, un travailleur acharné, un contribuable obéissant, un consommateur avide. Dès la naissance, il est nécessaire que le père et la mère commencent immédiatement le dressage de l’enfant. C’est d’ailleurs ainsi qu’on doit comprendre l’exclamation habituelle des salles d’accouchement, «C’est un garçon!» ou «C’est une fille!». Le sexe est le seul rôle social qui est déduit dès la naissance à partir de la biologie de l’individu et imposé grâce à une multitude de symboles — les couleurs des murs de la pouponnière, les vêtements, les jouets qu’on choisit d’offrir aux enfants, les jeux qu’on encourage et que l’on décourage, et ainsi de suite.

Tout ceci se fait en conjonction avec une insistance des parents sur l’infantilisation. Plutôt que d’encourager et nourrir l’indépendance, l’autonomie, la capacité de prendre ses propres décisions et la capacité d’agir en conséquence, on encourage les comportements naïfs, ineptes et les attitudes irrationnelles. Ces comportements, qualifiés de «mignons», de «cutes» et sont censés incarner l’essence même de l’enfance. Même si les enfants, dans les faits, se servent de leur faculté à être mignons habilement pour manipuler les adultes, le renforcement social de cette qualité encourage néanmoins la dépendance assez longtemps pour que le conditionnement à la soumission fasse effet, pour que la servitude devienne une habitude. Lorsque ce processus est accompli, être cute commence à être qualifié d’enfantillage.

Puisque la relation normale entre un parent et un enfant en est une de propriété et donc de domination et de soumission au niveau le plus intime, les enfants finissent par développer ce que Wilhelm Reich appelait une «armure caractérielle». La conséquence en est particulièrement révoltante, puisque le conditionnement familial et les tentatives d’y résister et de s’en défendre peuvent marquer à vie.

Les peurs, les phobies et les mécanismes de défense que l’autoritarisme familial instille en nous ont pour effet d’assurer la pérennité et la reproduction de la structure familiale. Les méthodes employées par les parents pour renforcer l’incapacité des enfants garantissent que leurs désirs resteront hors de leur portée et sous le contrôle de leurs parents — agissant en ce sens comme agents de l’autorité. Ceci reste vrai même si les parents «gâtent» leurs enfants, puisque gâter les enfants signifie canaliser leurs désirs vers des attitudes socialement acceptables de consommation. Incapables de réaliser leurs propres désirs, les enfants s’habituent rapidement au manque et apprennent en moins de deux la faculté essentielle de baiser des culs dans l’espoir d’obtenir ne serait-ce que des miettes de ce qu’ils convoitent. L’idéologie du travail et de la consommation nous est ainsi inculquée grâce aux relations qui nous sont imposées dès l’enfance. Lorsque nous atteignons l’adolescence et que nos pulsions sexuelles deviennent plus précises, le sentiment de manque que nous avons appris nous mène aisément vers des conceptions marchandes de l’amour et du sexe. Ce qui fait qu’au moment de nous engager dans une relation amoureuse, la tendance à la comprendre comme une relation économique liée à la propriété devient très forte.

Quant à ceux et celles qui ne réifient pas leurs pulsions sexuelles, ils sont rapidement stigmatisés — particulièrement les filles. Nous nous agrippons à nos relations amoureuses avec un désespoir qui est symptomatique de la rareté bien réelle de l’amour et du plaisir en ce monde. Résultat: ceux et celles qui ont si bien appris qu’il est impossible de réaliser véritablement leurs désirs acceptent finalement que si leurs désirs ne leur appartiennent pas, que s’ils n’arrivent même plus à reconnaître leurs propres désirs, ils peuvent à tout le moins définir les limites des désirs des autres, qui à leur tour définissent les limites des leurs. C’est sûr, sécuritaire… et misérable. C’est le couple, le précurseur de la famille.

La peur maladive et désespérée de la rareté de l’amour reproduit donc les conditions du maintien de cette rareté. Les tentatives d’explorer et expérimenter de nouvelles façons d’aimer qui s’éloignent de l’institutionnalisation du désir que sont le couple, le mariage et la famille sont presque toujours récupérées par la réification marchande de l’amour. Un phénomène qui devrait surprendre personne puisque l’amour réifié est le seul qui puisse être acceptable dans une société dominée par l’économie.

Ironiquement, l’utilité économique de la famille est spécifiquement ce qui expose sa pauvreté au grand jour. Dans les sociétés préindustrielles (et, dans une certaine mesure, les sociétés industrialisées préconsuméristes), la logique économique de la famille résidait dans sa faculté de constituer un ménage, qui, bien plus que l’individu, constitue l’unité de base de la société capitaliste dans ses phases initiales — à un tel point que je me demande s’il est conceptuellement possible d’appliquer le qualificatif de «prolétaire» à un individu. D’ailleurs, c’est la structuration en ménages qui a imposé la différence entre travail productif (salarié, intégré au système marchand et assumé par les hommes) et travail improductif (non-salarié, axé sur la subsistance et assumé par les femmes) et qui a définitivement institutionnalisé le sexisme.

Le rôle économique de la famille a toutefois changé en occident après la Seconde Guerre mondiale, avec la montée de la société de consommation. Son objet devint alors la reproduction des consommateurs, chaque membre de la famille représentant une clientèle cible spécifique. Ainsi, la famille est devenue la matrice d’où émergent des ménagères, des adolescents, des écoliers, des hommes virils ou métrosexuels, bref, des êtres dont la capacité de réaliser leurs désirs a été détruite afin de rediriger leur énergie vitale vers la consommation. Dans ce contexte, la famille reste nécessaire comme moyen de reproduction des rôles sociaux, mais puisqu’elle ne détermine plus les limites du désir appauvri — puisque ce rôle est maintenant rempli par la consommation — il n’y a plus de base réelle est solide pour assurer sa cohésion.

Voilà pourquoi nous assistons — avec beaucoup plus d’horreur que de satisfaction — à la désagrégation de la famille sans sa destruction. La famille roule encore, comme une minifougonnette rouillée, accidentée et déglinguée qui n’en finit plus de nous polluer l’existence. Et encore aujourd’hui, peu de gens arrivent à concevoir une vie pleinement remplie et satisfaisante sans mariage, sans intégration dans une famille. Même les gais, les lesbiennes et les bisexuels, qui pourtant, par la force des choses, se sont longtemps vu refuser l’accès à ces deux institutions, n’ont pour la plupart qu’une envie : se plier à la normalité aliénante définie par le patriarcat.

La famille est la source première, la plus intime et la plus vicieuse de notre esclavage. Le fait qu’elle nous semble si naturelle, si inscrite dans notre biologie est un leurre vicieux, un gage de son efficacité. Donnons-lui la chiquenaude qui suffirait à l’abattre et partons explorer de nouveaux arrangements, de nouvelles formes de vie amoureuse, libérons nos désirs des griffes de la peur et reprenons ainsi une part de notre vie qui nous a été si insidieusement volée.

Ecrit par libertad, à 10:19 dans la rubrique "Le privé est politique".



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