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Analyser autrement la "prostitution" et le "trafic des femmes"
Lu sur Cybersolidaires : "Dans ce texte, que j'ai condensé ici pour celles et ceux qui manqueraient de temps pour en lire la version intégrale, Louise Toupin appelle la communauté des chercheuses et chercheurs à analyser la "prostitution" avec les outils de la sociologie.

Elle met en évidence la pertinence d’analyser cette activité sous l’angle d’un travail qui, comme tout autre travail, est le lieu de rapports sociaux et de pouvoir pouvant engendrer, ou pas, de l’exploitation selon les contextes, les circonstances et le degré d’organisation des acteurs et actrices.

Elle déplore que la question de la "prostitution" et du "trafic des femmes" soit plus couramment analysée en tenant l’exploitation pour acquise. La perspective de recherche de ces études - dont celles de Rose Dufour, Richard Poulin, Yolande Geadah et du Conseil du statut de la femme du Québec - est la perspective féministe radicale abolitionniste ou néo-abolitionniste. La violence constitue l’angle d’analyse principal, et l’exploitation sexuelle, le schéma interprétatif unique, les deux se trouvant être à la fois et le postulat et la conclusion de ces recherches.

Louise Toupin soutient que cette perspective engendre des problèmes épistémologiques, et donc des effets sur la connaissance, pour ne pas mentionner les effets sur les exclues de l’analyse. Elle n'est pas la première et sûrement pas la dernière à questionner les postulats et prémisses de ces études, ainsi que les problèmes qu'ils engendrent. Elle critique quelques-uns de ces biais abolitionnistes en signalant leurs effets sur la connaissance, le moindre n’étant pas celui de brouiller la compréhension de la complexité des phénomènes étudiés. Comme les études abolitionnistes sont des études partielles non valides sociologiquement, elle conclut en lançant un appel en faveur d’une analyse proprement sociologique du travail sexuel et du travail migratoire féminin et mentionne des ruptures à opérer pour y arriver.

Rappelons que Louise Toupin prenait connaissance des problèmes épistémologiques de bon nombre d’études à perspective abolitionniste lors de la réalisation d'une revue de documentation identifiant et différenciant les discours et argumentations des principales coalitions internationales féministes luttant contre ce que l’on appelle couramment le "trafic des femmes". Ceci l'amenait à constater comment le concept d’exploitation sexuelle utilisé dans l’absolu et son angle d’analyse unique fondé sur la violence font en sorte que d’importantes dimensions de la réalité échappent au regard des chercheurs et chercheuses, produisant des "angles morts" dans la recherche et des distorsions dans l’appréhension des phénomènes. Résultat : la compréhension des phénomènes analysés s’en trouve passablement embrouillée.

Ceci l'amenait ensuite à poser beaucoup de questions quant à la tangente que l’abolitionnisme est en train de faire prendre au féminisme radical. Et surtout quant au risque que cette tangente fait courir au féminisme, notamment celui d’identifier le féminisme radical, voire même le féminisme tout entier, à cette version exclusive qu’est l’abolitionnisme. C’est dans la foulée de ces questionnements qu'elle poursuit ici ces réflexions.

Elle débute par la pierre angulaire de tout l’édifice conceptuel abolitionniste, soit le postulat de l’esclavage des prostituées, et par le glissement entraîné par l'amalgame entre prostitution et esclavage. En posant que prostitution = esclavage, on confond la nature d’une activité avec ses conditions d’exercice. Elle rappelle qu'en 1997, Marjan Wijers et Lin Lap-Chew avaient déjà décrypté ce problème :

"Après l’abolition de l’esclavage, les gens ont continué à travailler dans les champs de coton et le travail domestique a continué à être exécuté. C’est seulement dans le cas de la discussion sur la prostitution que l’objet dérive vers l’abolition de l’activité comme telle, plutôt que l’abolition d’un certain type de relations de pouvoir dans la prostitution. La comparaison avec les autres formes d’esclavage démontre à l’évidence que ce n’est pas l’activité comme telle, mais les conditions dans lesquelles ces activités prennent place qui doivent constituer la cible principale. Les droits humains qui y sont violés sont les droits des femmes comme travailleuses."

En postulant que la prostitution est en soi esclavage, et la prostitution et l’esclavage partagent alors une essence commune. Dans cette logique, tout autre sorte d’analyse se voit dès lors exclue voire même interdite, comme si analyser des phénomènes était les justifier. Depuis quand le fait d’étudier un système équivaut-il à le justifier, demande-t-elle? En réalité, ici, le danger ne réside pas dans l'analyse proprement sociologique de ce qui se passe sur le terrain, mais bien dans l'exclusion de cette analyse elle-même.

On rencontre aussi couramment le même glissement dans des titres d’émissions, des questions de recherche ou des titres de publications. L’étude du Conseil du statut de la femme sur la prostitution intitulée La prostitution : profession ou exploitation? est un exemple type de ce glissement entre la nature de l’activité et ses conditions d’exercice.

Dans nombre d’analyses abolitionnistes, on prend aussi pour acquis que trafic des femmes = prostitution internationale. On confond encore ici la nature d'une activité, soit le travail du sexe en contexte migratoire, avec ses conditions d’exercice possibles, soit la violation des droits des femmes dans le cours de leurs déplacements. Le trafic, entendu au sens de conditions coercitives de recrutement, de transport et de travail, peut faire partie de la trajectoire de migration des femmes, mais pas nécessairement. Selon Thérèse Blanchet (doc), anthropologue travaillant au Bengladesh, mettre en évidence le trafic des femmes tout en ignorant le travail migratoire des femmes, c'est créer "une distorsion dans l’appréhension des deux, la migration et le trafic. L’impact potentiellement révolutionnaire du travail migratoire féminin et les défis qu’il pose aux relations genre/classe sont ainsi embrouillés; seul le crime est mis en évidence et présenté comme un phénomène en croissance à éradiquer".

Louise Toupin poursuit avec le problème du déni de l’expérience subjective des prostituées qui s'identifient en tant que travailleuses des métiers du sexe. Seules celles qui se disent victimes de la prostitution ont droit à l’écoute des abolitionnistes. Les autres sont rejetées pour cause d’aliénation. Cette position "colonialiste" redouble la violence symbolique qui s’exerce sur les travailleuses su sexe. Ainsi est reproduit sous une nouvelle forme le type même de relations que combattent pourtant les féministes. Depuis des lustres, nous luttons afin que la parole des femmes soit respectée, tenue pour crédible, mais il semble qu'il faudrait se garder nous-mêmes de respecter celle des femmes qui s'identifient en tant que travailleuses du sexe?

Les études abolitionnistes généralisent également leurs conclusions à l’ensemble de l’industrie du sexe, alors même que ces conclusions ne reposent que sur une seule catégorie d’expériences : la pire. Ceci contribue à brouiller la compréhension des réalités multiples que recouvre le phénomène. Entre autres, on ignore ou, pire, on invalide - en tant que "scientifiques" - les formes de résistance et de lutte de femmes qui désirent changer leurs conditions de travail dans le milieu du travail du sexe. Citons sar exemple Élaine Audet qui maintient que ces femmes "participent à leur propre oppression" et "adoptent le point de vue dominant afin d’échapper au destin de leurs semblables et d’en tirer des bénéfices personnels immédiats".

Il y a plus de 10 ans déjà, Colette Parent soulignait (doc) que, dans les analyses abolitionnistes, les "lois et leur application sont vues comme la réponse nécessaire au problème et ne sont pas considérées comme partie prenante de sa construction. Là encore, le droit vient légitimer le regard moral porté sur la 'prostitution' et contribue à maintenir l’analyse dans des confins très étroits". Pour Stella, il est clair qu'il faudrait plutôt dénoncer l’aspect patriarcal et sexiste des articles du Code criminel canadien qui restreignent l’autonomie physique et économique des femmes, qui sont là pour contrôler le corps des femmes, ce qui échappe aussi aux études abolitionnistes.

Par exemple, analyser la question du "proxénétisme" avec, pour unique grille d’analyse, la violence et l’exploitation sexuelle, brouille la compréhension des réalités multiples que recouvre ce phénomène. L’équation non questionnée proxénétisme = "trafiquants de chair humaine" joue le même rôle. Non soumises à l’examen, ces notions sont avalisées et cautionnées, devenant ainsi des prémisses implicites de recherche. Pourquoi ne pas analyser la réalité que recouvre le proxénétisme comme une composante de l’organisation du travail de certaines travailleuses du sexe? Ceci n’élimine pas l’étude de la violence et des abus. Au contraire : une telle optique permet d’identifier et d’analyser, dans le cadre de travail de travailleuses du sexe, les dimensions abus, coercition, violence pouvant exister dans les relations de travail.

Cette perspective pourrait aussi être appliquée à la question dite du "trafic des femmes" qui doit s’analyser autrement qu'en tant que problème moral, criminel ou de migration illégale, comme elle l’est dans tant d’études. Le trafic d’êtres humains est un problème de travail migratoire et de droits humains. Pour Cabiria, qui reprend les réflexions de Wijers :

"la question centrale ici est celle de l’exclusion des femmes des possibilités d’accès au travail et surtout à sa juste rémunération. Le manque de perspectives dans leur pays d’origine, l’impossibilité d’accès à des conditions légales de migration, combinés avec une demande de main d’œuvre dans des secteurs sans régulation ni protection, permettent le développement de circuits illégaux de migration et d’exploitation au travail, dans le marché informel (ou illégal). La question du trafic est alors mise en perspective avec celle des conditions structurelles de l’oppression des femmes."

La parole de celles qui s’auto-définissent comme travailleuses du sexe a sa place dans l’espace citoyen et dans l’analyse sociologique. C'est cette parole qui nous permet de découvrir de grands pans occultés de la situation des femmes. L’analyse sociologique féministe ne peut se contenter de fermer les yeux sur ces réalités et de rester sourde aux stratégies de changement formulées par ces actrices du monde du travail sexuel, qui font partie du monde des femmes, et dont bon nombre sont féministes. Il faut cesser d’essentialiser la prostitution et de la diaboliser, et de diaboliser les travailleuses du sexe.

Il faut éviter ces perspectives globalisantes qui conduisent à des généralisations abusives et à des amalgames dangereux. Il faut rompre une fois pour toutes avec l'amalgame femmes = enfants, associant ainsi les femmes à un statut de mineures, d’irresponsables et d’êtres manipulables, et non comme des migrantes à part entière et des travailleuses. La perspective de la victimisation est un terreau fertile pour ce genre d’amalgame infantilisant.

Comme la sociologie du travail a dû, durant les années 1970, s’ouvrir au travail et à l’emploi des femmes dans ses aspects salarié et non salarié, aspects jusque là invisibles, elle doit maintenant aussi s’ouvrir au champ du travail du sexe1. On devrait d’autant plus pouvoir traiter du travail du sexe sociologiquement maintenant que des travailleuses du sexe se présentent comme sujets, sujets de leur expérience, sujets politiques, actrices sociales, à la recherche de reconnaissance de leurs droits comme travailleuses, comme citoyennes et comme femmes, comme le souligne Claire Thiboutot. Pour Gail Pheterson, c’est un des faits marquants de la fin du 20e siècle que d’avoir assisté à "la transformation du prototype de la putain ou prostituée en sujet historique". La sociologie et les sciences sociales en général devraient en prendre acte avec un nouveau regard, et les études féministes, ne pas y faire obstacle.

> Téléchargez cette analyse de Louise Toupin dans sa version intégrale.

1 - "Jusqu’alors, le travail ménager se confondait avec l’identité même des femmes et n’était pas appréhendé comme une construction sociale. Des féministes l’ont alors sorti du domaine "naturel", et donc invisible où il était cantonné, pour le présenter comme un travail, le travail familial ou travail au foyer". (source : La scission politique du féminisme international sur la question du "trafic des femmes" : vers la 'migration' d’un certain féminisme radical, Louise Toupin, 2002). À noter qu'à l'époque, il n'y avait pas consensus chez les féministes à ce sujet; certaines s'opposaient farouchement à cette nouvelle façon d'analyser le travail ménager.

Condensé et note : Nicole Nepton

Ecrit par libertad, à 21:55 dans la rubrique "Le privé est politique".



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