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Annie Le Brun : « Rêve général » et Appel à la désertion
Annie Le Brun, invitée sur France Culture par Antoine Mercier le 30-01-09, nous tend sa voix. Elle se prête aussi à un entretien mené par Nicolas Truong dans « Philosophie magazine » n° 26 de Février 2009, au titre évocateur : « le langage est une arme que chacun peut se réapproprier », avec des photographies qui mettent une silhouette sur des mots, sur une écriture et une pensée qui s’inscrivent dans « le sillage des rêveurs définitifs » 1 et des « êtres splendides qui refusent le pli », ceux qui refusent l’abus de sérieux et les procédés d’intimidation, loin des dévotions idéologiques et des coups de forces spectaculaires, toutes ces choses héroïques qui mettent la poudre aux yeux. Une question est posée : « Si un monde vous révolte, est-il bien conséquent de consentir à s’en faire l’employé ? »

 

Ce n’est pas tout, il y a aussi le texte sur ce « théâtre dressé sur notre abîme » du « magazine littéraire » n° 15, sur Sade. Sans compter la récente réédition d’Unabomber.

Car Annie Le Brun, c’est aussi la préface d’une ancienne édition du manifeste de Théodore Kaczynski : Unabomber, Manifeste : l’avenir de la société industrielle, Paris, Jean-Jacques Pauvert aux Éditions du Rocher, 1996, préfacé donc par Annie Le Brun. Même si la nouvelle édition flambant neuf chez Xenia est plus séductrice, il est historiquement instructeur de relire, ne serait-ce que cette préface de 96.


Pourquoi relever et regrouper de tels indices en bribes, apparemment désuets? Car dans l’échiquier d’une « actualité » animée à tout va et haute en couleurs, l’œuvre d’Annie Le Brun arrive à point nommé, « trempant sa plume dans l’encre noire », écrivant « comme on force une porte ». Comme le merveilleux, « dont le propre est de surgir quand on s’y attend le moins », la vision critique et perçante qu’elle porte sur ce monde-ci en pleine débandade, fait mouche et ricochets. C’est peu dire que quelque chose passe là « en contrebande », qu’il s’agit de relever. Serait-ce une manifestation d’un « effet papillon » d’une ampleur difficilement évaluable mais bien présent ? Cette lente remontée de fumerolles sur les solfatares d’un quotidien à l’odeur de souffre, en instance d’irruption, annonce-t-elle un chambardement sans équivalent, qui rendrait subrepticement attentif au frémissement à peine perceptible des ailes d’un insecte?

Fallait-il attendre l’alibi d’une « pseudo-crise » pour voir doucettement réapparaître dans les médias et du fond d’une longue fermentation, les réflexions acerbes et les critiques d’une lucidité étonnante, que propose Annie Le Brun ?


« Du trop de réalité », sorte de « bouteille lancée à la mer », est paru chez Stock en 2000, réédité en poche en 2004, et on commence à peine - essentiellement à partir de ce livre - à s’intriguer de l’intégralité de son œuvre, à la scruter, à questionner son étrangéité, à l’approcher comme on le ferait avec un renard, à pas de velours. Mais il est opportun de ne pas oublier que la « griffe Le Brun » se colporte depuis les années 70 et reste d’une actuelle inactualité. C’est dire à quel point la « détente est longue » chez les curieux de toutes espèces, surtout « universitaires » ou « intellectuels ». Il est vrai que sa vision critique brosse rarement dans le sens du poil, surtout quand il s’agit de philosophes adulés comme Foucault ou Deleuze, en « héros de la French theory ». De quoi hérisser, biaiser voire saper les modèles de ceux qui sont « bien installés dans le monde avec une stabilité assurée » contrairement à d’autres, pas du tout engagés et « naturellement du côté des anarchistes ».

Car pour Annie Le Brun, « réfractaire à la dérive théorique d’une grande partie de la pensée académique contemporaine », impossible de croire « au sérieux de ce qui se présente comme tel pour exercer un pouvoir, quel qu’il soit, a fortiori dans le domaine des idées ».

Elle qui se flatte d’être un mauvais sujet, déniant les chemins tracés, préfère, « à qui perd gagne », s’affairer au « démantèlement des rouages de la servitude » et s’affronter à ce qui s’écarte du monde sensible et du corps, rogne l’imagination et œuvre à dépassionner l’existence.


Dans l’état d’urgence que vit l’époque, « tout se tient », de la famine imaginaire à l’évolution cataclysmique de la culture, de la faillite de la pensée, au gavage littéraire, jusqu à la censure sensible et au sabotage de la vie passionnelle. Toutes ces mauvaises nourritures frelatées, appelleraient-elles un réveil pour sortir de « l’hypnotisation généralisée » ?

Dans cette ambiance bourrative, Annie Le Brun dégage une brise de liberté qui emporte jusqu’à la haute mer d’une révolte si rare par les temps qui courent, prenant le large et larguant les amarres, et qui, contre vents et marées, ne cesse de rappeler que « si la servitude est contagieuse, la liberté l’est encore plus ».

 

Pour en découvrir plus, voici un autre entretien « Appel à la désertion », propos recueillis par Marine Boisson et Jean Védrines

Loin « du gigantesque club med intellectuel » et du « guindé théorique », les propos recueillis à Paris le 4 janvier 2001 par Fabien Ollier sont forts éclairants :


Myriam Peignist


*******


Voici une retranscription en texte de l’entretien d’Antoine Mercier avec Annie Le Brun, comme témoin d’un autre regard sur ce qu’on appelle « la crise », sur France Culture le 30-01-2009 à 12h30:


- Antoine Mercier : Et nous recevons donc aujourd’hui l’écrivain, philosophe, poète aussi, Annie Le Brun. Bonjour. (début de l’entretien)


- Annie Le Brun : Bonjour.


-Antoine Mercier : Merci beaucoup d’être venue dans ce studio. Je vous propose par commencer peut-être d’explorer les symptômes de cette crise, à partir d’un domaine sur lequel, en tant qu’écrivain et poète vous êtes particulièrement sensible, c’est celui du langage de son évolution, notamment des mots et aussi de la grammaire, d’un langage qui se développe, dites-vous, en continuel « déni de réalité » ? Est-ce qu’on peut rendre quelques exemples, peut-être pour bien comprendre ce que vous dites quand vous parlez d’évolution du langage et du problème que ça peut poser ?


- Annie Le Brun : ça fait longtemps que ça a commencé mais ça prend des proportions maintenant exorbitantes et ce qu’il y a d’extraordinaire c’est qu’on s’en rend de moins en moins compte. […] ça a commencé avec l’intrusion du langage technique à peu près dans tous les domaines. Par exemple, c’est ainsi qu’on a parlé de la « bombe propre », des « frappes chirurgicales » et puis maintenant on parle de la « croissance zéro ». Même, on a entendu ces derniers temps parler de « croissance négative ». Alors là on voit très bien quelle est cette fonction du langage. C’est un langage qui interdit la contradiction. Ce sont des formules ritualisées, qui sont assez bien frappées pour être reprises par tout le monde et de telle sorte qu’on ne peut plus les contester. […] Du coup, il y a une sorte de sidération et ça a une fonction hypnotique, une fonction anesthésiante qui va permettre de tout avaler et avec la crise, on voit comment ça se passe. C’est continuellement des discours qui ont cette fonction hypnotisante.

 

- Antoine Mercier : Donc ça c’est un symptôme pour vous de quoi, du fait qu’il n’y a plus de réaction, que nous sommes pris dans un système sur lequel on n’a plus de prise précisément, parce qu’on n’a plus le langage pour y accéder ?


- Annie Le Brun : on n’a plus de prise, pas seulement parce qu’on n’a plus le langage pour y accéder (le langage étant à la fois le reflet et l’instrument de cette sorte d’hypnotisation générale), mais aussi c’est pour ne pas voir (quand même on commence à voir, avec les dimensions que prend la crise financière), pour ne surtout pas voir que « tout se tient » : Parce que cette « crise financière », dans le fond, est l’équivalent, dans le monde économique, de ce qu’a été « la vache folle » dans le monde alimentaire, de ce qu’à été l’affaire du « sang contaminé »…

 

- Antoine Mercier : C'est-à-dire ?


- Annie Le Brun : Donc c'est-à-dire des mécanismes, des systèmes qui commencent à fonctionner tous seuls, qui donnent l’impression de fonctionner tous seuls. Et à un moment tout se passe comme si on n’avait plus les moyens d’arrêter cette machine, parce que justement on perd les moyens du rapport des choses avec la façon de les exprimer et qu’on perd aussi la relation entre la cause et l’effet. Et ça c’est très grave parce qu’on ne s’aperçoit plus de ce qu’on fait.


- Antoine Mercier : ça paraît assez dramatique comme ça à 12h44 ; ça veut dire que la pensée elle-même, peut-être, est atteinte, la capacité à penser, les conditions de possibilités de penser, y compris cette crise, seraient atteintes selon vous ?


- Annie Le Brun : Oui. Et d’ailleurs on voit très bien comment il n’y a pas, comment il y a très peu de gens, parmi par exemple les intellectuels, qui s’opposent à tout ça, même s’il y a des critiques […] mais très souvent ces critiques sont très spécialisés, qui abordent un seul point, qui ne donnent qu’un seul aspect du paysage alors que j’ai l’impression que « tout se tient » et c’est ça que l’on ne veut pas voir, et c’est ça qu’il faut dissimuler.


- Antoine Mercier : « Tout se tient » c'est-à-dire ? Le « tout » qu’est-ce que vous mettez dedans ?


- Annie Le Brun : Il y a une sorte d’équivalence dans le désastre c'est-à-dire […], à la remodélisation des villes en centre commercial généralisé, correspond le body building, correspond la chirurgie esthétique, et au crabe reconstitué, à cette nourriture industrielle qu’on débite, correspond aussi la sorte de nourriture culturelle qu’on essaye de nous faire avaler. De telle sorte que toutes les conditions sont en place pour qu’on avale tout : Aussi bien la mauvaise nourriture que l’absence de pensée. Voilà.


- Antoine Mercier : Est-ce qu’il y a quelqu’un qui pilote cette opération qui fait tout avaler ? Comment on fait pour résister pour sortir de cet enfermement. Est-ce que vous avez des pistes Annie Le Brun ?


- Annie Le Brun : Il n’y a pas quelqu’un qui fait en sorte que ça se passe comme ça. Le cours des choses est tel qu’on a de moins en moins de prise sur ce qui se passe et qu’il y a de moins en moins de personnes pour s’y opposer.


- Antoine Mercier : Comment on fait individuellement ; ça a quelle implication quant à l’atteinte des personnes, presque anthropologique. Est-ce que vous pouvez nous dire comment on se sent dans ce système et peut-être à partir de là, sur quel levier agir pour réagir ?


- Annie Le Brun : J’ai l’impression que les gens, les individus se sentent perdus. Et justement aussi par cette invasion du langage technologique, pour rendre compte, par exemple de la vie intérieure. Donc du coup, les êtres sont de plus en plus démunis devant ce qui leur arrive. Alors ils sont prêts à accepter tout les ersatz de communication. Et en ce sens, ce que propose internet, avec cette sorte de lien cliquable convient parfaitement. Tout ce passe comme si il y avait toujours un produit à nous vendre pour boucher la sorte d’absence de communication. Et on pourrait dire que tout ce qui se passe sur internet, comme façon d’avoir un contact…


- Antoine Mercier : Vous parlez des réseaux ?


- Annie Le Brun : …il y a quand même un côté « d’aliénation de proximité » et tout ça repose sur un EFFACEMENT DU CORPS c'est-à-dire un effacement de la sensibilité. Et ça c’est très grave.

En revanche, à propos des manifestations d’hier […] quelques commentateurs que j’ai entendus n’ont pas relevés que beaucoup beaucoup de gens avaient une sorte de papillon : et ce papillon c’était « rêve général » et je me suis approchée et en petit il y avait « utopistes debouts ! » et en gros « RÊVE GENERAL ». Et alors j’ai demandé qu’est-ce que c’est ? Les gens ne savaient pas et disaient « on nous a donné ». Ils avaient l’air très contents d’avoir ça et ça je trouve que c’est extrêmement important parce que c’était en discordance avec les slogans ou les banderoles, avec ce qui était manifesté. Ce qui était manifesté était de l’ordre économique. Et ils avaient toutes les raisons d’avoir ces genres de revendications et les craintes sur ce qui pouvaient leur arriver.

En revanche, tout s’est passé comme si il y avait cette sorte de lieu d’où on allait prendre une distance et ce lieu c’était ce rêve général. Et tout d’un coup, je pense que là quelque chose à bougé. (fin de l’entretien)




1 Le « rêveur définitif, c’est lui qu’on travaille à liquider sourdement, avec ses encombrant bagages utopiques, son incorrigible innocence et son désir toujours à venir », A. Le Brun, Appel d’air, Plon, 1988, p. 29

Ecrit par libertad, à 19:32 dans la rubrique "Pour comprendre".

Commentaires :

  OgRuR
04-02-09
à 21:30

Il est heureux qu'Annie Le Brun reparaisse. Ces derniers jours je pensais justement que sa voix manquait...

"Tout est lié" très certainement et Debord disait en 1988 dans ses "commentaires à la société du spectacle" qu'on ne pouvait pas réformer le plus petit détail sans défaire l'ensemble.

Nous sentons tous un point de basculement parce que précisement "le (re)sort en est jeté" c'est qu'il n'y a plus de moyens de "rebondir", pour employer, sciemment, un lieu commun récurent de l'époque et pour le rejeter définitivement d'où il vient, le stade et la performance, la télévision et l'hypnotisation et plus généralement le spectacle car c'est son corrolaire ce rêve général tronqué qui rappelle aux considérables efforts consentis pour écraser le sensible. Il se pourrait qu'alors imparablement lui succède, et l'on en voit les prémices, un effacement et un retrait maintenant auto-discipliné du sensible; la "discipline de la haine" pourrait être le pendant contemporain de l'analyse caractérielle du sujet par Wilhelm Reich à la montée du nazisme. Mais cette discipline n'est pas une analyse c'est un effacement progressif du sujet sensible derrière ce qui le contraint à l'image des CRS effacés derrière leurs boucliers dans la seule attente d'une charge contre les dernières manifestations du caractère sensible.

Ces coups indéterminés donnés sur ordre sont dans l'ordre de l'indétermination, propre toujours à satisfaire la barbarie seule en reconstituant le sujet autour de la matraque. La tête contre la matraque c'est la matraque en tête qui se fracasse sur une ambivalence désormais simplifiée à un combat qui oppose, en soi, deux camps: la tête et le corps contre la matraque et l'autre.   

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