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La « nation », une communauté politique imaginaire
Lu sur A voix autre : "La « nation » est une « communauté politique imaginaire, et imaginée comme intrinsèquement limitée et souveraine », estime Benedict Anderson. « Elle est imaginaire parce que même les membres de la plus petite des nations ne connaîtront jamais la plupart de leurs concitoyens : jamais ils ne les croiseront ni n’entendront parler d’eux, bien que dans l’esprit de chacun vive l’image de leur communion. »

L’Union européenne a connu récemment des tensions régionalistes en son sein – en Belgique par exemple – et des conflits armés à sa porte – au Kosovo ou en Ossétie. Dans les deux cas, on retrouve des exigences autonomistes voire indépendantistes au nom de l’« identité » d’un « peuple » – en tant que groupe homogène – ou au nom de celle d’une « nation ». Ces notions sont-elles recevables ?

La « nation » est une « communauté politique imaginaire, et imaginée comme intrinsèquement limitée et souveraine », estime Benedict Anderson. « Elle est imaginaire parce que même les membres de la plus petite des nations ne connaîtront jamais la plupart de leurs concitoyens : jamais ils ne les croiseront ni n’entendront parler d’eux, bien que dans l’esprit de chacun vive l’image de leur communion. » « La nation est imaginée comme limitée parce que même la plus grande d’entre elles, pouvant rassembler jusqu’à un milliard d’êtres humains, a des frontières finies, mêmes si elles sont élastiques, derrière lesquelles vivent d’autres nations. Aucune nation ne s’imagine coextensive à l’humanité. Les plus messianiques des nationalistes ne rêvent pas au jour où tous les membres de l’espèce humaine rejoindront leur nation, ainsi qu’à certaines époques les chrétiens ont pu rêver d’une planète entièrement chrétienne. » « Elle est imaginée comme souveraine parce que le concept est apparu à l’époque où les Lumières et la Révolution détruisaient la légitimité d’un royaume dynastique hiérarchisé et d’ordonnance divine. […] Les nations rêvent d’êtres libres et de l’être directement, même si elles se placent sous la coupe de Dieu. L’Etat souverain est le gage et l’emblème de cette liberté. » « Enfin, elle est imaginée comme une communauté parce que, indépendamment des inégalités et de l’exploitation qui peuvent y régner, la nation est toujours conçue comme une camaraderie profonde, horizontale. En définitive, c’est cette fraternité qui, depuis deux siècles, a fait que tant de millions de gens ont été disposés, non pas tant à tuer, mais à mourir pour des produits aussi limités de l’imagination. » [1]

La nation comme un être humain ?

Les nationalistes ont tendance à comparer la « nation » à un être humain. « C’est pourquoi la plupart des définitions de « l’identité nationale » mobilisent les deux critères qui, selon Ricoeur, caractérisent l’identité d’une personne : la « mêmeté » et l’« ipséité » », indique Gérard Noiriel. « La « mêmeté » indique que X est un idem de Y par opposition à Z. Dans cette perspective une nation existe parce que ces membres possèdent des caractéristiques qui permettent de les distinguer de représentants des autres nations. » « L’« ipséité » désigne la conscience de soi. Elle suppose la continuité dans le temps, c’est-à-dire la mémoire. Les membres d’une nation doivent donc revendiquer une même origine et faire état d’une permanence dans l’histoire. » [2]

La « mêmeté », non valable

La mêmeté des membres d’une « nation » ne peut se baser sur la langue. « La langue commune apparaît d’autant plus importante pour les défenseurs du concept de nation qu’elle est le moyen d’expression primordial d’un peuple et que, dans une certaine mesure, elle doit être considérée comme le produit de l’ensemble de sa vie intellectuelle. La langue n’est pas l’invention des hommes en tant qu’individus. L’ensemble de la communauté a participé à sa création et à son développement, et continue à le faire aussi longtemps que cette langue existe. C’est pourquoi cette langue apparut aux promoteurs de la pensée nationaliste comme le produit le plus achevé de l’unité nationale. Et pourtant ce concept, aussi séduisant et irréfutable qu’il puisse paraître à la plupart des gens, repose sur un postulat tout à fait arbitraire. Parmi les langues qui existent actuellement, on n’en trouve pas une seule qui se soit développée à partir d’un peuple bien défini. Il est possible qu’il y ait eu autrefois des langues homogènes. Mais cette époque est bien loin derrière nous et se perd dans la nuit des temps. L’individualité de la langue disparaît aussitôt que s’établissent des liens réciproques entre les hordes, les tribus, les peuplades. Plus ces relations se sont multipliées et diversifiées au cours des millénaires, plus les emprunts ont été nombreux entre les langues, et donc entre les cultures. En conséquence, aucune langue n’est un produit purement national émanant d’un seul peuple ou d’une nation particulière. Des hommes d’origines diverses ont contribué à l’élaboration de chacune de nos langues culturelles. Car une langue, aussi longtemps qu’elle est en usage, et d’une manière inévitable, adopte constamment des matériaux linguistiques étrangers malgré toutes les criailleries des puristes fanatiques. Chaque langue est donc une structure toujours en cours d’élaboration, et qui n’obéit à aucune règle fixe et nargue toute logique. Non seulement parce qu’elle fait continuellement les emprunts les plus divers aux autres langues – un phénomène dû aux innombrables influences et points de contact créés par la vie culturelle – mais aussi parce que son vocabulaire déjà existant se trouve en perpétuelle transformation. Très lentement et imperceptiblement les nuances et les degrés des concepts exprimés dans les mots se transforment, et il n’est pas rare qu’un mot veuille dire aujourd’hui exactement le contraire de ce qu’il exprimait à son origine. » [3]

Sous l’effet de l’introduction d’une nouvelle religion ou d’une nouvelle technologie, sous l’effet d’une révolution ou d’une guerre… « au cours de certaines périodes, la langue se transforme si profondément qu’aux nouvelles générations, qui regardent en arrière et scrutent son évolution, elle paraît toujours plus étrangère, jusqu’à ce qu’elle atteigne un point où elle n’est généralement plus comprise et n’a plus rien à dire sauf au chercheur. » « En France, cent ans après sa mort, c’est à peine si l’on comprenait encore la langue de Rabelais. Les Français d’aujourd’hui ne peuvent pénétrer dans le texte original de ce grand humaniste qu’à l’aide d’un dictionnaire particulier. » [4]

« Si l’on considère d’emblée que la langue est un des attributs essentiels d’une nation, on oublie souvent que la compréhension réciproque entre ressortissants d’une même nation n’est souvent possible que par le truchement de la langue écrite commune. Cependant, la langue écrite, qui ne s’élabore que petit à petit dans chaque nation, est toujours par rapport au langage populaire une création artificielle. C’est pourquoi il existe constamment un certain antagonisme entre langue écrite et langage populaire car ce dernier ne se soumet que de mauvaise grâce à la contrainte extérieure. Il est certain que toute langue écrite se développe d’abord à partir d’un dialecte particulier. Habituellement, ce dialecte est celui d’une région économiquement ou culturellement avancée ». « Graduellement, la langue écrite emprunte aussi des mots aux autres dialectes, ce qui permet de se comprendre grâce à une même langue à l’intérieur d’un plus vaste territoire. Ainsi, nous trouvons dans la traduction de la Bible par Luther, qui s’appuie sur le dialecte de la Haute-Saxe, une quantité d’expressions empruntées à d’autres dialectes allemands. Beaucoup de mots utilisés par Luther dans sa traduction étaient tellement inconnus dans le sud de l’Allemagne qu’ils nécessitèrent des explications particulières pour pouvoir y être compris. » [5]

La « mêmeté » ne peut pas non plus reposer sur un art « national ». Tout art subit des influences « étrangères ». Rocker rappelle aussi que « les différentes tendances artistiques ne prennent pas racine dans une nation mais dans l’époque ou dans les conditions sociales de cette époque. Classicisme et romantisme, expressionnisme et impressionnisme, cubisme et futurisme sont des phénomènes d’époque sur lesquels la nation n’a aucune influence. Chez des artistes qui certes ne sont pas de la même nation mais appartiennent au même courant artistique, la parenté se reconnaît au premier regard. Alors que, chez deux artistes originaires de la même nation, mais dont l’un est adepte du classicisme et l’autre marche sur les pas du cubisme ou du futurisme, il n’existe aucun point commun en ce qui concerne leur art. Cela vaut pour n’importe quel art et aussi pour la littérature. » [6]

L’« ipséité », non valable

L’« ipséité » doit également être écartée. La modernité des « nations » entre en contradiction avec leur ancienneté subjective telle qu’elle est prêchée par les nationalistes. Il n’y a pas de permanence, par exemple, dans le cas de la Belgique. Xavier Mabille écrit à ce sujet : « Il y a certes un Etat belge depuis 1830, avec une Constitution, mais cet Etat ne s’est pas créé par un processus de formation nationale. Il n’y a pas eu un jour des Belges qui se sont écriés : « Nous voulons un Etat ! » Il y avait seulement une spécificité qui s’exprimait dans un autre ensemble : les Pays-Bas, avec le sud belge catholique et le nord hollandais protestant. Il y avait donc spécificité mais non identité. » [7] Soulignons ce dernier point.

François Perin tranche : « Y a-t-il une nation belge avant 1830 ? On peut en douter. Le mot « Belgique » apparaît sous forme d’un qualificatif mis au pluriel lors de la révolution brabançonne de 1789-1790 (…) Faire remonter le sentiment national belge au-delà de la Révolution française est un fiction pure. » « Faut-il enfin rappeler que la Belgique est une construction de la diplomatie européenne de 1830. Elle résulte surtout de l’accord entre le Gouvernement de Louis-Philippe, roi de France, dont Talleyrand était le ministre des Affaires étrangères, et le Gouvernement britannique. » « L’esprit national belge, de l’aveu même de Godefroid Kurth et de Henri Pirenne [8], était faible au XIXe siècle ; cet état d’esprit collectif devient populaire et atteint son paroxysme sous le règne du roi Albet en raison du choc provoqué par l’invasion allemande de 1914-1918. » [9]

Sébastien Dubois a, lui, un avis assez divergent. Et pourtant… Après avoir rappelé que la « Gaule belgique » de César désigne une région qui s’étend de la Seine et de la Marne au Rhin et auquel le territoire actuel de la Belgique ne correspond donc pas, il indique que le nom de « Belges » ne désigne pas une nation au sens actuel mais une « fédération de peuples assez lâche occupant l’espace situé entre les bassins des deux grands fleuves du nord de l’Europe. » De plus, s’il estime que l’adjectif « belgique » commence à se généraliser vers 1750 — avec l’emploi d’expressions telles que « provinces belgiques », « sujets belgiques » —, Dubois dit que « le nom de Belgique, au substantif, existe bel et bien en langue française depuis le XVIe siècle. La négation de ce fait est cependant utile aux tenants de la thèse selon laquelle l’Etat belge né au XIXe siècle était purement artificiel. » Mais il reconnaît néanmoins, en soulignant indirectement le rôle de l’enseignement dans la naissance d’un sentiment national : « En revanche, l’immense majorité des habitants de nos régions, largement illettrés, n’avaient pas conscience d’être des Belges. ». L’historien va plus loin : il pointe le rôle des frontières dans la création du sentiment de patrie commune. « L’explication la plus plausible de la révolution de 1830 est l’émergence d’une identité nationale déterminée, par l’évidence et la conscience de ces limites territoriales qui séparent un groupe humain d’un autre et le persuadent de constituer une nation. » Sébastien Dubois en vient pratiquement à défendre l’idée de conception artificielle des patries : « La naissance d’un Etat est un événement aléatoire, résultant d’une multitude de contingences. En réalité, la Belgique, comme la France ou la Hollande, n’était qu’un « possible », un possible entre mille. » [10]

Pour essayer d’englober cette question et de la résumer, nous pouvons nous appuyer sur Immanuel Wallerstein. Il épingle que « L’histoire des nations, à commencer par la nôtre, nous est toujours présentée dans la forme d’un récit qui leur attribue la continuité d’un sujet. La formation de la nation apparaît ainsi comme l’accomplissement d’un « projet » séculaire, marqué d’étapes et de prises de conscience que les partis pris des historiens feront apparaître comme plus ou moins décisives (où placer les origines de la France ? aux ancêtres gaulois ? à la monarchie capétienne ? à la révolution de 89 ?, etc.) mais qui de toute façon s’inscrivent dans un schéma identique : celui de la manifestation de soi de la personnalité nationale. Une telle représentation constitue certes une illusion rétrospective, mais elle traduit aussi des réalités institutionnelles contraignantes. L’illusion est double. Elle consiste à croire que les générations qui se succèdent pendant des siècles sur un territoire approximativement stable, sous une désignation approximativement univoque, se sont transmis une substance invariante. Et elle consiste à croire que l’évolution dont nous sélectionnons rétrospectivement les aspects de façon à nous percevoir nous-mêmes comme son aboutissement, était la seule possible, qu’elle représentait un destin. Projet et destin sont les deux figures symétriques de l’illusion de l’identité nationale. » [11]

« Y a-t-il une nation belge, une nation hollandaise, une nation luxembourgeoise aujourd’hui ? La plupart des observateurs semblent le croire. Mais si tel est le cas, n’est-ce pas parce qu’a existé d’abord un Etat hollandais, un Etat belge, un Etat luxembourgeois ? Un examen systématique montrera, je crois, que, dans presque tous les cas, l’Etat a précédé la nation, et non l’inverse, contrairement à un mythe largement répandu. » [12]









Notes

[1] Benedict Anderson, « L’imaginaire national. Réflexions sur l’origine et l’essor du nationalisme », La Découverte, 2006.

[2] Gérard Noiriel, « A quoi sert « l’identité nationale » », Agone, 2007.

[3] Rudolf Rocker, « Nationalisme et culture », Editions libertaires, 2008.

[4] Rudolf Rocker, « Nationalisme et culture », Editions libertaires, 2008.

[5] Rudolf Rocker, « Nationalisme et culture », Editions libertaires, 2008.

[6] Rudolf Rocker, « Nationalisme et culture », Editions libertaires, 2008.

[7] Xavier Mabille dans Regards, n°282, 1991

[8] deux historiens

[9] François Perrin, « Y a-t-il une nation belge ? » dans H. Dumont, C. Franck, F. Ost et J.-L. De Brouwer [dir.], Belgitude et crise de l’Etat belge, Facultés universitaires Saint-Louis, 1989.

[10] Interview de Sébastien Dubois par Jacques Gevers, « Un pays inventé ? », dans La Belgique à travers l’histoire, hors-série du Vif-L’Express, 8 décembre 2005.

[11] Immanuel Wallerstein dans Etienne Balibar et Immanuel Wallerstein, « Race, nation, classe. Les identités ambiguës », La Découvert, 1998

[12] Immanuel Wallerstein dans Etienne Balibar et Immanuel Wallerstein, « Race, nation, classe. Les identités ambiguës », La Découvert, 1998

Ecrit par libertad, à 22:37 dans la rubrique "Pour comprendre".



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