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L'En Dehors


Quotidien anarchiste individualiste





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Je reecris ton nom libertaire
lu sur ainfos. : " [ la relecture de ce texte publié dans le Monde Libertaire # 1319 du 8 mai 2003 est
fort à propos alors que la LCR a lancé son nouveau produit : le Nouveau parti
anticapitaliste (NPA) ]

"L'analyse de l'OPA (Opération pirate sur les anarchistes) de la LCR, présentée
ici, s'inscrit dans le propos plus large d'un ouvrage paru aux éditions
Paris-Méditerranée (Coll. « Les Pieds dans le plat ») : Je réécris ton nom,
Révolution.

Le « petit facteur » de la LCR n'aura pas eu besoin qu'on le sonne deux fois pour
annoncer la bonne nouvelle : Le libertaire nouveau est arrivé ! Les prospectus
qu'il distribuait, entre les deux tours des présidentielles, au printemps 2002,
semblaient pourtant la contredire : Aux urnes, à nouveau, citoyens ! Il faut bouter
Le Pen hors des murs de la République ! L'isoloir serait-il devenu un passage
obligé pour tout libertaire qui se respecte ? Tel était, en tout cas, le message
urgent qu'Olivier Besancenot avait à faire passer, avec l'aide empressée de médias
soudainement intéressés, à l'issue d'une tournée des calendriers électoraux pendant
laquelle il lui fut donné de sentir d'où viendrait le vent pour les prochaines
consultations.

En fait de vent, il s'agit tout simplement de revivifier d'un « souffle libertaire
» le marxisme révolutionnaire, comme nous l'apprend le dernier numéro de
Contretemps, revue théorique de la LCR. (1) Un changement de cap idéologique
périlleux, si l'on songe au passé - pour ne rien dire du présent - de cette
organisation. Aussi le pilotage du numéro a-t-il été confié à deux barreurs hors
pair : Philippe Corcuff et Michaël Löwy.
Sociologue, politologue et surtout idéologue tout terrain, le premier nous inflige
comme à l'accoutumée, mais cette fois aux dépens de Rosa Luxemburg, un laïus sans
consistance truffé de falsifications où il donne libre cours à son penchant pour
les mésalliances de mots les plus déconcertantes et prend assez de libertés avec
l'histoire pour nous faire oublier pourquoi Rosa et ses camarades finirent par ne
voir dans la social-démocratie qu'un « cadavre puant » qu'aucun artifice langagier
ne pourrait rendre à la vie. Ainsi en profite-t-il pour nous resservir l'une de ses
trouvailles préférées : le « concept » - terme à prendre ici non dans son acception
théorique, mais au sens que lui ont donné les publicitaires - de «
social-démocratie libertaire ».
Second pilote à la man?uvre, Michaël Löwy, directeur de recherche médaillé du CNRS
et directeur de conscience écouté parmi les adeptes du marxisme lénifiant, se pose
en héritier présomptif et surtout présomptueux du mouvement surréaliste pour nous
saouler de sa rhétorique sur l'« ivresse libertaire » de Walter Benjamin érigé en
maître à tout penser. Une manière comme une autre de montrer que la LCR aurait
définitivement rompu avec l'avant-gardisme, l'autoritarisme et le dogmatisme que
des esprits aussi chagrins que mal informés persistent à lui imputer.

Pour prouver que la page d'un certain trotskisme est définitivement tournée, nos
experts en détournement n'y sont pas allés de main morte. Le numéro de Contretemps
s'ouvre, en effet, sur un scoop de taille : rien moins que la naissance d'une «
première Internationale au xxie siècle », une fois dépassées les « vieilles
querelles » entre marxistes et libertaires. Exit, donc, la IVe Internationale dont
la LCR attestait la survivance en France. Il est vrai que son nouveau porte-parole
avait déjà révélé au Monde qu'avant de devenir trotskiste, il avait été «
libertaire ». Et qu'il le serait, par la suite, plus ou moins resté. Libertaire,
donc, Alain Krivine qui, au soir des élections européennes de 1999, s'écriait avec
enthousiasme, en apprenant qu'il avait gagné son ticket d'entrée au parlement de
Strasbourg : « On a des élus, c'est le plus important. » (2) L'important, pour les
rénovateurs trotskistes, ce n'est plus le rouge ni même l'orange qui l'a remplacé
sur leurs nouvelles bannières : c'est la couleur des sièges dans lesquels ils
allaient pouvoir enfin se caler, à Strasbourg ou ailleurs. Libertaires, le sont,
d'une façon plus générale, avec Besancenot, Bensaïd et consorts, toutes les
girouettes que leur sensibilité aux trous d'air électoraux pousse à « coller à
l'air du temps contestataire », comme le dit si bien Libération qui, à défaut de
toujours savoir de quoi il parle, sait à qui il a affaire avec les apparatchiks de
la Ligue et ses penseurs attitrés.

« Changer le monde sans prendre le pouvoir ? » Sous son allure de sentence
faussement interrogative, le titre aguicheur de la revue Contretemps est des plus
trompeurs. Car prendre le pouvoir, c'est avoir le pouvoir de changer le monde, et y
renoncer revient à le laisser à ceux qui le possèdent déjà. On l'aura pressenti :
ce « souffle libertaire » qui émane sans prévenir de la LCR va surtout permettre à
la bourgeoisie mondialisée de souffler.


Le social-opportunisme

De la part de tous ces néo- ou post-trotskistes spécialistes de l'entrisme à tous
crins, le sort - et le tort - qu'ils font maintenant subir au mot « libertaire »
n'a rien qui doive étonner. Encore faut-il, pour s'en convaincre, rappeler d'où il
vient. Déjà connu après la Commune dans les milieux antiautoritaires, ce néologisme
est né à la fin des années 1850 de la plume acide d'un anarchiste, Joseph Déjacque,
qui n'eut de cesse de clouer au pilori les compromis et les compromissions de la
petite-bourgeoisie républicaine de l'époque. (3) Elle avait mené le mouvement
révolutionnaire à une série de défaites et nourrissait un respect viscéral pour
toutes les procédures de la démocratie parlementaire qui faisait alors ses
premières armes en désarmant tous ceux qui opposaient au culte de la légalité
bourgeoise l'aspiration à une lutte et à des formes d'organisation nées au sein du
peuple même. Au « crétinisme parlementaire », indissociable des pratiques
opportunistes de la social-démocratie, s'est donc tout aussitôt opposée la pensée
libertaire qui dénie aux délégués élus le pouvoir d'user et d'abuser de l'autorité
qui leur est conférée par le vote. Et si le « libertaire » mettait plutôt l'accent
sur la dimension individuelle de la révolte, l'anarchie, issue parallèlement du
mouvement ouvrier, l'associait à une idée d'organisation collective autonome
refusant toute professionnalisation de la politique et, a fortiori, le rôle et le
règne des révolutionnaires professionnels. Ce sont donc toutes les formes de la
démocratie représentative qui, dès l'origine, seront implicitement et explicitement
prises sous le feu de la critique.

Parole de Besancenot : « Pour nous, l'erreur des bolcheviks, c'est d'avoir
sous-estimé la question démocratique [...]. Nous sommes évidemment pour le
pluralisme. » (4) « Nous », c'est évidemment la minibureaucratie de la Ligue qui,
après avoir réussi à se faire une place « à gauche de la gauche » comme supplétive
de la « gauche plurielle », découvre qu'elle peut damer le pion au PCF et jouer sa
partition dans le concert des grands. Reconnue et réévaluée dans ce contexte, la «
question démocratique » n'est autre que celle que l'on soumet d'ordinaire aux
étudiants de première année de Sciences Po et à laquelle ont déjà répondu par
avance, depuis des décennies, tous les propagateurs de lieux communs sur les
bienfaits de l'ordre politique bourgeois. Une réponse qui rejette toute idée
d'action révolutionnaire des dominés contre cet ordre, comme non démocratique parce
que relevant d'une conception « totalitaire » et, depuis le 11 septembre 2001, «
terroriste » de la transformation de la société.

On peut, de la sorte, sous couvert de se libérer des « pesanteurs idéologiques »,
se débarrasser tranquillement de tous les principes révolutionnaires gênants, tout
en conservant le principe d'autorité du bolchevisme et de la social-démocratie,
inhérent à des appareils dont la structure et le fonctionnement sont calqués sur le
modèle étatique. On comprend, dès lors, qu'Edwy Plenel, journaliste d'investigation
policière toujours prêt à accueillir ses anciens camarades de promotion trotskiste
dans les colonnes du Monde, ait lui aussi découvert « ce passage vers une pensée de
liberté, vers une idée libertaire de démocratie ».

Pour dissimuler le sens de leur adhésion au pluripartisme et aux « élections libres
», c'est-à-dire à la démocratie de marché, les néo-trotskistes se doivent de
dévoiler ce qui aurait été oublié par leurs prédécesseurs, à savoir la dimension
subjective de l'individu et son irréductible altérité, de traquer l'aliénation dans
tous les domaines du quotidien, de suggérer que les combats des féministes et des
écologistes transcendent les luttes de classes - toutes choses qui auraient été
mises sous le boisseau par le marxisme qu'ils professaient la veille, quand ils
assénaient leur pédante leçon de matérialisme aux analphabètes de toutes
confessions, anarchistes, conseillistes et autres « basistes » saisis par le «
spontanéisme ». De même leur faut-il intégrer le possible, l'aléatoire, l'utopique
et, pourquoi pas pendant qu'on y est, le rêve, la mélancolie et le prophétique dans
leur conception de l'histoire, car ils veulent désormais échapper au déterminisme,
voire au fatalisme, dont ils auraient été victimes bien malgré eux.

Dans ces conditions, le sénateur « socialiste » Henri Weber, ex-dirigeant de la
Ligue devenu bras droit (ou gauche) de Laurent Fabius était en droit de demander,
toujours dans les pages du Monde, à ses anciens camarades ce que le « révisionniste
» Eduard Bernstein réclamait jadis de la social-démocratie : qu'elle « ose paraître
ce qu'elle est », et qu'elle devait si bien montrer avec son ralliement à « l'union
sacrée », en 14-18. Que les soi-disant communistes révolutionnaires de la LCR,
donc, osent enfin paraître à leur tour pour ce qu'ils sont, malgré leurs
dénégations : « des réformistes de gauche, à peine plus radicaux » que des renégats
qui ont simplement poussé plus loin, et plus tôt, l'abandon de leurs positions
d'antan, tels Julien Dray, Jean-Luc Mélenchon ou l'inspecteur du travail Gérard
Filoche.
Henri Weber, en vérité, devrait plutôt prier pour que son souhait reste un v?u
pieux, car afin qu'il puisse sans crainte paraître lui-même pour ce qu'il est
effectivement devenu, un réformateur bon teint, c'est-à-dire rose pâle, il est
préférable que les néo-trotskistes continuent de passer pour ce qu'ils ne sont plus
: des « rouges ». Inviter la LCR à se dépouiller de son label d'extrême gauche,
comme elle l'a d'ailleurs déjà fait en se revendiquant « 100 % à gauche », n'est-ce
pas courir le risque, pour Henri Weber et les politiciens de son acabit, de se
retrouver, du coup, catalogués à l'extrême centre, tout près du «
libéral-libertaire » Daniel Cohn-Bendit et non loin du libéral tout court François
Bayrou ?

C'est pour ne pas avoir à rendre publique leur propre dérive dans ce glissement
général vers la droite que les fins stratèges de la LCR ont encouragé l'un de leurs
idéologues maison à mixer la social-démocratie avec l'esprit libertaire afin d'en
extraire un « concept » aussitôt mis sur orbite médiatique, grâce à leurs multiples
accointances avec cette presse qu'ils ont cessé de qualifier de bourgeoise. Sous
peine de finir par être confondu avec le social-libéralisme et d'être ainsi
suspecté d'accommodement avec le néo-libéralisme honni, le social-opportunisme de
facture trotskiste se doit d'apparaître badigeonné d'une couche de « radicalité ».
Une touche de vernis « libertaire » fera donc l'affaire.

Les néo-trotskistes se verraient-ils, dès lors, contraints de défendre
simultanément une chose et son contraire : la tradition social-démocrate et un
engagement libertaire ? Nullement. Les deux plateaux de la balance sont, en effet,
inégalement chargés. Ou, si l'on préfère, les poids et les mesures ne sont pas les
mêmes dans l'un et l'autre cas. D'une part, des pratiques : légalisme,
électoralisme, étatisme, participation au jeu institutionnel classique de la
démocratie représentative. De l'autre, des discours : sur l'autonomie, la révolte
et l'insoumission, professions de foi sans cesse démenties par les actes. Bref,
d'un côté des positions, de l'autre des postures. Ainsi s'explique que tout ce que
le mot « libertaire » exprime d'ordinaire, y compris dans les dictionnaires, se
voit associé pour ne pas dire accouplé de la manière la plus obscène à son
contraire, la social-démocratie - l'un des piliers les plus solides de l'État
capitaliste.


Une révolution "sociétale"

S'il ne fait pas de doute que la revendication « libertaire » de la LCR relève de
l'usurpation et de l'imposture, il serait toutefois naïf de n'y déceler qu'un
simple cache-sexe « anticonformiste » destiné à masquer la mise en conformité de
l'organisation trotskiste avec les normes de la démocratie bourgeoise. Dans son cas
comme dans bien d'autres, parler de « récupération » n'a de sens qu'à condition de
ne pas oublier qu'à travers des mots ou des idées, ce sont des gens qu'il s'agit
avant tout de récupérer.

Chacun sait, et les dirigeants de la LCR les premiers, qu'il est devenu difficile,
en politique, d'attraper les mouches avec du vinaigre, à savoir avec l'image
révulsive d'un révolutionnarisme archaïque : références vieillottes, langue de
bois, militantisme ascétique, etc. Certes, il n'est pas inutile de reprendre
quelques-uns des slogans et des mots d'ordre traditionnels de la lutte
anticapitaliste, ne serait-ce que pour ne pas laisser le terrain libre aux rivaux
de Lutte ouvrière. Il faut bien répondre, en effet, au moins en paroles, aux
attentes et aux intérêts des « déçus de la gauche » dans les milieux populaires.
Mais occuper l'espace abandonné par les partis responsables de cette déception ne
suffit plus. Pourquoi ne pas tenter de capter, en plus, les voix perdues de cette
énorme part de l'électorat potentiel, assez sceptique sur les vertus démocratiques
du suffrage universel pour voter souvent blanc ou nul, ou même - horreur absolue !
- se réfugier parfois dans l'abstention ? C'est ce « segment du marché», comme
diraient les experts en marketing, que la LCR cherche à « cibler», en laissant un «
provocateur-né » style Philippe Corcuff se pousser en avant. On y trouve les
lecteurs de Charlie-Hebdo et de Politis, bien sûr, où celui-ci tient tribune. Ceux,
également, de Télérama ou des Inrockuptibles, magazines qui ont fait de la «
différence » une image de marque d'autant plus soigneusement entretenue qu'elle
permet, entre deux pages glacées de publicité pour des produits de luxe, de rejeter
dans les bas-fonds du « populisme » tout ce qui émane du peuple sans avoir
bénéficié de l'aval sourcilleux du « citoyen » policé. Dans la presse de marché,
les déviants institutionnels sont fort prisés, voire courtisés. À Libé et au Monde,
par exemple, les rubriques « Rebonds » ou « Débats » ont toujours été généreusement
ouvertes aux contestataires installés.

Tout ce lectorat appartient à une fraction de la petite et moyenne bourgeoisie
intellectuelle qui raffole des personnalités « dérangeantes » pour se donner
l'illusion qu'elle n'est pas elle-même totalement rangée. Une couche sociale
d'autant plus friande de révolutions labélisées « sociétales » - celles qui
touchent aux comportements et aux sentiments, aux désirs et aux plaisirs, aux modes
de vie et aux modes tout court - qu'elle a cessé de s'intéresser à la révolution
sociale. Il est vrai que celle-ci risquerait de la toucher à son point le plus
vulnérable : le portefeuille.

Le succès du nouveau maire « socialiste » de Paris auprès des « bobos » le confirme
: il existe une « classe moyenne urbaine, jeune et cultivée » prête à se laisser
séduire par les sirènes électorales pour peu que les prétendants au pouvoir
acceptent de remodeler en conséquence leur idéologie et leur langage. Bertrand
Delanoë et sa fine équipe de « communicants » ont misé avec brio sur le « festif »
pour attirer ces chalands d'un nouveau genre plus soucieux d'épanouissement
individuel que d'émancipation collective. La LCR peut espérer, néanmoins, récupérer
une partie d'entre eux, en particulier les plus jeunes, pas encore installés et
donc plus disponibles et plus désintéressés. Pour ce faire, elle a trouvé la pierre
philosophale susceptible de combiner le « social » et le « sociétal », c'est-à-dire
le progressisme politique et le modernisme culturel : réactualiser le credo
libertaire selon les canons publicitaires.

De ce point de vue, le jeunisme démagogique d'un Philippe Corcuff s'extasiant
devant les platitudes fredonnées d'Eddy Mitchell, ou les pitreries d'un Besancenot
s'auto-photographiant à la télévision devant une icône du « Che », peuvent
contribuer à élargir l'audience et l'influence de la LCR. Pour croître, elle doit
se montrer à l'écoute non plus des « masses » ou des « travailleurs », mais du
public ou, plus précisément, d'un certain public. Un public spécifique qui n'entend
pas, d'ailleurs, être considéré dans sa globalité anonyme, mais comme une nébuleuse
d'« individualités » insaisissables et surtout inclassables, pour reprendre les
traits sous lesquels les néo-petits-bourgeois se perçoivent d'ordinaire. Aussi se
reconnaîtront-ils peut-être dans le miroir complaisant de la « société de verre »
que Philippe Corcuff leur tend, avec toutes leurs « singularités », leurs «
fragilités » et, last but not least, leurs « ambiguïtés », ce « lot commun des
pauvres humains » qui autorise les rebelles de confort à se dédouaner à bon compte
de leur quête incessante d'avoir ou de pouvoir.
Principe cardinal du nouveau cycle marchand, cette « reconquête par l'individu de
son identité », que l'on ne cesse de célébrer en cette ère du conformisme
généralisé, vient couronner une tendance déjà présente dans les avant-gardes
culturelles et notamment dans le surréalisme artistique. C'est au tour des
pratiques quotidiennes de chacun de s'affranchir de tous les carcans religieux,
politiques et historiques. La dimension « existentielle » de la critique libertaire
donne un semblant - un faux-semblant - de cohérence politique à toutes les formes
de contestation que l'individualisme exacerbé a fait apparaître sur le marché de
l'anticonformisme estampillé.

Agglutinant l'ensemble des références théoriques ou littéraires disponibles, y
compris les plus saugrenues (les « relectures » désopilantes par Daniel Bensaïd de
Jeanne d'Arc et ses envolées sur Péguy sont, à cet égard, anthologiques), dans un
ersatz de critique radicale qui romprait avec l'« économisme » et le « sociologisme
» des « classiques » du marxisme, le néo-trotskisme peut ainsi constituer un
nouveau pôle d'attraction auprès de toutes les catégories sociales dont les
manières de vivre et les aspirations se rattachent à ces revendications. C'est au
point d'intersection de toutes ces dérisoires « remises en cause » que le «
libertaire » intervient, à la manière d'un pivot qui, sous le signe de la «
subversion », articule dans un même mouvement l'« autonomie recouvrée de l'individu
» à la « redécouverte de la démocratie ».

La « non-conformité », dès lors, se conçoit dans une perspective inversée. Elle n'a
plus de raisons de s'en prendre aux codes et aux normes officiels puisque leur «
transgression », institutionnalisée, subventionnée et même sponsorisée, fait
dorénavant partie intégrante des formes de la domination. Sera taxée de
conformisme, en revanche, l'attitude des « sectaires », des « retardataires », des
« primaires » qui s'entêtent à refuser d'être les dupes de pareilles simagrées.

Que l'on ne s'avise donc pas de détecter dans l'infléchissement en cours de la
ligne de la LCR quelque effet en retour des fréquentations mondaines de ses
leaders. Rendre de temps à autre, par exemple, des services grassement rétribués
aux « ennemis de la classe ouvrière » d'hier, sous forme d'« animation » de séances
de « formation » en entreprise, ne saurait, chez un intellectuel aguerri comme
Corcuff, amollir sa volonté d'en découdre avec eux aujourd'hui. Croire le contraire
serait verser dans le travers détestable de ces « anarchistes satisfaits de leur
pose face au monde » qui ignorent « la tension productive », donc positive, que ne
peut manquer d'engendrer, y compris « en nous-mêmes », le fait d'avoir à la fois un
pied dans « des institutions de lutte » et un autre dans des « institutions de
gestion ». (5) Ignorer le « choc fécond » qui peut en résulter reviendrait,
finalement, à se priver de ce « dialogue du réel et de l'utopie » qui fait tout le
sel - et le suc ! - de la « social-démocratie libertaire ». (6) On l'aura deviné, à
l'heure où l'entreprise se préoccupe de changer d'image, la petite entreprise
révolutionnaire qu'est la LCR se doit de ne pas être en reste.

Sur ses fanions, significativement passés du rouge à l'orange - sans doute, parce
que le rose était déjà pris -, comme sur la une de son hebdomadaire, dont
l'intitulé devrait, soit dit en passant, changer de couleur lui aussi pour être en
harmonie, on chercherait en vain trace de la faucille et du marteau qui les
ornaient naguère. Au lieu et place de ces outils d'un autre âge, ondoie
triomphalement le « 100 % à gauche », symbole éloquent du ralliement des néo- ou
des post-trotskistes à la logique du quantifiable, avec ses chiffres, ses
statistiques et ses taux, économiques ou électoraux. À voir le racolage tous
azimuts auquel se livre une organisation toujours prête à attirer dans ses filets
tout ce qui bouge - et qui n'est pas forcément rouge - pour améliorer ses scores,
on peut suggérer à ses dirigeants un nouveau logo : le râteau.


Jean-Pierre Garnier et Louis Janover


Notes

1. Contretemps, n° 6, février 2003.
2. Alain Krivine, cité in Libération, 14 juin 1999.
3. Valentin Pelosse, « Joseph Déjacque et la création du néologisme "libertaire"
(1857) », Cahiers de l'ISEA, série S, n° 15, décembre 1972.
4. Olivier Besancenot, Le Monde, 3 février 2003.
5. Philippe Corcuff, « Pour une social-démocratie libertaire », Libération, 18
octobre 2000.
6. Ibid.


[ texte repris de la page internet
http://www.plusloin.org/janover/jereecristonnomlibertaire.htm ]
Ecrit par , à 21:07 dans la rubrique "Actualité".



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