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Du pain, des jeux et des milliardaires

Lu sur le Monde diplomatique : "Evasion fiscale de gros contribuables allemands, mainmise d’une élite financière sur Londres, rémunérations plantureuses des patrons de multinationales à Paris : l’actualité des grandes fortunes contraste singulièrement avec les revendications salariales qui émergent partout en Europe. Pourtant, quand elle parle des riches, la presse française plante un décor fait de robes griffées, de dépenses somptuaires et de personnalités liées au pouvoir. Cette mise en scène éclaire autre chose qu’un désir de vendre du rêve…
En diffusant le documentaire « La saga des faiseurs de fric », le 26 mai 1983, Antenne 2 (ex-France 2) lançait la vogue des portraits de patrons « décomplexés ». M. Bernard Tapie, un quadragénaire repreneur d’entreprises, y tenait le premier rôle. Le tournant de la rigueur était amorcé. Pour les fortunes vite accumulées, le fond de l’air s’adoucissait. A quelques semaines d’intervalle, un film avec Claude Brasseur et une chanson de Johnny Hallyday sortaient avec le même titre : Signes extérieurs de richesse. « Ce sont aussi les signes de la vraie puissance, devant laquelle bon et mauvais goût s’effacent », notera l’écrivain Guy Hocquenghem en dépeignant Serge July, alors directeur du quotidien Libération, sous les traits d’un « plouc ravi d’être enfin à la table des puissants, fasciné par les starlettes et les particules. Ton allure de parvenu, costard 50 bleu pétrole, gomina et cigares, tu la cultives soigneusement (1)  ».

Les milliardaires ont éclipsé les millionnaires. Mais la presse détaille leur existence avec toujours plus de gourmandise. Trois jours avant le second tour de l’élection présidentielle de 2007, Le Point établissait un parallèle entre le style de certains rappeurs et celui de M. Nicolas Sarkozy : « Lunettes Ray-Ban, chaîne en or, chronographe Breitling au poignet : comme eux, le candidat de l’UMP [Union pour un mouvement populaire] aime les marques, le luxe, ce qui brille. Bref, ce que, dans la mythologie hip-hop, on appelle le “bling-bling”. » Le scrutin présidentiel marque le moment où la classe dirigeante française aurait brisé ses entraves culturelles pour se libérer d’une trop vertueuse discrétion. Fin d’une névrose hexagonale : être riche n’est plus un tabou. « Riches et fiers de l’être : génération “bling-bling” », titre Le Nouvel Observateur, le 25 octobre 2007.

Les agapes organisées le 17 septembre 2007 pour les soixante ans de la maison Dior par M. Bernard Arnault offrent au magazine Point de vue l’occasion d’annoncer l’avènement d’une « ère monarchic’ » en célébrant la « nouvelle alliance » entre « politiques, stars et milliardaires » (2). En couverture, la ministre de la justice, Mme Rachida Dati, « en Dior », côtoie le couturier John Galliano. En pages intérieures, le premier ministre François Fillon pose en compagnie de Juliette Binoche, Christine Ockrent et Mme Hélène Arnault, toutes trois « en Dior ».

Le « règne sans complexe du succès et de l’argent » serait-il advenu ? Les relais éditoriaux et médiatiques de la richesse et de la célébrité se renforcent à double titre. D’un côté, les rubriques, numéros ou cahiers spéciaux consacrés à la consommation des ménages aisés pullulent. De l’autre, la chronique de la vie des plus riches fait l’objet d’un nombre croissant de couvertures et d’articles dans les périodiques. Chanteurs, acteurs, sportifs, gens de télévision côtoient désormais chefs d’entreprise et personnalités politiques, englobés pêle-mêle dans la catégorie « people ».

Racheté en novembre 2005 par le groupe de presse Roularta, Point de vue, l’hebdomadaire des têtes couronnées, n’a troqué l’actualité princière pour celle du luxe et des « people » que récemment — mais avec l’enthousiasme du néophyte. En 2005 et 2006, seule une de ses couvertures est dévolue à des célébrités hors gotha. De janvier à juillet 2007, les « sang bleu » occupaient encore une vingtaine de fois le devant de la scène. Entre juillet et décembre, l’ordre protocolaire se renverse : seize couvertures (sur vingt-trois) sont consacrées aux politiques et aux « people », dont M. Sarkozy (quatre fois), Carla Bruni (deux fois), Mme Cécilia Sarkozy (trois fois). Depuis janvier 2008, recomposition familiale oblige, les premiers apparaissent à cinq reprises en « une ».

Dans le même temps, pour la première fois en soixante ans d’existence, le si chic Point de vue annonce en première page un dossier intitulé « Combien ils gagnent ? » avec les présidents Sarkozy et George W. Bush en photo. La semaine suivante paraît un numéro « Spécial luxe » (3). L’un des plus vieux titres de la presse magazine française rejoint ainsi une offre rédactionnelle qui fait son miel de l’intimité des gouvernants, des achats des très riches et de l’actualité du luxe clinquant. Cette dernière est indéniablement bien remplie.

Même en dehors des périodes de fêtes, les articles sur les modes et les tendances regorgent de produits largement hors de portée des bourses moyennes. Depuis plusieurs années, un supplément mensuel du Financial Times, sobrement intitulé « How to spend it », explique à ses lecteurs « comment dépenser » tout l’argent que les conseils économiques du quotidien n’auront pas manqué de leur faire gagner. Le Point a souvent incité ses clients à s’offrir le « luxe de la semaine » en présentant une rubrique consacrée à des marques prestigieuses de montres, de vêtements, de chaussures ou de parfums...

S’y ajoutent désormais des reportages sur les modes de vie des riches, et la manière dont ils se délestent de leur argent. Ce genre d’article n’a, en soi, rien d’inédit : les excentricités des princes du pétrole ou les photographies estivales des villas de vedettes à Beverly Hills font depuis des décennies l’objet d’investigations poussées. C’est leur présence hebdomadaire à la « une » qui est récente. Les journaux ne se limitent plus à la publication annuelle du classement mondial (Forbes) ou national (Challenges) des plus riches, au récit des excès d’oligarques russes à Courchevel (l’hiver) ou encore au feuilleton des excentricités de jet-setters tropéziens (l’été).

Comme le suggère, à l’automne 2007, un long reportage de Paris Match (15 novembre 2007) sur les relais de chasse solognots des patrons des quarante plus grandes entreprises cotées à la Bourse française (CAC 40), l’actualité des plus riches ne connaît plus de saison : elle a gagné le statut de rubrique. Entre 2000 et 2003, les hebdomadaires Le Point, L’Express et Le Nouvel Observateur totalisent une dizaine d’articles sur les riches ; ils passent à vingt-cinq articles longs et dossiers spéciaux entre 2004 et 2007.

« People » et politiques batifolent
L’angle rédactionnel change aussi. Au tout début des années 2000, le sujet est abordé de biais, par le truchement des ruses fiscales, d’interviews de sociologues, ou du bon vieux classement comparatif. A partir de 2004, la richesse constitue le mobile des dossiers : « Riches : comment on l’est ? Comment on le devient ? », « Comment ils sont devenus riches », « Que font-ils de leur argent ? », « Comment vivent les super-riches ? », « La planète des ultrariches », « Les folies des ultrariches » (4). Hier surtout utilisé comme adjectif pour qualifier une profession (les « sportifs les plus riches », par exemple), le mot est aujourd’hui pris comme nom générique (« les riches »). Un sujet d’actualité autonome désormais abordé sans fard et de front.

Ainsi, Point de vue titre, dans son édition du 14 novembre 2007, sur les revenus annuels des hommes politiques mélangés à des rois, à des artistes et à des grands patrons. Comparés au salaire de M. Arnault, les 60 000 euros déclarés de M. Vladimir Poutine paraissent presque humiliants. Mais la comparaison a-t-elle le moindre sens ? Au fond, les uns et les autres n’ont qu’un point commun : ils permettent aux médias de parler d’argent. Lorsque Challenges publie, en juillet 2006, le classement annuel des plus grandes fortunes professionnelles françaises, la couverture indique : « Ainsi vivent les riches : mariage, demeure, piscine, loisirs ». Mais, magazine d’informations économiques oblige, le numéro consacre deux articles aux manières de s’enrichir grâce aux fonds d’investissement privés.

L’année suivante, ce type d’article a disparu, seuls les reportages sur les consommations excentriques accompagnent le palmarès. Challenges (19 juillet 2007) justifie ce traitement anecdotique de l’économie : « Dans la France de 2007, l’éthique puritaine du capitalisme, faite d’austérité et de discrétion, est une valeur en baisse. “Pour vivre heureux, vivons exposés”, semblent dire un nombre croissant de managers. Le mélange des genres — argent, gloire et beauté — ne fait plus peur. »

Esquissée par le chiffrage des grandes fortunes et le détail de leurs dépenses, l’image des riches sur papier glacé se précise avec la chronique de leur vie sociale — rebaptisée « actualité des “people” ». Les fêtes données par les marques pour lancer un nouveau produit, les mariages ou les anniversaires donnent lieu à une couverture assidue et souvent centrée sur les questions d’argent. Certes, les échos mondains des nuits parisiennes ou des soirées caritatives à Monaco hantent depuis bien longtemps les colonnes de Paris Match. Mais, en consacrant vingt pages au mariage de la fille de M. Arnault (jusque-là inconnue du grand public, tout comme son époux), l’hebdomadaire marque, le 22 septembre 2005, un tournant important.

Sont abondamment décrits la prodigalité, le faste, la dépense, l’incommensurabilité des faits. Au centre, le père de la mariée, président-directeur général (PDG) du groupe de luxe LVMH. Autour de lui, des personnalités politiques (pas moins de six ministres en exercice, dont M. Sarkozy), des vedettes du spectacle, des grands patrons. Tous batifolent sans crainte d’être aperçus en aussi exquise compagnie. La suite se déroule le 17 septembre 2007, au cours de la soirée « très privée » et très médiatisée, avenue Montaigne, à Paris, pour fêter les soixante ans de Dior, décrite plus haut. Du nombre de maîtres d’hôtel au nom des millésimes, Point de vue n’épargne au lecteur aucun détail de la magnificence.

La visibilité de la fortune va donc de pair avec l’exhibition des rapports entre patrons et politiques. A la réception donnée au soir de sa victoire, dans un palace parisien appartenant à l’un de ses amis, M. Sarkozy a convié MM. Arnault, Bolloré, Dassault, Decaux, Bouygues, Desseigne (Barrière), Bernheim (Generali), Desmarais (Power Corporation), Kron (Alstom), Frère (Suez), Proglio (Veolia) (5)... « Je n’ai pas l’intention de me cacher », réplique-t-il à ceux qui lui reprochent ses vacances sur le yacht de M. Vincent Bolloré. Ce qu’on occultait naguère contribue maintenant à l’élaboration de la geste élyséenne, rythmée par une cascade d’articles sur le goût du luxe et de la réussite matérielle du président de la République. Jusqu’à la colère provoquée par la baisse du pouvoir d’achat des salaires, des responsables politiques de droite comme de gauche se souciaient de paraître dans des soirées mondaines (6), M. François Fillon compris.

L’intérêt sans distance pour l’argent contribue à une recomposition hiérarchique de l’univers de la célébrité : dans la presse, la puissance financière relègue au second plan la notoriété artistique et l’extraction nobiliaire. Une telle tendance déborde des pages des magazines « people ». Intitulée « Bienvenue chez les puissants » (7), la série parue dans Le Monde en août 2007 présente les apparences d’une enquête sur les lieux de pouvoir. Hélas, du pouvoir, on montre surtout les oripeaux : dépenses somptuaires, manifestations mondaines et formes de sociabilité des élites.

Un exemple parmi tant d’autres (21 août 2007) donne le ton de la série : « Un Airbus avait été spécialement affrété pour amener de Paris plusieurs dizaines de personnalités de l’art, du cinéma, du théâtre et de la littérature. Et, alors que la soirée s’était éternisée plus que prévu, “Philippine” [de Rothschild] obtint à grands frais que l’on rouvre dans la nuit l’aéroport de Bordeaux-Mérignac afin que l’Airbus et ses prestigieux passagers puissent regagner la capitale dans la nuit. »

L’offre de la presse s’uniformise dans une mise à l’honneur de l’argent. Deux hypothèses courantes expliquent cet alignement. Selon la première, l’offre médiatique répondrait à une demande. Dans Luxury Fever (8), l’économiste Robert H. Frank assure que, aux Etats-Unis, le désir de consommer des produits de luxe ne connaît pas de frontières sociales car les objets possèdent la faculté de combler symboliquement des différences de revenus bien réelles. En France, le PDG des publications Condé Nast, M. Xavier Romanet, déclare : « Que ce soit Vogue, Glamour ou AD, notre lectorat montre une réelle culture et appétence pour le luxe. Et ce n’est ni une question d’âge ni une question de revenus. (...) On peut désormais aimer le luxe quelle que soit son histoire familiale et culturelle. Ce qui explique la stratégie de développement des produits d’entrée de gamme des grandes marques (9).  » Mais l’enquête de lectorat fondant l’affirmation s’appuie sur un échantillon prélevé « parmi la moitié supérieure de la population en termes de revenus ».Ce qui conduit à tempérer l’enthousiasme de M. Romanet. La présidente du Comité Colbert (groupement d’intérêt de marques de luxe), Mme Elisabeth Ponsolle des Portes, résout la difficulté : « Le luxe, aujourd’hui, n’est plus destiné à une élite mais à la part élitaire qui existe en chacun de nous (10). » Pourtant, les résultats d’un sondage publié par Challenges (13 juillet 2006) amènent à relativiser l’ampleur de l’engouement pour le luxe et l’argent. A la question : « Quels sentiments éprouvez-vous pour les personnes qui sont riches ? », 71 % des personnes interrogées répondent : « De l’indifférence », comme en 1998 (70 %). Qu’importe. Pour Le Point, non seulement « l’argent fait rêver » mais, « faute d’en avoir, on se surprend à regarder les autres le dépenser » (26 juillet 2007).

Cet intérêt supposé des lecteurs pour le luxe excite celui des annonceurs, qui, à leur tour, poussent à ce type d’articles. Pressé par un actionnaire (Roularta) qui souhaite doubler la marge opérationnelle de son groupe, le directeur de L’Express Christophe Barbier estimait en novembre 2006 que « les relais de croissance sont dans les univers de la mode, de la beauté, du luxe et des voitures (11)  ». Un lieu commun aux yeux de Laurent Joffrin. Dès 2001, celui qui était alors directeur éditorial du Nouvel Observateur avait admis : « C’est vrai, on fait une sorte de Gala pour riches (12).  » Ce n’était qu’un début. Entre 2004 et 2007, l’hebdomadaire a publié trois fois plus d’articles sur le luxe qu’au cours des quatre années précédentes.

La seconde hypothèse censée rendre compte de la dilection des supports de presse pour les riches et la richesse n’évoque pas la demande du public mais… la nécessité d’informer. Comme le fait remarquer l’éditorialiste américain du New York Times Roger Cohen, le rêve des capitalistes — faire de l’argent uniquement avec de l’argent, sans rien produire directement — est devenu réalité (13). La multiplication de fortunes vite accumulées justifierait la récurrence du traitement médiatique. Chroniqueur de la rubrique « Wealth » (« Richesse ») du Wall Street Journal, Frank a rassemblé ses observations dans son livre Richistan (14). Il propose une balade dans cette contrée, minuscule mais en nette expansion, peuplée de milliardaires qui ne savent plus quoi faire de leur argent et cherchent tous les moyens à se distinguer. Un exemple ? Business Week recommande de porter deux montres : l’une — la Crazy Hours de Frank Muller à 20 000 dollars avec ses chiffres inversés — pour attirer l’attention ; l’autre pour lire l’heure.

Au-delà des anecdotes, Richistan explique comment la fièvre dépensière des riches a créé de nouveaux critères pour la middle class et pour les plus bas revenus. Selon l’auteur, les « Richistanais » enfoncent l’Amérique dans l’endettement — eux-mêmes y ont recours, mais les classes moyennes essaient ensuite d’imiter leur mode de consommation.

Si l’accroissement du nombre de milliardaires est avéré, si leur poids croissant au sein de la classe dirigeante ne fait guère de doute, ces phénomènes comportent une dimension connexe que les dossiers sur « Les folies des super-riches » ou, croissance oblige, « Les folies des ultra-riches » (15) se gardent d’aborder avec autant de soin : le creusement des inégalités de revenus, de patrimoines, les perspectives plus réduites de promotion sociale, etc. Rares sont les articles qui, comme celui de l’hebdomadaire Newsweek du 12 novembre 2007, mettent en rapport l’enrichissement de quelques-uns (dans les pays émergents, notamment) avec la précarité du plus grand nombre, la régression des protections collectives et l’absence de droits des salariés (16). « Ils sont 94 970 sur la planète et ils ont faim… Faim d’objets pharaoniques, uniques, extravagants… », titre Le Monde 2 (15 décembre 2007).

Au fond, pourquoi enquêter sur les contreparties sociales de ces extravagances dès lors que le luxe sera bientôt à portée de bourse pour tous ? Dès lors que, demain, nous serons tous milliardaires...

Mathias Roux.

Ecrit par libertad, à 09:19 dans la rubrique "Economie".



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