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L'En Dehors


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Refuser l'assignation genrée
KING KONG THÉORIE est le genre de livre qu'on conseille sans réserve, qu'on lit et relit - et cela même si on n'est pas toujours complètement d'accord avec l'auteure. C'est un livre à la fois percutant, vivifiant et sincère, écrit dans un style détonant: une fois le livre commencé, vous ne le lâchez plus.
Virginie Despentes part en guerre contre les assignations genrées: parce qu'on naît femme, on se devrait d'être douce, séductrice, aimante?! Et parce qu'on naît homme, on serait viril, fort, violent?! Elle dénonce le « grand marché à la bonne meuf » qui fabrique aussi ses exclues: « les moches, les vieilles, les camionneuses ». C'est pourquoi elle assume d'être une « looseuse de la féminité » , à l'heure où « les héroïnes contemporaines aiment les hommes, les rencontrent facilement, couchent avec eux en deux chapitres [et] jouissent en quatre lignes ». L'aliénation des femmes consiste en effet à vouloir ressembler à une image incarnée nulle part (celle des magazines): femme active (mais bonne mère), belle (mais pas potiche), salariée (mais gagnant moins que son homme). Mai 1968 est passé par là, certes, mais il n'en reste pas moins le poids de la norme - quelque peu déplacée.

Aujourd'hui, remarque l'auteure, les filles peuvent réussir, mais se sentent encore obligées de s'en excuser. Façon de rassurer les hommes: « Regarde comme je suis bonne, malgré mon autonomie, ma culture, mon intelligence, je ne vise encore qu'à te plaire » , semblent-elles dire.
Abordant le sujet du viol, elle évoque la difficulté, pour les femmes, de « nommer » ce que les hommes refusent de nommer euxmêmes (qui se voit comme un « violeur »?). Le salut est venu pour elle de la lecture de Camilla Paglia, pour qui le viol constitue pour les filles un « risque inévitable » : « C'est un risque que les femmes doivent prendre en compte et accepter de courir si elles veulent sortir de chez elles et circuler librement. » Première chose à faire: refuser la stigmatisation qu'on veut leur faire porter et rejeter la honte. Alors oui, préférer la liberté et ses risques, plutôt que la peur et l'enfermement.
C'est sur le sujet de la prostitution que j'ai quelques réserves quant à son discours. Elle défend le droit des femmes de choisir - tout en dénonçant le fait que la société est organisée comme un vaste système prostitutionnel, où le travail des femmes est considéré comme devant être au service des hommes, donc non lucratif (service sexuel, travail domestique, éducation des enfants...). Alors, dans cette optique, se faire payer pour ce qui habituellement doit rester gratuit est certes une petite victoire.
Précisons d'entrée de jeu que Virginie Despentes ne parle que d'une certaine forme de prostitution, celle qui est « choisie », occasionnelle, sans mac - celle dont on sort. Elle refuse de parler de la prostitution en soi (évacuant trop rapidement le cas de personnes prostituées malgré elles), mais affirme que cela dépend des circonstances et des personnes (et je veux bien l'admettre, dans une certaine mesure, de même qu'un travail peut être vécu comme plus ou moins dégradant, selon les circonstances). Cela dit, elle refuse de faire la différence entre prostitution et travail salarié légal (ce qui, en revanche, me semble discutable: la prostitution, contrairement à un autre « travail » , reflète les rapports de domination genrés et ne se comprend que dans le cadre de la domination masculine, en ce que la majorité des personnes prostituées sont des femmes et des enfants, et les « clients » sont quasiment tous des hommes).
La prostitution occasionnelle est, selon elle, plus fréquente qu'on le croit, mais tout le monde ferme les yeux: « Hypocritement, car dans notre culture, de la séduction à la prostitution la limite est floue, et au fond, tout le monde en est conscient. » Puisque, pour l'auteure, « le pacte de prostitution, "je te paye tu me satisfais", est la base du rapport hétérosexuel », le rapport prostitutionnel tarifé est plus sain, car moins hypocrite. « Ce que les femmes font de leur corps, du moment qu'autour d'elles il y a des hommes qui ont du pouvoir et de l'argent, m'a semblé très proche, au final. »
Ce qu'elle dénonce, c'est donc un système fondé sur une construction politique: la femme doit être au service des hommes, la sexualité masculine est incontrôlable et « le désir des hommes doit blesser les femmes » construction relayée par le discours social dominant, qui vise à un contrôle (empêcher la sexualité libre - non coupable - des hommes et l'indépendance financière des femme). C'est pourquoi elle conclut que: « [ ...] le monde économique aujourd'hui étant ce qu'il est, c'est-à-dire une guerre froide et impitoyable, interdire l'exercice de la prostitution dans un cadre légal adéquat, c'est interdire spécifiquement à la classe féminine de s'enrichir, de tirer profit de sa propre stigmatisation. »
Au passage, Virginie Despentes rend hommage aux féministes des années 1970 (« la révolution féministe a bien eu lieu »), tout en indiquant que le combat doit être poursuivi
le collectif reste encore l'apanage du masculin. Elle montre aussi ce que les hommes ont à perdre à ne pas lutter pour une « révolution des genres » : piégés eux-mêmes par leur masculinité, ils sont maintenus dans la peur, l'exclusion, par des mécanismes de contrôle d'autant plus puissants qu'ils sont invisibles. « Le capitalisme est une religion égalitariste, en ce sens qu'elle nous soumet tous, et amène chacun à se sentir piégé, comme le sont toutes les femmes » .
Le seul reproche que je peux faire à ce livre c'est que, en dépit de l'appel à poursuivre la lutte féministe, il se fonde sur une vision très pessimiste de la domination masculine, comme si était sous-entendue l'impossibilité d'abolir les rapports de pouvoir. En somme, ce que semble nous dire l'auteure, c'est: le système patriarcal imprègne la société toute entière, essayons de nous en accommoder en nous défendant, chacune comme nous le pouvons. Les hommes sont fascinés par une image de l'ultraféminité factice? « Jouer le jeu. De la féminité. » Soyons putes, nous aurons ainsi le pouvoir sur eux. « Coucher avec l'ennemi », comme le dit un titre de chapitre. Bien qu'extrêmement et radicalement critique, Virginie Despentes reste malgré tout fascinée par cette image de l'utraféminité: jouer à la femme et en tirer profit est pour elle une sorte de réparation après le viol: « De nouveau, j'étais dans une situation d'ultraféminité, mais cette fois j'en tirais un bénéfice net. »
Il y a donc une tension jamais nommée, dans ce livre qui oscille entre guide de survie des dominées et appel à une lutte révolutionnaire, et cette tension explique certaines contradictions. Mais cette tension, après tout, n'est autre que celle que nous ressentons toutes, au sein de nos existences, partagées entre l'envie de renverser - nous aussi - les rapports de force et le désir d'abolir tout pouvoir lié au genre.
Est-ce utopique? Le livre se termine pourtant sur un appel à 1a lutte: « Le féminisme est une aventure collective, pour les femmes, pour les hommes, et pour les autres. Une révolution bien en marche. Une vision du monde, un choix. Il ne s'agit pas d'opposer les petits avantages des femmes aux petits avantages des hommes, mais bien de tout foutre en l'air. » D'accord!
Quant à l'histoire qui donne son titre au livre, je vous laisse la découvrir par vous-mêmes...


Caroline Granier
Caroline milite au groupe La Rue de la Fédération anarchiste

Virginie Despentes, King-Kong Théorie, en vente à la librairie du Monde libertaire. 145, rue Amelot 75011 Paris

Le Monde libertaire #1491 25 octobre 2007

Ecrit par libertad, à 21:23 dans la rubrique "Le privé est politique".



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