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L’utopie de l’amour libre
Lu sur Réfractions : "Dans l’imaginaire collectif et individuel de l’anarchisme, le concept et la pratique de l’amour libre ont été l’objet d’innombrables polémiques et dissensions. Cela tient vraisemblablement à la difficulté de situer l’individu, théoriquement aussi bien qu’expérimentalement, en tant qu’entité libre dans le contexte de tout groupe, toute communauté ou société.
L’amour libre, en tant que théorie et vécu de vie concrète, n’a jamais cessé d’être une douloureuse utopie. Pour les divers anarchismes à fort impact social – en particulier l’anarchosyndicalisme et le communisme libertaire –, l’amour libre ne peut pas être abstrait de la construction historique d’une société anarchiste. Ceci étant, pour que l’amour soit d’essence libre, il faut que les sentiments, la tendresse, l’amitié, la solidarité et les relations sexuelles soient intégrées de façon harmonieuse et exemptes de toute trace de domination et d’exploitation. L’extinction de la société capitaliste, de l’État et de la religion s’avère ainsi un acte historique impératif de la révolution sociale. Avec la fin de la propriété privée, du travail salarié et de l’argent disparaissent les facteurs qui transforment les individus en êtres aliénés et abrutis par la mercantilisation et la prostitution de leurs corps .

En ce sens, l’amour libre, pour autant qu’il est étroitement lié à la liberté et à la souveraineté de tout individu, ne peut se réaliser pleinement qu’au sein d’une société anarchiste. C’est ainsi que le sens pratique et utopique de l’amour libre a été relativisé par les anarchismes à forte expression sociale. Sans société anarchiste, la recherche utopique de l’amour libre a perdu consistance dans l’histoire. À partir de là, à l’intérieur des organisations et des expériences communautaires anarchistes les plus remarquables, la pratique de l’amour libre s’est avérée être, presque toujours, un échec. Au sein des familles, des syndicats, des athénées, des communautés et des écoles connus comme libertaires, l’amour libre s’est heurté aux vestiges de la morale et de la religion, et l’on a vu émerger des types d’autorité hiérarchique dans les relations entre l’homme et la femme, les parents et les enfants aussi bien qu’entre individus différents. Les phalanstères et les communautés à caractère libertaire qui se sont édifiés aux xixe et xxe siècles en Europe, aux Amériques et dans d’autres lieux, présentent des exemples significatifs de la grande difficulté de pratiquer l’amour libre.
Ce sont les anarchistes individualistes qui l’ont abordé théoriquement mais aussi, dans une certaine mesure, pratiquement, et qui se sont le plus identifiés au projet utopique de l’amour libre. Ce n’est pas par hasard qu’E. Armand a associé l’amour à la liberté et à la camaraderie amoureuses. Raison pour laquelle l’amour libre ne pourrait exister que hors de toute tutelle ou contrainte étatique, religieuse, familiale ou contractuelle. Hors de toute morale ou de toute idée reçue fondées sur la pudeur, la virginité, le vice, la fidélité sexuelle, la vertu, la procréation de l’espèce humaine. L’individu, pour pouvoir vivre pleinement l’amour libre avec d’autres individus, n’a nul besoin de la moindre institution ou pouvoir étrangers à son individualité et à sa liberté.
L’amour libre va bien au-delà de la morale castratrice et mutilante de l’État, des religions et du capital qui s’occupent de discipliner et de commercialiser notre corps en tant qu’objet de frustrations et des fantasmes sexuels. Pour quiconque, homme ou femme, s’identifie à l’anarchie, aucune relation sexuelle exprimant le sens de la liberté et de l’individualité biologique et sociale de tout être humain ne doit être l’objet du moindre préjugé moraliste.
Nous savons combien il est difficile de vivre l’amour libre entre ceux et celles qui se disent anarchistes. Les réflexes conditionnés de notre culture judéo-chrétienne ancestrale, l’égoïsme, les sentiments intéressés, et jusqu’à l’altruisme humaniste, font des anarchistes des êtres semblables à tant d’autres qui ne se privent pas de critiquer de toutes les façons possibles et imaginables les hommes aliénés et soumis aux contingences de l’amour bourgeois castrateur. Mais, si nous n’arrivons pas à éviter la plupart du temps cette mutilation de notre corps et de notre esprit, du moins avons-nous conscience de cette réalité négative. L’anarchie et l’amour libre sont indissociables. Sans anarchie, les fondements de la pratique de l’amour libre ne sauraient exister. Sans amour libre, il est impossible de penser et vivre l’anarchie de manière utopique.
Bien que nous connaissions pertinemment les difficultés présentes, la signification utopique de l’amour libre doit devenir toujours plus la base de notre vie quotidienne. Il est plus que nécessaire que nous fassions de l’amour libre un élément vivifiant de l’utopie, qui aspire à construire une société sans maîtres et sans dieux.

José Maria Carvalho Ferreira
Ecrit par libertad, à 16:16 dans la rubrique "Le privé est politique".

Commentaires :

  j0n
02-01-08
à 19:09

Le constat dressé par ce texte est bien triste et peu engageant. Entre impératifs dialectiques du Grrrrrand soir et raccourcis clichés sur les expériences, la complainte est amère et inutile. L'amour libre n'est pas ici considéré en tant que tel mais comme une énième frustration à ajouter sur les banderoles. Un échec et/ou une utopie (soit douloureuse soit viviviante : peu d'hédonistes se reconnaîtront).
Bref, il semblerait que les "anarchismes à forte expression sociale" soient toujours aussi méfiants et décalés  sur la question. Tant pis pour eux.
Répondre à ce commentaire

  libertad
02-01-08
à 21:34

Re:

Tu as raison mais est-ce à dire qu'aujourd'hui, contrairement à hier, lorsque la question de l'amour libre était bien présente dans les débats ( sinon les ébats ? ) des anarchistes ( fin 19è début du 20 e ), les anarchistes modernes pratiqueraient beaucoup et parleraient peu ? Je crains que malheuresement ce ne soit pas le cas et que l'atonie du débat en reflète une autre...Certes les anarchistes dit sociaux attendent le grand soir pour que tout change d'un coup de baguette magique mais est-ce la seule explication ?
Répondre à ce commentaire

  j0n
03-01-08
à 08:38

Re:

Je pense à autre chose : l'amour libre n'est-il pas dangereux pour toute chapelle ?  Ca reste à voir mais syndicalisme, grand soir et militants sont facilement débordés par la vitalité de l'érotisme ludique. Une nuit de plaisirs donne tout de suite moins envie d'aller pointer. Du coup, je comprend le texte de Ferreira comme la récupération d'une frange de l'anarchisme qu'il ne connait pas -et méprise-, afin de cadrer ces en-dehors. Conclusion : encartez-vous et filez-doux.

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  satya
07-01-08
à 15:52

ce que je trouve étonnant dans cet article c'est déjà le titre qui parle d'utopie de l'amour libre...
après toutes ces années ne serait-il pas plus intéressant et concret de parler plutôt des pratiques au lieu d'idéologies encore et toujours, comme si jamais rien n'avait été fait ni vécu??

à croire que vraiment la race humaine n'a aucune mémoire et est totalement incapable d'évoluer et d'apprendre des expériences et du vécu et que tout est fait pour que cela reste essentiellement au niveau du questionnement intellectuel et de la pensée...

l'enfermement dans l'immobilisme total !!!
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