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Rendez-nous notre objet d'aliénation favori ! ou pourquoi la technologie est le problème
Lu sur Indymédia Grenoble : "Peut-être vous souvenez-vous que voici deux ans, une personne de Pièces et Main d'Œuvre était mise en garde à vue, et son ordinateur confisqué par la justice - qui le retient toujours indûment. Vous vous récriez : "Quoi, ces technophobes ? luddites ? obscurantistes ? se contredisent ! Ils ne cessent de vitupérer l'informatique et l'aliénation technologique, et les voici en train de glapir qu'on leur rende leur ordinateur !"
C'est à l'examen de cette apparente contradiction que sont dévolues les lignes ci-dessous, où l'on découvrira, faits et raisons à l'appui, que non seulement c'est la technologie qui est le problème, et non pas ses applications, mais qu'au vrai, il n'est pas de technologie en-dehors de ses applications.
Si vous avez un cousin technicien chez Sagem, un père ingénieur à l'INRA, une amie retraitée d'Areva,
faites-lui lire ce texte, ils vous sauront gré de ne pas les avoir laissé mourir naïfs.

Depuis le 6 juillet 2005, l'ordinateur confisqué par la police à Pièces et Main d'Œuvre moisit dans un placard. À l'Hôtel de Police ? Au tribunal ? Nul ne peut le dire, l'administration ne se donnant pas la peine d'informer les "justiciables", même après une garde-à-vue classée sans suite.

Officiellement la justice avait l'intention de "faire parler" l'ordinateur pour déterminer son éventuelle contribution à la réalisation du faux Métroscope – canular contre lequel la Métro a porté plainte. Comment ? En payant cher les services de laboratoires spécialisés dans la fouille informatique, dont Grenoble s'enorgueillit de posséder un spécimen performant : le Lerti (Laboratoire d'expertise et de recherche de traces informatiques). Créé sur la ZIRST de Meylan (Inovallée) en 2004, le Lerti est la "première personne morale reconnue comme expert judiciaire en informatique", nous apprend le Daubé (16/2/07). On appelle ça l'informatique légale, sur le modèle de la médecine légale. Disques durs, serveurs, clés USB, cartes à puces, cartes bancaires, appareils photos, messagerie électronique, navigation Internet, téléphones portables et cartes SIM : tout ce que vous confiez aux machines peut être révélé.

Exemples de ces prouesses de traçabilité :
"Navigation sur Internet. Même quand l'usager croit avoir vidé son cache, il est possible de retrouver ses dernières navigations sur le Web, d'établir la liste des sites consultés, avec date, heure et liste des fichiers vus. (…).
Messagerie et emails. La messagerie avec ses pièces jointes peut être parfois reconstituées (sic) en entier. Le plus souvent des bribes de mails peuvent être retrouvés (re-sic).
Les cookies sont des petits fichiers déposés sur le disque dur de l'usager lors de la navigation sur Internet. Leur liste, avec date et heure, peut s'avérer particulièrement intéressante pour connaître la navigation de l'usager.
Les images effacées. Le LERTI dispose de logiciels capables de reconstituer en totalité ou en partie les images effacées, depuis plus ou moins longtemps.(…)
La corbeille et la "super corbeille" (…) permettent de savoir quels sont les derniers fichiers éliminés.
La recherche sur chaîne de caractère fonctionne (…) sur l'intégralité du disque, y compris dans les fichiers supprimés, les secteurs non alloués, les queues de clusters. Le moindre résidu de texte situé à l'un de ces endroits inaccessible à l'usager pourra être retrouvé."1

Si ces fouineurs assermentés, ou leurs confrères, ont ouvert l'ordinateur confisqué, ils connaissent – en toute confidentialité, comme le clame leur charte de déontologie du voyeur – les centres d'intérêt du propriétaire de l'ordinateur, ses contacts, son budget, ses activités professionnelles, son courrier, ses notes intimes, ses projets, ses musiques préférées, les photos de ses proches : ce que celui-ci aura confié à sa machine. C'est-à-dire, dans le monde technifié qui est le nôtre, à peu près tout.

I Tout corps plongé dans l'eau se mouille

"Vous critiquez la technologie, pourtant vous utilisez un ordinateur !", s'égosillent les dévots des high tech grenobloises, dont le raisonnement reproduit le code binaire. Nous critiquons la technologie parce que nous utilisons un ordinateur et que nous n'avons d'autre choix si nous voulons vivre parmi nos contemporains. Si nous voulons recueillir, traiter, transmettre des informations confisquées dans des "banques de données", à une population "d'internautes" maintenant "formatée" à chercher et recevoir ses informations via le net, il nous faut bien ajouter ce moyen aux imprimés que nous répandons et aux prises de paroles, dans des réunions, dans le monde réel.

Vivre dans ce monde nous contraint, technoconformistes comme contestataires, à l'usage de la technologie. L'ordinateur, la voiture, le téléphone, le nucléaire constituent notre milieu, que l'on nomme désormais fort à propos "technosphère". Prétendre qu'on aurait le choix de les utiliser, comme le font ceux qui les produisent, c'est vendre au poisson la possibilité de vivre hors de l'eau.
Cette suppression du choix, caractéristique de la tyrannie technologique, devrait motiver l'opposition – au moins le doute - des prétendus esprits libres, à qui celle-ci s'impose autant qu'à nous.
Essayez de trouver un "job" sans voiture ni portable, de vous passer de l'eau du robinet, pour boire celle de l'Isère, de communiquer avec vos relations par courrier postal, plutôt que par SMS ou par mail. Politique de la terre brûlée : le système technicien détruit au fur et à mesure de son avance l'écosystème, l'organisation sociale, les conditions de vie qui justement nous permettaient le choix.
Le chômeur convoqué à l'ANPE est saisi dans l'ordinateur. Le lecteur de la bibliothèque municipale est enregistré dans le logiciel de gestion des entrées/sorties. L'employé du guichet SNCF édite sur informatique votre billet de train. Le garçon de café enregistre votre commande sur écran tactile avant que le logiciel sorte la note.
Quelles relations les derniers enfants élevés en plein air peuvent-ils entretenir avec leurs copains gavés d'écrans ? Affolés à l'idée d'en faire des asociaux, leurs parents ne peuvent que céder aux demandes de portable, d'ordinateur, de DVD, de mp3.

Vous trouvez qu'on exagère ? Lisez l'histoire du sociologue allemand Andrej Holm, que la police harcèle pour de supposées accointances militantes. Celui-ci s'est vu accusé de "comportement conspiratif" pour s'être rendu à un rendez-vous sans son téléphone2. Forcément louche, celui qui ne se soumet pas à la norme high tech. Il n'est pas loin le jour où le portable – excellent mouchard pour la police – sera aussi obligatoire que les papiers d'identité.

Il se trouve toujours de fins contradicteurs pour nous conseiller la fuite en Ardèche, si nous refusons "le progrès". Ils ne savent pas même dans quel monde ils vivent. Ils ignorent, ces Trissotin à haut débit, que les bergers sont contraints de pucer leurs troupeaux3 et que les cultures des paysans sont surveillées par satellites.
Il n'y a plus d'ailleurs. Nous sommes embarqués, sans l'avoir jamais choisi, dans cette galère. Qu'on ne nous reproche pas de nous servir y compris de nos chaînes technologiques pour nous mutiner.

***

Vivre en 2007, ce n'est pas vivre comme en 1950, l'ordinateur en plus, mais vivre dans le monde de l'ordinateur.
"La télématique, avec sa puissance exclusive, nous constitue un monde caractérisé par la construction de ses données, par un langage dont la transparence perd de vue l'aléatoire et le sens occasionnel du rapport au réel. Elle évacue les pesanteurs de l'histoire ou de la morale, égalise le temps et les distances dans l'instantanéité de la documentation" (Jacques Ellul)4.

L'informatique réunit et unifie tous les sous-systèmes techniques - banques, communications, transports, énergie, production, administration, police, etc. Le gouvernement politico-administratif en est bouleversé, comme le travail et toutes les activités humaines. Plus encore, la machine crée des fonctions que personne ne remplissait auparavant. Sa vitesse et sa capacité à concentrer les données permettent par exemple la circulation de l'argent d'un bout à l'autre de la planète en une fraction de seconde. Les technarques peuvent bien nous inviter, sourire en coin, à prouver notre insoumission en nous passant d'ordinateur ; ils savent que nous sommes pris dans ce monde qu'ils ont façonné à leur idée. Ils ont créé une nouvelle réalité, chiffrée, synthétique, globalisante, virtuelle et binaire, à laquelle nos cerveaux doivent s'adapter pour survivre. Accessoirement, leurs machines permettent la centralisation de toutes nos données personnelles, et la traçabilité totale des individus facturée par les experts aux tribunaux.

II Le problème, c'est la technologie, pas les applications

"La technologie n'est ni bonne ni mauvaise en soi, tout dépend de ses usages", se défend le technicole. Variante du cuistre Alberganti : "Ils (NDR : Pièces et Main d'Œuvre) confondent une technologie et ses applications"5. À l'en croire, la fission atomique serait dotée d'une existence "en soi", transcendante, hors du monde matériel, à distinguer de la Bombe ou des centrales nucléaires. Idem pour la transgenèse, à ne pas confondre avec les manipulations génétiques. Ne riez pas, ces doctes-là sont diplômés, salariés, décorés.

Étymologiquement la technologie (technè : métier, savoir-faire ; logos : discours) est l'étude des procédés techniques. Au sens courant, elle désigne un ensemble de techniques créant une industrie nouvelle. Procédés, savoir-faire, industrie : rien de plus concret. Que serait une technologie sans application ? Dans le monde de l'innovation, rien. Qui prêterait attention à un procédé sans débouché ? Sûrement pas les technarques, démontrant par l'absurde l'ineptie de leur rengaine ; une technologie se confond avec ses applications, et prétendre distinguer l'une des autres est une farce. Qu'ils lisent donc leur père fondateur, ces benêts high tech : Jacob Bigelow, qui le premier systématisa l'usage du terme "technologie" - créé semble-t-il par un physicien allemand à la fin du XVIIIe siècle. Dans Elements of Technology (1829), Bigelow, médecin et botaniste américain, vantait la fusion entre les "arts" (la technique) et la science, entre savoirs fondamentaux et pratiques. La chaire dont il était titulaire à Harvard était consacrée à l'"application de la science aux arts utiles". Pionnier de la recherche appliquée à l'heure de la première révolution industrielle, Bigelow posa la technologie comme l'unification de la science et de la pratique, autrement dit comme les applications des connaissances scientifiques6. CQFD.

***

La technologie n'est pas "neutre", comme le ressassent les techno-compulsifs (variante du cuistre : "La technologie, en elle-même, ne véhicule aucune idéologie"7). Comment le pourrait-elle puisque précisément sa fonction est de transformer le monde ? N'importe quel humain, expert de la vie sur terre, sait que les outils technologiques bouleversent davantage son existence que la couleur du régime politique. Que le téléphone portable et l’ordinateur modifient nos modes de vie, nos rapports sociaux, notre perception du monde, notre condition.

La machine façonne le milieu et ses habitants à son image. Quand des monstres de métal guidés par GPS moissonnent des étendues de céréales aspergées de pesticides par avion, les exploitants agricoles en combinaison et masque à gaz deviennent des ouvriers de la chimie, leurs champs des usines, et leur production un ersatz alimentaire. Quant à ceux qui ingèrent ces choses, ils forment aujourd'hui les générations les plus touchées par le cancer et les maladies neuro-dégénératives (dites, non sans raison, "de civilisation"), et ne peuvent que s'en remettre aux nanotechnologies pour les sauver,

Contre-exemple : remplaçons cette évolution machinique par un progrès social et écologique fondé sur notre intelligence du milieu et sur d’autres connaissances scientifiques : agronomie, toxicologie, microbiologie, sciences naturelles anéanties par le réductionnisme scientiste. Les quelques réfractaires qui tentent ce progrès-là obtiennent d'autres résultats : préservation des sols, de l’eau potable, de la santé des agriculteurs, valorisation du savoir paysan, produits de qualité, circuits de distribution courts.

La technologie supposée "neutre" a bouleversé dans un sens et non dans un autre la vie des paysans, notre alimentation, les modes de distribution, les transports de marchandises, les infrastructures, l’état de notre environnement et notre santé. La société de l’agriculture biologique n’est pas la société de l’agrobusiness, de la chimie et des OGM. Nous avons renoncé à faire progresser notre humanité, notre sensibilité, notre solidarité.

Or, des deux, seule la seconde bénéficie de l'appellation contrôlée de "progrès". On voit que la "neutralité" techno-scientifique a toute sa place dans le dictionnaire de la novlangue high tech, et qu'elle doit, comme tous les mots de ce jargon propagandiste, être comprise à l'envers. Rien n'est plus orienté que le progrès technologique, dont la direction ne doit rien au hasard ou à l'inspiration créatrice. N'oubliez pas le catéchisme : le progrès / c'est l'innovation technologique / qui crée des marchés / donc de la croissance et des emplois. Récitez matin et soir avec Michel Destot, technomaire socialiste de Grenoble, et son adjointe à l'économie Geneviève Fioraso.

Adeptes d'une théologie dont ils ne perçoivent pas même l'emprise sur leurs esprits, ces croyants assimilent l'Histoire à la flèche du temps, laquelle ne peut aller que dans une direction – ou revenir d'où elle vient. ("Vous voulez retourner aux cavernes", etc). Voilà le choix qu'ils nous laissent : la bougie ou la centrale nucléaire. Comme si l'industrie atomique nous était tombée du ciel. Chacun comprend que si l'on avait consacré les moyens du nucléaire à concevoir des modes de vie économes en énergie, ou des modes de production d'énergie acceptables, l'Histoire aurait pris un autre chemin. La bonne question est : pourquoi avoir choisi le nucléaire plutôt que des voies raisonnables, et qui en a décidé ? Nous y reviendrons.

Considérer la technologie comme "neutre", c'est se livrer sans armes à sa domination, et renoncer à exercer son libre-arbitre. Il n'est que de subir le fatras d'un Gabriel Sigrist, propagandiste des technologies8, assurant dans un même élan qu'"on n'arrête pas le progrès" et qu'"on a le choix de refuser les nouvelles technologies si on veut"9, pour mesurer la confusion de ces modernes bigots.

Il est notable que cet argument de neutralité ait connu cette faveur chez les scientifiques après Hiroshima (à n'en pas douter, une mauvaise application de la bombe par les dirigeants). Il conserve depuis lors cet accent de dénégation qui trahit ceux dont le plan de carrière étouffe la conscience.

***

Revenons à nos applications. Reconnaissant implicitement que la technologie n'existe que si l’on s’en sert, ses promoteurs nous supplient en dernier recours de distinguer les "bons" usages des "mauvais" et de ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Erreur de métaphore. La technologie, comme la médaille, compte un avers et un revers, indissociables. On ne peut pas choisir. "L'existence et le développement {NDR : des "bonnes" et des "mauvaises" applications} présupposent le même type anthropologique, les mêmes attitudes à l'égard du monde et de l'existence humaine, les mêmes modes de pensée, de technicité et d'instrumentation" (Castoriadis).10
Le nucléaire fournit les traitements aux rayons contre le cancer ET la pollution radioactive fertile en cancers. Les biotechnologies fabriquent l'insuline pour les diabétiques ET l'alimentation industrielle à l'origine de l'épidémie de diabète. Avec les nanotechnologies, nous aurons les nanomédicaments contre le cancer ET les nanoparticules toxiques, cause de nos futurs cancers. On voit à nouveau tout le bénéfice que l'industrie tire de ses propres ravages, les mêmes produisant le poison et le remède. Voilà l'admirable cercle vertueux de la recherche-innovation devant lequel s'agenouillent nos fervents technicules.

Ainsi va le système technicien : il s'auto-entretient, dans le seul but de réparer les dégâts de l'étape précédente et de préparer ceux de la prochaine. Un zest de lucidité ouvrirait les yeux des techno-fans sur ce prétendu progrès et leur éviterait de se lamenter, sans jamais faire le lien, sur la disparition des espèces animales, l'épidémie de cancer ou la fonte des glaciers. Le maire de Grenoble, en pragmatique socialo-nucléariste, pourrait investir dans une analyse coûts/bénéfices avant d'ânonner, une fois de plus, que les nanotechnologies sont une "révolution technologique majeure porteuse de nombreuses promesses pour notre santé, notre qualité de vie, l'avenir environnemental de la planète, etc."11

Pourquoi encore de telles promesses après déjà tant de "révolutions technologiques" pour notre santé, notre qualité de vie et notre environnement ? Le genre de question qu'un ingénieur du CEA, fût-il maire, ne se pose jamais.

III Savoir, c'est pouvoir

Avant toute chose, la techno-science produit des capacités d'action : du pouvoir. Pas pour nous, techno-rats ou techno-consommateurs, à qui elle lâche des miettes, gadgets divertissants et aliénants. Le téléphone portable nous permet d'être joints partout, super ! – nous voilà sommés par notre patron d'être disponibles hors du bureau. Le GPS nous guide sur la route, génial ! - nous voilà suivis à la trace par la police et l'Etat. Les caméras de surveillance nous filment d'un œil protecteur, hum ! – qui est cette jeune personne à vos côtés à la place de votre épouse ?

Les chercheurs du CEA qui agitent sous le nez des gogos le bien-être et la santé, le confort et la facilité, oublient de préciser deux détails :

1) Pendant que M. et Mme Arpel jouent avec leurs écrans plats et leurs rideaux auto-nettoyants (ah ! ces bonnes utilisations de la technologie), le pouvoir, lui, consolide son emprise sur eux à coup de vidéosurveillance "intelligente" à reconnaissance faciale, de biométrie, de puces espionnes RFID, de poussières de surveillance nanométriques, de GPS, de puces sous-cutanées, d'implants cérébraux, de pistolets Taser à décharges électriques de 50 000 volts, etc.

2) Pour que M. et Mme Arpel bénéficient de tout ce progrès, il faut maintenir dans la misère et le désastre le reste de la planète. Il faut bien mettre quelque part les carcasses polluantes des téléphones portables et les déchets nucléaires ; il faut bien faire pousser quelque part le soja transgénique pour alimenter nos vaches industrielles ; il faut bien assembler quelque part nos ordinateurs à bas prix ; il faut bien extraire de quelque part l'uranium, le coltan, le bois, les ressources naturelles qu'engloutit la frénésie de consommation de la partie dominante de l'humanité.

Dans la société de la domination, les outils technologiques servent d'abord les dominants (les pays riches, et en leur sein, les puissants) et leur servent à renforcer leur pouvoir, reculant d'autant la possibilité d'une société juste.
Si le nucléaire a été choisi – par le Plan Messmer à partir de 1975 – c'est qu'il implique une organisation hiérarchisée de la production et des structures administratives, policières et militaires pour l'encadrer : quel meilleur outil de centralisation et de contrôle pour l'Etat ? Dès que vous allumez la lumière, vous dépendez du système. Dans ces conditions il faut être fou pour critiquer la technologie.
Chacun sait comme Monsanto s'engraisse sur le cadavre de l'agriculture ; comme il vaut mieux être un haut fonctionnaire européen plutôt qu'un ouvrier noir-américain ou angolais pour profiter des gains d'espérance de vie en bonne santé ; comme Total peut, sans grand risque, extraire et transporter le pétrole au mépris des populations et des océans, etc. Cynisme, injustice, saccage de l'environnement : les aliments traditionnels de la prospérité des maîtres, protégés par un arsenal sécuritaire lui aussi en progrès.

"Il reste entendu que tout progrès scientifique accompli dans le cadre d'une structure sociale défectueuse ne fait que travailler contre l'homme, que contribuer à aggraver sa condition. C'était déjà là l'opinion de Fontenelle..."12 (André Breton).

Si leur conscience n'était stérilisée par la cupidité et la vanité, les chercheurs se mettraient en grève illimitée contre la société de la domination et de la marchandise qui s'enfle de leurs trouvailles. Leurs feintes protestations, "je ne fais que de la recherche fondamentale, ses applications ne me concernent pas" les désignent comme de dangereux irresponsables.

Non seulement "l'innovation" technologique ne fait en rien progresser la justice, la morale et la préservation de la planète, mais elle constitue l'arme des puissants pour éliminer les obstacles à leur empire. La fin est dans les moyens comme le fruit est dans le germe.

Ainsi se croisent la fuite en avant du système technicien et la soif de domination de la caste dirigeante. Union monstrueuse dont le fruit est cette société du contrôle total qui rendra bientôt impossible toute contestation.

IV La société technologique contre la société politique

Avons-nous, simples citoyens, décidé du sens et du contenu du progrès ? Avons-nous choisi la société de l’agro-business plutôt que celle de l’agriculture bio ? Avons-nous été consultés au moment de convertir les usines de gaz de combat de la guerre de 1914 en usines d’engrais chimiques, et, sur le passage d’une application de la chimie à une autre ? Avons-nous exprimé notre volonté de déléguer la plupart des fonctions sociales à des puces électroniques ? Ce téléphone portable qui nous colle aux oreilles, l'avions-nous réclamé comme le plus urgent de nos besoins ? Ou avions-nous plutôt d'autres aspirations – celle d'une vie moins stressante, plus saine, dégagée de la violente compétition du tous contre tous et de la soumission à la marchandise, par exemple ?

Si, comme le radotent les réalistes, "on n’arrête pas le progrès", c’est que les populations se sont laissé imposer – hors quelques accès de révolte – les vagues successives d’"innovations". Ce progrès qu’on n’arrête pas n’est autre que le triomphe de la techno-caste sur ses cobayes, de révolution industrielle en révolution industrielle, et la défaite du politique devant le rouleau compresseur technologique.

Comme la religion, la technologie prétend apporter des solutions aux problèmes qui ne sont pas de son ressort. Elle s'immisce partout, se mêle de tout et impose ses réponses aux questions politiques et sociales comme aux souffrances morales. Voici les OGM pour éradiquer la faim dans le monde ; les caméras contre la délinquance ; Internet contre la solitude.

C'est nous vendre le poison pour le remède. Les OGM et leur modèle agro-industriel tuent les petits paysans indiens qui se suicident par dizaines de milliers. L'"ultra-moderne solitude" dont meurt notre vie sociale est née avec la colonisation de l'espace public par la technologie. Tous les anciens le disent : la télé a vidé les cafés, les places, les cours d'immeubles.

L'homme est un animal social. Il ne doit sa conscience, son langage, son identité qu'à la vie en société, hors laquelle il n'est rien. Le petit d'homme apprend par l'imitation de ses congénères et se construit par son commerce aveceux – échange de mots, regards, gestes, sensations, émotions.
Quand votre postier, votre commerçant, votre bureau de vote, votre surveillant de cantine se transforment en bornes électroniques, quel genre d'humain devenez-vous ?
Que se passe-t-il quand je réserve mon billet de train sur mon ordinateur ? Rien. Je peux à l'avance décrire l'opération, sans risque de me tromper. Si j'ai affaire à un humain, employé de la SNCF, tout peut arriver. Je dois m'adapter à la personne qui me fait face et à la situation, je peux aussi modifier cette situation. Être à l'écoute, comprendre, réagir, improviser, bref, exister dans la société humaine.

***

Avez-vous remarqué qu'on nous présente comme "progrès" tout ce qui permet de se passer des humains ? Ce que la religion de la technologie révèle, c'est la conviction que les hommes sont le problème, et les machines la solution. Les robots ne font jamais grève, ne se mettent pas en arrêt maladie, ne discutent pas politique. Les guichets électroniques ne perdent pas de temps à demander au client comment il va depuis la dernière fois. Objectifs : accélérer / optimiser les process / rationaliser / être performants / compétitifs / rentables / efficaces.
Certes, déshumaniser l'humanité ne se fait pas sans dégâts. Voyez l'explosion de la schizophrénie, de la dépression, des troubles obsessionnels compulsifs, des suicides.

Confiez vos enfants à la garde de la télé, de l'ordinateur, de la console vidéo : vous obtenez des êtres instables, hyperactifs, aux capacités d'apprentissage diminuées. Un adolescent qui regarde la télé plus d'une heure par jour réduit ses chances de réussir ses études, indique une étude épidémiologique américaine menée sur 20 ans13. Quel que soit le programme regardé, faut-il le préciser aux adeptes des bonnes applications.

Les liens sociaux rompus et les solidarités brisées, déboulent opportunément la technologie et ses solutions prêtes à l'emploi : rencontres virtuelles sur Internet, téléphones portables détectant la présence d'"amis" dans le secteur, capteurs pour surveiller à distance les personnes âgées, robots de compagnie et, bien sûr, électrodes cérébrales contre les troubles obsessionnels compulsifs.
Répugnante camelote qui trahit la catastrophe dans laquelle nous survivons, et qui n'enthousiasme que des cerveaux formatés par des heures de télévision.

Il se trouve des sociologues pour nous expliquer que les adolescents se sociabilisent grâce au "chat" sur MSN et qui en concluent que l'ordinateur est devenu l'outil de sociabilisation indispensable pour "faire partie". Outre que cette démonstration illustre à nouveau quel genre de choix nous est laissé, elle prouve surtout que notre société est celle de la sociabilisation électronique – c'est-à-dire des rapports non humains. En toute logique, les ados sondés classent MSN comme leur moyen préféré de relation aux autres, plutôt que le vis-à-vis direct
.
D'ici une ou deux générations, ils auront oublié qu'on peut rencontrer des gens dans la vraie vie. D'individus politiques, responsables de la cité, nous sommes devenus spectateurs divertis par le simulacre télévisuel. Les ados d'aujourd'hui ont encore progressé : ils ont intégré l'idée de n'exister que par le relais de la machine, et ne voient pas le problème si un automate décide de leur droit d'accès à telle zone. Ils trouvent fun que leur empreinte digitale remplace leurs mots de passe, et trop top d'être filmés comme à la télé dans leurs déplacements.
À qui bénéficie cette éradication du politique, cet aplatissement de la volonté et de la raison devant la sainte-machine ? Certainement pas à la masse dépossédée de sa capacité d'action et d'autonomie – en partie par sa faute. Quand les syndicats défendent le pouvoir d'acheter cette quincaillerie humiliante, ils font tourner à plein régime la machine à détruire la planète, les rapports humains et nos vies. Le pouvoir, lui, sait rentabiliser le temps de cerveau rendu disponible par la démocratisation de la télévision et de l'informatique.

***

Pour tous ces motifs, pour continuer à critiquer la technologie, pour rester des individus politiques dans ce monde high tech, et parce que c'est notre droit, nous réclamons, à regret et à la justice, notre outil d'aliénation technologique.

Pièces et Main d'Œuvre
Grenoble, le 30 septembre 2007

1 www.lerti.fr
2 cf http://einstellung.so36.net/fr/ps/304
3 Règlement CE n°21/2004 du 17/12/03
4 J. Ellul, Le bluff technologique, 1988 (Le Cherche-Midi)
5 Sous l'œil des puces, les RFID et la démocratie (Actes Sud), page 192.
6 Ce qui ne l'empêchait pas de considérer la technologie comme une promesse de paradis terrestre. Tels les transhumanistes d'aujourd'hui, héritiers de ce millénarisme scientiste, et qui, au moins, ne font pas de chichis à décortiquer les nanotechnologies et leurs applications.
7 Sous l'œil des puces, op. cité, page 146
en attendant de les adapter par hybridation cellulesilicium
à leur nécrosphère.
8 Animateur du site www.largeur.com
9 Sur France Inter, le 22/08/07
10 C. Castoriadis, Le monde morcelé, 1987 (Le Seuil)
11 Discours d'inauguration de Minatec, in Les Affiches, 2/06/06
12 Le Figaro, 12 octobre 1946
13 Publiée par la revue "Archives of pediatrics and adolescence medicine" en mai 2007. Cf http://archpedi.ama-assn.org

Retrouvez ce texte et bien d'autres sur
www.piecesetmaindoeuvre.com
Ecrit par libertad, à 21:05 dans la rubrique "Pour comprendre".



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