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L'En Dehors


Quotidien anarchiste individualiste





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Interview d'un anarchiste, ancien soldat en Tchétchénie
Lu sur [ Actualité de l'Anarcho-syndicalisme ] : "L'interview que nous publions ici a été réalisé par le bulletin "Barricada", au sud de la Russie, lors de l'été 2002. Le camarade russe, appelé Alex, est actuellement un militant communiste libertaire de l'Action Autonome. Si Alex a été soldat pendant la première guerre de Tchétchénie (1994-1996), son interview permet de donner une idée de ce que vivent les soldats russes, souvent des appelés, y compris aujourd'hui, dans cette deuxième guerre de Tchétchénie.


Barricada : Retournons un peu en arrière. Que faisais-tu avant d'être incorporé dans l'armée ?
Alex : J'étais gangster.

B : Quand as-tu rejoint l'armée ?
A : En juin 1996 je devais aller à l'armée (le service militaire est toujours obligatoire en Russie). J'ai commencé la course de tous les « jeunes guerriers », répondre à des tests de QI, participer à des compétitions physiques, etc. Nous étions quelques centaines à être testés, et les officiers décidaient qui serait apte pour le service.

B : Voulais-tu aller à l'armée ?
A : Oui.

B : Combien de temps a duré l'entraînement ?
A : Deux mois.

B : Pensais-tu que tu pourrais être envoyé en Tchétchénie ?
A : Je savais que c'était possible. Je n'ai pas été surpris lorsque j'y ai été envoyé.

B : Avec du recul, penses-tu que l'entraînement été suffisant vu la situation en Tchétchénie ?
A : Nous faisions quelques exercices dans les montagnes. Et pendant les exercices, les officiers nous faisaient chanter « Mort, mort, mort aux tchétchènes ! ». Nous étions alors 375, et nous n'avons été que quinze à être envoyés en Tchétchénie. J'ai été incorporé dans les forces spéciales.

B : Parles-nous de ta première journée en Tchétchénie.
A : Depuis une ville au nord du Caucase, nous avons été héliportés à Staromyslovski, dans le district de Groznyï. Lorsque nous avons atterri, il y avait quelques hommes qui s'étaient déjà battu en Tchétchénie et qui nous attendaient avant de rentrer chez eux. Nous nous sommes changés et avons reçu des armes et des bombes. C'est alors que j'ai entendu une bombe exploser. Ce fut la première fois que j'ai eut un sentiment de peur.

B : Qu'as-tu fais les premiers mois à Groznyï ?
A : D'août à octobre (1996), il y avait une bataille cruelle entre les forces russes et les rebelles tchétchènes à Groznyï. La bataille principale se déroulait square Minutka. Ce square était alors célèbre dans les journaux télévisés russes. Les officiers étaient tellement stupides, je peux dire vraiment bêtes, qu'ils ne savaient pas ce qu'ils faisaient. Souvent, c'était des sergents qui déterminaient la stratégie, et nous ignorions simplement les officiers. Une fois, rue Lénine, nous devions aider un groupe de soldats russes qui ne pouvaient pas faire face aux rebelles tchétchènes. Les officiers étaient stupides, et nous ont simplement envoyés là bas, sans aucune information sur la situation. Nous n'avons jamais atteint les autres soldats russes. Nous avons été bloqués rue Lénine pendant sept jours, avec très peu d'eau et seulement 200 grammes de viande en boite par jour. Nous avons dû nous battre sans interruption pendant sept jours. Un groupe du SOBR, une autre force spéciale d'élite, est venu nous aider à sortir de là. Mon escadron comportait cinquante personnes, et dix sont morts pendant cette opération. C'était terrible, la chaleur, pas d'eau, pas de stratégie. Nous sommes retournés à la base russe, et là, avons élaboré un plan, sans les officiers, et sommes retourné rue Lénine pour secourir le premier groupe de soldats russes qui y étaient coincés. Nous avons remporté un succès cette fois.

B : Les conditions de vie quotidienne étaient-elle difficiles pour les soldats ?
A : Pendant la première guerre de Tchétchénie, nous, soldats, avions du pain pourri, alors que les officiers s'empiffraient de viande, de douceurs et autres produits de luxe. Et ils ne tentaient même pas de le faire forcément loin de nous, ils mangeaient devant nos yeux. Nous, nous apprenions à nous nourrir avec des serpents et des grenouilles. Pour moi, les combats de rue ont duré un peu moins de trois mois. J'ai du participer à huit opérations par mois dans la ville. En octobre, le général Lebel (chef de l'armée à cette époque) a décidé que les pertes russes étaient trop élevées et a décidé de mettre fin aux offensives russes. Nous n'étions plus supposés attaquer les forces rebelles tchétchènes sur un front de grande envergure. Plus que de petites opérations dans les villages. (…) Après, nous avons arrêté d'entrer dans Groznyï, et mes mains ont commencé à trembler pour commettre des assassinats.

B : En quoi consistaient les petites opérations après le mois d'octobre ?
A : Nous allions généralement dans des petits villages dans les montagnes. Personnellement j'ai assassiné entre 35 et 40 personnes dans ces villages. Mais lorsque nous n'étions pas enrôlées dans des opérations agressives, nous pouvions faire autre chose. Mon escadron excellait dans les combats au corps à corps, les bombes et les mines, la médecine,… nous étions des soldats très talentueux. Il y a neuf différents niveaux de soldats, et nous, nous étions au top. Nous étions soumis au secret. Nous devions ressembler à des soldats de la paix, et faire des opérations de déminage. Personne ne savait que ces soldats qui déminaient un terrain étaient en fait des forces spéciales en opération de reconnaissance.

B : Les villages résistaient-ils ?
A : En général, non, parce que ces opérations étaient très rapides. Les personnes attaquées n'avaient pas le temps d'organiser une résistance. Nous étions basés près du village K_. C'est à environs 10 kilomètres de Groznyï. Nous avions un accord avec les villageois. Nous ne les attaquions pas, et ils ne nous attaquaient pas. Le village était surmonté de positions militaires russes, si bien que s'ils nous avaient attaqués, ils auraient été exterminés. La nuit, il y a bien eut quelques tirs sporadiques de mitraillette, mais ils étaient peu armés et pas vraiment organisés.

B : Aviez vous des contacts quotidiens avec des villageois tchétchènes ?
A : Très rarement. Il était même rare que nous ayons des contacts avec la population russe de Tchétchénie. Nous recevions nos ordres peu avant les opérations. Aussi nous quittions la base juste après et y retournions immédiatement après l'opération. Aussi, nous n'avions pas de temps pour rencontrer des gens.

B : Considériez vous les villages comme rebelles ?
A : Bien sur, certains pouvaient être rebelles, et d'autres non. Mais nous ne serions allés que dans ceux où il y aurait eut des rebelles. Les forces spéciales devenaient des « punisseurs ». Les officiers nous disaient qu'il y avait des rebelles dans un village, et nous avions l'ordre d'y aller, de trouver les rebelles et de les tuer. Le plus souvent, nous tuions les hommes et pas les femmes.

B : Est-ce parce que seuls des hommes combattaient avec les tchétchènes ?
A : Il y avait aussi des femmes soldats parmi les rebelles. Les combattantes tchétchènes étaient même connues comme d'excellentes snipers. Les soldats russes les haïssaient. Nous les appelions les « bas blancs ». La première fois qu'en ma présence une « bas blanc » a été attrapée, j'ai vu à quel point les russes les haïssaient. Ses bras étaient accrochés à une voiture et ses jambes à une autre, puis les voitures sont parties dans des directions opposées et son corps a été déchiré. Des morceaux de son corps ont ensuite été ramassés et jetés depuis un hélicoptère dans son village. La deuxième « bas blanc » que nous avons capturée a été attachée à un arbre. Deux kilos de trotil C4 (un matériel explosif utilisé dans la fabrication de bombes et de mines) furent placés sous elle. Une courte mèche de 4 ou 5 mètres de long était placée face à elle et se consumait d'un centimètre par seconde (…). C'est après que j'ai commencé à consommer des drogues pour supporter toute cette souffrance. La troisième « bas blanc » que nous avions capturée nous avait été offerte par des officiers. Ils nous ont dit que nous pouvions tous la violer avant qu'elle soit tuée. Aucun de nous n'a voulu le faire, aucun ne l'a fait. Aussi, nous l'avons fusillée. Quelques semaines plus tard, nous avons appris qu'elle était ukrainienne. C'était la cousine d'un des hommes de mon groupe.

B : Quelle a été sa réaction ?
A : Lui n'a pas beaucoup changé. Mais deux hommes sont devenus complètement fous. L'un s'est pendu. L'autre a tenté de le faire, mais nous l'avons découvert avant qu'il soit mort. (…)

B : Les soldats russes étaient-ils les seuls à être cruels ?
A : Non, bien sur que non. (…) J'ai connu des soldats de base qui coupaient les oreilles des tchétchènes pour en faire des colliers qu'ils portaient au combat. Mais les tchétchènes aussi étaient cruels (…). Lorsque les rebelles tchétchènes capturaient un soldat russe, il leur était facile d'obtenir une caméra et de se filmer en train de tirer sur chacun des doigts du soldat, puis, ils envoyaient le film aux parents du soldat. Habituellement, ils demandaient une rançon en échange de la libération du prisonnier. Si la famille n'avait pas les moyens de payer la rançon, ils faisaient une autre vidéo, avec encore plus de tortures, souvent, c'était chaque os qui était brisé, ou alors des castrations, et demandaient encore une fois une rançon, ou tuaient le prisonnier (J'ai vu la vidéo d'un soldat maintenu à terre par un rebelle debout sur sa tête tandis qu'un autre plantait un couteau dans la gorge du soldat et l'égorgeait. La cassette a été envoyée à la mère qui ne pouvait pas payer la rançon - note de l'interviewer). Ils ont aussi crucifié des soldats, nus, et recouverts de miel ou de sucre pour attirer les mouches. Et les ont laissé mourir ainsi. Une fois, nous avons trouvé un soldat sans jambe, et nous ne pouvions pas aller l'aider, parce qu'il y avait des snipers tchétchènes postés tout autour et qui tiraient sur quiconque allait en direction de ce soldat. Dans certains villages, des soldats russes ont été décapités et leurs têtes placées sur des piques, hors des villages (…) . B : Tu n'as jamais été blessé ?
A : Si (…). Un camarade et moi avons été pris au piège dans un bâtiment par des tirs rebelles lorsqu'une bombe a explosé. Mon camarade est tombé, inconscient. Il a perdu de ses capacités auditives et a toujours du mal à parler. C'est arrivé lorsque les politiciens affirmaient à la télé que la guerre était finie. Mais les combats continuaient. (…)

B : Lorsque tu as enfin quitté la Tchétchénie, que s'est-il passé ?
A : J'avais été leader de mon groupe, et si nous avions été cinq soldats comme moi nous aurions pu détruire une ville entière. J'ai eut des propositions pour aller me battre au Daghestan ou en Yougoslavie, mais je ne pouvais pas vivre avec tout ce sang sur mes mains. En Tchétchénie, j'utilisais des drogues pour rester actif physiquement et mentalement. Après la Tchétchénie, je n'ai plus pu dormir pendant deux ou trois ans. A chaque fois, je me souvenais de plus en plus de tout ce qui s'était passé. Je fais toujours des cauchemars, mais ils ne sont pas aussi terribles que ceux que je faisais lors des deux années qui ont suivi mon retour en Russie. Je n'ai eut ni médailles ni honneurs en Tchétchénie, juste une bague spéciale. J'ai été payé seulement 600 roubles (100$ à l'époque) au lieu des 6.000 roubles (1000 $) que j'étais censé recevoir. C'est ce qui est arrivé à la majorité des soldats de la première guerre en Tchétchénie. Les officiers volaient l'argent, et nous donnaient trois fois rien. (…) L'Etat ne nous a donné ni soins ni argent. J'étais un assassin sans salaire. Après la guerre, j'étais malade des poumons, des jambes et peut-être aussi du cerveau. J'avais besoin de soins médicaux, mais je n'avais pas l'argent pour cela. Je n'ai pas été le seul à avoir été utilisé comme soldat pour des jeux politiques. Tant de gens n'ont pas compris pourquoi ils se battaient vraiment. Maintenant, tant de soldats sont invalides, mendiants, toxicomanes, alcooliques, SDF, criminels, etc. (…)

B : Et comment t'en es-tu sorti ?
A : J'ai finalement arrêté de prendre des drogues, mais les cauchemars sont revenus, alors j'ai commencé à boire beaucoup. (…) Après trois ans où j'étais apolitique, j'ai rejoint l'Unité Nationale Russe (une milice d'extrême droite), j'ai même pris part à certaines de leurs actions. Mais ils ne m'apportaient aucune réponse, et j'ai vite réalisé que ce n'était pas de ça que la Russie avait besoin. Ils ne proposent qu'une nouvelle forme d'oppression. Par chance, je suis tombé sur une copie d'un magazine anarchiste. Mes pensées et croyances étaient alors centrées sur l'égalité et la paix entre tous les peuples. Je voulais me débarrasser de toutes les frontières afin de voyager autour du monde et rencontrer différents peuples, et voir quelles sont leurs conditions de vie. Aussi, les anarchistes m'ont intéressés. Je leur ai écrit, et les ai rencontrés plusieurs fois afin de discuter de leurs idées et de leurs actions. J'ai réalisé que c'était ce que je pensais. Maintenant j'ai des camarades de différentes nationalités, ce qui m'a apporté beaucoup. Nous croyons dans le peuple, le gouvernement russe ne s'est jamais intéressé au sort de ses soldats. Cette guerre était pire que la guerre en Afghanistan. En deux ans en Tchétchénie, 20.000 soldats russes sont morts. En dix ans, en Afghanistan, ils n'ont été que 16.000.

HOBOCTb n°9 -novembre 2002
HOBOCTb c/o CESL BP 121 25014 Besançon cedex
solidarite@club-russie.net
Ecrit par libertad, à 19:18 dans la rubrique "International".



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