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L’Histoire de Richard O de Damien Odoul
--> Cinéma . Dans un nouveau long métrage, Damien Odoul raconte son Histoire de l’oeil et confirme en beauté ses talents.

Lu sur l'Humanité : "Soit un certain Richard O. (Mathieu Almaric) qui va décéder en prégénérique. Richard est mort d’une collision sexuelle et gît au pied du lit comme un accidenté de la route au bord d’un talus. Vertèbres rompues, son corps se fige sous les yeux pleins d’effroi de sa (très) maladroite amante dont les fantasmes de viol ont tourné court. Pour suivre les pérégrinations de Richard, il faudra remonter quelques semaines plus tôt, dans l’été parisien que Damien Odoul choisit de filmer idéalement chaud et humide pour ce qui va être dévoilé. Animé par la subversion du désir, celle que Guillaume Apollinaire, auteur des Onze Mille Verges, nommait « la grande force », Richard, de femme en femme, va en explorer les arcanes et Damien Odoul les représentations.

Au royaume des ombres

Le cinéaste en ce miroir de l’érotisme donne « vit » à sa caméra. Il équipe ses personnages de viseurs, focales et autres prolongements de l’oeil jouissant et réjouissant selon les attributs que Georges Bataille prêtait à cet organe. Et d’un même geste multiplie les écrans comme ceux où apparaissent les femmes dont l’ami de Richard (Stéphane Terpereau) filme en vidéo l’aveu troublant de leurs désirs. De baisers en étreintes, Richard éreinte ou caresse, se fait sucer par une professionnelle en vinyle. Il se livre avec une inconnue à divers enchevêtrements en autant de postures d’estampes dans une chambre de l’hôtel Amour. Avant de pénétrer au royaume des ombres, Richard s’est également adonné avec sa voisine de palier à de charnelles acrobaties, restituées sur le mur en marionnettes de Java.

Usant de la partie pour évoquer le tout, Odoul filme en plans très serrés une main ou deux pieds, un lobe d’oreille ou l’arrondi d’une fesse, emplissant parfois le cadre pour tout de suite le laisser vide aux deux tiers. Il use du clair-obscur, enveloppe Richard, ses poils et sucs de chaudes teintes de terre à la manière d’un Antonello de Messine peignant ses moines.

Mathieu Amalric est donc montré comme jamais, du moins au cinéma, jouant de tout son corps avec une aveuglante liberté ce personnage dont on saura par ailleurs peu de chose. Sinon sa poétique humanité. Elle se lit dans l’impassibilité « keatonienne » du visage, s’illumine des flammes d’une cheminée devant laquelle la nudité de Richard se révèle en fragments presque abstraits tout aussitôt suivis d’une scène réaliste de jardin public. Là, tandis que des enfants s’ébattent, Richard et son grand ami sans nom s’adonnent à des confidences intimes. Elles nous éclaireront peu, mais marqueront l’une des étapes de cette amitié dont les lignes de force croisent les tensions libidinales en jeu.

Si on tire des coups dans ce film, on en boit aussi quelques-uns entre deux échappées belles que les deux comparses accomplissent en vélo, renouvelant le duo de cinéma et ses burlesques déambulations. D’une jubilation l’autre, Paris en août se revêt tout au long des ocres et indigos de l’orage, de gris d’étain, de trouées zénithales plongeant sur les pavés après la pluie. Damien Odoul crée de la beauté plan à plan et prélève au réel celle qu’il recèle. Il nous promène en coups de foudre plastiques des courbes des statues de l’Observatoire aux eaux bouillonnantes d’une fontaine qui n’est pas de Trévise, en passant par ce qui semble d’abord une immense toile de Rothko embrasée de jaunes et se révèle à l’élargissement du cadre un décor de car touristique.

Joutes érotiques chorégraphiées

« L’art, écrivait le plasticien Georges Fillioux, est ce qui rend la vie plus belle que l’art. » Nous y sommes en plein. On ne peut imaginer que ce film ait été réalisé sans joie tant on en éprouve. Aux chorégraphies des joutes érotiques, à la variété des émotions qui les amorcent, les scènes de lutte qu’entament en amateurs Richard et son ami ajoutent au foisonnement et au perpétuel basculement des formes qu’opère Damien Odoul.

Un extrait du « court métrage turc » de Maurice Pialat où des lutteurs s’enlacent dans la boue offre son hommage à point nommé. Avec une égale justesse, la musique hip-hop de Buck 65 survient en morceaux choisis. Imaginés à la pointe de l’oeil un écho d’Egon Schiele sur une hanche pliée, les Renoir père et fils pour ce beau dimanche au bord de l’eau qui voit l’ami de Richard enlacer son amoureuse en robe fleurie, jeune femme découverte à la jumelle depuis sa fenêtre sur cour. Toute cette Histoire d’O déroule rigueur et volupté.

Dominique Widemann

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Ecrit par libertad, à 10:22 dans la rubrique "Le privé est politique".



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