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L'En Dehors


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Mapuches contre Benetton
--> La reconquête du désert
Lu sur Risal : "Ils luttent depuis cinq ans pour 535 hectares sur les 965 000 détenus par le groupe Benetton au sud, qui, selon eux, ont appartenu à leurs ancêtres. Ils ont été expulsés en 2002 et maintenant ils sont revenus. Ils vivent sous des tentes et un juge leur interdit jusqu’à faire du feu. Le quotidien argentin Página/12 a passé neuf jours avec les membres de la communauté, qui racontent comment ils pensent résister.

La journée démarre avec les « jey-jey-jey-jey  » de reconnaissance lancés les bras vers les montagnes de l’est, où le soleil commence à poindre. Ils accomplissent la cérémonie face au pillán kutral, « le cœur de la communauté », comme ses membres le définissent. « Feu sacré » serait une traduction approximative. A Santa Rosa Leleque, le pillán kutral est allumé depuis le 14 février dernier, quand trente hommes, femmes et enfants ont franchi la clôture pour déclarer leurs 535 hectares « territoire mapuche récupéré ». Le feu, qui abrite des forces des ancêtres, vit dans un cercle de pierre sur deux mois de cendre. On lui doit un respect absolu : il est interdit d’y jeter des mégots de cigarette, des sachets de thé ou des déchets. Il n’apporte que la lumière et la chaleur. Pour cuisiner et brûler, il y a le foyer normal, délimité par un mur de briques. Cet élément fondamental de la religion mapuche n’échappe pas au conflit entre la communauté et la Compagnie des Terres du Sud Argentin, le visage du groupe Benetton pour maintenir clôturés 965 000 hectares du pays. La semaine dernière, la justice a interdit à la communauté de faire du feu tant que le conflit légal n’est pas résolu. Mais pour que personne n’accuse les institutions d’être impitoyables, on n’autorise le feu que si le bois est apporté de l’extérieur. Les mapuches pensent que la mesure « est cruelle. Ils la dictent juste quand l’hiver arrive. »

La décision du juge de la Chambre d’exécution d’Esquel, Omar Magallanes, obéit à une requête des avocats de Benetton. La même mesure interdit aux dix familles de la communauté de construire des maisons. C’est pourquoi Santa Rosa Leleque est un ensemble de tentes igloos, trop fines pour les inévitables températures négatives de la nuit. Pour le moment, les seules constructions sont une cahute où ils gardent la farine, la yerba [yerba mate], les vermicelles, les confitures, les galettes frites et des dizaines de caisses de nourriture laissées par des gens des villages avoisinants et des touristes altruistes. A 700 mètres, il y a la maison communautaire, toujours pas finie, car la Justice winka [non-mapuche], comme on dit à Leleque, en a décidé ainsi.

Il y a plusieurs jours, le juge de paix d’El Maitén, Guillermo Palmieri, a franchi la clôture avec son attaché-case. Il avait à l’intérieur les 30 certificats de notification judiciaire pour chacun des habitants de Santa Rosa (voir plus bas). Avec cette stratégie, la Justice ne reconnaît pas la communauté. En interdisant le feu, « ils veulent que nous nous fatiguions et que nous partions. Il a commencé à neiger et nous n’avons même pas une petite maison terminée. Mais nous comptons toujours nous battre, ils ne nous effrayeront pas en nous interdisant le feu et le bois », nous dit Rosa Nahuelquir qui, avec son époux Atilio Curiñanco, affronte depuis 2002 une Campagne du désert moderne. Cette année-là, le couple avait été expulsé sur ordre de justice de ces terres qu’ils revendiquent comme les leurs.

Ce qu’ils ont nommé désert est - sans exagération - le plus bel endroit au monde. Des montagnes coiffées de neige qui descend dans les ruisseaux, une terre prête à recevoir des végétaux et/ou des petites vaches, le rêve d’Atilio. Tôt le matin, lui et Luis Millán, avec un pic et une pelle, vont « canaliser ». Ils marchent vers les montagnes par le lit d’un ruisseau asséché depuis 2002, détruit par les forces de l’ordre, comme tout ce qui a été construit par le couple Nahuelquir-Curiñanco. Ce ruisseau irriguait des terres idéales pour la culture. « Ces flics croient qu’on va avoir la flemme  », commente Atilio entre deux pelletées. Ils arrangent quelques pierres et divisent le ruisseau en deux, ce qui va leur permettre de semer et de récolter plusieurs hectares. « Tu veux de l’eau fraîche ? Il n’en existe pas de plus pure. Elle vient tout droit de la neige. »

Le plein emploi règne à Santa Rosa. S’il n’y a pas à canaliser, il faut chercher du bois à brûler. Pour les mapuches, les arbres sont sacrés, ils ne les coupent donc pas. Ils ne prennent que du bois mort. Si, par nécessité, ils doivent tuer un arbre - ou quelque chose de vivant - ils demandent d’abord pardon à la mapu [terre].

Pour les mapuches, récupérer leur territoire c’est récupérer leur spiritualité. Du lever au coucher, ils vénèrent la terre. Et même quand ils dorment : la mapu leur parle en peumá [rêve] et leur dit ce qui est. Ses messages sont tellement clairs que personne ne s’aventurerait à lui désobéir. Le mapuzungun est la langue que la terre a donnée aux humains pour qu’ils puissent communiquer avec elle. Beaucoup sont convaincus que les malheurs du peuple mapuche ont commencé quand ils ont cessé de communiquer avec elle, quand ils sont devenus winka. C’est pourquoi ils n’ont pas pu résister depuis 1879 aux fusils de l’armée argentine dirigée par le président des cent pesos, Julio Argentino Roca [1]. En retrouvant le contact direct avec la terre, ils vont réaliser ce qu’ils crient à la fin de toute rencontre politique : marichi weu, dix fois nous vaincrons. C’est ce qui a été démontré dans le sixième futa trawun [grande réunion], qui, pendant trois jours, a réuni 150 mapuches heureux de fouler le territoire fraîchement récupéré.

La grande réunion

Chacun a son style pour franchir la clôture. Pour entrer dans la communauté, il faut se plier, d’abord un pied ici, puis un pied là, au milieu le désagréable frottement sexuel. Tout ce qui entre à Santa Rosa traverse ou saute le barbelé. Parce que couper un cadenas ou une clôture représenterait une violence, ce qui modifierait la classification judiciaire en détérioration de la part des peuples indigènes. Parmi les participants à la rencontre, il y a une petite vieille minuscule, au visage noble tout ridé. Nul besoin de lui demander son âge pour savoir qu’elle a vécu l’époque des expulsions, autour de 1937. « Dis-nous, Papay, qui vivait à Santa Rosa avant d’être expulsé ? » La vieille soupire : « Avant, quand il n’y avait pas de clôture  ». Elle et ceux qui ont gardé la mémoire commencent à se rappeler les noms. Tureo, Llancaqueu (du nom de la colline qu’il habitait), Raíl (Juana Raíl était blanchisseuse de la Compagnie des Terres jusqu’à ce qu’ils l’expulsent de la compagnie et des terres). « Dis-nous, Papay, qui vivait sous ces peupliers là en bas ? ». « Eh bien, le vieux. » La seule lumière, celle du foyer, éclaire son visage. « Il était mapuche », affirme-t-elle. Aujourd’hui, elle ne se souvient pas. Demain, si.

Jonathan Márquez s’est assumé mapuche pendant son adolescence. Son grand-père était lonko [dirigeant] à Neuquèn, mais ses parents se sont adaptés facilement à la vie citadine. Comment s’est-il re-trouvé ? « Ce sont les rêves. Tu te trouves à des endroits où tu sens que tu as déjà été. Et vient un moment où tu sais quoi faire. Je rêvais que j’étais dans des espaces comme celui-ci ou dans une cérémonie. Que j’étais en connexion avec nos ancêtres. C’est très étrange. Mais tu es témoin de choses qui ne peuvent pas s’expliquer.  » Tous se rappellent quand Celinda Lefiú, avec son chant et son kultrun [tambour], a fait pleuvoir sur Neuquèn après une sécheresse de plusieurs mois. Cette fois-là, même les fermiers lui ont demandé son aide. Pour l’ancienne, le prodige est dans l’union des volontés : « Nous étions plus de mille à la cérémonie. Il y avait beaucoup de newen [force de vie]. »

Newen - c’est le nom du fils de Jonathan et de Daisy - avance en titubant avec sa tétine comme balancier. Son père, âgé de 25 ans, veut livrer un message « aux mapuches qui ne se reconnaissent pas comme mapuches. A ceux qui ont le sang et le nom, je leur conseille de les faire valoir. Qu’ils ne se laissent pas séduire par la vie moderne, c’est une vie vide. J’ai étudié, j’ai travaillé à la ville, mais je n’oublie pas ce que je suis ».

Furilofche

Ses grands-parents vivaient sur la terre. Jusqu’à ce qu’on leur enlève et qu’ils durent émigrer à la ville, s’adapter à sa culture pour survivre, ni plus ni moins. Leurs enfants, déracinés de la vie mapuche, ont élevé leurs enfants à la façon argentine. Aujourd’hui, ceux-ci ont environ vingt ans et ne manquent pas une occasion de se mobiliser en Gulumapu et Puelmapu (actuellement le Chili et l’Argentine) pour défendre leur peuple. Ils connaissent tous les commissariats de la région, où ils se sont retrouvés pour répondre à la même procédure :

— Nationalité ?

— Je n’ai pas de nationalité, je suis mapuche.

— Et où es-tu né ?

— A Wallmapu.

— C’est quoi, ça ?

— Un territoire ancestral mapuche.

La discussion peut durer des heures, jusqu’à ce que le policier se fatigue et passe à autre chose, en cellule ou à la rue.

A Santa Rosa, les jeunes des quartiers pauvres de Bariloche, ou Furilofche, comme on les appelait avant la constitution de l’Etat argentin, sont nombreux. Ezequiel, 20 ans, est toujours prêt à exécuter les travaux dont la communauté a besoin. Dans sa tente, parmi des vêtements pleins de cendre et de terre, on remarque quelques livres de culture et de spiritualité mapuche. Un soir, face au pillán kutral, il répond à un petit de six ans avide de connaître son peuple. « Deux anciens vivent dans le pillán, le grand-père et la grand-mère. Ils veillent sur nous. Nous ne pouvons pas les déranger. Nous ne pouvons pas jeter de la terre sur le kutral ou l’éteindre. C’est juste pour éclairer et chauffer. Il a le kume newen, la bonne force. Les vieux mapuches voyaient les anciens, mais nous ne les voyons plus. Moi je ne les vois pas parce que je suis devenu winka. On dit que les enfants peuvent les voir.  »

— Moi, je les vois, dit le petit.

Ezequiel lui parle de la « grande guerre », celle des anciens contre le winka. De ses héros, qui ne respirent que dans la mémoire du peuple. « Les Espagnols ont enlevé Leftraru - ici on l’appelle Lautaro -quand il était enfant et lui ont fait garder les chevaux. Et il est devenu l’ami des chevaux. Quand il a grandi, ils l’ont placé à la tête de quelques mapuches traîtres et l’ont envoyé à combattre contre son peuple. Mais il s’est uni aux mapuches et ils ont affronté le winka, et ils ont gagné. Ils ont attrapé (Pedro de) Valdivia, le chef des Espagnols et l’ont tué. Ils lui ont fait manger de la terre, lui ont pris son sang, mangé le cœur. Les ancêtres étaient comme ça. Et Leftraru vainquit jusqu’à ce qu’un mapuche traître le livre et qu’ils le tuent. » Ezequiel évoque Kalfulkurá, qui a gouverné le peuple pendant 40 ans, vaincu l’armée de Bartolomé Mitre et celle du général Manuel Hornos. Dans la ville de Buenos Aires on craignait son arrivée. Jusqu’à ce qu’il affronte le gouvernement de Domingo Sarmiento et qu’il soit vaincu. Il est mort de vieillesse. « Il avait deux coeurs, c’est pourquoi ils ne pouvaient pas le tuer ». Le jeune raconte quand dans le Bio Bio ils ont attrapé Galvarino : « Les Espagnols lui ont coupé les mains mais il n’a pas pleuré  ». Ils l’ont renvoyé dans sa tribu pour montrer ce qui arrive à ceux qui attaquent la couronne. « Mais Galvarino est quand même revenu se battre, il se faisait attacher les armes aux bras. Ils étaient forts, les anciens mapuches.  »

— Et maintenant, nous sommes ordinaires ?, demande le petit.

— Trop ordinaires. Ils gagnent contre nous parce que nous oublions qui nous sommes. Nous devenons des winkas, nous ne parlons pas le mapuzungun, nous commençons à croire aux dieux winkas, diagnostique Ezequiel.

— Je vois encore ces grands-parents. Ils sont en train de manger, dit l’enfant mapuche.

Mauro Millán, de l’organisation 11-Octobre et membre de la communauté, affirme que « nous ne demandons pas la terre, nous l’avons déjà. Nous demandons qu’on nous laisse vivre en paix. Mais l’Etat et Benetton nous empêchent de cuisiner, de faire du feu, de nous alimenter : ils attentent à notre vie. Sans une décision politique, cela va déboucher sur ce qu’un juge raciste - ils sont nombreux en Patagonie - fasse le nécessaire pour nous expulser. Nous voulons éviter la violence. Pourvu que cela n’arrive jamais. Nous ne faisons pas l’apologie de la violence. Nous voulons qu’ils comprennent que nous sommes revenus et que nous resterons. Nous ne permettrons pas qu’on nous expulse. »

Le pillán kutral se défend des décisions humaines. Mais s’il pleut ou s’il neige ? « Il ne s’éteint pas. C’est impossible  », répondent les mapuches comme si c’était la chose la plus normale du monde. Luis, représentant de la communauté, se rappelle quand il a plu dans un village voisin. « Ce qu’il pleuvait cette nuit-là. Le lendemain, nous nous sommes tous levés trempés. Et nous nous sommes mis à sécher. »

— Et le feu ?

— Le feu, non, il ne s’éteint pas.

******

Juges et parties

« Je suis une personne polie  », « respectueuse  », « reconnaissante  », répète le juge de paix d’El Maitén, Guillermo Palmieri, devant 30 mapuches à qui il apporte les certificats pour leur notifier qu’ils ont un problème avec la justice argentine. Parmi les notifiés, il y a des enfants d’un an. Pour Rosa Nahuelquir, « ils ne veulent pas comprendre ce qu’est une communauté. Ils se moquent de nous ». Palmieri montre un mandat que lui a donné le juge d’Esquel Omar Magallanes pour « constater l’usage qu’ils font de la propriété qu’ils occupent ». Il lit également « un ordre qui émane du juge qui est sur le dossier », qui interdit de « brûler quelque chose, brûler et extraire des produits ligneux et exige de suspendre les constructions de toute nature jusqu’à ce que le juge se prononce quant à cette propriété ». Son texte indique que si les mapuches récidivent en faisant du feu pour se protéger du froid ou pour faire la cuisine, « une juste sanction sera appliquée  ».

Luis Millán, représentant de Santa Rosa, insiste : « Le certificat de notification judiciaire devrait être adressé à la communauté ». Palmieri lui dit : « Je vais lire les noms. Quand vous entendez ‘communauté’, je vous le donne ». Et il commence : « Atilio Curiñanco. Ça ne dit pas communauté. Non ? Ça dit Atilio Curiñanco ». Il continue l’appel, mais personne ne reçoit sa notification. « Il n’y a personne », observe le juge de paix, avant de laisser ses certificats en sûreté dans la cabane de la nourriture. « Si vous voulez, plus tard, vous les prenez, ou vous en faites ce que vous voulez  », conseille-t-il.

Selon Mauro Millán, « dans cette région, il est très fréquent et très habituel que des juges ou des procureurs soient propriétaires terriens et éleveurs. Quelles chances avons-nous que cette justice prenne une décision impartiale sur les droits qu’on dit que nous avons ? La Justice elle-même ne veut pas que nous en arrivions à la discuter ».

Sur le point de monter en voiture, le juge de paix Palmieri ne le nie pas : « J’ai travaillé dans une ferme de Benetton. Maintenant, demandez-leur s’il n’ont pas travaillé pour Benetton », dit-il en montrant les tentes de la communauté. « Il y a trois villages sur 500 000 hectares. Les gens de ces villages travaillent comme bûcherons, poseurs de clôtures, transporteurs  », selon Palmieri, ingénieur agronome élevé à Balcarce, où la Compagnie des Terres possède la ferme Santa Marta. « Si moi je fais ça (être juge de paix), je peux difficilement cacher pourquoi je suis venu dans le sud. Je n’ai travaillé pour l’entreprise que pendant six mois, je n’ai pas le profil qu’ils recherchent comme administrateur. Même en tant qu’administrateur, j’ai enseigné comment utiliser certains outils, rien de plus ».

Et il termine : « Benetton a acheté de bonne foi à Menéndez, Ochoa et je ne sais qui d’autre. Ils ont acheté. C’est l’Etat argentin qui a vendu. Dans l’histoire, on a toujours vendu à des étrangers, depuis l’époque de Butch Cassidy ».

******

Un défilé de touristes au campement Leleque
Ceux qui aident et les autres

On n’entend que le murmure de l’eau, sa propre respiration et le vent. Jusqu’à ce que la mécanique rugissante s’approche : on l’entend des kilomètres avant qu’elle passe et elle rugit encore quelques kilomètres plus tard. L’hyper touristique route 40 et ses habitants rapides nous rappellent que rien n’est situé trop loin. Minibus à deux étages, camions, camionnettes, voitures. Kawel winka, disent les Mapuches : « le cheval du blanc ». Les initiés passent devant le drapeau à 130 kilomètres à l’heure dans un vacarme de klaxons festifs : le kawel winka communique. De l’autre côté de la clôture, un mapuche salue de la main, fatigué de répondre à cet appel qui se termine par une pression du doigt sur le bouton. Quelques « cavaliers » se garent et s’approchent pour demander de quoi il s’agit. Beaucoup, l’esprit enhardi, mettent les deux pieds dans le plat.

— « C’est ça que vous a donné Benetton ? » - est la première question sur la liste de ceux qui sont convaincus par la bonne campagne de presse - selon la communauté - dirigée par la multinationale pour « redorer son blason ». L’expulsion de la famille mapuche en 2002 a eu pour réponse des manifestations devant les portes des entreprises Benetton de 120 pays. La confusion est venue dans une large mesure l’année dernière, quand Benetton a voulu « faire don » de 7 200 hectares au gouvernement de Chubut. La province a rejeté le cadeau car les terres étaient très mauvaises, elles ne suffisaient même pas à nourrir quelques familles.

— « C’est ça que vous a donné le gouvernement de la province ? » - arrive en deuxième. Même en rêve, les mapuches ne sont pas assez innocents pour espérer que l’Etat ou une entreprise leur rende ce qui a été arraché par la violence et l’argent. « C’est une récupération », commence à expliquer patiemment celui qui s’approche de la barrière. Il explique : « Nous n’avons rien pris ni occupé. Nous revenons sur notre terre millénaire pour y vivre selon notre culture ».

— « Et que pouvons-nous faire ? » - demandent les touristes.

— « Faites savoir ce qui se passe ici. Les grands medias se moquent de le raconter ».

Les voyageurs remontent dans leurs voitures avec une certaine satisfaction morale. Avant que la justice interdise de construire, les touristes se transformaient en maçons d’un jour. Pour la ruka communautaire, des gens ont empilé des briques dans toutes les langues. Aujourd’hui ils ne peuvent que partager quelques tasses de maté et laisser des dons.

— C’est un camping ? Combien prenez-vous ?

— C’est une récupération des terres que Benetton avait usurpées.

— Ah oui, il faut tout leur prendre aux Benetton, dit le roi des déplacés avant de remonter dans son 4X4 avec sa famille. Dans certains cas le meilleur touriste est celui qui passe au loin.

Un type s’approche pour féliciter les mapuches de leur lutte et leur apporte « l’image d’un Argentin qui a donné sa vie pour le peuple, le Che Guevara ». Un enfant de Furilofche lui dit : « Nous sommes mapuches, nous ne sommes ni Chiliens ni Argentins. C’est une revendication contre un riche et la merde de l’Etat argentin. Nous ne sommes pas des révolutionnaires, nous ne voulons rien d’autre que revenir à la mapu et vivre selon la nature. Notre culture nous montre tous les jours ce que nous devons faire pour changer notre sort. Le Che était chic type, mais ici nous n’aurons rien de cela ».

******

Dictionnaire mapuzungun

Le mapuzungun ne s’écrit pas. Pour les mapuches, la société occidentale se nourrit de papiers : des écorces d’arbres. Ils pensent que les mots dits engagent ceux qui les disent, sans que des papiers aient à obliger ou à rappeler. D’après Atilio Curiñanco, si l’orateur ne respecte pas sa parole, « nous savons d’emblée de quel genre de personne il s’agit ». Quand ils se sont réunis à Rome en 2004, Luciano Benetton a promis aux mapuches que « le conflit serait résolu en un jour ». Au début de son mandat - il y a trois ans - le gouverneur de Chubut Mario Das Neves leur a assuré que le conflit pour Santa Rosa serait résolu « en quatre mois ».

Ci-dessous, quelques définitions de mots qui apparaissent dans l’article central :

Mapu : terre ( che  : gens)

Ruka : maison

Newen : force de la vie

Peumá : rêve

Kutral : feu<

Pillán : esprit bon

Peñi : frère

Papay : manière affectueuse de nommer une ancienne

Futa : grand

Trawun : réunion

Kalfulkurá : kalful (bleu) kurá (pierre)

Kawel winka : voiture (cheval du blanc)

Lonko : dirigeant

Furilofche : communauté des gens qui vivent derrière

Wallmapu : toute la terre mapuche. Elle est composée de Gulumapu (tierre de l’ouest, l’actuel Chili) et Puelmapu (tierre de l’est, l’actuelle Argentina)

Sebastián Ochoa
De Santa Rosa Leleque, Chubut
NOTES:

[1] [NDLR] Le portrait de Roca apparaît sur le billet de cent pesos argentins.

Les opinions exprimées et les arguments avancés dans cet article demeurent l'entière responsabilité de l'auteur-e et ne reflètent pas nécessairement ceux du Réseau d'Information et de Solidarité avec l'Amérique Latine (RISAL).

Source : Página 12 (http://www.pagina12.com.ar/), 22 avril 2007.

Traduction : Marie-José Cloiseau, pour le RISAL (http://risal.collectifs.net/).


Ecrit par libertad, à 21:39 dans la rubrique "International".



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