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Les LIP. L'imagination au pouvoir
--> Cinéma, le 27 mars. Un film pour passer le relais aux jeunes. Ces LIP, l'imagination au pouvoir, de Christian Rouaud.

UN FILM DOCUMENTAIRE qui aborde un épisode passablement oublié: ce que l'on appelé l'Affaire LIP.
Le 17 avril 1973, cette entreprise horlogère de Besançon qui emploie des centaines de salariés dépose le bilan. Ce coup de tonnerre sera le début d'une véritable épopée qui marquera durablement les consciences, le syndicalisme français alors en recomposition (la CFDT autogestionnaire émerge) et les pratiques sociales et militantes. Pendant de longs mois, « les LIP » vont pratiquer la baisse des cadences, les manifestations, occuper l'usine, séquestrer des cadres, voler et cacher 500000 montres en guise de trésor de guerre, subir les CRS... Dans le même temps, ils vont organiser collectivement la lutte, l'occupation, et vont populariser le slogan: « On fabrique, on vend, on se paie. »

Le film, qui dure près de deux heures (on en redemande!), relate ce conflit social d'une ampleur inégalée à ce jour. À travers une série d'entretiens, alternant avec des images d'archives, et dans un ordre chronologique, Christian Rouaud nous fait rencontrer l'histoire ouvrière. Cette histoire, racontée ici par ceux et celles qui l'ont vécue, est faite de prêtres ouvriers, de cadres, de PDG et surtout d'ouvriers - hommes et femmes - que rien ne destinait à devenir un jour des meneurs de grévistes. C'est un mérite certain du réalisateur: il aime ces personnes qui ont fait -le conflit LIE Et ça se voit! À les avoir mis en confiance, il tire d'eux le naturel qui leur permet de se laisser aller à raconter la grande et 1 petite histoire. Il y a des yeux qui se baissent lorsque les compagnes disent leur solitude d'alors, un plan furtif qui dit la solitude dan une cuisine, un bras d'honneur qui vaut son pesant d'or... Les plans sont fixes, les séquences courtes, le rythme des images est calme, jamais trop long. Sur un plan filmique, ce documentaire est une réussite car il valorise les protagonistes de LIP et nous donne le temps d'apprécier le déroulement du récit.
Une autre dimension est à mettre en évidence, aussi au crédit du réalisateur. Son film serait un passage de relais pour les générations qui cherchent. Que l'histoire de ces ouvriers et ouvrières soit mise à disposition du plus grand nombre à -travers un film en dit déjà assez long sur une conception sympathique d'un cinéma populaire (dans le bon sens du terme); mais que cette déclinaison soit une intention pour développer notre imaginaire et vivifier les esprits d'aujourd'hui pour leur donner à voir et à comprendre la pratique de la fraternité, de la démocratie directe, du contrôle des délégués, l'importance d'instances contrôlées par les usagers eux-mêmes, l'inventivité des outils et méthodes de revendications... ne peut que nous séduire! Christian Rouaud s'essaye à merveille à raconter du réel en stimulant notre imaginaire social et politique, tout en nous restituant un peu de notre histoire à tous et à toutes. Quinquagénaires actifs ou jeunes gens en recherche de sens, ce film devrait vous doper !

L'entretien

Daniel. - Combien de temps a duré le tournage du film?

Christian Rouaud. - Le tournage lui-même, environ trois à quatre semaines. Mais j'ai mené une très longue enquête auparavant, j'ai rencontré chaque personnage, avec qui j'ai eu des entretiens prolongés. J'avais 500 pages d'interviews. À partir de là, j'ai écrit un scénario pour obtenir le financement du film, en particulier l'avance sur recette. J'ai dû imaginer quelle place chaque personnage allait prendre dans le récit, mais j'avais une idée assez précise de ce qu'ils allaient dire. Ce travail de rencontre, de mise en confiance n'a pas été toujours facile. Car Lip a été une histoire lourde, notamment lors du deuxième conflit, et personne n'en est sorti indemne.

D.- Pourquoi avoir choisi ce sujet?

C. R. - J'avais déjà réalisé en 2002 un filin sur Bernard Lambert, le leader du syndicat des Paysans travailleurs, l'ancêtre de la Confédération paysanne. Au cours des projections en salles de ce film, j'ai été surpris des réactions des jeunes qui découvraient les militants témoins de la vie de Lambert. Ils disaient en sortant que ça leur donnait envie de bouger, de se battre à leur tour. C'était comme un passage de relais. J'avais aussi envie de travailler sur les années 1970. J'en ai un peu assez de la façon dont on présente Mai 1968, comme un monôme étudiant, mené par des fils de bourgeois désoeuvrés et qui, après s'être un peu amusés, sont rentrés chez eux pour faire la révolution en chambre. Pour moi, 68 ça a été dix ans de réflexion, de luttes et de travail avec des gens qui pensaient que des choses devenaient possibles après le mouvement de Mai. Des portes s'étaient ouvertes et il fallait continuer à lutter. Mon envie de raconter Lip vient de là. Car s'il y a une lutte emblématique de l'après 68, c'est bien Lip. J'ai aussi des raisons personnelles, bien entendu. À l'époque, j'étais membre du PSU (Parti socialiste unifié,aujourd'hui disparu), qui avait fait de la lutte des Lip son étendard. Nous étions très impliqués dans le soutien aux Lip. J'avais le souvenir de Piaget, de Vittot et des autres, que je n'avais jamais rencontrés, mais qui étaient pour moi des références. Faire un filin sur Lip, c'était les retrouver, leur parler, les écouter, faire enfin leur connaissance. Le documentaire a cette faculté incroyable de nous permettre d'approcher des gens à qui on n'oserait même pas écrire. Le film est un récit, mais c'est aussi une suite de portraits, car en racontant la lutte à sa façon, chacun parle de lui, à son insu. Plus le film avance, plus les Lip nous deviennent familiers. Je serai très heureux si je parviens à les faire découvrir, et aimer, à la génération de mes enfants.

D. - Pourquoi ne pas avoir traité le volet des changements que les événements de LIP ont produit sur les vies de ces différentes personnes?

C. R - J'avais l'idée de traiter cela, j'ai tourné des images de leur vie d'aujourd'hui, mais la durée du filin ne m'a pas permis de les utiliser. C'est un regret que je comprends. Moimême, j'en ai d'autres. J'aurais voulu expliquer par quel processus leur prise de conscience s'est produite, comment les luttes qui ont précédé 1973 les ont préparés, notamment la façon dont ils ont mené l'occupation de l'usine en 1968. Mais un film ne peut pas tout dire, il a une logique dramatique qui condamne un trop plein d'informations. Il faudra se reporter aux bouquins pour en savoir plus, ou venir aux débats qui seront organisés autour des projections.

D.- Quel regard posez-vous sur les entreprises récupérées d'Argentine, qui font écho à LIP en 1973?

C. R - La grande différence, c'est que les ouvriers de LIP n'avaient pas du tout pour objectif de reprendre l'entreprise eux-mêmes. C'est un des grands malentendus autour de Lip, le mot « autogestion » trotte dans la tête de beaucoup de gens à propos de ce conflit. En réalité, ils ont autogéré la lutte, ils ont installé une sorte de société idéale à l'intérieur de l'usine occupée, une démocratie directe fondée sur des commissions autonomes contrôlées en permanence par l'assemblée générale des travailleurs. S'ils ont pris le stock d montres et remis les chaînes d'horlogerie e marche, c'est pour survivre dans la lutte, e attendant qu'une solution soit trouvée. Il y des gens autour d'eux, notamment au PSU qui les poussaient à se mettre en scoop po
capitaliser cette expérience, mais ils n'étaient pas du tout dans cette optique-là. Leur objectif était d'arriver à une solution industrielle qui permette de faire redémarrer l'usine, sans démantèlement, sans licenciement. Pour cela il leur fallait un patron capable de montrer qui Lip était viable et de se lancer dans l'aventure.
Et ils ont gagné, c'est ce que raconte le film. Ensuite, quand l'entreprise a de nouveau déposé le bilan, ils ont repris le stock de montres et se sont remis à vendre des montres. Ce n'est que lorsqu'il a été évident pour tout le monde qu'il n'y aurait pas de repreneur, qu'ils se sont résolus à créer des coopératives, mais ils l'ont fait à leur corps défendant. Ils ont mis en place six coopératives, appuyées sur leur savoir-faire industriel ou sur des activités nées de la lutte, comme le restaurant ou l'imprimerie. Le problème, c'est que les gens qui ont accepté d'y prendre des responsabilités étaient les leaders de la lutte de 1973. Et ils se sont retrouvés assez vite en opposition frontale avec des salariés qui étaient leurs camarades, sur des questions de salaire, de hiérarchie ou d'organisation de la production. Grèves, occupations, séquestrations, les Lip se sont affrontés. Il faut comprendre qu'il était très difficile pour eux de passer si rapidement d'une culture d'oppôsition, qui soude la communauté, à une culture de gestion d'entreprises qui n'étaient pas forcément viables économiquement, et où ils se sont déchirés. Ce fut très douloureux, d'autant plus que les Lip n'ont pas tous été repris dans les coopératives, ce qui a provoqué des rancoeurs et des fâcheries qui durent encore.
C'est pourquoi la comparaison avec les exemples argentins ne me paraît pas pertinente. Là-bas, les travailleurs décident, devant une situation de carence, une action positive d'occupation et de reprise de l'usine à leur compte. Ils sont dans une logique de combat, d'avancée. Les Lip, à ce moment-là, étaient dans une position totalement défensive, et ils ne maîtrisaient pas tous les éléments de la situation, comme ils avaient pu le faire lors du premier conflit. Et puis, en Argentine, il y a maintenant un effet de contagion. Chaque nouvelle coopérative renforce le mouvement et légitime le combat des autres.

D. - Ce que certains qualifient d'échec pour LIP représente-t-il l'échec de l'autogestion?

C. R.-J'ai toujours pensé que l'autogestion ne prenait véritablement son sens qu'en système socialiste. Je me souviens du slogan du PSU à l'époque: « Du contrôle ouvrier vers l'autogestion. » L'idée, c'était de contrôler aujourd'hui pour décider demain. Les luttes, les grèves, préparaient les gens à prendre le pouvoir dans l'entreprise, mais des îlots autogestionnaires en système capitaliste semblaient voués à l'échec, ou cantonnés à des microéconomies. L'histoire du mouvement coopératif est assez éloquente à ce sujet. Les coopératives agricoles par exemple, qui sont nées sous des auspices égalitaires et partageuses sont devenues des multinationales de l'agroalimentaire qui mettent en coupe réglée des régions entières, et détruisent l'environnement par un productivisme effréné, comme en Bretagne par exemple, où l'élevage intensif a des conséquences dramatiques sur la qualité de l'eau. Cela dit, l'exemple argentin est très intéressant, car il nous dira si la multiplication des usines autogérées permet d'atteindre un seuil critique qui les rend viables économiquement dans un environnement hostile et fondé sur la seule loi du marché. En tout cas, s'il y a pour moi un message de Lip, il est dans la façon dont ils ont mené lé conflit. L'ouverture d'esprit dont ils ont fait preuve par rapport au Comité d'action, structure nonsyndicale qui a été l'aiguillon de la lutte, la dialectique entre les apports extérieurs et leur propre réflexion, entre le dedans et le dehors... Ce sont des choses qui peuvent servir encore aujourd'hui, au quotidien, et pas seulement dans les conflits sociaux. Une leçon de vie, en quelque sorte. Ils ont mis en place un rapport au groupe appuyé sur une véritable éthique du combat, construit une vie collective qui laisse l'autonomie à chacun et permet de recevoir autant que de donner. J'appellerais bien çà l'autogestion, pourquoi pas?

D. - Comment interprétez-vous cet afflux de documentaires français qui sortent en mars et avril 2007, et dont le thème est lié à une critique du travail?

C. R. - Vous citez jean Michel Carré, J'ai très mal au travail, et Pierre Carles, Volera rien foutre al païs, ce sont des réalisateurs qui travaillent depuis longtemps sur ces questions, avec d'autres, comme Jean-Pierre Thorn ou Éric Pittard. Mais ce sont malheureusement des marginaux par rapport au cinéma dominant. Je trouve très sain qu'on recommence à se poser cette question: travailler, certes, mais à quel prix, dans quelles conditions et pour produire quoi? Cette question du travail a été longtemps occultée par l'angoisse du chômage, dont le patronat joue à plaisir pour empêcher les gens d'ouvrir les yeux sur leur condition de salariés. Il est probable que ce questionnement nouveau est lié à la multiplication des emplois précaires et mal payés et au fait qu'il ne suffit plus de travailler pour échapper à la pauvreté ou à la dérive sociale.

D. - Le contexte de l'élection présidentielle est-il un contexte favorable pour les idées que votre film soulève?

C. R. - Oui, bien sûr. Il y a dans le film l'idée sous-jacente qu'à un moment ou à un autre il faut bien que les gens prennent les choses en main. Même si le film n'apporte pas de réponse directe aux questions qui seront posées pendant cette campagne, sur la démocratie, ou le type de société qu'on souhaite pour nos enfants, je suis persuadé, et c'est aussi pour cela que j'ai fait ce film, que l'on a beaucoup à apprendre de ce conflit, de ces gens, de la façon dont ils parlent, du visage qu'ils nous montrent aujourd'hui: ils sont comme ça parce que la lutte les a façonnés ainsi, et même dans une campagne électorale, ça fait sens.



Entretien réalisé téléphoniquement par Daniel, groupe de Nîmes, le mercredi 24 janvier 2007.

Le Monde libertaire #1467 du 1er au 7 mars 2007

Voir la bande annonce du film ici

Ecrit par libertad, à 06:52 dans la rubrique "Pour comprendre".



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