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L'En Dehors


Quotidien anarchiste individualiste





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L'insoutenable lâcheté des intellectuels
S'il n'y a jamais eu sans doute de pléiades d'intellectuels « exceptionnels », et donc
d'âge d'or de l'éthique, il y a eu, au cours de l'histoire, des individus qui, ayant eu la chance de disposer de facultés supérieures à la moyenne, ont su maintenir un minimum de rigueur intellectuelle, d'exigences morales.

Sans appeler clairement à la désobéissance, à l'insoumission, à l'insurrection, ils ont cherché à lutter contre l'endormissement des consciences. Dénoncer l'injustice, questionner l'autorité, mettre la politique au service de l'éthique, affamer des convictions, arracher à la condition passive, inviter à la résistance: tel semblait être, pour certains, le minimum pour conserver une dignité. Il y a eu, au fil des siècles, des esprits assez grands pour se dresser, parfois au risque du bûcher ou de la prison, contre l'absolutisme royal, l'esclavage, la guerre, les privilèges, les discriminations, les erreurs judiciaires. Il y a eu Galilée, Montaigne, Montesquieu, Voltaire, Zola, et quelques autres.

Une trahison permanente

Il semble qu'aujourd'hui les enjeux, le contexte (recherche de l'audimat, docilité envers un sponsor, autocélébration, courtoisies croisées...) entraînent la démission de ceux qu'on appelle les « intellectuels ». Qu'ils brillent par leur silence complice ou leurs manoeuvres de diversion, qu'ils se transforment même en traîtres, en réactionnaires, en chiens de garde : ce qui en résulte, c'est la pauvreté des débats actuels, la défaite de la pensée. Comme si l'objectif était d'obtenir un espace consensuel, de détourner la culture de la révolte pour légitimer l'ordre établi, de canaliser le mécontentement pour le soumettre au « réalisme » du marché, de contrôler les masses pour les accoutumer à l'obéissance.
« Toute la misère présente de la philosophie tient à l'écart infranchissable entre ce qu'elle promet et ce qu'elle tient. Elle tient peu. Tout se passe même comme si elle ne tenait rien. » Voici ce qu'écrivait, en 1932, Paul Nizan dans les Chiens de garde, invitant le lecteur à refuser « les soupes éclectiques que l'on sert dans les universités sous le nom de philosophie », laquelle n'est qu'une absence, une fuite, une démission, voire une trahison, une « broderie de vieille fille stérile ».
Paul Nizan interpelle les penseurs qui préfèrent leur confort spirituel, et les garanties temporelles de leur confort, aux questions « bassement humaines », qui font croire que l'authenticité de la philosophie est marquée par un éloignement aussi grand que possible « des souillures de l'homme vulgaire ».
Cette philosophie bourgeoise, celle des oppresseurs, évite les problèmes concrets, parce qu'ils sont menaçants pour elle. Pendant qu'elle palabre sur l'Idée de vérité, de justice ou de progrès, elle détourne son regard de la guerre, du colonialisme, du patriarcat, du chômage, du suicide ou de la solitude dans les mouroirs. Contre cette philosophie d'État, P Nizan appelle de ses voeux une nouvelle philosophie, partie prenante des « revendications triviales des hommes vivants ».
Plus récemment, Noam Chomsky, dans Responsabilités des intellectuels, analysait le sort médiatique réservé aux conflits impérialistes contemporains, mettant en évidence le refus de la communauté intellectuelle (journalistes, experts...) de remplir sa mission d'information auprès du public, couvrant, par le mensonge ou l'omission, la politique extérieure des grandes puissances (c'est-à-dire dissimulant ou justifiant les crimes commis), et plus précisément le nouvel ordre mondial conduit par les États-Unis.
Concernant la France, Guy Hocquenghem, Jean-Pierre Garnier, Louis Janover ou Serge Halimi avaient passé au vitriol les traîtres de Mai 1968 ou plus généralement d'une période d'effervescence: philosophes, sociologues, chercheurs, journalistes, écrivains, peintres, compositeurs... qui se retrouvaient aux côtés des banquiers, des industriels, des aristocrates, côtoyant les élites économiques, technocratiques, politiques. Les July, BHL, Finkielkraut, Glucksmann, Debray CohnBendit, Bruckner, Kouchner, Rosanvallon, Touraine, Morin, Lipietz... l'intelligentsia médiatisée, les guides inspirés, les petits chefs autoproclamés, les militants ouvriéristes devenus conseillers ministériels, chargés de mission, ambassadeurs ou patrons de choc. Ceux qui auront prolongé leur adolescence héroïque par une pleutre sénilité.
Ceux qui, au travers d'articles, de reportages, d'émissions, de livres, de discours hypocrites et de faux débats, de critiques ponctuelles évitant les analyses globales, ont véhiculé le consensus socialo-libéral, la glorification de la raison d'État, la célébration de la force de frappe, l'apologie du nucléaire, la fascination du technocratisme scientiste, la béatitude face à l'expert, la quête de l'excellence, le culte de la performance, la déréglementation du marché du travail, la subordination aux exigences de la guerre économique, les bienfaits de la privatisation, l'uniformisation des modes de consommation, la transformation de l'Europe en hypermarché, l'asservissement de l'activité culturelle aux volontés gouvernementales.
Ceux qui ont couvert l'envoi au Tchad des paras français, l'attentat contre le Rainbow Warrior, l'expulsion d'immigrés clandestins, la guerre du Golfe, et de nombreuses autres affaires étouffées ou dossiers enterrés (les Irlandais de Vincennes, Carrefour du développement...). Ceux qui, désertant le combat social, érigeant le conformisme, la lâcheté, le reniement, la trahison, l'arrivisme en valeurs suprêmes, sont passés de l'autogestion à la monarchie, du syndicalisme au marketing, de la Gauche prolétarienne à la gauche caviar, de < sous les pavés la plage » au < politiquement correct », du brûlot à la presse chloroformée, de la justice sociale au business humanitaire et caritatif.
Ceux qui, parlant au nom des autres, et dissimulant la banalité de leur propos derrière les formulations absconses, ont proclamé la mort des idéologies, invité à la soumission aux forces du marché. Ceux qui, pour des privilèges de cour, un poste honorifique, une tribune, un strapontin, un renvoi d'ascenseur, ont su ne pas voir, ne pas savoir, ne rien dire. Ceux qui, ivres de succès, d'influence, de gloire, ont renoncé à l'utopie généreuse, au rêve d'émancipation. Ceux qui, convertis aux charmes de la politique politicienne, ont désenchanté la jeunesse, tué l'espoir, discrédité tout idéal. Ceux qui, ni de droite ni de gauche, prétendument sans attache, libres, ont toujours été du côté du pouvoir.

L'élite persiste et signe

Les Académies des sciences et de médecine se sont souvent illustrées par les conclusions de leurs travaux qui sont curieusement toujours favorables aux industriels. Quelques exemples
-L'Académie de médecine publiait, en avril 1996, un rapport minimisant fortement la mortalité humaine due à l'amiante (un rapport alarmant de l'Inserm, paru peu après, tirait des conclusions totalement opposées): le rapporteur de l'Académie avait activement participé, avec des industriels du secteur, à la création en 1982 du Comité permanent amiante!
-Selon le rapport de l'Académie des sciences, publié en 1994, la dioxine ne constituait pas un « risque majeur » pour la santé publique.
-Dans un rapport de l'Académie des sciences, paru en 2001, et intitulé « L'énergie nucléaire civile dans le cadre temporel des changements climatiques », on peut lire que « l'énergie nucléaire contribue aussi peu que les énergies renouvelables à l'effet de serre ». Les déchets mortels sont juste un peu plus vivaces!
-Dans le rapport a Les plantes génétiquement modifiées > , publié en 2002, l'Académie des sciences récidivait en concluant à l'absence de « raison objective de prolonger un moratoire (dépourvu de fondement juridique) sur les autorisations de commercialisation d'OGM » . Dans ce rapport, l'Académie poussait même le zèle jusqu'à sommer le ministre de l'Intérieur « d'adopter une attitude ferme » envers les destructeurs de plants d'OGM!

Cela commence à faire beaucoup, mais pas assez sans doute pour nos valeureux auxiliaires de police puisque l'Académie des sciences recommandait, lors du débat sur la Charte de l'environnement en 2003, que « le principe de précaution ne soit pas inscrit dans des textes à valeur constitutionnelle [...] car il pourrait induire des effets pervers, susceptibles d'avoir des conséquences désastreuses sur les progrès futurs de notre bien-être, de notre santé et de notre environnement » !
Étienne-Émile Baulieu, président de l'Académie des sciences (et accessoirement animateur de l'Université d'été du Medef - on comprend mieux pourquoi) déclarait par ailleurs que l'un des symptômes de la crise entre la société et la science serait « la contestation de l'idée de progrès ». Et si c'était une foi aveugle dans ledit progrès qui avait engendré la crise?
Décidément, rien n'arrête l'Académie des sciences. Selon la revue l'Écologiste (n° 19), elle est impliquée dans l'affaire Pellerin. La Criirad a été créée en 1986, après Tchernobyl, pour assurer une information indépendante sur le nucléaire, suite aux dissimulations des pouvoirs publics et en particulier du professeur Pellerin, alors responsable du SCPRI. La Criirad et l'Association française des malades de la thyroïde ont porté plainte contre X en 2001. Un juge a été nommé, ordonnant la mise sur écoute téléphonique du professeur Pellerin. La découverte est accablante: un article disculpant totalement le cher professeur, mais truffé d'erreurs, et publié en août 2003 par trois académiciens dans la revue Comptes rendus de biologie de l'Académie des sciences, s'avère avoir été écrit par... le professeur Pellerin lui-même, les signataires n'étant que des prête-noms! Le professeur Pellerin a été mis en examen le 31 mai 2006 pour « tromperie aggravée ».. La faune européenne s'est enrichie d'un élément: on avait déjà le faucon pèlerin; maintenant, on en a un vrai !
Le fait d'être bardé de diplômes universitaires donnerait-il le droit de trahir la volonté populaire ? Les savants seraient-ils égocentriques? Poursuivraient-ils essentiellement leur propre intérêt? N'estimeraient-ils pas que la société doit leur fournir autant de crédits dont ils ont besoin, sans aucun droit de regard? S'attendraient-ils à ce que le citoyen lambda ferme les yeux sur les conséquences potentiellement nuisibles de leurs recherches? Se montreraient-ils assez lâches pour couvrir les agissements des politiciens, c'est-à-dire pour légitimer l'ordre établi, fusse au prix des fraudes les plus crapuleuses?
Sans doute, mais le plus grave est, depuis le début des années 1980, la fin de cette période de foisonnement intellectuel utopique qui a accompagné Mai 1968, et qui a permis aux intellectuels et aux experts de confisquer à nouveau la parole, de clamer que, face à (horizon indépassable du capitalisme, il était désormais vain de vouloir transformer le monde. Il nous appartient aujourd'hui, à quelques années d'un bouleversement inévitable de la société par les contraintes écologiques, de se réapproprier le discours et de faire taire les traîtres.

Jean-Pierre Tertrais
Groupe la Sociale, Rennes

Le Monde libertaire #1459 du 14 au 20 décembre 2006

Ecrit par libertad, à 22:10 dans la rubrique "Pour comprendre".



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