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L'En Dehors


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Une critique du pouvoir ... notamment dans ses formes contemporaines d’emprise
Lu sur No Pasaran : "Quelques éléments pour cerner les formes de pouvoir actuelles. Dans ce qui semble souvent être un chaos social, un cheminement, pour cerner les formes contemporaines de pouvoir, peut consister à partir d’une étude de la mondialisation capitaliste et de repérer les effets de cette structuration lourde sur nos vies. Une autre voie à creuser - les deux se rejoignent - c’est d’étudier les rapports de force dans la vie quotidienne : sur quels attributs sociaux et modalités reposent-ils ?

Le pouvoir, dans sa définition classique, c’est contraindre la volonté d’un sujet, avec ou sans coercition, à agir selon le bon vouloir d’un individu (chef) et / ou d’un corps institué (entreprise, État). L’individu qui a le pouvoir s’appuie sur tout ou partie de plusieurs combinaisons de facteurs qui lui permettent de l’exercer :
-  Le savoir et l’information : le dominant a des informations que les subordonnés n’ont pas. Comme l’a analysé Foucault, savoir = pouvoir. Avec le niveau de technicité actuelle, le savoir a pris une place prépondérante.
-  La propriété privée et le contrôle des ressources : le dominant possède des biens en nombre et dirige ou contrôle des ressources nécessaires à la vie d’une communauté (le « pouvoir de l’argent »).
-  Coercition : le sujet est capable d’infliger des dommages physiques, moraux ou matériels à autrui. Licenciement pour un patron, usage de la force par la police de l’Etat, retrait de capitaux dans un pays qui refusent de suivre les règles du FMI et des multinationales, guerre de basse intensité ou... renvoi des enfants dans leur chambre en cas de bêtise.
-  Manipulation : le dominant contrôle les médias, la propagande afin de façonner les opinions d’autrui. Par exemple, pour les capitalistes, il est important de mettre l’Éducation nationale et supérieure sous la coupe de leurs intérêts afin de la professionnaliser, d’adapter les enseignements à leur recherche de profits en diminuant ou éliminant le superflu (littérature, philosophie, géographie, histoire, éducation physique, tout ce qui sert à rien, à part à rester/devenir humain).
Fascination, acceptation et dilution de la responsabilité

Les structures dominantes de pouvoir que sont l’Etat et l’entreprise n’ont plus de rapports de force ou d’intermédiaire avec la société civile qui soient réellement organisés. Nous sommes des individus isolés qui établissons des contrats déséquilibrés avec les deux institutions sus citées. L’individualisme, la difficulté à établir du collectif fragilise les populations ; c’est une forme de précarité. Les syndicats regroupent en majorité des encartés qui donneront, de temps à autre, leur avis, peu des militants partant pour l’action vivante et collective.

Ces deux pouvoirs institutionnels et notamment l’entreprise établissent aussi des rapports complexes et ambivalents vis-à-vis des individus. Si le salarié obéit, il peut avoir une promotion, une augmentation. Peut être. Avec la raréfaction des ressources (précarisation, hausse du coût de la vie) chacun-e fait vite son petit calcul : on peut perdre tout ce qui reste si l’on se révolte (et perdons), on aurait une faible chance de récupérer un nonos à ronger si l’on reste sagement obéissant. Le raisonnement reste, le plus souvent, individué.

Les chiffres de vente de la presse people et ce, partout dans le monde, le démontre : le pouvoir fascine, et quand les populations en sont privées, une part d’entre elles « rêve » devant le faste et les actes démesurés des puissants. Cette fascination béate renforce l’emprise que peuvent avoir certaines forces politiques. Par exemple, Silvio Berlusconi avait contre lui, lors des dernières élections législatives italiennes, l’ensemble des corps constitués, patronat compris (il lui reprochait des « lois » économiques uniquement en sa faveur). Malgré cela, malgré toutes les affaires, malgré sa politique ultra-libérale dont souffre la majorité des habitants du pays, il a quasiment fait jeu égal avec Prodi. Un sourire ultra-light pour un empire, on croit rêver mais c’est l’état des démocraties actuelles.

Des explications plus psychanalytiques existent : dans des périodes de troubles les populations cherchent les hommes ou femmes fortes, qui assoient leur pouvoir même en les écrasant : les partisans d’un accroissement des politiques sécuritaires font 70-80% des intentions de vote au total pour les présidentielles 2007 (Royal + Sarko + Le Pen, j’enlève Bayrou qui en parle moins). Les pulsions de destruction sont détournées, par lâcheté et bêtise, contre les immigrés, djeunes, chômeurs et autres « anormaux ».

Enfin, dans un groupe informe, une « masse » la responsabilité est diluée. C’est la faute des autres, je ne suis responsable de rien, puisque si je veux, je fais un pas de côté, ou me tais, ou n’apparais pas. Cette façon de fuir le pouvoir pour mieux rejeter la faute sur autrui existe jusque dans les mouvements sociaux ou l’anonymat d’Internet, la distanciation avec des assemblées générales, est parfois bien pratique pour ne pas se confronter aux corps et prendre des engagements. L’ellipse de confort : chacun-E d’entre nous a pu se servir de cette tactique, c’est devenu un mode de gestion des rapports comme un autre. C’est un cercle vicieux : les rares personnes qui essaient de prendre du « pouvoir-faire » (et non pas du pouvoir sur les autres) recevront tout sur le dos en cas d’échec, il y aura donc moins de personnes qui prennent ces risques, etc. Cet affaiblissement de l’influence et du « pouvoir faire » des mouvements sociaux est inéluctable si l’on n’accepte pas de prendre des coups en réinvestissant l’espace public et associatif. Cette fascination pour l’emploi de la force d’une part, l’espoir d’avoir quelques miettes du gâteau de l’autre, la déresponsabilisation enfin, explique l’acceptation aux dominations en partie. La seconde explication étant la difficulté à créer du collectif : mieux vaut subir qu’agir ensemble semble être devenu la règle (v. article sur l’engagement)
Invisibilisation et ramifications

A ce sujet les formes de pouvoir actuels sont difficiles à cerner. Le développement de la décentralisation multiplie les rapports de force entre régions, qui se livrent à une guerre de pouvoir pour attirer subventions et capitaux privés : les intervenants administratifs se multiplient (ex : contrôle des chômeurs).

Il y a un siècle les patrons et les propriétaires des entreprises capitalistes ne formaient qu’un seul corps. Aujourd’hui le patron se présente comme un intermédiaire entre les actionnaires majoritaires et les salariés. Le pouvoir dans une entreprise privée est invisibilisé : nous ne croisons jamais les réels dirigeants, ou ne pouvons mettre que difficilement des noms et des visages dessus.

Le développement du corps intermédiaire des cadres a eu pour effet, également, d’accroître les capillarités subtiles du contrôle social - les salariés y participent pour la plupart pleinement en cherchant à se faire valoir, et ce dans un contexte d’intensification du travail qui multiplie les erreurs et les accidents (voir la multiplication des rappels de voiture dans l’industrie automobile, qui comprime ses salariés). La division contemporaine du travail, c’est-à-dire le saucisonnage de la production de bien et de services entre de multiples bureaux et segments de chaînes de production créée l’aliénation, celle-ci est accentuée par la rationalisation de la technicité.
L’injonction de l’urgence et de la nouveauté

Cette nécessité d’urgence, de travailler en flux tendu, au moins dans le secteur privé, renforce le pouvoir de ce qui l’ont déjà et rend difficile toute réflexion et réponse collective. C’est le cas de beaucoup de monde : on passe souvent nos journées à se dépêcher. Plus le temps est comprimé, moins nous avons la possibilité de récupérer du pouvoir sur nos vies. C’est d’ailleurs pour cela que le dispositif des villages autogérés nous avait semblé indispensable au réseau No pasaran pour recréer des formes de vie collective qui ne soient pas comprimés, de larges espaces non-marchands ouverts à toutes et tous.

Au nom de la course perpétuelle à la nouveauté, les savoirs sont vite périmés et dépassés pour la plupart d’entre eux (technologie) et le pouvoir semble nous échapper, le sentiment par exemple qu’ont les informaticiens d’être bons pour la casse dès 40 ans, etc.
Le pouvoir aux techniciens

Savoir = pouvoir. Le développement de la technique renforce le pouvoir de ses concepteurs et propriétaires. L’enjeu autour des nanotechnologies et de la privatisation du vivant n’est connue que d’une faible par de la population. Les « élus » n’abordent jamais cette question et pour cause : elle appartient désormais à la sphère privée, qui a laissé quand même le hochet du clonage humain pour que d’obscures commissions d’éthiques puissent « s’amuser » et ce, déconnectées des populations.

Prenons un autre exemple issu de la vie courante. Si vous aviez un ennui mécanique avec votre voiture, vous pouviez le régler vous-même, ou faire appel à un parent, ami... Avec l’électronique cela sera un technicien. Avec la complexification du droit dans tous les domaines, le citoyen se retrouve aussi diminué ou aliéné et doit s’en remettre à des spécialistes. Idem pour les normes des habitations : il faut faire appel à des spécialistes habilités ou, tout du moins, le droit est censé nous y contraindre...

Le flicage électronique (vidéo surveillance) échappe également non seulement à tout contrôle démocratique, mais les caméras sont invisibilisées : on ne sait pas (immédiatement) où il y en a en ville, à quoi elles servent... On peut compter sur la faiblesse des analyses en aval, mais les moyens techniques existent et peuvent tomber demain entre les mains d’un régime totalitaire.

Des résistances existent : domaine des logiciels libres en informatiques, mais les pouvoirs des techniciens tendent à s’accroître ce qui ne naît pas nécessairement d’une intentionnalité mais va dans le sens des intérêts capitalistes ou tout du moins, d’une multitude d’entreprises.

Un exemple de technicité politique : le traité de constitution européenne, qu’on a coulé (sans remord ni regret !) : tout a été fait, tous les médias se sont ligués pour que les citoyens n’y comprennent rien et confondent l’esprit de l’idéal européen avec la lettre du traité, qui tendait vers la privatisation de l’ensemble des services et du vivant (excusez du peu) Cette technicité est antidémocratique : le juridisme abscons de techniciens aux services des intérêts capitalistes a tenté de remplacer le débat sur dans quelles société nous voulons vivre, le comment ne venant qu’après.
Pouvoir de l’argent et du statut social

Une première lecture donne la quête d’argent et de statut social comme le modèle culturel dominant pour une majeure partie de la population. Il faut être ou paraître riche pour être mieux intégré à la société. Certes il y a l’égalité des chances... pour ce modèle unique : certains gagneront, d’autres perdrons. Si l’on accepte cet état de fait, on peut désigner cette culture sous l’emprise d’un darwinisme social.

Le pouvoir ne s’exerce pas en effet de façon neutre ; la culture sociétale dicte et imprègne ses modalités d’emprise. Si le modèle c’est gagner le plus possible d’argent, la population pourrait se révolter. Seulement, il y a le loto/euromillions, et toujours la possibilité, faible, d’avoir une promotion sociale. Evidemment, on peut jouer au loto et faire autre chose dans sa vie... Mais l’obnubilation pour l’argent est prégnante. Sensible si l’on demande, par exemple, si l’on peut oui ou non s’amuser même sans argent ou dans les rapports avec autrui (nécessité d’avoir de beaux vêtements qui soient ou paraissent chers). Les rapports humains peuvent s’arrêter à la présentation ou au statut social.

Cette valeur dominante rend l’assise du pouvoir plus facile : il suffit de promettre plus d’argent si les populations suivent un candidat qui prône l’augmentation du pouvoir d’achat, un patron qui dit qu’avec plus d’efforts, une meilleur paye (souvent « peut-être »)... Les jeux d’argent détournent de l’action collective : c’est moins fatiguant de gratter la case que de coopérer avec autrui. Tout pouvoir n’a aucun mal à percer dans un tel individualisme pesant.
Médias, mondialisation et théorie du soft power

Le quatrième pouvoir ne serait-il pas en passe de devenir le premier ? Les médias façonnent les opinions et créeent ce que Chomski appellent du consensus : les pensées conformes deviennent dominantes, plus rien ne peuvent s’opposer à elles. La mondialisation par exemple est « inéluctable », les « réformes » sont « nécessaires » ; la France ne peut pas poursuivre la voie du « déclin », etc. Cette pensée qui est celle des castes dirigeantes est relayée par les médias (rôle de médiation réel) mais là où les médias prennent le pouvoir, c’est lorsqu’ils considèrent la mondialisation capitaliste comme le seul horizon indépassable en présentant toute opposition comme anecdotique. Informations expédiées, ou inexistantes, sur le mouvement des précaires, celui du Chiapas, par exemple. 50 chasseurs en rogne à l’ouverture de la chasse feront la une à l’ouverture des JT, les mouvements sociaux sont relégués à des reportages en 15 ou 30 secondes lorsqu’ils existent.

Enfin le soft power, théorisé par un ancien secrétaire d’Etat à la défense américaine du nom de Jacques Nye, présente une forme contemporaine de pouvoir qui n’a plus d’emprise directe mais procède par assimilation des populations. Il s’agit en quelques sorte d’une stratégie inverse à celle de l’Empire romain : on assimile d’abord les consciences par la « culture », on conquiert les territoires (ou les marchés qu’après). Dans le dispositif du Soft Power la fiction a une place déterminante, il s’agit d’occuper le champ des consciences en exportant l’American way of life et les images qui vont avec. Cette stratégie correspond à la temporisation des rapports sociaux, à une forme de compromis permanent du centre (le fait que tous les pays gouvernent « au centre », etc.). De l’impérialisme brutal du XIXe/XXe siècle on passe à une conquête plus pernicieuse : une stratégie d’endormissement, vers une société du sommeil qui, entre antidépresseurs et consommations de fiction (deux traits dominants actuels) laissera en souriant faiblement les pleins pouvoirs aux castes politico-économiques. Souriez vous êtes aliénés...

Raphaël
Ecrit par libertad, à 15:12 dans la rubrique "Pour comprendre".

Commentaires :

  philo
07-01-07
à 17:29

LE DHIMMI DANS LA SOCIETE ISLAMIQUE

LE DHIMMI: PROFIL DE L'OPPRIME EN ORIENT ET EN AFRIQUE DU NORD DEPUIS LA CONQUETE ARABE


Préface de Jacques Ellul

Ce livre est très important car il aborde un des problèmes les plus délicats de notre monde, délicat par la difficulté même du sujet, a savoir la réalité de l’Islam dans sa doctrine et sa pratique à l’égard des non-musulmans, et délicat par l’actualité du sujet, et les sensibilités que se sont révélées un peut partout dans le monde. Il y a un demi-siècle, la question de savoir quelle était la situation des non-musulmans en terre d’Islam n’aurait exalté personne. On aurait pu en faire une description historique, qui aurait intéressé les spécialistes, ou une analyse juridique (je pense aux travaux de M. Gaudefroy-Demombynes et de mon ancien collègue G.-H. Bousquet qui a décrit tant de choses sur des aspects du droit musulman sans que cela ait suscité la moindre polémique), ou un débat philosophique et théologique, mais assurément sans passion. Ce qui concernait l’Islam et le monde musulman appartenait à un passé, non pas mort, mais certainement pas plus vivant que la chrétienté médiévale. Les peuples musulmans n’avaient aucune puissance, ils étaient extraordinairement divisés, un grand nombre d’entre eux étaient soumis à la colonisation. Les Européens, hostiles à la colonisation, avaient de la sympathie pour les « Arabes », mais cela n’allait pas au-delà ! Et tout à coup, depuis 1950, la scène change complètement.

Je crois qu’on peut discerner quatre étapes : la première, la volonté de se libérer des envahisseurs. Mais en cela, les musulmans n’étaient pas « originaux » : la guerre d’Algérie et tout ce qui a suivi n’était qu’une conséquence de la première guerre du Vietnam. C’est un mouvement général de décolonisation qui s’engage. Et ceci va amener ces peuples à se vouloir une certaine identité, à être par eux-mêmes non seulement libérés des Européens, mais différents. Et qualitativement différents. La seconde étape en résulte : ce qui faisait la spécificité de ces peuples c’était non pas une particularité ethnique ou une organisation, mais une religion. Et l’on voit paraître, à l’intérieur même de mouvements de gauche socialistes ou même communistes, un retour au religieux. Se trouve alors tout à fait rejetée la tendance à la création d’un Etat laïque, comme l’avait voulu Atatürk par exemple. Très souvent on pense que l’explosion de religiosité islamique est le fait particulier de Khomeiny. Mais non. Il ne faut pas oublier la guerre atroce en Inde en 1947 entre musulmans et hindous sur le seul fondement religieux. Le nombre des victimes fut de plus d’un million et on ne peut pas considérer que cette guerre ait eu une autre origine que l’indépendance d’une République islamique (puisque tant que les musulmans étaient intégrés dans le monde hindou bouddhiste, il n’y avait pas de massacre). Le Pakistan se proclamera officiellement République Islamique en 1953 (donc justement au moment du grand effort de ces peuples de retrouver leur identité). Depuis cette époque, il n’y a pas eu d’année sans que ne se marque le renouveau religieux de l’Islam (la reprise de la conversion de l’Afrique Noire à l’Islam, le retour des populations détachées vers la pratique des rites, l’obligation pour des Etats arabes socialistes de se proclamer « musulmans », etc.…) si bien que l’Islam est actuellement la religion la plus active, la plus vivante dans le monde. Et l’extrémisme de l’Imam Khomeiny ne peut se comprendre que dans la perspective de ce mouvement. Il n’est pas du tout un fait extraordinaire, à part : il en est la suite logique. Mais, et c’est le troisième élément, au fur et à mesure de cette renaissance religieuse, on assiste à une prise de conscience d’une certaine unité du monde islamique, au-delà des diversités politiques et culturelles. Bien entendu, ici il ne faut pas oublier tous les conflits entre Etats musulmans, les divergences d’intérêts, les guerres mêmes, mais cette évidence de leurs conflits ne doit pas nous faire oublier une réalité plus fondamentale : leur unité religieuse en face du monde non musulman.

Et ici il y a un phénomène qui est intéressant : je serais tenté de dire que ce sont les « autres », les pays « communistes », « chrétiens », etc… qui accentuent la tendance à l’unité du monde musulman, et en quelque sorte jouent le rôle de « compresseur », pour amener ce monde à s’unifier ! Enfin, et c’est évidemment le dernier facteur, la découverte de la puissance économique et pétrolière. Je n’insiste pas. En somme une marche cohérente : indépendance politique – remontée religieuse – puissance économique. Ceci a retourné la face du monde en moins d’un demi-siècle. Et actuellement nous assistons à une vaste opération de propagande islamique, création de mosquées partout, même en URSS, diffusion de la littérature et de la culture arabe, récupération d’une histoire : l’Islam se glorifie maintenant d’avoir été le berceau de toutes les civilisations alors que l’Europe avait sombré dans la barbarie et que l’Orient était sans cesse déchiré. L’Islam, origine de toutes les sciences et de tous les arts, c’est un discours que nous entendons constamment. Ceci a probablement moins atteint les Etats-Unis que la France, (pourtant il faut rappeler les Black Moslims). Mais si je juge par rapport à la situation française, c’est qu’elle me paraît tout à fait exemplaire.

Dès lors, sitôt que l’on aborde un problème de l’Islam, on entre dans un domaine où toutes les sensibilités sont exaspérées. En France, on ne supporte plus les critiques adressées à l’Islam ou à des pays arabes. Ceci s’explique par bien des raisons : la mauvaise conscience d’avoir été envahisseur et colonisateur de l’Afrique du Nord. La mauvaise conscience de la guerre d’Algérie (qui entraînent en « contre-coup », l’adhésion à l’adversaire et le jugement favorable). La découverte du fait, exact, que dans la culture occidentale on a occulté pendant des siècles la valeur de l’apport musulman à la civilisation (et de ce fait, on passe à l’autre extrême). La multiplication des travailleurs immigrés (en France) d’origine arabe, qui représentent maintenant une population importante, généralement malheureuse, méprisée, (avec un certain racisme), ce qui fait que les intellectuels, les chrétiens, etc., sont remplis de bons sentiments envers eux et ne supportent plus critiques. On assiste alors à une réhabilitation générale de l’Islam qui s’exprime de deux façons. D’abord sur le plan intellectuel, il y a un nombre croissant d’œuvres qui correspondent à une recherche apparemment scientifique et qui se donnent pour objectif déclaré de détruire des préjugés, des images toutes faites (et fausses) de l’Islam, aussi bien en tant que doctrine, qu’en tant que coutumes et mœurs. Ainsi on « démontre » qu’il est faux que les Arabes aient été des envahisseurs cruels, qu’ils aient répandu la terreur et massacré les peuples qui ne se soumettaient pas. Il est faux que l’Islam soit intolérant, au contraire, c’est la tolérance même. Il est faux que la femme ait eu un statut inférieur et qu’elle ait été exclue de la cité. Il est faux que le jihad (la guerre sainte) soit une guerre matérielle, etc., etc... Autrement dit : tout ce que l’on a considéré comme historiquement certain au sujet de l’Islam était l’effet de la propagande, et on a implanté en Occident des images fausses, que l’on prétend rétablir maintenant dans la vérité. On se réfère à une interprétation très spirituelle du Coran et on cherche à prouver l’excellence des mœurs des pays musulmans.

Mais il n’y a pas que cela, dans nos pays, l’Islam exerce une séduction d’ordre spirituel. Dans la mesure où le christianisme n’a plus la valeur religieuse qu’il avait, et où il est radicalement critiqué, dans la mesure où le communisme a perdu son prestige et son message d’espoir, le besoin religieux de l’homme européen a cherché une autre dimension pour s’investir et voici que l’on a découvert l’Islam ! Il ne s’agit plus du tout de débats intellectuels : mais de véritables adhésions religieuses. Et plusieurs intellectuels français de grand renom on fait une conversion retentissante à l’Islam. On présente celui-ci comme un progrès évident par rapport au christianisme, on se réfère aux grands mystiques musulmans. On rappelle que les trois religions du Livre sont parents (juifs – chrétiens – musulmans). Toutes trois se réclament de l’ancêtre Abraham. Et la plus avancée des trois… c’est évidemment la dernière, la plus récente. Je n’exagère rien. Il y a même, parmi les Juifs, des intellectuels sérieux pour espérer sinon une fusion, du moins une conciliation entre les trois. Or, si je décris ces phénomènes européens, c’est dans la mesure où, qu’on le veuille ou non, l’Islam se donne une vocation universelle, se déclare la seule religion qui doive amener l’adhésion de tous : nous ne devons garder aucune illusion, aucune partie du monde ne sera indemne. Maintenant que l’Islam a un pouvoir national, militaire, économique, il cherchera à s’étendre sur le plan religieux à tout le monde. Et le Commonwealth britannique ainsi que les Etats-Unis seront visés aussi. En face de cette expansion (la troisième de l’Islam), il ne faut pas réagir par un racisme, ni par une fermeture orthodoxe, ni par des persécutions ou la guerre. Il doit y avoir une réaction d’ordre spirituel et d’ordre psychologique (ne pas se laisser emporter par la mauvaise conscience) et une réaction d’ordre scientifique. Qu’en est-il au juste ? Qu’est-ce qui est exact? les cruautés de la conquête musulmane ou bien la douceur, la bénignité du Coran ? Qu’est-ce qui est exact sur le plan de la doctrine et sur le plan de l’application, de la vie courante dans le monde musulman ? et il faudra faire du travail intellectuellement sérieux, portant sur des points précis. Il est impossible de juger de façon générale le monde islamique, il y a eu cent cultures diverses absorbées par l’Islam. Il est impossible d’étudier d’un trait toutes les croyances, toutes les traditions, toutes les applications. On ne peut faire ce travail que de façon limitée sur des séries de questions, pour « faire le point » du vrai et du faux.

Tel est le contexte dans lequel se situe le livre de Bat Ye’or sur le dhimmi. Et c’est un travail exemplaire dans le grand débat où nous sommes engagés. Je ne vais pas ici ni raconter le livre ni chanter ses mérites, mais seulement souligner son importance. Le dhimmi est donc celui qui vit dans une société musulmane, sans être musulman (juifs, chrétiens, et, éventuellement « animistes »). Cet homme a un statut social, politique, économique, particulier. Et il importe essentiellement de savoir en effet comment ont été traités ces « réfractaires ». Mais il faut tout de suite se rendre compte de la dimension de ce thème : en effet, c’est beaucoup plus que l’étude d’une « condition sociale » parmi d’autres. Le lecteur verra que, par bien des points, le dhimmi est comparable au serf européen du Moyen-Age. Mais la condition du serf était le résultat d’un certain nombre d’évolutions historiques (transformation de l’esclavage, disparition de l’Etat, apparition de la féodalité, etc…). Et par conséquent, lorsque les conditions historiques changent, la situation du serf évolue, jusqu’à disparaître. Il n’en est pas de même pour le dhimmi : ce n’est pas du tout le résultat d’un hasard historique, c’est ce qui doit être, du point de vue religieux et du point de vue de la conception musulmane du monde. C’est à dire c’est l’expression de la conception totale, permanente, fondée théologiquement de la relation entre l’Islam et le Non-Islam. Ce n’est pas un accident historique qui pourrait avoir un intérêt rétrospectif, mais un devoir être. Par conséquent, c’est à la fois un sujet historique (chercher les données intellectuelles et décrire les applications passées) et un sujet actuel, de pleine actualité dans la mesure de l’expansion de l’Islam. Et il faut en effet lire le livre de Bat Ye’or comme un livre d’actualité. Il importe de savoir aussi exactement que possible ce que les musulmans ont fait de ces peuples soumis non-convertis, parce que c’est ce qu’ils feront (et font encore maintenant). Je pense que le lecteur ne sera pas immédiatement convaincu par cette affirmation.

Quand même, n’est-ce pas, les notions, les concepts évoluent. La conception chrétienne de Dieu ou de Jésus-Christ n’est plus pour les chrétiens la même aujourd’hui que celle du Moyen-Age. Et l’on peut multiplier les exemples. Mais précisément ce qui me paraît intéressant, frappant dans l’Islam, une de ses singularités, c’est la fixité des concepts. D’une part, il est évident que les choses évoluent d’autant plus qu’elles ne sont pas idéologiquement fixées. Le régime des Césars à Rome pouvait se transformer beaucoup plus que le régime stalinien, parce qu’il n’y avait aucun cadre doctrinal et idéologique, qui lui donnait une continuité, une rigueur. Là où l’organisation sociale est fondée sur un « système », elle tend à se reproduire beaucoup plus exactement. Or, l’Islam, encore plus que ne le fût le christianisme, est une religion qui prétend donner une forme définitive à l’ordre social, aux relations entre les hommes, et encadrer chaque moment de la vie de chacun. Donc il tend à une fixité que la plupart des autres formes sociales n’avaient pas. Mais bien plus, on sait que la doctrine tout entière de l’Islam (y compris sa pensée religieuse) a pris un aspect juridique. Tous les textes ont été soumis à une interprétation de type juridique, et toutes les applications (même du spirituel) ont eu un aspect juridique. Or, il ne faut pas oublier que le juridique a une orientation très nette : fixer – fixer les relations – arrêter le temps – fixer les significations (arriver à ce qu’un mot ait un sens et un seul) – fixer les interprétations. Tout ce qui est juridique évolue le plus lentement possible et n’obéit à aucun bouleversement. Bien entendu, il peut y avoir évolution (dans la pratique, la jurisprudence, etc.) mais lorsqu’il y a un texte qui est considéré comme texte « fondateur » en quelque sorte, il suffit que l’on veuille s’y rapporter de nouveau, et ce que l’on avait créé comme nouveauté s’effondre. Et telle était bien la situation de l’Islam. Le juridisme introduit partout produisait une fixité (non pas absolue, ce qui est impossible, mais maximale) ce qui fait que l’étude historique est essentielle. Lorsqu’on se rapporte à un mot, à une institution islamique du passé, il faut savoir, tant que le texte fondamental (ici le Coran) n’est pas changé, quelles que soient les transformations apparentes, les évolutions, il peut toujours y avoir retour sur les principes et les données d’origine, et cela d’autant plus que l’Islam a réussi (ce qui a toujours été tellement rare) l’intégration entre le religieux, le politique, le moral, le social, le juridique, et l’intellectuel : constituant un ensemble rigoureux où chaque élément est une partie du tout.

Mais apparaît tout de suite un débat au sujet de ce « Dhimmi. Ce mot veut en effet dire « Protégé ». Et c’est un des arguments des défenseurs modernes de l Islam : le dhimmi n’a jamais été ni persécuté ni maltraité (sauf accident), bien au contraire : il est un protégé. Quel meilleur exemple du libéralisme de l’Islam. Voici des hommes qui ne partagent aucune croyance musulmane, et au lieu de les exclure, on les protège. J’ai lu de nombreux textes montrant qu’aucune autre société ni religion n’a été aussi tolérante, n’au aussi bien protégé les minorités. Bien entendu, on en profite pour mettre en cause le christianisme médiéval (que je ne défendrai pas), en soulignant que jamais l’Islam n’a connu l’Inquisition ou la « chasse aux sorcières ». Acceptons ce point de vue, et bornons-nous à réfléchir à ce mot lui-même : le « protégé ». Et il faut bien se demander « protégé contre qui ? » Dans la mesure où cet « étranger » est en terre d’Islam, cela ne peut évidemment être que contre les musulmans eux-mêmes. Le terme de protégé implique en soi une hostilité latente, c’est ce qu’il importe de bien comprendre. On avait une institution comparable dans la Rome primitive, avec le « cliens » - : l’étranger est toujours un ennemi. Il doit être traité comme ennemi, (même s’il n’y a pas de situation de guerre). Mais si cet étranger obtient la faveur d’un chef de grande famille, il devient son protégé (cliens) et il peut résider à Rome : il sera « protégé » contre les agressions que n’importe quel citoyen romain pouvait faire, par son « patron ». Cela veut dire en réalité que le protégé n’a aucun droit véritable. Le lecteur de ce livre verra que la condition du dhimmi est définie par un traité passé entre lui (ou son groupe) et tel groupe musulman (la dhimma). Ce traité présente un aspect juridique, mais c’est ce que nous appellerions un contrat inégal : en effet, la dhimma est une « charte octroyée » (voir C. Chehata sur le Droit Musulman), ce qui implique deux conséquences. La première, c’est que celui qui octroie la charte peut aussi bien la révoquer. En réalité, ce n’est pas un contrat « consensuel » formé par la volonté de deux parties. Et, en fait, c’est un arbitraire. Le concédant décide seul de ce qu’il octroie (d’où une grande variété possible de conditions). La seconde, c’est que nous sommes dans une situation qui est l’inverse de ce que l’on a essayé de construire avec la théorie des droits de l’homme et selon laquelle, du fait que l’on est un homme, on a, obligatoirement, un certain nombre de droits, donc ceux qui ne les respectent pas sont eux, dans une situation de mal. Au contraire, avec l’idée de charte octroyée, on n’a pas de droits que pour autant qu’ils sont reconnus dans cette charte et pour autant qu’elle dure. Par soi-même, et en tant qu’ « existant », on n’a aucun droit à faire valoir. Et c’était bien la condition du dhimmi. Or, j’indiquais plus haut pourquoi, ceci ne varie pas dans le cours de l’histoire : c’est non pas un aléa social, mais un concept enraciné.

Aujourd’hui pour l’Islam conquérant tous ceux qui ne se reconnaissent pas musulmans, n’ont pas de droits humains reconnus en tant que tels. Ils retrouveraient dans une société islamique la même condition de dhimmi. D’où le caractère parfaitement illusoire et fantaisiste d’une solution du drame du Proche-Orient par la création d’une fédération englobant Israël dans un ensemble de peuples et d’Etats musulmans, ou encore celle d’un Etat « Judéo-Islamique ». Ceci est impensable du point de vue musulman. Ainsi suivant que l’on prend le mot «protégé » dans le sens moral ou dans le sens juridique, on peut en avoir deux interprétations exactement contradictoires. Et ceci est tout à fait caractéristique des débats auxquels on assiste au sujet de l’Islam. Malheureusement, il faut prendre le mot dans sons sens juridique. Je sais bien que l’on objectera : mais le dhimmi avait des « droits ». Certes. Mais des droits octroyés. Tout le point est là. Si nous prenons par exemple le Traité de Versailles de 1918, l’Allemagne a reçu un certain nombre de « droits » octroyés par son vainqueur. Et ce fut qualifié de Diktat. Ceci montre à quel point l’étude de cet ordre de problème est délicate. Car les appréciations peuvent entièrement varier selon que l’on a un à priori favorable ou défavorable à l’Islam, et en même temps une étude vraiment scientifique, « objective » (mais personnellement je ne crois pas à l’objectivité en Sciences humaines, au mieux le chercheur peut être honnête et faire la critique de ses présupposés) devient extrêmement difficile. Et cependant disions-nous, justement parce que les passions sont extrêmes, une étude de ce type est dorénavant indispensable pour toutes les questions qui concernent l’Islam.

Alors la question se pose pour ce livre : est-ce que nous sommes en présence d’un livre scientifique ? J’avais fait un compte-rendu de ce livre, paru d’abord en français * (édition beaucoup moins complète et riche, surtout pour les annexes, qui sont essentielles) dans un grand journal. Et j’ai reçu une lettre très violente d’un collègue, spécialiste des questions musulmanes [Professeur Claude Cahen], me disant que ceci était un livre de pure polémique, qui n’avait aucun caractère sérieux. Mais ses critiques manifestaient qu’il n’avait pas lu ce livre, et ses arguments (à partir de mon texte) étaient intéressants pour révéler « a contrario » le caractère scientifique de cette étude. Tout d’abord il employait « l’argument d’autorité », il me renvoyait à des études sur le problème, qu’il estimait indiscutables et scientifiques (celles de S.D. Goitein, Bernard Lewis, et Norman Stillman), en général favorables à l’attitude musulmane. J’ai soumis l’objection à Bat Ye’or, qui m’a répondu qu’elle connaissait personnellement les trois auteurs et avait tenu compte de leurs travaux. Le contraire m’eût étonné, étant donné l’ampleur des recherches de l’auteur ! Elle maintint qu’une lecture attentive de leurs écrits ne permettait pas une interprétation aussi restrictive.

Mais a partir de ces livres, quels étaient les arguments de fond pour critiquer l’analyse de Bat Ye’or ? Tout d’abord, que l’on ne peut généraliser la condition du dhimmi, et qu’il y a eu une très grande diversité dans leur situation. Or, précisément, c’est bien ce que montre notre livre, qui est très habilement construit : à partir de données communes, d’un fondement identique, l’auteur donne des documents permettant de se faire une idée précisément sur ces différences, selon qu’on envisage le dhimmi au Maghreb, en Perse, en Arabie, etc… Et l’on constate effectivement une très grande diversité dans les réalités de l’existence du dhimmi, mais cela ne change rien à la réalité profonde identique de sa condition. Le second argument, c’est qu’on a beaucoup exagéré les « persécutions », il parle de « quelques accès de colère populaire »… mais, d’une part, ce n’est pas là-dessus que Bat Ye’or se fonde, d’autre part, c’est ici que paraît l’esprit partisan : « les quelques accès » ont été historiquement très nombreux et les massacres des dhimmis fréquents. Il ne faut pas aujourd’hui rejeter ces témoignages considérables (que l’on a autrefois trop fait valoir) de tueries de juifs ou de chrétiens, dans tous les pays occupés par les Arabes et les Turcs, qui se reproduisaient fréquemment, et au cours desquelles les forces de l’ordre n’intervenaient pas. Le dhimmi avait peut-être des droits aux yeux des autorités, et officiellement, mais quand la haine populaire se déchaînait pour un motif souvent incompréhensible, ils étaient sans défense et sans protection. C’était l’équivalent des pogroms Sur ce point, c’est mon correspondant qui n’est pas scientifique. Il atteste en troisième lieu que les dhimmis avaient des « droits » personnels et confessionnels. Mais, n’étant pas juriste, il ne voit pas la différence entre droits personnels et droits octroyés. Nous en avons parlé plus haut, et l’argument ne porte pas puisque précisément Bat Ye’or étude de façon tout à fait satisfaisante ces droits en question.

Il souligne en outre que les juifs ont atteint, en pays musulmans, leur plus haut niveau de culture, et qu’ils considéraient les Etats dont ils dépendaient comme leur Etat. Sur le premier point, je dirai qu’il y a eu une énorme diversité. Il est bien exact que dans certains pays arabes et à certaines époques, les juifs – et les chrétiens – ont obtenu un haut niveau de culture et de bien –être. Mais notre livre ne le nie pas. Et ce n’est pas un fait extraordinaire : à Rome, à partir du 1er siècle, après Jésus-Christ, il arrivait que des esclaves (restant toujours esclaves) avaient une situation très remarquable, ils exerçaient presque toutes les professions intellectuelles (professeurs, médecins, ingénieurs, etc.), ils dirigeaient des entreprises et pouvaient même être à leur tour propriétaires d’esclaves. Il n’empêche qu’ils étaient esclaves. Et c’est un peu la question des dhimmis, qui en effet avaient un rôle économique important (comme c’est très bien montré dans ce livre) et pouvaient être « heureux » : il n’empêche qu’ils étaient des inférieurs dont le statut, très variable, les faisait étroitement dépendants et… sans « droits ». Quant à dire qu’ils considéraient l’Etat dont ils dépendaient comme leur Etat, ceci n’a jamais été vrai des chrétiens. Quant aux juifs, ils avaient été dispersés depuis si longtemps dans le monde, qu’ils n’avaient pas d’autre possibilité. Mais on sait qu’il n’y eut de véritable courant « assimilationniste » que dans les démocraties occidentales. Enfin ce critique déclare qu’il y a eu « dégradation pendant les temps contemporains de la condition des juifs en pays islamique ». Et il ne faut pas juger de la condition du dhimmi d’après ce qui s’est passé aux 19e – 20e siècles. Je suis alors obligé de me demander si l’auteur de ces critiques n’obéit pas, comme beaucoup d’historiens, à un embellissement du passé. Il suffit de constater la remarquable concordance entre les sources historiques se rapportant à des faits et les données de base d’origine pour penser que l’évolution n’a pas dû être si complète.

Si je me suis étendu un peu longuement sur ces critiques, c’est qu’elles m’ont paru importantes pour cerner le caractère « scientifique » de ce livre. Quant à moi, je considère, en effet, cette étude comme très honnête, peu polémique et aussi objective qu’il est possible (compte tenu que j’appartiens à l’Ecole d’historiens pour qui l’objectivité pure, au sens absolu du mot, ne peut pas exister). Nous avons là une très grande richesse de sources assemblées, une utilisation correcte des documents, un souci de placer chaque situation dans son contexte historique. Par conséquent, un certain nombre des exigences scientifiques pour un ouvrage de cet ordre. Et c’est pourquoi je considère cette étude comme tout à fait exemplaire et significative. Mais aussi, intervenant dans le « contexte sensible » que je rappelais plus haut, c’est un livre qui apporte un avertissement décisif. Le monde islamique n’a pas évolué dans sa façon de considérer le non musulman, et nous sommes avertis par-là de la façon dont seraient traités ceux qui y seraient absorbés. C’est une lumière pour notre temps.

Bordeaux, mai 1983

· Le Monde, 18 novembre 1980

Pour en savoir plus sur Jacques Ellul…pour:
http://www.la-bas.org/article.php3?id_article=213

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