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Forteresse Europe
--> par Grégory D'Hallewin
L’Union Européenne n’a commencé à se soucier de la gestion de ses frontières qu’au milieu des années 90. Les accords de Schengen, signés en 1985 entre la plupart des pays fondateurs, avaient lancé un processus de mise en commun des politiques de contrôle et des procédures d’asile. Un processus que l’Union récupèrera, dans un contexte de flux migratoires grandissants et d’inégalités croissantes entre pays riches et pays pauvres. La récente tendance est à l’externalisation. Il s’agit de maintenir les demandeurs d’asile hors de l’Union le temps de traiter leur demande. Quitte à recourir à l’usage de camps …


Préalables

En 1992, le traité de Maastricht instaure l’Union, qui se cherche une légitimité. Elle va chercher à mettre en action les accords de Schengen et la Convention de Dublin (1990). Celle-ci s’appropriait le pouvoir de déterminer l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et fixait les critères de répartition des demandeurs entre les Etats. C’est chose faite en 1997. Mais l’Union veut aller plus loin: faire relever l’ensemble du droit d’asile de décisions européennes. Le traité d’Amsterdam signé en 1997 et entré en vigueur deux ans plus tard fait figurer cet objectif dans son texte. L’étape suivante, c’est la réunion du Conseil européen de Tampere les 15 et 16 octobre 1999, qui conclut « qu'à terme, les règles communautaires relatives à un régime d'asile européen commun devraient déboucher sur une procédure d'asile commune et un statut uniforme, valable dans toute l'Union, pour les personnes qui se voient accorder l'asile ». En outre, conformément à ces conclusions, le système EURODAC sera créé en décembre 2000. Il s’agit d'un système de comparaison des empreintes digitales des demandeurs d'asile et des immigrants clandestins pour permettre leur identification. En février 2003, le Conseil vote le règlement dit Dublin II, qui fixe les critères de responsabilité d’un Etat face à l’examen d’une demande d’asile et affirme le principe d’indissociabilité de la situation d’un mineur de celle de ses parents.
Préalablement, nous allons exposer quelques données chiffrées, concernant l’immigration et l’asile. Nous nous basons sur deux documents de la DG-JAI : le rapport de 2001 et l’étude statistique de 1986-2003. La définition de l’immigration se base sur la première révision des Statistics on International Migration des Nations Unies. Il s’agit des personnes qui ont bougé d’un pays à un autre pour une période d’au moins un an, ce qui implique que le pays d’accueil devient le nouveau lieu de résidence. Concernant les 15 pays membres de l’Union en 2001, la population s’élevait à ce moment à 403.578.552. L’immigration, selon les critères évoqués plus haut, s’élevait à 2.532.293. Le nombre de demandes d’asile est de 357.730. Si l’on prend les pays qui ont accédé par la suite à l’UE, leur population s’élève en 2001 à 64.233.710. Le nombre de demandes d’asile est pour cette année de 44.065.
Soulignons deux points:
il ne s’agit ici que de ceux qui ont réussi à atteindre le territoire européen;
étant donné que les Etats et l’UE tendent à réduire les flux migratoires, de nombreuses personnes qui il y a 35 ans auraient été des immigrés sont maintenant des demandeurs d’asile.
N’oublions pas aussi les réalités humaines souvent déchirantes qui se cachent derrière ces chiffres …

Qu’entendre par « externalisation » ?

La logique qui domine la politique d’immigration et d’asile des pays européens est clairement restrictive. Alain Morice va jusqu’à parler de « sanctuarisation des pays riches ». L’Union européenne et les Etats ont peu à peu renforcé le contrôle aux frontières de l’espace Schengen. Les centres fermés, situés à proximité des ports et des aéroports (comme celui de Steenokkerzeel) expriment bien ce renforcement. Les gens se trouvent confinés dans des lieux en attendant que l’on statue sur leur sort, en attendant que se fasse la sélection.
Mais à présent, nous assistons à un phénomène d’ « externalisation ». L’Union cherche à reporter le poids de cette sélection à l’extérieur de son territoire. Les demandeurs seront donc confinés en des lieux situés hors de l’Union, dans des pays limitrophes. Quitte à recourir à l’appui à des régimes douteux, voire à des camps de parcage …

M. Blair construit le premier mur

Le gouvernement Blair avance en début 2003 une proposition qui va bousculer l’agenda européen : l’externalisation des procédures d’asile. Le contexte national anglais est caractérisé par une recrudescence de la xénophobie : montée du British National Party d’extrême droite, attaque de la presse de droite contre les demandeurs d’asile, …
Cette idée a des antécédents. En 1994, les Etats-Unis lancent l’opération Gatekeepers qui conduit au déploiement de 11 000 patrouilleurs le long de la frontière mexicaine et réquisitionnent la base de Guantanamo comme « Processing centre » pour les demandeurs d’asile haïtiens. En 2001, l’Australie applique la Pacific Solution et loue à l’île de Nauru l’espace pour installer un camp où se fait la sélection.En septembre 2002, le Haut Commissaire des Nations Unies au Réfugiés Ruud Lubbers l’a défendue devant le conseil des ministres de l’Intérieur et de la Justice européens (JAI) dans un texte appelé Convention Plus. Il y préconise l’idée de partenariat avec les pays de premier accueil afin de limiter les flux vers l’UE et celle de traitement de demande d’asile dans ces pays.
Un sous-comité du Cabinet Office appelé MISC 20 et présidé par David Blunkett travaille sur un texte. Celui-ci étudie la possibilité de traiter les demandes d’asile hors de l’UE. A partir de ce texte, un rapport intitulé « A new vision for refugees » est présenté le 5 février 2003 à Downing Street. Deux axes y sont affirmés : la création de zones de protection, formés par les pays limitrophes de l’UE où seraient maintenus les demandeurs d’asile ; création dans ces zones de processing centres où ils seraient maintenus, le temps que soit examinée leur requête.
Dans une lettre du 10 mars à Costas Simitis, qui assure la présidence grecque de l’UE, il invite à inscrire cette idée à l’agenda. Des débats intenses sont provoqués par ces propositions. Parmi les questions principales, il y a celle de la compatibilité de ce projet avec la Convention de Genève et avec les législations européenne et nationales ou encore celle des règles de fonctionnement de ces centres. Quoiqu’il en soit, il peut compter sur un appui important : celui de Ruud Lubbers, qui le soutient ouvertement lors du conseil JAI de Veria le 28 mars.
Le Conseil européen du printemps 2003 déclare dans le point 61 de ses conclusions avoir « pris note de la lettre du Royaume-Uni concernant de nouvelles approches pour la protection internationale » et invite la Commission à rédiger une communication. Celle-ci se livre à une analyse du document britannique, puis à celle de la proposition du HCR « Convention Plus ». Elle fixe aussi un certain nombre d’objectifs généraux : gérer et organiser les flux de réfugiés ; s’assurer la coopération des pays des zones de protections ; sélectionner les « vrais » des « faux » réfugiés.
Les 19-20 juin, c’est le sommet des chefs d’Etat et de gouvernement à Thessalonique. Le projet des Anglais est suspendu. Mais ceux-ci demandent cependant un feu vert pour créer un projet pilote sous l’égide du Foreign Office. Ils évoquent la Croatie, l’Ukraine, la Turquie, le Kenya et le Maroc. L’Union finira par refuser. Mais l’idée est lancée. Le 20 juin, dans The Guardian, Lubbers présente son approche en trois volets. Celle-ci affirme la nécessité de coopération avec des pays non membres de l’UE afin de limiter les flux migratoires ainsi que l’européanisation et le raccourcissement de la durée des procédures.

Italiens et Allemands installent les barbelés

L’idée d’externalisation refait surface suite à deux drames survenus à l’été 2004 : l’affaire du cap Anamur et celle du Zuiderdiep, deux bateaux allemands sur la Méditerranée. Le premier recueille à son bord le 20 juin 37 Soudanais qui se trouvaient sur un pneumatique. Pendant 10 jours, la capitainerie de Port-Empédocle refuse l’accès au port au bateau allemand. . Le capitaine, son second et le président de l’ONG seront arrêtés « pour avoir favorisé l’immigration illégale ». Ils seront libérés 5 jours plus tard grâce à une mobilisation de la société civile italienne. Le second le 2 août recueille 72 migrants partis de Libye et en dérive depuis une semaine. Mais 28 d’entre eux ont déjà trouvé la mort. L’équipage sera contraint de jeter les corps à la mer. Dans les deux cas, ceux-ci avaient été débarqués en Italie et expulsés. Cela amène les ministres de l’Intérieur allemand, Otto Schily, et italien, Giuseppe Pisanu, à relancer le projet.
Ils ont l’appui de Romano Prodi, encore président de la Commission européenne, et de Rocco Buttiglione, Commissaire européen à la Justice et aux Affaires Intérieures. De son côté, l’Italie accroît sa coopération avec la Libye. Le 12 août, est signé un accord de coopération portant sur la formation d’agents libyens et la fournitures de technologies. Mouammar Kadhafi espère obtenir la levée de l’embargo sur son pays, favoriser sa réintégration dans le concert des nations et lui retirer définitivement ce rôle de « punching-ball à disposition » des Etats-Unis. Le 20 septembre, Washington lève les sanctions contre Tripoli. Le 11 octobre, c’est au tour de Bruxelles. Pourtant, la Libye n’a pas signé la Convention de 1951 … De son côté, l’Italie renforce son propre système de surveillance sur la Méditerranée.
L’idée d’externalisation est donc relancée. On pense à l’appliquer également aux bordures orientales de l’Union. Il s’agit en premier lieu de l’Ukraine, citée nommément lors du sommet de Vienne (15 septembre) par l’Autriche et les Etats baltes. Le projet se heurte à l’opposition de la France et de l’Espagne au sommet du G5 de Florence (17-18 octobre). Cependant Paris accepte la possibilité de Processing centres, rebaptisés « points de contacts » par Dominique de Villepin, en Afrique du Nord.
Les 4 et 5 novembre, à Bruxelles, c’est le Conseil européen qui doit se mettre d’accord sur un Tampere II, pour les cinq années à venir. Les objectifs sont outre le rappel de la mise en place d’une procédure d’asile unique européenne, il y a aussi la gestion des flux migratoires jusqu’aux pays de premier asile, voire aux pays sources et la « réinstallation » en Europe pour les réfugiés reconnus dans les pays de premier asile.
Une coopération avec des pays tiers est financée pour les inciter à contrôler leurs frontières : 250 millions d’euros ont déjà été débloqués sur 4 ans. Le programme d’assistance technique et financière aux pays tiers pour l’asile et l’immigration (AENEAS) doit être mis en oeuvre dès fin 2004. C’est la première passoire, le jeu de rempart successifs.
En décembre 2004, la Commission envoie une mission en Libye, dont les conclusions sont peu flatteuses pour les pratiques du régime. Le HCR et le Parlement européen sont du même avis. Mais les Etats membres et l’Union décident de poursuivre dans la voie de la coopération. Des intérêts économiques sont en jeu. Deux millions sont débloqués pour la formation des garde-frontières et des policiers libyens, associés à des patrouilles européennes. En juin 2005, l’Union décide d’étendre ces coopérations aux pays du sud du Maghreb.

Externalisation et « camps »

L’Afrique du Nord et l’Ukraine sont donc destinées à être la partie rapprochée d’un dispositif plus large. Mais quid des camps ? Selon M. Pierre-Arnaud Perrouty (Ligue des Droits de l’Homme-Bruxelles, Migreurop), il en est de trois sortes. D’abord, les centres fermés sur le territoire de l’Union, pour les gens minoritaires qui ont réussi à y entrer. On les y met en attendant l’expulsion. Ensuite, les regroupements informels dans les pays limitrophes. Ils sont souvent auto organisés et l’aide humanitaire y arrive dans une certaine mesure. Ils sont amenés à se déplacer étant donné les rafles de la police. C’est un jeu du chat et de la souris qui mène les gens à des situations dangereuses et meurtrières.
Enfin, la troisième catégorie est pour l’instant à l’état d’idée : des camps où l’UE irait faire le tri de ceux qui peuvent ou non entrer sur son territoire. L’idée revient régulièrement et pourrait passer sous une autre forme. Par exemple si le Maroc contrôle correctement ses frontières, il n’y aurait plus besoin de camps.
Outre un financement, les Etats membres et l’UE exportent aussi du savoir-faire, via des officiers de liaison.

Le cas de la coopération Madrid- Rabat

Les « flux migratoires » pour la région qui nous concerne sont majoritairement composés de Subsahariens. Comme le montre le drame du 28-29 août 2005, où 300 demandeurs d’asile ont voulu entrer dans l’enclave de Melilla. La Guardia Civil et la police marocaine interviennent. Bilan : un mort comptabilisé, un adolescent camerounais. Certains témoignages parlent de deux, voire plus.
La coopération Espagne-Maroc est scellée par un accord du 23 décembre 2003. La première mise en application date du 27 février 2004, avec le rapatriement par les Marocains de trente immigrés arrêtés la veille par les Espagnols dans les Canaries. L’Espagne déploie une impressionnante technologie militaire. A partir de 2005, dans les villes, la police marocaine multiplie les descentes dans les quartiers fréquentés par les migrants. Ceux-ci prennent peur et se réfugient dans les alentours, où ils s’organisent en regroupements informels, prenant la forme de camps autogérés. La police procède là aussi à des rafles et des descentes. Le 16 janvier, elle frappe dans le camp de Gourougou. S’ensuit une traque dans les forêts. Y participent 1200 membres des forces de l’ordre dont 350 gendarmes, (avec 25 jeep et 3 hélicoptères), 470 membres des forces auxiliaires et 120 membres de la Sûreté Nationale. Deux détachements de l’armée sont postés de façon permanente dans la région, en contact, selon l’APDHA (Association Pour les Droits de l’Homme d’Andalousie), avec la Guardia Civil espagnole.
Le campement de Benyanesh, près de Melilla, est l’objet de coups de filets réguliers. Le 9 février notamment, 600 militaires entrèrent à 6 heures du matin. Certains migrants se cachèrent dans les collines environnantes et tentèrent d’atteindre l’enclave espagnole à la nage, avec les risques que cela implique. Les gens prennent peur à nouveau et se cachent dans les bois. Deux détachements de l’armée sont postés de façon permanente dans la région, en liaison téléphonique avec la Guardia Civil.
Cela entraîne de nombreux cas de violations des droits humains. Dans la nuit du 27 au 28, 500 migrants tentent d’entrer à Ceuta et Melilla alors que José Luis Zapatero et Driss Jetou sont en réunion pour faire le point sur la coopération policière et judiciaire. Le 4 octobre, le commissaire JAI européen Franco Frattini annonce qu’il va débloquer 40 millions d’euros pour la coopération policière avec le Maroc. Le 6, ce sont six personnes qui sont tuées en tentant d’accéder à Melilla. Et ce n’est que la partie visible de l’iceberg. En outre, le Maroc se sert de sa position pour faire pression sur l’UE afin d’obtenir satisfaction sur des revendications.
Outre les rafles, il y a aussi les rapatriements forcés, en bus ou en Boeing 747. Et le Maroc n’est pas le seul à s’adonner à ces pratiques. L’Algérie est amenée aussi à prendre part. Le 24 novembre, le Chef de Délégation de l’UE à Alger, Lucio Guerrato déclare que le programme d’aide à la police frontalière algérienne s’élèvera à 10 millions d’euros. C’est moins que les 40 millions accordés au Maroc, mais ce n’est pas étonnant car l’Algérie est moins intéressante : les distances sont plus élevées.


La militarisation de la Méditerranée et de l’Atlantique

Nous poursuivons ici notre enquête sur l’externalisation de la politique d’asile européenne. Durant les mois abordés ici (de juin à début septembre 2006), elle a avancé de façon à la fois chaotique et ordonnée.


Juin 2006 et le plan espagnol

Le plan espagnol va connaître des rebondissements et des imprévus. Le 1er juin en effet, le Sénégal suspend sa coopération avec Madrid suite officiellement aux violences commises contre des migrants rapatriés de force des Canaries. Madrid fournit des explications. La coopération peut donc reprendre, mais de façon plus discrète. A la demande de Dakar, les rapatriements se font désormais de nuit pour éviter la présence des médias. Entre le lundi 19 et le samedi 24 juin, 189 Sénégalais sont rapatriés à partir du royaume des Bourbons.
Si l’on déplie une carte géographique, on peut se rendre compte que l’objectif ultérieur de l’Espagne sera le Mali. Le 22 juin, le secrétaire d’Etat Gross se rend donc le jeudi 22 juin à Bamako pour une visite de 24 heures, où il rencontre le Premier ministre Ousmane Issoufi Maïga et d’autres personnalités de l’Etat. Un accord de principe est trouvé : un cadre légal devra être élaboré, qui inclura non seulement des éléments de coopération policière, mais aussi économique, particulièrement agricole. Plus concrètement, il s’agira d’activer un accord sur la gestion des migrants signé en janvier 2003.

Juin 2006 et optique sécuritaire

Le mardi 6 juin, des hauts fonctionnaires issus d’une vingtaine de pays européens et africains se réunissent à Dakar. Un plan d’action – initié par le Maroc et l’Espagne et appuyé par la France – est adopté dans la soirée. Ce plan préconise un « renforcement » des capacités de contrôle des frontières des pays de transit et de départ ainsi qu'une « amélioration » de la formation des services de contrôle et leur dotation en équipements adéquats. En outre, il s’agit d'équiper les États africains de bases de données numérisées et de systèmes d'alerte précoce inspirés des modèles européens. Le tout sous prétexte de lutte contre les passeurs.
Le 13 juin, se retrouvent à Nouakchott des experts venus de France, d’Italie, d’Espagne, de Libye, de Grèce, du Portugal, de Mauritanie, du Maroc, du Mali, du Niger, et du Sénégal. L’accent est mis sur les organisations mafieuses profitant des flux migratoires et l’objectif est de favoriser les échanges d’informations entre les pays concernés en toute sécurité juridique. Le ton sécuritaire est on ne peut plus clair.
Et le sera davantage avec la réunion des huit pays membres de l’UE à Madrid pour entériner l’exécution du plan espagnol. Des moyens supplémentaires sont ajoutés et Frontex met plus d’un million d’euros dans l’opération.

Le rapport de l’ONU

Le 7 juillet, le secrétaire général des Nations Unies Koffi Annan présente un rapport au titre explicite « Migrations internationales et développement ». Un lien direct est fait entre les migrations et les inégalités. Il décortique en outre la nature de ce lien. Il pointe également un autre phénomène : la « fuite des cerveaux », c’est-à-dire le fait que les pays riches peuvent disposer de l’intelligence des pays pauvres. On peut lire qu’ « entre 33 et 55 % des ressortissants hautement qualifiés de l’Angola, du Burundi, du Ghana, du Kenya, de l’île Maurice, du Mozambique, de la Sierra Leone, de l’Ouganda et de la République Unie de Tanzanie se sont établis dans des pays de l’OCDE» . En outre, « ce chiffre dépasse 60 % en ce qui concerne Haïti, les îles Fidji, la Jamaïque et la Trinité-et-Tobago », et concernant la Guyane, il atteint 83 %. De façon générale, pour la période 1990-2000 et les migrants installés dans nos pays âgés de 25 ans et plus et ayant fait des études supérieures, ils sont 56 % à être issus de pays pauvres. Ce qui est particulièrement préoccupant, c’est l’émigration des travailleurs qualifiés du secteur de la santé. La ville de Manchester compte plus de médecins originaires du Malawi que le Malawi lui-même …

La conférence de Rabat

La conférence de Rabat débute le lundi 10 juillet. Les pays membres de l’Union Européenne ainsi que la plupart des pays africains y prennent part. Il y a un grand absent : l’Algérie, qui réprouve l’approche sécuritaire européenne. Le Maroc tente de concilier les contraires : mercenaire de l’Europe et porte-parole des revendications africaines. Structurellement, le rapport de force – économique et militaire – est inégal. Il faut préciser d’ailleurs que le 7 avril l’Alliance Atlantique s’était réunie à Rabat avec les sept pays membres du Dialogue méditerranéen, dont le Maroc. Celui-ci, aux côtés de l’Algérie et d’Israël, a été autorisé à prendre part à l’opération « Active Endeavour », lancée par l’OTAN en Méditerranée après les attentats du 11 septembre. L’opération implique des patrouilles maritimes de surveillance, notamment sur le détroit de Gibraltar. Là aussi, les préoccupations sécuritaires ont primé sur toute autre considération … Et là aussi ces pays se retrouvent cantonnés dans un rôle de mercenaires pour le compte des Occidentaux.
Soulignons néanmoins que les camps externalisés ne sont pas à l’ordre du jour. Les patrouilles par contre si : l’objectif des responsables espagnols est que le système des patrouilles soit opérationnel dès fin août. Dans une interview accordée à L’Humanité, Giusto Catania, député de la Gauche Unitaire Européenne – Gauche Verte Nordique, souligne que cela perpétuera le « processus de militarisation de la Méditerranée et de l’Atlantique ». Et, pourrait-on ajouter, ne se fera pas à l’avantage de la souveraineté des pays impliqués dans l’externalisation.
L’Europe vient donc animée de deux préoccupations. La première est sécuritaire, avec une certaine xénophobie sous-jacente. « Les mesures préconisées par le bloc européen convergent vers un renforcement des dispositifs de surveillance pour freiner les mouvements d’immigrés avant leur arrivée dans les territoires d’accueil » , peut-on lire dans l’éditorial du 17 juillet de La Gazette du Maroc. En témoigne déjà l’existence de ces patrouilles hispano-mauritaniennes. La seconde est utilitariste, avec cette idée d’une immigration choisie sur le mode états-unien. Face à cela, « une Afrique qui ne cesse de se faire ‘bouder’ sur ses légitimes revendications d’une plus forte implication des pays riches du Nord dans l’aide au développement et dans la lutte contre la pauvreté ».

La redéfinition du mécanisme de contrôle des frontières

Le 19 juillet, sont rendus publics plusieurs documents de la Commission européenne Parmi ceux-ci figure un document de travail des services de la Commission accompagnant la Proposition de règlement du parlement européen et du Conseil établissant un mécanisme pour la création d'équipes de réaction rapide aux frontières et modifiant le règlement (CE) n° 2007/2004 du Conseil en ce qui concerne ce mécanisme.
Avant Frontex, il était prévu que dans chaque État membre, les autorités nationales responsables du contrôle et de la surveillance des frontières extérieures effectuent ces missions pour le compte des partenaires et en assument la responsabilité. Mais les ressources dont disposaient les Etats frontaliers n’étaient pas suffisantes. Donc, lors du Conseil européen de Laeken, l’objectif est d’instaurer une coopération accrue entre Etats frontaliers et non frontaliers afin de permettre aux premiers d’effectuer ces tâches. Le 7 mai 2002, la Commission émet au Parlement et au Conseil une communication où elle préconise la mise en place d’un mécanisme de concertation et de coopération et d’une instance commune pour la gestion de la coopération entre les Etats concernant les frontières extérieures.
Avec l’instauration de Frontex, un nouveau mécanisme de coopération est mis en place, caractérisé par deux modalités. La première consiste en des opérations conjointes et des projets pilotes, dans le cadre de l’activité normales de l’agence. La deuxième, dans le cadre de situations difficiles, l’agence peut prêter main forte à un Etat. Mais ce système présente deux insuffisances : l’absence de cadre juridique primo définissant les modalité de coopération, secundo le pouvoir des gardes frontières. L’objectif sera donc la mise en place de ce cadre juridique. Mais en quoi va -t- il consister ? La Commission pencherait pour la création d’un corps de gardes européen, mais, sachant les résistances que cela provoquerait au niveau des Etats, elle préconise des équipes d’intervention rapides avec des gardes nationaux dans le cadre de Frontex.

Le plan espagnol et ses suites

A partir du 24 juillet, des demandeurs d’asile font un sit-in devant les locaux du HCR. Ils entendent protester à la fois contre la politique espagnole et européenne, la posture de mercenaire adoptée par le Maroc et le rôle ambigu du HCR. Suite à cela, certains militants seront enlevés par des agents secrets du régime chérifien et refoulés dans des villes éloignées de Rabat. Le plan espagnol a aussi des suites d’un autre ordre : le 3 août, le ministre de l’Intérieur du Gabon, André Nba Obame, annonce qu’il va négocier avec les pays « émetteurs » des quotas de migrants. On retrouve ce mélange d’optiques sécuritaire et utilitaire. Le Gabon, avec son pétrole, est en effet un pays riche de l’Afrique de l’Ouest, de surcroît assez stable politiquement. Comme nous, il ne veut accueillir de migrants que de façon strictement limitées et pour faire les travaux que ses citoyens ne veulent plus faire.
Le mois d’août connaît les premières vagues d’expulsion de Maliens par l’Espagne. Une première série a lieu la semaine du 3 août. Ils sont cinquante à être rapatriés par avion à l’aéroport de Bamako-Sénou. La deuxième comprend 62 personnes. Ils arrivent à l’aéroport dans la nuit du 7 au 8 août, à une heure moins le quart, Bamako étant dans le méridien de Greenwich. Une partie des rapatriés laissent éclater leur colère et saccagent le hall de l’aéroport. On peut noter que ces rapatriements sont censés se dérouler dans le plus grand secret : seul au ministère de l’Intérieur et à celui des Maliens de l’Extérieur, ainsi qu’à l’agence aéroportuaire, on connaît la nature de ces vols de rapatriements. Ce qui veut dire que ceux-ci ne sont pas spécialement populaires. Et dans ce contexte il est très inconfortable pour un chef d’Etat ou un homme politique de paraître pour un laquais des Occidentaux …
De façon plus générale, on peut noter que ces mécanismes de « coopération » mis en place par l’Espagne avec l’imprimatur de l’UE portent atteinte à la souveraineté des pays concernés. Ils impliquent que leurs ports, leurs frontières, leurs eaux territoriales et leur espace aérien soient surveillés par des agents européens. Cela explique sans doute en partie pourquoi le président Amadou Toumani Touré (dit ATT), pour faire contrepoids à cette mise sous contrôle, cherche à se rapprocher des représentants les plus actifs et les plus courageux de la lutte contre le néolibéralisme et l’impérialisme. Le 1er et le 2 août, lui ainsi que le premier ministre Ousmane Issoufi Maïga reçoivent à Bamako le président vénézuélien Hugo Chavez pour une visite de travail. Trois accords sont signés. Ils ont pour but de donner une impulsion au partenariat entre les deux pays, qui s’était déjà manifesté par les 500 000 dollars versés par Caracas à la Banque Malienne de Solidarité et par la création d’une Commission mixte de coopération.
Mais l’Espagne ne vise pas que le Mali. Il y a aussi le Sénégal. Le 21 août, les ministres de l’Intérieur sénégalais et espagnol Ousmane Ngom et Alfredo Rubalcaba se rencontrent à Dakar. Un accord verbal est trouvé. Un hélicoptère et deux détachements de la Guardia Civil sont mis à disposition par Madrid pour collaborer avec les Forces de Sécurité sénégalaises. L’objectif est l’interception des embarcations de migrants avant qu’elles n’appareillent.De son côté, Ngom réclame de la part de l’UE une aide financière pour le programme REVA, qui vise à promouvoir le développement de l’agriculture et de l’élevage. De surcroît, il n’a accepté que verbalement la présence de la Guardia Civil. Le 24 août, c’est la rencontre dans la capitale sénégalaise entre Ousmane Ngom et le directeur du Centro Nacional de Inteligencia (CNI) Alberto Saiz ainsi que celui de la Guardia Civil Joan Mesquida. Un accord est signé qui entre en vigueur le jour même. Mais il diffère de l’accord verbal trouvé avec Rubalcaba deux jours plus tôt. Le Sénégal accepte la présence d’une patrouille espagnole, mais qui oeuvrera dans des bateaux sénégalais : ceux de la Gendarmerie, de l'Armée et de la Direction Générale Protection et Surveillance de la Pêche. De plus, dans le texte signé par les trois hommes, il n’apparaît nullement que le Sénégal a accepté la présence de bateaux espagnols dans ses eaux territoriales. En fait, il a accepté les patrouilles conjointes sur trois bateaux – les siens – ainsi que sur le bateau italien Il Diciotti, amarré à Cadix et appartenant à Frontex. De plus, le navire italien devait se borner à informer les autorités sénégalaises de la présence de cayucos. L’interception devant être une prérogative de Dakar. Il est aussi prévu qu’un officier de liaison sénégalais soit présent au Centre de coordination de Ténériffe, aux côtés des fonctionnaires européens de Frontex. Les négociations continuent donc, sous l’égide de l’ambassade espagnole à Dakar et avec le Premier ministre Macky Sall. Le 29 août, elles aboutissent à l’acceptation par le Sénégal de bateaux de la Guardia civil. Le 30, l’équipage de la première patrouille part pour les côtes du pays de Léopold Sedar Senghor.

par Grégory D'Hallewin

Articles parus le 13/07/2006 et le 6/12/2006 sur Indymédia.be :
http://www.indymedia.be/fr/node/3211
http://www.indymedia.be/en/node/6075

Ecrit par libertad, à 22:45 dans la rubrique "Pour comprendre".



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