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Une culture ouvrière ?
Historique
Au fur et à mesure que les ouvriers émergent dans la société ( leur origine remonte à l'époque préindustrielle), en même temps que leur rôle et leur nombre deviennent plus importants dans la création de richesses, se développe une culture strictement « ouvrière » qui se différencie de la culture paysanne, mais surtout qui n'a rien à voir avec la culture bourgeoise.L'élaboration d'un réseau complexe d'associations qui s'efforcent d'encadrer les travailleurs « du berceau jusqu'à la tombe » est sans doute la réalisation socioculturelle la plus importante de la classe ouvrière. Ces associations luttent contre la chute toujours menaçante dans la misère mentale, sociale et matérielle, elles permettent un processus d'assimilation et, dans une certaine mesure, d'élargissement des personnalités individuelles.

La culture ouvrière est d'abord simplement celle d'un ou de plusieurs groupes. La concentration de l'industrie crée un cadre propice à l'émergence, dans le mouvement ouvrier, d'une culture organisée qui se développe spontanément, sans que les chefs politiques ou syndicaux puissent au début l'influencer beaucoup.
C'est une culture fondée sur le travail et sur le savoir-faire, sur l'effort mais aussi sur la souffrance au travail et sur les revendications. C'est seulement pour une partie des ouvriers qu'il s'agit d'oeuvrer pour la construction d'un monde meilleur et pour l'abolition du salariat. Pour autant, la lutte fait partie de la culture ouvrière (sabotage, caisse de grève, haine des jaunes, des petits chefs et de la police...), les souvenirs de lutte se racontent de génération en génération.
Les moments de « temps libre » sont également des moments privilégiés, comme les moments de vie passés en commun lors de repas de famille, lors de fêtes ou de bals populaires. « Il semble que l'ouvrier attache beaucoup d'importance à la proximité affective avec ses proches », dit le sociologue O. Schwartz.
Un autre aspect concerne la division des tâches et du travail entre hommes et femmes ainsi qu'une affirmation, qui a fortement vieilli aujourd'hui, des identités masculine et féminine.
Il s'agit aussi de valeurs comme la dignité, la solidarité et l'entraide.
C'est à cette époque où cette culture s'affirme et où les ouvriers prennent conscience de leur existence en tant que classe qu'ils créent des outils comme les sociétés mutualistes, les bourses du travail, les syndicats et l'Association internationale des travailleurs.
Et ce sont les liens avec le syndicalisme et les partis se réclamant du socialisme et de la classe ouvrière qui lui donnent le caractère d'une contre-culture, distincte dé la culture dominante marquée par les valeurs bourgeoises. Elle ne se réduit jamais pour autant au rôle de sous-culture. « C'est toute une contre société qui se met en place, avec ses propres canaux de diffusion, ses journaux, sa propre littérature ' ». A travers ses manifestations, la classe ouvrière vise à -s'affirmer symboliquement et à faire la preuve de sa capacité et de sa dignité culturelle.
Après la ,guerre-de 1914-1918, qui a décimé fortement les classes populaires, mais aussi après la Révolution russe et la République des conseils en Bavière, la classe ouvrière se retrouve davantage encore porteuse d'espérance dans la construction d'un monde nouveau.
Grâce aux progrès techniques également, l'expression ouvrière peut se développer. Elle s'exprime dans des tracts et des journaux, des discours, des films et des peintures, des slogans mobilisateurs et des chants de libération. On voit également apparaître des pièces de théâtre, ainsi qu'une multiplication de bals et de fêtes populaires.
En même temps que cette affirmation, un fort besoin de s'éduquer s'impose pour « nous apprendre les uns aux autres à connaître notre maison le monde, telle qu'elle est, à y voir clair et à la comprendre exactement afin de savoir comment l'aménager ». Fernand Pelloutier, créateur des bourses du travail dit: « Ce qui manque le plus aux ouvriers, c'est la science de leur malheur. »
Dans les années 20, autour de l'écrivain Henri Poulaille, serrée la «littérature prolétarienne »qui rassemble, hors de toute appartenance politique, une trentaine d'écrivains parmi lesquels Lucien Gachon, Constant Malva, Francis André, Roger Mougère,Marcel Martinet... « La vie du prolétariat racontée par des auteurs qui sortent de ses rangs; voilà la littérature prolétarienne »,proclame l'un d'eux, Tristan Rémy. L'originalité du mouvement réside dans une peinture du prolétariat de l'intérieur, en contraste avec la peinture de l'extérieur que propose l'école réaliste ou naturaliste qui compte des écrivains comme Maupassant ou Zola, chez lesquels la description des milieux populaires n'est pas exempte de clichés et de stéréotypes.
Cette littérature veut aussi se démarquer d'une littérature populiste jugée superficielle.
Bien sûr, être ouvrier ne signifie pas être révolutionnaire, et on assiste à des joutes entre les tenants d'une réelle littérature issue du prolétariat et ceux qui veulent imposer le réalisme socialiste comme doctrine. « A bas tous les catéchismes >z, réagit Marcel Martinet.
En 1930 d'abord, lors de la conférence de Kharkov, puis en 1934, lors de leur congrès, les communistes déclarent qu'il n'y a pas de littérature prolétarienne en France. Cette forme littéraire disparaît quasiment du territoire,, contrairement à d'autres pays, comme les pays scandinaves où celle-ci perdure.
Dans cet entre-deux-guerres, une volonté de construire un lien entre artistes et ouvriers se développe, notamment avec l'aide des syndicats et de leurs unions locales et départementales: Le groupe Octobre (Jacques Prévert, Raymond Bussière, Mouloudji, Jean-Louis Barrault ...), les surréalistes, des peintres... Romain Rolland et Henri Barbusse créent une université populaire... L'engouement est fort.
Pourtant, il y a conflit entre ceux qui veulent voir des artistes parler au nom et pour la classe ouvrière (le Parti communiste) et ceux qui veulent voir émerger une expression véritablement ouvrière (plutôt libertaires). Les communistes vont jusqu'à enrégimenter les artistes en les poussant à soutenir l'URSS, le cas contraire, ils sont critiqués, désavoués et traités comme des renégats.
1936. : la crise et la montée des fascismes entraînent le Front populaire et le mouvement des occupations d'usine. Ce mouvement de grève qui s'étend comme une traînée de poudre est un nouveau révélateur de la force d'une classe. Ces actions collectives incluant grèves et manifestations, mais aussi les fêtes, les discussions, les jeux, les musiques que l'on fait pendant ces occupations, sont emblématiques de la culture ouvrière.
Outre quelques acquis comme les congés payés, le Front populaire donne naissance à de nombreuses associations d'éducation nouvelle et populaire (Fédération dès oeuvres laïques, le Théâtre du peuple, l'Association populaire des amis des musées, les Auberges de jeunesse, ete.).
C'est également, avec la découverte du temps libre, le temps pour se cultiver, pour sortir et pour s'exprimer. La culture peut et doit être accessible à tous.
À cette époque, au cinéma, l'ouvrier et l'ouvrière sont souvent les héros de drames et de comédies (la Bête humdine, la Belle Équipe...).
Dans l'Espagne en révolution; une des premières choses à laquelle s'attellent les anarchistes, c'est l'alphabétisation.
La guerre paralyse dette expression populaire. En même temps, autour de la résistance se créent les prémices de ce que sera 1'après guerre.
Après guerre, c'est la reconstruction et le besoin d'ouvriers pour remonter le pays. C'est le plein-emploi et la constitution de grands bastions industriels.
Les ouvriers et leurs syndicats sont conscients de leurs forces.
C'est la création des comités d'établissement dont les attributions permettent aux salariés d'aller voir des spectacles et d'avoir accès à la culture. Le but étant toujours d'aider à l'acquisition des savoirs.
Et même si les CE permettent également l'expression des salariés à travers des sections artistiques (peinture...), on arrive dans une situation où les ouvriers ne sont plus des acteurs d'une culture propre,, mais les consommateurs d'une culture qui leur est souvent étrangère.
A cela plusieurs raisons. Le vieux mouvement ouvrier a échoué, non sans obtenir d'immenses résultats, mais qui n'étaient pas le but visé: dès les affinées 30, il n'y a plus explicitement de remise en question du pouvoir de la bourgeoisie. Les ouvriers ne se mettent en mouvement que pour monnayer leur position stratégique dans la production. Cette victoire paradoxale de la classe ouvrière est d'avoir acquis un droit de cité en. tant que classe de consommateurs, en imposant ses besoins au coeur du processus de l'expansion du capitalisme. L'immense besoin de sécurité que les ouvriers ont hérité d'une histoire de misère a été transformé en rêve de bonheur obtenu par l'acquisition de marchandise.
Le recul de la pauvreté, l'accession à la propriété, l'équipement des ménages, le crédit, la possibilité d'une véritable ascension sociale pour leurs enfants, ont changé le fond et la forme des revendications. En dehors de son temps de travail, l'ouvrier rentre dans un système de valeurs et de représentations qui n'est plus ouvrier. C'est toute une génération qui- devient accessible au nouveau modèle qui est la classe moyenne, celle des cadres. Le sociologue anglais Richard Hoggart, dans La Culture du pauvre, écrit en 1957 : « L'époque est passée, où l'on pouvait distinguer à vue d'oeil un ouvrier d'un petit-bourgeois. Les changements récents des sociétés industrielles tendent à déposséder les classes populaires du meilleur de leur culture propre. Les frontières de l'appartenance de classe ont tendance à se transformer dans la mesure où la plupart des membres d'une société moderne ont de plus en plus de consommations culturelles communes. »
Toute une culture « de gauche » se développe pourtant, proche du Parti communiste avec ses Fêtes de l'Huma, sa presse, ses assos sportives ou de quartier, et qui compte de nombreux artistes remarquables (à tous les niveaux, du théâtre à la peinture, du Festival d'Avignon à la chanson). Mais la culture se fait « à côté » des ouvriers, en leur nom ou même pour les encadrer. Ce n'est plus une culture ouvrière.
jean Vilard et des comédiens comme Gérard Philipe viennent dans l'usine de Renault-Billancourt pour regarder les ouvriers travailler. Ensuite, ce sont les ouvriers qui les regardent répéter une pièce de théâtre. Il n'est pas question pour les uns et les autres d'échanger les rôles. La « culture du travail » est mise au même niveau que la culture de création artistique.
Les staliniens, développent ce concept de « culture du travail », plutôt que de « culture ouvrière ». Mais, en prenant le geste et la connaissance du travail comme seule culture des ouvriers, ils les enferment dans leur rôle au coeur de l'entreprise. C'est ne pas tenir compte du fait que le rythme de travail et l'exploitation ne sont liés qu'aux besoins d'un patron (on est loin de l'autogestion) et en occultant que le travail ennuie et fait également souffrir. Tout ce qui peut rapprocher les ouvriers (et donc pas seulement au travail) et qui est le socle commun d'une même classe est gommé. Il n'est plus question de se constituer en classe contre une autre. Cette pratique « culturelle » est une preuve de plus que le PC, en ne voulant pas d'une classe ouvrière autonome, n'est plus un parti révolutionnaire (si tant est qu'il l'ait été).
Cela ne va durer que jusqu'au début des années 70, où Il semble que ce soit le coup de grâce.
Avec le chômage, l'usine et l'atelier ont perdu leur caractère de lieu privilégié de la socialisation. L'urbanisation des années 60-70 a déstructuré les quartiers ouvriers de centre ville, leur image et leur réseau de solidarité. La crise et la paupérisation ont fait de même dans les grands ensembles. La classe ouvrière a éclaté. La télévision, la publicité (qui véhiculent l'idéologie libérale),, mais aussi l'urbanisme et l'accès aux biens de consommation, normalisent la culture d'aujourd'hui.
Les ouvriers qualifiés se sont alignés sur la vie moderne des classes moyennes et les moins qualifiés sont tombés dans la précarité et la pauvreté. Enfin, c'est l'individualisme et le repli sur soi qui sont prônés par le système. En même temps, la classe ouvrière a disparu de tous les médias pendant plus d'une vingtaine d'années. Alors que la classe des ouvriers et des employés représente encore 13 millions de personnes (la classe la plus importante), plus personne n'en parle. Le système libéral, en mettant en avant la finance plutôt que la production, a voulu faire croire que ceux et celles qui étaient les acteurs et les actrices de la création ,de richesses n'existaient plus.
L'empreinte du monde ouvrier (les associations, les fêtes, le bistrot du coin, le syndicat, la cellule du parti) s'est évanouie, remplacée par des associations de copropriétaires, de consommateurs ou de parents d'élèves, ou par le vide. Les liens de voisinages se sont dégradés, le style de divertissement est presque totalement imposé par les marchands... La résistance culturelle de la classe ouvrière a cédé pratiquement sur tous les plans et les formes originales de culture ont toutes disparu, ou ne survivent que comme témoignage d'un passé révolu (comme des danses paysannes qui n'existent plus que par des groupes folkloriques).

Reconstruire ?

Dit comme ça, mon propos est assez pessimiste, pourtant, je pense que rien n'est perdu. Alors que les cultures alternatives ont du mal à se faire entendre face au rouleau compresseur TF1-Zénith (ou ne sont mises en avant que le temps d'être récupérées), un rejet, comme une volonté de réappropriation, semble se faire sentir. Il existe des failles et des poches de résistance.
Peut-êtfe que ce soubresaut vient d'avril 2002, lorsqu'on s'est aperçu que les ouvriers avaient majoritairement ou bien voté pour les extrêmes ou surtout, préféré s'abstenir. L'autre soubresaut a sans doute été la forte mobilisation pour les retraites, en 2003. Peut-être justement parce qu'elle a échoué. Cette défaite, malgré le nombre de manifestants dans les rues, a montré qu'il fallait des bases fortes pour mieux se battre.
Il s' agit bien d'une classe qui ne se reconnaît plus dans les valeurs imposées depuis des dizaines d'années. La faillite du système est patente et montre tous les jours que ceux et celles qui en souffrent sont de plus. en plus nombreux; d'autre part, il y a un rejet de,plus en plus fort de la télévision et des spectacles clinquants et vulgaires qu'elle impose.
De nombreux reportages et documentaires, des films de fiction aussi, se multiplient depuis quelques années, un peu comme si certains se penchaient sur les ouvriers pour se poser des questions sur le pourquoi on ne les entend plus; quelques livres sortent; dés spectacles autour ou sur les ouvriers se multiplient.; des associations d'histoire sociale se multiplient également, recherchant des témoignages, ou des faits (grèves, manifestations, savoir-faire, mémoire collective, etc.). Il ne faudrait pas pourtant que cela se passe comme pour les paysans, que ce soit juste un baroud d'honneur, ou que les ouvriers ne soient plus que des sujets d'étude.
Un retour à une culture ouvrière passe par des ouvriers (au sens large du terme) qui se retrouvent sur des valeurs communes, sur des projets communs. Qu'ils et elles sachent qu'ils sont une seule et même classe. Bien sûr le travail est différent, il s'est parcellisé et s'est modernisé. Pourtant, la base est la même et il vaut mieux chercher ce qui rassemble un ouvrier du bâtiment, une caissière de chez Auchan et un employé d'un centre d'appels téléphoniques...
Par rapport aux années 30, il est évident que de nombreux aspects de cette culture auront évolué et qu'il faut prendre en compte des apports comme le féminisme ou les techniques modernes, mais aussi les apports d'autres cultures plus ou moins étrangères, plus ou moins générationnelles. Comme le dit Robert Guédiguian : « La culture ouvrière n'est pas un bloc. La culture ouvrière, comme toutes les cultures de classe, doit toujours être en acte. »
C'est un des rôles des syndicats, mais aussi des associations et mouvements se revendiquant de la révolution (et, par-là même, les anarchistes) de remettre cette culture en avant. Cela passe aussi par la création de nouvelles associations, de librairies, de bibliothèques, de cinémas... de lieux de vie, de rencontres et de réflexion. Reste à retrouver aussi des valeurs importantes comme l'entraide et la solidarité qui ont été à la base de cette culture ouvrière. En ne perdant pas de vue qu'il s'agit d'oeuvrer pour une société autre, sans classe, sans État et sans salariat, mais cela va sans dire.

Jean-Pierre LEVARAY
25 septembre 2006 St Etienne-du-Rouvray

Le Monde libertaire #1451 du 19 au 25 octobre 2006

Ecrit par libertad, à 12:38 dans la rubrique "Pour comprendre".



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