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L'En Dehors


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L’espace urbain sous contrôle
lu sur dissidence : " L’urbanisme semble à son tour gagné par la phobie de l’insécurité, thème si cher au cœur de nos dirigeants nationaux, et certains architectes urbains se font le relais au niveau local de cette politique paranoïaque, en développant des projets scellés du sceau de la « Prévention Situationnelle ». Que recouvre donc de si inquiétant cette expression euphémique ? Il s'agit en fait d’aménager l’espace et le mobilier urbain de telle sorte que les allées et venues de chacun, les faits et gestes de tous, soient mis sous contrôle. Le but est clairement de prévenir tout comportement qui sort de la norme, toute utilisation non prévue des lieux. C’est aussi dans cette logique de mise sous contrôle et de menace psychologique que s’inscrivent la vidéosurveillance et la « délation automatisée ».



Prévention Situationnelle

Ce concept se trouve exposé en détail dans un «
guide » élaboré par la « Direction de la Sécurité et de la Prévention » et « la Cellule de coordination du Contrat Local de Sécurité » (sic) gracieusement mis à la disposition des chefs de projets. Il paraît important de révéler le contenu de ce guide.

Ce programme s’inscrit dans la « politique globale de sécurité » menée par la ville de Lyon. Il est chapeauté par le Contrat Local de Sécurité et de Prévention de la Délinquance. Ce qui laisse augurer de la suite…

Le guide définit une première phase de travail : le « diagnostic ». Il est dit nécessaire de « procéder à des entretiens ciblés et appropriés de quelques acteurs locaux » parmi lesquels on trouve : « La Mairie d’arrondissement, le commissariat d’arrondissement, la Police Municipale, le Contrat Local de Sécurité, l’Observatoire de la Délinquance ». Joli tableau de famille.
Ce diagnostic doit aboutir à l’attribution à chaque habitant de la ville d’un nombre de points censés définir le degré de dangerosité présenté par un individu. L’attribution de ces points étant fonction de la zone résidentielle (jackpot pour les barres d’immeubles de Villeurbanne, Vaulx-en-Velin et Vénissieux, banqueroute pour les habitants de la Presqu’île ou du 6e arrondissement), de l’âge (++ pour les ado et les jeunes, -- pour les représentants du 3e âge), et des catégories socioprofessionnelles (++ pour les chômeurs et les étudiants et -- pour les cadres et professions libérales).


Le guide fait ensuite état de « huit principes élémentaires d’aménagement et de conception architecturale et urbaine susceptibles de renforcer la sécurité ». Voici explicitées quelques-unes de ces injonctions :

  •  « La visibilité : en tout lieu, l’objectif à atteindre est de voir et d’être vu ». Ce principe s’illustre par exemple par le fait de tailler les haies à une hauteur permettant toujours de voir ce qu’il se passe derrière, ou encore le boisement des squares ou des petits parcs en « étoile » pour ouvrir le champ de vision. La visibilité, c’est aussi la suppression des ruelles, des retranchements obscurs, auxquels on préférera les espaces « aérés » qui élargissent l’horizon (cf. les quartiers modernes des grandes villes).  La visibilité doit permettre l’application du deuxième principe :

  •  « La surveillance naturelle : la fréquentation de l’espace, sa composition rendent possible une surveillance naturelle, sorte de co-veillance, qui doit dissuader le délinquant ». Il s’agit en somme de faire de chacun d’entre nous un gardien de la paix en puissance, un « espion de la Police de la Pensée », comme dans 1984 de George Orwell. Un peu plus loin dans le guide on trouve d’ailleurs la phrase suivante : « Il s’agit d’isoler un individu, un objet ou un comportement « anormal », susceptible de troubler l’ordre public. », que l’on peut aisément mettre en relation avec cet extrait de 1984 : « Il était terriblement dangereux de laisser ses pensées s’égarer quand on était dans un lieu public ou dans le champ d’un télécran. La moindre des choses pouvait vous trahir. Un tic nerveux, un inconscient regard d’anxiété, l’habitude de marmonner pour soi-même, tout ce qui pouvait suggérer que l’on était anormal, que l’on avait quelque chose à cacher »(1).

  • « La territorialité : les usagers développent un sentiment d’appartenance à l’espace et se l’approprient, ce qui facilite la surveillance naturelle. » Cette territorialisation, appropriation de l’espace qui n’est pas sans nous rappeler notre animalité, consiste en un maillage implicite, dans les consciences, du territoire public. Chaque portion de l’espace doit perdre sa neutralité, sa virginité, de sorte que partout on ne soit pas n’importe où, mais toujours chez quelqu’un. Logique qui stimule une méfiance vigilante à l’endroit de l’étranger qui s’aventurerait à pénétrer un domaine déjà approprié.

  • « Le paysagement : l’éclairage, le mobilier urbain, la végétalisation, la signalétique participent à la sécurisation de l’espace public. » Cette phrase renvoie notamment à la réflexion menée depuis quelques années sur l’importance du mobilier urbain. L’enjeu, pour une ville qui, dans ce monde de concurrence généralisée, veut faire bonne impression, est par exemple de cacher les indigents qui l’habitent.  Nos ingénieurs asservis aux pouvoirs ont ainsi conçu l’idée cynique d’un « mobilier urbain anti-squat », destiné à dissuader les SDF de s’allonger ou même de s’attarder sur les bancs, notamment des gares ou aéroports.
 
Ce serait en effet donner une fort mauvaise image de la ville aux nouveaux arrivants, que de laisser à la sortie des trains tant de miséreux en haillons. « Cachez ces pauvres que je ne saurais voir ! ». Rappelons ici que, selon l’INSEE, un tiers des SDF, que l’on s’acharne pourtant à considérer comme des marginaux, sont salariés.


Les bancs striés monoplaces des arrêts de tram et de métro participent de l’individualisation du rapport à l’espace, et du cloisonnement entre les consciences. Chacun est à SA place, dans SA réalité urbaine.

 

Des bancs « communs », tout en longueur, n’auraient-ils pas été moins coûteux ? Si, mais, la vue de dortoirs pour SDF risqueraient d’incommoder l’usager ; et il est toujours plus rentable d’investir dans le mobilier que d’interroger la précarisation structurelle de notre société.
Quant aux stries, tenter de vous attarder plus de quinze minutes sur ces lattes de bois, et leur intérêt ne manquera pas de vous marquer.

Ce n’était que des sans-abri, ce sont désormais des sans-abri, ni siège. C’est ainsi que nos collectivités s’attaquent à la question de la pauvreté.



Notre charmant petit guide envisage également, la « surveillance par les employés ». On subissait déjà l’omniprésence du personnel de sécurité (vigiles de tous ordres, policiers dans les transports en commun, patrouilles de militaires, Famas en mains, élargissement des prérogatives de fouilles). C’est bien sûr au nom de la lutte contre le terrorisme international, qui détermine le rythme de notre évolution dans le spectre des couleurs de l’arc-en-ciel nommé Vigipirate, que ces mesures d’exception sont prises. Un attentat à Madrid et on passe à l’orange, un autre à Londres et on progresse vers le rouge pâle. Ainsi de suite jusqu’à ce que les yeux s’habituent aux nouvelles teintes, au vert kaki notamment, et l’exception de devenir la norme. Nous avançons imperceptiblement vers le stade où personne ne saura plus quand, pourquoi, et comment, nous avons laissé se déployer la violence de l’Etat.
A cela viendra donc s’ajouter une para-surveillance, par les employés. « Les employés ont une connaissance précise de leur espace de travail quotidien, ils peuvent donc facilement repérer un comportement anormal. » Chaque individu doit désormais participer de la « sécurisation » de l’espace, terme mélioratif qui désigne en fait une logique liberticide. Outre cet exemple des employés, c’est désormais chacun d’entre nous qui est responsable de la conservation de l’ordre. C’est à chacun d’entre nous qu’il est demandé d’informer les autorités de la présence de tous « colis ou bagage qui nous paraîtrait suspect ». Pour former les indic’ en puissance, on commence par la dénonciation des objets. On peut d’ailleurs augurer de l’acuité du regard des citoyens dans un pays où la dénonciation a connu de beaux jours.

Dans la suite de ce précieux document, on trouve d’ailleurs une explication du principe énoncé plus haut de surveillance naturelle : « Cette surveillance joue en fait sur le sentiment d’insécurité du délinquant, le but de ces mesures consistant à lui faire perdre confiance, à le faire douter de ses aptitudes à passer inaperçu. » Cette surveillance a, entre autres, pour but de « réduire les gains » de l’acte de délinquance. Car c’est bien connu : «  Si le délinquant commet une infraction, c’est parce qu’il compte en retirer un bénéfice (argent, satisfaction personnelle, sexuelle…) ». Chacun aura noté ici la puissance de l’idéologie de l’acteur rationnel, et comment les attendus du dogme libéral parasitent tout le monde social, y compris l’urbanisme.
Ce type de discours sur le délinquant qui porterait le mal en lui, entre en parfaite cohérence avec l’ensemble de la politique sécuritaire systématisée depuis quelques années. Le gouvernement, fort de toute sa légitimité, semble d’ailleurs avoir récemment gravi des sommiers dans l’offensive liberticide, en proposant le « dépistage au berceau » des délinquants en culotte courte (à partir de 36 mois). Après la psychologie comportementale, on invoquera la génétique, comme à une autre époque on analysait les formes du visage…


« Donner mauvaise conscience ». Il s’agit de dénigrer l’acte criminel en augmentant les sanctions informelles de l’acte (c’est à dire la gravité morale de l’acte perçu par autrui). Cette technique joue donc sur la honte de se livrer à telle ou telle activité. »
Afin d’« empêcher la justification » de l’acte délictueux, il convient de procéder à une « mise en place et un affichage des règles ». C’est ce qu’ont fait les Transports en Commun Lyonnais en organisant une vaste campagne anti-fraude, propagande pour un nouvel ordre moral.





Enfin, le projet de construction ou d’aménagement « ne doit pas provoquer une demande  anormale  de l’intervention policière et permettre le cas échéant l’efficacité de celle-ci. » Cette politique s’inscrit bien sûr dans la continuité de l’œuvre du baron Haussmann, qui, en créant de grands boulevards au sein des villes, entendait empêcher la populace de tenir des barricades et permettre aux forces de l’ordre de rétablir ce dernier en chargeant plus aisément que dans les rues sinueuses héritées de la voirie médiévale (Quartier Latin, par exemple…).



« Regards sans visages »

 A cette surveillance par les policiers, par les employés, et par les usagers, s’ajoute la surveillance impersonnelle dont l’impartialité est concentrée dans l’objectif des caméras. Là encore, la ville de Lyon est un modèle du genre. On y compte en effet plus de 150 « regards sans visage », selon l’expression de Michel Foucault. Notons, pour avoir une idée du budget alloué à la vidéosurveillance, que chaque appareil coûte entre 5 et 10 000 euros. Rassurons-nous, ce n’est que le début d’une politique qui a le vent en poupe.



A défaut de caméras, on nous rappelle en permanence leur omniprésence, pour renforcer la pression psychologique, à travers une signalétique digne de 1984. Ces panneaux, tout simplement choquants et angoissants pour qui a conservé un semblant de sensibilité critique, se parent en outre d’une légitimité juridique (« Décret du 17 octobre 1996 »), qui n’est pas sans rassurer les quelques rares citoyens dont l’indolence viendrait à être vaguement perturbée.

 
                                  
              
Le maire de Lyon, Gérard Collomb, a d’ailleurs l’honneur d’être régulièrement nominé aux Big Brother Awards pour son système étendu de vidéo-surveillance.
Saluons ici le travail d’un collectif lyonnais : « Souriez vous êtes filmés »
 




Délation automatisée

La technologie, qui passe systématiquement pour un progrès, peut s’avérer être un puissant instrument de domination. Ainsi des appareils ont été ingénieusement conçus pour renforcer la criminalisation des comportements déviants, tels que la fraude dans les transports en commun, que les nouveaux portails automatiques permettent de révéler au grand jour.


Or, la fraude relève souvent de la nécessité. Par exemple, une jeune mère en situation difficile et qui fait passer ses enfants derrière elle, en fraude, doit subir les regards inquisiteurs des bien-pensants. Pire, le stigmate est désormais sonore : lorsque la carte ou le ticket sont périmés, il faut subir les trois longs bips qui raisonnent. Plus loin, c’est un détecteur infrarouge qui déclenche un autre sifflement lorsque quelqu’un passe en fraude dans le sillage d’un usager qui a payé et donc ouvert le portail. Les usagers qui ont les moyens de payer un titre de transport sont mêmes obligés, sous peine d’amende, de " valider à chaque montée ", lorsqu’il n’y a pas de portail, ce qui doit renforcer le sentiment de malaise chez ceux qui ne le font pas. Il ne s’agit pas ici d’entrer dans une victimisation du fraudeur qui serait le pendant de la criminalisation. D’aucuns ajouteront que ces signaux sonores font désormais partie du décor, et qu’on n’y prête plus guère attention. Mais qui ne ressent pas le poids des autres, même inventé, lorsqu’il a omis de mettre à jour son abonnement ? Au reste, si l’impact de ces signaux diminue par effet d’accoutumance, il ne s’agit là que d’une limite du système, limite qui n’invalide en rien le caractère pernicieux de la logique à l’œuvre, et parler d’automatisation de la délation ne relève pas de l’emphase.
Rappelons enfin que ce dispositif ajoute un élément au contrôle des déplacements de personnes, à la traçabilité des trajets individuels. Quand nous défondons la liberté de circuler, grande conquête de l’Etat moderne, on nous répond bien sûr, le regard inquisiteur, que c’est sans doute parce qu'on a quelque chose à se reprocher... Toujours la même logique du suspect potentiel.

L’exemple des transports en commun est d’autant plus scandaleux qu’ils infligent aujourd’hui un nouvel impôt des pauvres. Ce sont en effet ceux qui habitent en périphérie du centre, et qui n’ont pas les moyens de posséder un véhicule, qui en ont le plus besoin. Différents collectifs se sont crées pour dénoncer le scandale de ce qui n’est autre que la gabelle moderne du citadin, destinée à engraisser les actionnaires de compagnies privées ou semi-privées. 



Politique de restauration du contrôle social

L’ensemble de ce guide, ainsi que les dispositifs technologiques de surveillance, visent donc à conditionner les comportements urbains, afin de les conformer à un idéal d’ordre et de prévisibilité.

En définitive, il s’agit avec la Prévention Situationnelle, et les machines à surveiller et dénoncer, de rétablir le contrôle social. Les sociologues entendent par contre social, la contrainte implicite exercée par le regard d’autrui, contrainte qui est à la fois tributaire et constitutive des normes sociales. C’est en raison du contrôle social qu’on ne se comporte pas de la même façon en public, que seul, dans sa salle de bain par exemple. Or, la sociologie a montré que le contrôle social a fortement diminué avec le processus d’urbanisation, ce qui conféra d’ailleurs aux nouveaux urbains un sentiment de liberté par rapport à la situation vécue au village. En effet, en milieu rural traditionnel, tout le monde se connaît, tous les gestes sont relevés (par les personnes âgées notammen - points d’appuis tout trouvés pour cette suvrveillance en milieu rural). Ainsi, comme on dit couramment, « tout se sait ». On repère à quelle heure est rentré le fils d’un tel, et avec qui. Or, dans la jungle urbaine, l’anonymat et les formes de la ville ont permis un certain assouplissement de ce contrôle, et donc une forme d’émancipation. La Prévention Situationnelle est donc analysable comme une régression sociale qui tend, au nom de la sécurité, à imposer des limites à l’épanouissement individuel, en rétablissant un contrôle social et une moralisation des mœurs. Il est donc fondamental de dénoncer le caractère pesant et oppresseur du contrôle social, comme l'a fait Brassens dans diverses chansons, dont la célèbre Mauvaise réputation.




Il paraît urgent de lutter contre le processus de stérilisation des comportements et de normalisation des individus que permet le contrôle accru des aires urbaines. Ce dernier s’articule en deux temps. D’abord la surveillance par les forces de l’ordre et par l’ensemble des services privés de sécurité - cette surveillance étant suppléée par un arsenal technologique des plus élaborés. Le contrôle passe ensuite par l’auto-surveillance de chacun, par soi-moi même et par autrui - portée à la fois par une puissante moralisation des comportements, et par un dispositif spatial qui met l’individu en position de voyeur malgré lui.
La maîtrise de l’espace est politique. Derrière l’idée d’assurer la protection des citoyens se trouve, à peine dissimulée, une logique de domination. Résolument, la méfiance est de règle à l’égard des politiques qui sont menées « pour notre bien ». 


Refusons d’entrer dans cette ère urbaine qui entend nous priver d’air.
 

 
 
 
 
 

> Lucie et Rehan


 



 

Ecrit par patrick83, à 17:54 dans la rubrique "Pour comprendre".



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