Joueb.com
Envie de créer un weblog ?
ViaBloga
Le nec plus ultra pour créer un site web.
Débarrassez vous de cette publicité : participez ! :O)

L'En Dehors


Quotidien anarchiste individualiste





Crée le 18 mai 2002

Pour nous contacter : endehors(a)no-log.org



D'où venons-nous ?


Nos références
( archives par thèmes )


Vous pouvez nous soutenir en commandant nos brochures :

Les éditions de L'En Dehors



Index des rubriques

Les collaborateurs et collaboratrices de l'En Dehors

Liens

A noter

Recherche

Archive : tous les articles

Session
Nom d'utilisateur
Mot de passe

Mot de passe oublié ?

Argentine : retour à la "normalité" (I)
Maristella Svampa, qui vient de recevoir le Diplôme au Mérite en Sociologie de la Fondation Konex, est une des voix qui avec le plus d’agilité a su interpréter la conjoncture politique, analyse de ce qu’elle appelle "le retour à la normalité" après la crise de 2001/2002 et la manière dans laquelle les classes moyennes se sont réarrangées en reactivant aussi les préjugés classiques -comme la crainte à la "barbarie"- qui empêche de voir plus loin que la propre nécessité de progrès. L’action directe, la démocratie assembléaire comme produits nettement nationaux.


Maristella Svampa, docteure en Sociologie par l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales de Paris et maître-chercheure de l’Université Nationale Général Sarmiento, elle vient de publier sa dernière production La société excluante. L’Argentine sous le signe du néolibéralisme, où elle avance que "le néolibéralisme est en bonne santé", et qu’à partir de 2003 s’est produit un "retour à la normalité" qui a impliqué "penser que les exclus doivent se résigner à la place qu’ils occupent, c’est à dire, s’inclure comme exclus".
Les livres de Svampa parcourent les 20 dernières années au travers d’une analyse politique, historique et sociologique. En 1994, elle a publié La place vide, les transformations du péronisme ; en 2001, est sorti Ceux qui ont gagné, La vie dans les quartiers privés ; et en 2003, elle a publié Entre la route et le quartier, l’expérience des organisations piqueteras. Dans son dernier livre, cette sociologue qui revendique l’action directe comme "l’arme de lutte de ces acteurs qui n’ont pas de pouvoir face à ceux qui l’ont, dans un contexte de grandes asymétries", dénonce la campagne de "stigmatisation" envers les mouvements piqueteros qui "a réactivé des préjugés racistes et classistes" dans les classes moyennes en face aux secteurs populaires vus comme les "nouvelles classes dangereuses".
Pourquoi dans l’hypothèse finale du livre vous affirmez que le néolibéralisme est en bonne santé ?
Il n’y a jamais de continuité simple. Il faut penser dans le moyen ou long terme et non seulement aux conjonctures. Dans les 30 dernières années, en prenant 1976 comme commencement, nous assistons à la fin du ballottage hégémonique dans une société hautement mobilisée et parcourue par la violence politique. Jusqu’en 1976, c’était une société structurée autour des classes moyennes très étendues et classes ouvrières très fortement syndicalisées et insérées dans le marché du travail formel, c’était un contexte de grande stabilité. Les militaires ont visé à désarticuler les classes moyennes et les classes populaires comme acteurs politiques, sociaux et économiques. Dans les années 90, ce processus se consolide avec l’appauvrissement des classes moyennes et le haut degré d’exclusion des classes populaires. Nous passons du ballottage social à la grande asymétrie, et une reconfiguration sociale négative a été opérée, les classes moyennes et populaires ont un poids moindre en termes politiques, sociaux et économiques. Après la sortie désordonnée de la convertibilité (1). Après la sortie désordonnée de la convertibilité, les secteurs populaires ont encore une fois été attaqués et il y a eu une cristallisation de ces inégalités économiques, politiques, sociales et culturelles. Ce qui a changé, c’est que durante les années 90 il y a eu un consensus néolibéral naturalisé, à partir de 2002 il y a une mise en question générale de ce modèle et il s’installe une rhétorique, non seulement ici mais dans toute l’Amérique latine, qui génère la possibilité de penser à d’autres horizons. Cette rhétorique anti-néolibérale ne veut pas dire qu’elle ait un corrolaire dans les faits. Pour beaucoup de gens ce modèle continue d’être un horizon indépassable, malgré tous les discours fleuris critiques du néolibéralisme. Les inégalités continuent d’être fortement installées. Jusqu’à 2003 il y a eu un sentiment de solidarité et d’angoisse qui a traversé beaucoup d’argentins et beaucoup ont compris que les grandes inégalités et les processus d’exclusion qui avaient été générés étaient directement liés au modèle néolibéral. C’est pour cela que les piqueteros ont été vus positivement. Mais à partir de 2003 il y a un retournement négatif qui implique de cesser de penser l’exclusion ou de commencer à penser que les exclus ont à se résigner à la place qu’ils occupent, c’est à dire, de s’insérer comme exclus.
Dans La société excluante... vous assurez que 2003 est "le retour à la normalité" : comment ce processus s’opère ?
Ce désir de normalité qui s’installe dans la société est équivalent à ce travail de stabilité qui a parcouru les années 90, le désir de stabilité après l’hyperinflation. Je crois que les grandes crises produisent d’énormes traumas dans la population, ce qui engendre des situations très ambivalentes mais en définitive les sociétés se décident pour emprunter un chemin. Dans les années 90, on a opté pour la stabilité au lieu des autres demandes. En 2002 il y avait des demandes de solidarité, et d’ordre et de normalité, et je crois qu’ont triomphé celles d’ordre et de normalité. Il y a beaucoup de gens qui ne veulent plus penser aux exclus, le retour à la normalité dans les classes moyennes signifie restaurer les règles de consommation, les expectatives de progrès, arrêter de penser en ce qui est en dehors et réaffirmer la culture individualiste qui s’est consolidée dans les années 90. À partir du gouvernement de Kirchner, il y a eu une redéfinition de l’espace politique et cela a eu un fort impact à l’intérieur du camp piquetero. De son côté le gouvernement a répondu de deux manières : d’un côté, avec une forte progression de la judiciarisation (de la protestation sociale), je n’oublie plus la phrase du ministre de l’intérieur, Anibal Fernandez, quand il a dit "nous allons les attendre avec le Code Pénal dans la main", et en second lieu, avec le processus de stigmatisation médiatique, politique et sociale systématique. À cela, s’ajoutent les débordements de la Législature de Buenos Aires (2), en août 2004, et en août 2005, quand le Gouvernement ferme la place (place de mai, le lieu traditionnel des mobilisations sociales) aux piqueteros, quelque chose d’incroyable. Les piqueteros, au-delà du fait qu’il y a une grande hétérogénéité à l’intérieur du mouvement, n’ont pas su transmettre un message différent. Mais je crois que ce que les médias et le gouvernement ont fait a été de tirer le pire des gens, d’activer ou de relancer les préjugés racistes et élitistes qui sont sous jacents dans de vastes secteurs sociaux. Je dis "relancer" parce que ce sont des représentations sociales anciennes, le stigmate de la barbarie lu maintenant en terme de "classes dangereuses". Des préjugés sont relancés autour de l’image de l’invasion des classes dangereuses dans la ville de Buenos Aires. Cela me semble absolument impardonnable parce que cela a installé un seuil d’intolérance dans les conflits sociaux qui se développent dans l’espace public, ce qui est très dangereux. La grève de l’hôpital Garrahan, celle du métro, celle des travailleurs de Aerolineas Argentinas, où les interprétations qui se sont installées ont été celles de la répudiation et de la stigmatisation rapide et facile, en cherchant des boucs émissaires, comme des militants de partis de gauche qu’on a fait apparaître comme des manipulateurs absolus. Dans un pays où les asymétries sociales sont si grandes, peu d’effort a été fait pour comprendre la centralité de l’action directe.
Bien qu’un outil qui est maintenant historique comme la coupure de route a été stigmatisé, à son tour il a été repris par des secteurs comme les défenseurs de l’environnement (3).
cela il faut le comprendre à l’intérieur d’une perspective à moyen terme, de 1989 à aujourd’hui. Ce changement de modèle societal et l’installation d’un modèle néolibéral à partir de 1989 a eu une répercution très forte dans les formes d’action collective traditionnelle. Il y a deux exemples : dans les années 90, Menem lance la grâce pour les militaires (4) et 70 % de la société est en désaccord, il y a des grandes mobilisations, énormes, pour la répudier ; cependant, ces mobilisations massives n’ont pas réussi à faire reculer le président. Cela montre clairement l’échec d’une forme de lutte traditionnelle qui jusqu’à ce moment avait été efficace. Le deuxième exemple ce sont les privatisations : qui ne sont pas passées sans résistance, pour Entel (télécommunications) et les chemins de fer il y a eu des luttes ayant recours aux formes collectives d’action conventionnelles. Les nouvelles formes d’action collective sont différentes et sont très pointées sur l’action directe c’est-à-dire le pouvoir sans médiations, et sur le dévelloppement de formes de démocratie assembléaire. Les deux formes sont centrales et s’expliquent par le divorce qui s’installe entre système politique absolument auto-centré et les nouvelles formes d’auto-organisation du social. Les Femmes Agraires en Lutte pour stopper la déforestation réalisent des actions directes, elles vont sur place et chantent l’hymne national, ou H.I.J.O.S. (5) face à l’impunité décident de faire des "escraches" (manifestations de dénonciation au domicile, sur le lieu de travail d’un ex-militaire), une forme directe, de fort impact, parce que le côté spectaculaire est un note commune de ce type d’actions. Cette dimension centrale de l’action directe est accompagnée par un dévelloppement des formes assembléaires, tradition qui commence avec les premiers "puebladas" (soulèvements populaires) à Cutral-Có (dans les années 90), trouve une continuité dans les organisations piqueteras avec un caractère plus territorial, a une expression de haut contenu politique dans les assemblées de la ville de Buenos Aires et de ses alentours, trouve à Esquel contre la mine toxique (6) et à Gualeguaychú dans les derniers temps une forme multi-sectoriale d’expression. Pourquoi, en plus de choisir des formes d’action directe pour exprimer des revendications, en Argentine se développe-t-il nettement la démocratie directe et participative ? Parce que est mis en cause le caractère représentatif et de délégation du système politique qui n’a pas apporté de réponse durant toutes ces années aux demandes de démocratisation. Ce que disent les nouveaux mouvements sociaux est qu’il existe un nouveau paradigme dans la politique qui donne un contenu à la démocratie.
NOTES DU TRADUCTEUR :
1- Menem, dans les années 90, avait établit la parité de la monnaie locale, le peso, avec le dollar. Cette mesure a été une des causes de la désindustrialisation et de la crise argentine qui a débouché sur la "faillite" de l’Etat argentin, avec l’impossibilité de payer la dette externe. Cette parité a été abandonnée en 2002, avec la perte de 3/4 de la valeur de l’épargne des argentins qui avaient des comptes bancaires (avec de l’argent dessus !), et d’une dévaluation générale des salaires (pour ceux qui en avaient !) et d’une inflation des prix. (NdT)
2- Une protestation contre la réforme du "code pénal" de la ville de Buenos Aires qui a terminé en affrontements qui se sont se soldés par des dizaines d’arrestations arbitraires. Une dizaine de personnes a passé plus d’un an en prison, puis libérée il y a peu en attente du procès. (NdT)
3- Référence au blocage, à Gualeguaychú, de la frontière entre l’Argentine et l’Uruguay contre la future contamination d’entreprises de fabrication de pâte de cellulose sur le rio Uruguay. Blocage qui a duré des semaines, avec l’approbation, ou du moins le laisser-faire, du gouvernememt argentin. (NdT)
4- "Indultos" : grâces présidentielles pour les hauts responsables militaires condamnés pour les crimes de la dernière dictature (30 000 morts). Ces "indultos" font suite aux lois d’amnistie, "point final" et de "désobéissance due", du président Alfonsin, lois qui viennent d’être déclarées anti-constitutionnelles et qui ouvrent la voie à des condamnations et mise en prison. (NdT)
5- Organisation d’enfants de disparus (assassinés durant la dernière dictature militaire, 1976-1983). (NdT)
6- Mobilisations des habitants d’Esquel (patagonie argentine) contre l’installation d’une mine d’or et sa pollution des eaux par le cyanure utilisé. Cette mobilisation a réussi à imposer une concertation populaire largement gagnée par les opposants à la mine. (NdT)
Entretien réalisé par Gimena Fuertes, Supplément Las/12, Pagina/12 (Argentine), 02 juin 2006. Traduction : Fab, santelmo@no-log.org
Suite

Ecrit par libertad, à 22:07 dans la rubrique "International".



Modèle de mise en page par Milouse - Version  XML   atom