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L'En Dehors


Quotidien anarchiste individualiste





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MANIFESTE SURRÉ(GION)ALISTE
--> traduction (provisoire) d'un texte de Max Cafard
 Dédicaces
Ici nous jetons l’ancre dans la terre grasse.
Tristan Tzara, Manifeste dada (1918)
Pour notre Mère la Terre, nous faisons voile sur des Vaisseaux Célestes.Nous sommes à l’ancre sur Erda, nous chevauchons le vent. Nous prenons le vol pour Gaïa et nous déployons nos terribles ailes de Cafard. Nous ne tremblons plus à ce son castrateur, déféminisant : le Nom du Père. Nous remembrons Maman. Papa a démembré Maman. Nous nous r-appelons maintenant les Noms refoulés de la Mère. Anamnèse pour Inanna anonyme. Une célébration surre(gion)aliste, un Manifestival pour Mère Terre. Ceci est dédié à Celle que nous aimons. Pour la Grande Mère, dans ses mille formes, le voici : le Manifeste Mama (1989)


Principia Logica

Breton disait «nous vivons encore sous le règne de la logique». Aujourd’hui c’est plus vrai que jamais. En fait, nous vivons maintenant sous le régime des pluies acides de la Logique. La question est : quelle logique ?
Il y a logiques et logiques : Eco-logique, géo-logique, psycho-logique, mytho-logique, ethno-logique, socio-logique, astro-logique, cosmo-logique, onto-logique, physio-logique, bio-logique, zoo-logique, etc.
Cependant, tous ceux-là sont transformés en sous-ensembles de la seule et universelle techno-logie. Techno-logie, mort du Vrai. Techno-logie, châsse du Vrai. Inhumation du Vrai sous un fardeau écrasant — sous une profusion de Sciences.
Le savoir véritable requiert la «quête de la Vérité», la traque de la Vérité, la recherche de la Vérité, la faim et la soif de la Vérité, la poursuite de la Vérité le long de tous ses sentiers sinueux dans la Logique, à travers ses labyrinthes dans la Logique. Cela veut dire gravir des montagnes logiques, plonger au fond de l’océan logique, traverser une inifinité de plans non parallèles et irréductibles. Quête de la Vérité signifie permettre toujours qu’elle nous échappe.


Se hisser sur l’Oeuf Cosmique

«La région régionne» disait Heidegger, le crâne d’oeuf, canaille de guerre en guerre. Tronche d’aï déguerpis ! Noble blanc d’Edelweiss et Merde d’Ane d’Eselscheisse ! Drageon d’une race qui joua sa course dans la Merde ! Avocat véreux de l’Etre ! La «Région» ne «régionne» pas. C’est exactement le contraire. (Présentement pour l’Etant du Temps).
Où est la Région, de toutes façons ? Pour chaque logique, il y a une région. Signalons-en quelques unes qui sont d’une importance particulière pour nous, Surre(gion)alistes : les Ecorégions, les Géorégions, les Psychorégions, les Mythorégions, les Ethnorégions, les Sociorégions et les Biorégions.
Ce n’est pas une blague ! Nous ne sommes Bioregionalistes que si nous sommes Régionalistes. Et dès lors que nous commençons à penser Régions, nous découvrons une vaste multiplicité. De Régionalismes et de Régions, de Régions à l’intérieur de Régions, et de Régionalismes à l’intérieur de Régionalismes. De là, le Surré(gion)alisme.
Les Régions sont inclusives. Elles n’ont pas de bordures, pas de limites, pas de frontières, pas de délimitations. Bien que les Régionalistes soient des marginaux, les Régions n’ont pas de marges. Les Régions sont traversées par une multitude de lignes, de plissements, de stries, de filons, de plis. Mais toutes les lignes sont incluses, aucune n’exclut. Les Régions sont des corps. Des corps qui s’interpénètrent. Des corps qui s’interpénètrent dans des espaces quasi simultanés. (Comme des Etrangers dans la Nuit).
La Région est l’origine. C’est notre lieu d’origine. Là où tout continue d’originer. L’origination est un mouvement perpétuel. La réhabitation signifie la réorigination. Nous retournons à nos racines pour la nourriture. Hors ce retour, nous nous étiolons et nous mourons. Nous suivons nos racines et nous découvrons qu’elles s’étendent toujours plus profondément et qu’elles sont toujours en partance vers l’extérieur. Elles forment une toile infinie ; elles embrassent tellement tout l’ensemble que l’arrachement en devient impossible et impensable, la déracination irrationnelle.
Les Régions sont multiples et arbitraires. Le Techno-régionalisme affirme, dans une rage Techno-Rationnelle à définir, que lorsque moins de 90% des espèces d’une aire définie sont présentes dans une autre aire définie, alors chacune est une Biorégion distincte. Comme c’est Techno-Logique ! Comme c’est Scientifique ! Ou du moins cela en a l’air. Car une telle définition s’annule entièrement elle-même et est absurde dans sa technicité même. Cela fait bien sûr sa beauté. Elle est entièrement valide, si elle est prise comme partie de la Science et de la Logique de l’Absurde. Un nombre infini de Régions peut être défini par de tels critères. De temps à autres la Région va courir après un organisme égaré (calculatrice à la main). C’est là une Logique hallucinogène (bien que cela soit rarement pris en ce sens — même à petites doses).
La Région court toujours le risque d’être capturée par le Techno-Logique. Mais la Science peut également être capturée par l’Esthétique. Thalès, premier métaphysicien et scientifique, disant «Tout est Eau» put ainsi devenir le premier humoriste. Et la Technique peut à son tour être capturée par l’Erotique. Fourier proposait un «Nouvel Ordre Amoureux» dans ses Phalanstères, basé sur les tactiques de la Technique Utopique.


Hors du Centre

La Région est la fin du Centrisme. Le Centrisme est une obsession. Peut-être qu’il n’y a rien de mal dans les obsessions, pour autant que nous sachions que nous sommes obsédés. Prenons l’exemple de Mr Alan Fairweather, dont la vie entière tourne autour de son obsession, de son étude et de sa consommation de patates. Selon les mots de Mr. Fairweather : «Je suppose que vous pourriez dire que j’ai une vision du monde patato-centrée.» (Newsweek, 30 mai 1988). Mais les centristes sont rarement aussi bien portants.
L’Anthropo-Centrisme avait gagné sa ceinture de champion du monde de Centrisme. Il ne fut pas loin de mettre la Terre K.O. (un T.K.O., K.O. Technique). Mais ça fait longtemps qu’il est dans les cordes. L’Astro-Logique a balancé l’Anthropos hors du centre Cosmique. Le Bio-Logique l’a balancé hors du centre Planétaire. Le Psycho-Logique l’a balancé hors du centre de l’Ego. Quant au Techno-Logique, il l’a envoyé valdinguer dans les airs. Nous n’avons guère besoin d’une Post-Logique post-structuraliste pour «dé-centrer» la vapeur restante.
Mais avons-nous besoin d’un nouveau Centrisme pour remplacer le moribond ? Certains suggèrent le «Bio-centrisme». Celui-là serait sûrement vainqueur si l’on faisait voter les scarabées et les algues. Dans un monde Bio-centrique, le centre incontestable de l’«Amérique du Nord» se trouverait quelque part dans le Bassin d’Achafalaya. Sûrement du côté du village de Grosse Tête (Pour le coup, ils vont se la choper la grosse tête là-bas !). Une idée magnifique, qui est absolument vraie à sa manière unique. Bizarrement, le Bio-centrisme est le pendant inversé et écologique de la rationalité capitaliste. Quantité et accumulation, voilà ce qui compte. Mais en Biomasse plutôt qu’en Dollars.
L’Ecocentrisme, qui pourrait bien être le Centrisme ultime, a pour sa part d’étranges et surré(gion)ales implications. On demanda à un éminent écocentriste la signification de ce terme ; il répondit que cela signifiait que «tout est central». La vérité finale du Centrisme : tout est central et par conséquent, rien n’est central. L’écocentriste a définitivement un potentiel surré(gion)aliste !
Le décentrement est inévitable aujourd’hui. Mais il y a bien des sortes de décentrements, certaines régionalistes, d’autres profondément anti-régionalistes. Certaines créatives, d’autres nihilistes et conservatrices (préserver les chemins civilisés du Progrès : annihilation, dissolution, éviscération, évacuation).
Le Capitalisme abolit le Centrisme. Soit un voyageur Européen dans quelque anti-centre du Capitalisme Tardif — mettons Houston ou Los Angeles. Habitué comme il l’est aux places de villages, cathédrales, vestiges de remparts, sites historiques, tous signes indiquant le centre géomythique (Centre Ville, Centro Ciuadad, etc), ce voyageur demandera : «Où est le centre ?» Quelle réponse donner ? Notre infortuné explorateur se voit offrir une myriade de centres décentrés — chacune des rues marchandes et des centres commerciaux de ces vastes étendues urbaines. La Mégalopolis est le triomphe économique du décentrement. Sa réalité coule — non comme un fleuve, mais comme le Capital. Tel un monstre, telle une hydre, il ne cherche qu’à grossir et à ne jamais retourner à sa source. A grossir et à consommer, sans cesse.
L’anti-centrisme Régionaliste est d’une qualité différente. Nous surré(gion)alistes proclamons la fin du Centrisme, mais nous cherchons à créer et recréer une multitude de centres. Parce qu’il n’y a pas un Centre (le Dieu Patriarche, l’Etat Autoritaire, le Bilan Inéluctable), des centres imaginaires peuvent proliférer. L’esprit humain a toujours trouvé le centre de l’univers dans des lieux qui font sens. En fait, tout lieu peut être le centre. De tels centres sont des centres d’intensité spirituelle, des foyers de convergence des réalités : l’Autel, l’Atre, le feu Communal, la Place du Village, la Montagne Sacrée, l’Horloge chez Holmes (note pour les extra-Mesechabiens : sur l’horloge, voir J.K. Toole, La conjuration des imbéciles).
Seul quelqu’un de réellement désespéré, ou peut-être d’incroyablement pressé, pourrait suggérer la Gare de Perpignan pour centre de l’univers. Ou est-ce que dans l’esprit de Dali se trouvait quelque Grand Central Station anti-subversive et cachée ?


Au-delà de la Civilisation

Pour la Région, il n’y a pas de frontières et il n’y a pas de nations. L’Etat est une excroissance parasite sur la Région, quelque chose d’extérieur, d’hostile, de menaçant. Il n’a pas de vie propre, mais il vampirise la vitalité de la Communauté vivante. On l’a appelé à juste titre le «monstre froid» qui vole jusqu’à nos mots et prétend parler pour nous. L’Etat est génocidaire par essence. Il assassine tout ce qu’il ne peut assimiler. Ce qu’il reste après cet acte vampirique, ce bûcher funéraire, n’est qu’apparatus étatique, la Machine Etat. (Même la vieille «machine administrative» devait mourir — pour n’avoir pas été assez mécanique, et peut-être pour avoir été trop politique, trop Régionale, pour l’époque de l’«administration totale».) L’Etat est la Marche du Dieu du Pouvoir sur Terre, son Histoire, la Ruse de la Raison Instrumentale. La politique Régionale n’a pas lieu à Washington, Moscou et autres «sièges du pouvoir». Le pouvoir Régional n’a pas de «siège» ; il coule en tous lieux. Le long des lignes de partage des eaux et des systèmes sanguins. Le long des systèmes nerveux et des chaînes alimentaires. Les Régions sont partout & nulle part. Nous sommes tous illégaux. Nous sommes indigènes et nous sommes des agités. Nous n’avons pas de pays ; nous vivons au pays. Nous sommes en dehors de l’Inter-Etat. La Région est contre le Régime — contre tout Régime. Les Régions sont anarchiques.
Pour la Région, il n’y a pas d’Eglise. Il n’y a pas de Religion avec un grand R, parce qu’il y a autant de religions qu’il y a de Régions. L’hérésie est la norme. Il n’y a pas de monopole sur le sacré. Il n’y a pas de capital spirituel ou de Capitole spirituel. Toutes les Régions sont spirituelles, et pour le régionalisme, tous les royaumes sont sacrés. Le Régionalisme abolit à la fois le Théisme et l’Athéisme. Théisme : Idée qu’il n’y a qu’un seul Dieu — le Dieu du Pouvoir, et que tous doivent croire en Lui. Athéisme : Absurdité contraire et équivalente que ce même Dieu est le seul et Unique véritablement digne d’incroyance. L’imaginaire de la civilisation a été enchaîné aux monothéismes et autres substituts aux monothéismes. Le Régionalisme rompt ces chaînes et efface la frontière entre le profane et le sacré. Tous les bus sont à destination de Grace Land. Rien n’est mis à l’index. Les Régions sont la terre : païen = pagan = paysan. Les Régions donnent naissance à une multitude de rites et de rituels, un sacre des sites et des cycles. L’esprit de la Région est inspiré, illuminé. Par le feu follet, Will o’the Wisp. Par les lumières intérieures et extérieures. L’esprit de la Région est l’Esprit Libre. Etre en contact avec les Esprits du Lieu, les Dieux locaux, c’est avoir des Langues de Feu, c’est regagner le pouvoir volé de la parole.
Pour la Région, il n’y a pas de Race. Les croisements sont la règle. Les Dix Mille Espèces sont nées des Dix Mille Espaces, et se sont multipliées à dix mille fois dix mille. Ceux d’entre nous qui ont été élevés dans un système de classes raciales ont appris dès leur enfance comment traiter les gens de la «race opposée». Mais maintenant les dés sont jetés ; les classes sont mortes. Nous savons maintenant qu’il n’y a pas de sexes opposés, encore moins de races opposées. La nature simplement passe et repasse. Tout cela c’est Mardi Gras. Sous le masque, un masque. L’ethnicité, comme l’ethos, prospère sur le jeu de la différence. Appréciez le jeu ! Pour l’idéologie de la race, le jeu est une funeste tragédie. Tout se réduit à une mêmeté terne et à une altérité démoniaque. C’est vrai, la paranoïa a ses propres exaltations bizarres mais elle passe à côté du stimulant de la variation subtile, de la texture, de la multiplicité, de la qualité. Ethnorégionalité. La topographie de la culture. Le Carnaval de la Culture.
Pour la Région, il n’y a pas de Patriarche. La Région est certainement féminine. Et en même temps, androgyne. L’Un engendra le Deux, et le Deux les Dix Mille Choses. La Mère est à la fois Mère et Père. Ainsi que l’explique la Génèse de façon assez claire, notre Premier Ancêtre était un être androgyne, qui fut ensuite séparé en mâle et femelle. Pour la Région, aucune lignée n’est claire : la paternité n’est pas établie. La famille est étendue, la tribu comprend tout. La Région est vague, comme le Tao. Les montagnes et les vallées se coulent les unes dans les autres. Les torrents et les fleuves coulent les uns dans les autres. Le sang maternel coule dans la Région. Mais quelquefois le sang bout. Ainsi que l’Homme «moderne» commence à l’apprendre : ce n’est pas bien de violer Mère Nature. Dame Nature cette vieille tante célibataire et bienveillante de la Société Audubon, la Maman Nature du New Age avec sa poitrine d’abondance et son indulgence, cette Bonne Mère se transforme en Méchant Canon de Déesse, Femme Nature Guerrière de Colère, Vagina Dentata (vagin denté), Shakti l’électrisante. Juste quand tu crois que tu l’as eue, mec — elle te chope là où ça fait mal !
Pour la Région, il n’y a pas de Capital. Il n’y a pas de bilan inéluctable. Tout est recyclé. Tout retourne au sommet, recircule, et le bilan met les bouts. La vie est inéconomique, inefficace. Toute la rationnalité économique est irrationnalité écologique. La nature de la nature est de gaspiller, de dépenser bêtement, de dilapider. Le Capital nécessite la rareté des ressources, mais la Région c’est la surabondance et elle n’a pas de ressources. Seulement des sources et le retour aux sources. Les Régions sont la liquidation de l’économie, elles rompent les digues, font sauter les barrages bancaires, elles coulent la banque. Les Régions sont en équilibre et n’ont aucun besoin de bilans et de balances des paiements. Le Capital a déjà rendu son jugement concernant la Terre : la riche abondance de la Vie — les richesses Bio-Logiques, Ethno-Logiques et Psycho-Logiques qui sont le legs des périodes incommensurables de l’évolution — n’est pas rentable.
Pour que vive la Terre, il faut que meure le Capital.


Anti-theses sur le Régionalisme

Les Régions sont sauvages. Pour l’Etat et le Capital, être sauvage signifie terres en friche. Ils regardent le sauvage avec l’œil cruel d’un rapace. Leur appétit pour le sauvage est celui du viol et du pillage. Ils meurent d’envie d’assujettir, de contrôler, d’exploiter et de tuer tout ce qui vit librement. L’antithèse du sauvage, c’est le domestiqué — contrôlé à des fins de pouvoir. Les mêmes forces qui œuvrent à détruire la nature sauvage, détruisent l’esprit sauvage. (Voir Gary Snyder, «Good, Wild, Sacred»). A partir des forêts anciennes et des anciennes communautés, ils produisent des fermes arboricoles & des banlieues (les fermes arboricoles, banlieues des arbres ; les banlieues, fermes arboricoles de l’humanité).
La Région est vague, comme le Tao. L’«obscur objet du désir». L’objet du désir est toujours obscur ; le célèbre objet de Buñuel l’est peut-être dans un sens très particulier, mais tous les objets du désir sont vagues, ambigus, obscurs. Le système de domination tente de les rendre plus définitifs, plus définissables. En identifiant des objets de domination. En subordonnant le désir à un code autoritaire. En cherchant à capturer le désir puis à le diriger et à le canaliser en accord avec les impératifs du Pouvoir. Notre pari : au-delà de notre esclavage parvenir à ce Projet nommé Désir. Atteindre les Champs-Elysées de l’imagination libérée. Là où, contrairement à la rumeur, il n’y a pas tout ce que vous voulez mais seulement une rencontre avec l’inconnu.
Les Régionalistes habitent des Régions. Ils sont, en fait, créatures d’habitude, pour imprévisibles pourtant que soient leurs habitudes. Ils sont ce qu’ils font, et le font dans cet endroit familier, indéfinissable : leur Région. Les Régionalistes incrustent quasiment les Régions, et en fait, il fut un temps où ils faisaient totalement corps avec elle au point que cette incrustation se chargea de lourdes strates mystiques et sombra dans l’invisible. (Cela est particulièrement vrai dans des régions marécageuses comme le Delta du Mesechabe).
Les Régions ne sont pas des systèmes. Les systèmes sont morts, mécaniques, et manipulables. La pensée du système est seulement la variété la plus avancée et la plus mystifiée de la rationalité instrumentale. Les régions sont incompréhensibles et n’ont pas de prix. Elles ne sont pas systématiques. Elles ne sont pas systémiques. Elles sont vivantes et imaginaires, donc elles dépassent tout système. Certaines Régions ont des systèmes, de même que des personnes ont des systèmes, mais elles ne peuvent être réduites à l’un ou à plusieurs de ces systèmes.
Les Régions ne sont pas de dimension Mondiale. L’Insecte Politique (mille excuses aux véritables insectes) ne peut penser un meilleur compliment à l’adresse de la communauté que de lui coller le qualificatif de «Mondiale». Cela devient Mondial quand c’est rempli d’Attractions Mondiales : quand toutes les réalités vivantes locales et régionales ont été tuées et remplacées par des imitations Mondiales en plastique afin d’attirer des masses grouillantes d’Insectes Economiques Mondiaux qui de temps à autres s’aventurent hors de leurs hôtels stériles et autres Centres de Congrès de classe Mondiale et prodiguent des Dollars Mondiauxaux indigènes momifiés. Les Régions ne sont pas Mondiales. La Bombe est Mondiale. Henry Kissinger est Mondial. Le Réchauffement Planétaire est Mondial. Auschwitz est Mondial. Le Capitalisme est Mondial. Les Régions ne sont pas Mondiales.
Les Régions suivent la Géo-Logie, et évoluent dans un temps Géo-Logique. Les Régions sont servies sur des plateaux. Ce sont des îles flottantes glissant sur d’autres îles. (Vous suivez ma dérive ?). De temps en temps, la Terre nous rappelle que de son point de vue, la Géologie est le Destin. Que les montagnes et les vallées sont comme des vagues sur la mer. La restauration du Géo-Logique rend tout relatifs les pseudo-politiques et pseudo-économiques de tous les systèmes de Pouvoir. Une véritable Eco-Logie, une véritable Eco-Nomie ne peut se laisser bouleverser par un tremblement de terre, quand bien même il serait le plus puissant. Mais le mythe que la nature peut être dominée vit toujours. Encore et toujours des Bataillons d’Ingénieurs luttent pour contrôler le cours du Mesechabe. Mais dans quelques années, la Grande Rivière n’en fera qu’à sa tête — de manière revancharde. Encore et toujours des compagnies énergétiques construisent des installations nucléaires le long de la Rivière. Ils oublient qu’il y a un siècle la terre trembla violemment et le Mesechabe inonda tout en remontant vers le Nord ; une petite Atlantide Mesechabienne gît sous les eaux depuis ce temps.


Terres dévastées

Qu’a forgé la civilisation ? Le pays de Vespucci a déjà fait du Puissant Mesechabe son égoût (le régionalisme d’égoût du Capitalisme), il nous a envoyé des barges d’ordures, et maintenant c’est en train qu’il envoie ses déchets dans le Delta ! La politique post-moderne devient auto-critique. Jamais auparavant il n’y eut de cause politique aussi célèbre que le «Poo-Poo Choo-Choo» qui encense en ce moment les citoyens Mesechabiens. A dire vrai, les Mesechabiens aimeraient bien pouvoir agiter l’aspersoir vers nos bien-faiteurs qui accomplissent leur noble devoir en cherchant à transformer notre Delta du Mesechabe, Ravin du Monde, en une véritable Sierra Merdre.
En-dehors de la Région, tout n’est qu’excrément, déchet, ordure. Le Capital et l’Etat sont en-dehors des cycles, en-dehors du Tout qui se renouvelle lui-même. Leur Logique est celle de l’accumulation, l’Eternel non-Retour, le bouchon sans retour de l’Etre. Ils ont beaucoup accumulé mais hélas, tout ça n’est que Poo Poo.
Où est la Réalité aujourd’hui ? Quand les pollueurs associés vomissent leur poison dans les fleuves et les rivières, les partisans de l’action directe soudent les tuyaux : les empoisonneurs sont protégés ; les protecteurs sont en prison. «Ceci n’est pas du poison... Ceci n’est pas un tuyau...» Quand la réalité est la terre dévastée, nous devons simplement dire non à la Réalité. La surréalité Surré(gion)ale est ailleurs.


«Y a-t-il un docteur en Pataphysique dans la salle ?»

Les Régionalistes sont des Pataphysiciens. Jarry, fondateur de la Sublime Science de la Pataphysique, apporta une contribution inestimable à la pensée régionaliste avec son invention/découverte de la Pataphysique. La Pataphysique, disait-il, «sera surtout la science du particulier, quoi qu’on dise qu’il n’y a de science que du général. Elle étudiera les lois qui régissent les exceptions, et expliquera l’univers supplémentaire à celui-ci ; ou moins ambitieusement, décrira un univers que l’on peut voir et que peut être l’on doit voir à la place du traditionnel. Les lois que l’on a cru découvrir de l’univers traditionnel étant des corrélations d’exceptions aussi, quoique plus fréquentes, en tous cas de faits accidentels, qui se réduisant à des exceptions peu exceptionnelles, n’ont même pas l’attrait de la singularité.»
La Pataphysique nous aide à nous rappeler cette Vérité souvent oubliée que l’Univers lui-même est la Grande Exception — par rapport au Non-Etre qui a cours ordinairement. Les Régions sont, bien sûr, tout à fait exceptionnelles — exceptions même à elles-mêmes. Les Régionalistes sont des peuples exceptionnels et devraient par conséquent être traités, comme les Régions, de manière tout à fait différente.
Héraclite a découvert il y a 2500 ans que la Réalité est toujours ce qu’elle n’est pas, et qu’elle est toujours étrange. Ainsi qu’il le formule, «S’il n’espère pas l’inespérable, il ne le découvrira pas, étant inexplorable et sans voie d’accès.» (fragment 18) Les Régions sont le lieu où se produit toujours l’inattendu. Quelle que soit la force que nous mettions à lutter contre une pensée perturbante, il est impossible de la garder hors de notre conscience — hors de notre Psychorégion. Des pensées telles que : «Pour le Compte, la Marquise assomée était sortie bouffer du gazon» ou «Il partit au galop dans le couchant, chevauchant son poney préféré, Trotsky.»


Politique verte : Militants vs. Mirlitons.

Nous avons besoin d’une Politique Verte qui soit une Politique des Régions, donc une Politique de l’Imagination. La vieille politique est morte : politique de l’Etat, de la bureaucratie, de l’économisme, de la technocratie. Sa puissance est écrasante, mais elle est morte. L’enterrer est une autre affaire. C’est elle qui nous enterre. Ce pauvre vieux Kroutchev avait dit aux Capitalistes : Nous vous enterrerons. Au lieu de cela, ils sont en train de l’enterrer, lui et tout le monde — sous un wagon de bordilles. La vieille politique est une politique du plastique sur de l’asphalte. La politique de l’inorganique, de la désorientation, de l’absence de lieux, de la nécrophilie.
Les Wobblies, qui furent les plus radicaux parmi les mouvements de travailleurs Américains (le seul mouvement de travailleurs qui fit appel aux clochards et aux surréalistes) disait qu’il était en train de «créer un nouvau monde dans la coquille de l’ancien». Aujourd’hui la coquille du vieux monde est plus desséchée que jamais. Il est temps de commencer à faire pousser un nouveau monde ! C’est le sens d’une «Politique Verte». Mais il semble parfois qu’en matière de «Politique Verte», ce qui se passe se conforme à ce slogan : «Créer le nouveau monde en le crevant de l’intérieur.» Pour sûr, le vieux monde doit mourir, mais nous ne pourrons certainement pas l’emmerder à crever.
La Politique Verte doit devenir une Politique des Régions — de toutes les Régions, des Régions célestes aux Régions souterraines. Que le prochain rassemblement des Verts dirige toutes ses affaires en poésie. Cela augurera du jour où toute l’Amérique sera verte. Mieux encore, du jour où pour des frais modestes, nous pourrons faire un changement de nom internationale, et où l’Amérique deviendra une grande île de glace tandis que le Groen land, Terre Verte, s’étendra de l’océan à l’océan resplendissant. Du jour où la Politique Verte règnera. Du jour où le Président mimera son discours d’investiture et chantera le State of the Union d’une voix de falsetto. Du jour où les membres de la Cour Suprême siègeront nus avec des perruques poudrées et rendront leurs décisions en javanais. Du jour où le Congrès organisera une pluri-partie et entamera la danse de l’expulsion des lois hors de l’existence.
Notre symbole — l’un des milliers de symboles de notre polysymbolisme— est le Mirliton sacré. La Chayotte. Chayotli. Sechium edule. Le Mirliton (prononciation régionale : «Mella-tawn») : dans les zones subtropicales, elle est la plante régionaliste par excellence. Elle se répand partout, couvre tout, viole toutes les frontières, ne respecte aucune borne de propriété. Elle verdit dans la promiscuité, l’abondance, l’absence de discrimination. Verte, d’un côté comme de l’autre de la barrière. Elle offre ses fruits à tous, dans une profusion illimitée. La politique Verte, c’est la politique du Mirliton. Le Mirliton contre le militant, la personne mécanique. Le Mirliton contre le complexe militaro-industriel, l’Etat mécanique. Vert vs. Machine. (Ce n’est pas par hasard si le mot «Mirliton» fait également référence à l’instrument de musique le plus populaire et le plus anarchique, le Kazoo [1]).
La politique Verte, c’est la politique de Lagniappe. «Lagniappe», pour nous, Mesechabiens, c’est un quelque chose en plus, qui ne peut être ni vendu, ni acheté ; on le donne gratuitement, il ne se mesure qu’à l’échelle humaine, c’est un échange symbolique, une expression tangible de l’intangible, du non-instrumental, du non-fongible, du communal, de la richesse commune. Un vague souvenir du Don. Un témoignage de l’arriération, de la périphéricalité, de l’atavisme de certaines ethnorégions étranges et éloignées — telles que le Delta du Mesechabe. La politique Verte est la politique de Lagniappe : elle «décrète la Fin de l’Argent». Elle s’occupe du jour où nous ne serons plus retenus en otages symbolique du Signe du Dollar. Du jour où Tout sera Lagniappe. Et aussi de la nuit !


La leçon du Gombo

Il est dans la nature du Louisianais de créer l’Ordre par l’Anarchie.
C’est la leçon du Gombo ; c’est la leçon du Jazz.

Lafcadio Bocage, Cahiers du mouvement anarchiste créole.

Ce qui est vrai dans notre mystérieuse région du Delta, peut à sa manière propre, être vrai partout. N’oublions jamais les mots du sage Mesechabien.


Fantômes le long du Mesechabe.

Un fantôme hante l’Europe. Breton l’a énoncé avec toute la force de l’inadvertance. «La terre, drapée de sa cape verdoyante, nous fait aussi peu impression qu’un fantôme.» Ce qui consciemment échappe à Breton, mais qu’il trahit inconsciemment, c’est la force de cette impression. Car qu’est-ce qui pourrait nous faire plus impression qu’un fantôme — que fuyons-nous avec tant de résolution excepté dans nos rêves ?
Nous sommes pareils à des fantômes, Fantômes le long du Mesechabe [2] . Hantés par la Terre. Lorsque nous ne sommes nulle part, l’existence est ailleurs.
La Région est l’ailleurs de la civilisation.


Max Cafard

source : The Surre(gion)alist Manifesto & other Writhings, Exquisite Corpse, Baton Rouge


[1] ...mais aussi à une patisserie fort appréciée de Fourier. Fourier aime les compotes, le beau temps, les melons parfaits, les pâtisseries épicées connues sous le nom de mirlitons, et la compagnie des lesbiennes. Barthes, Sade Fourier Loyola, section II de «Fourier». retour

[2] Allusion au titre du livre de Clarence John Laughlin, photographe surréaliste louisianais, qui publia en 1948 un recueil de phtotographies des plantations sudistes. retour
Ecrit par provisoire, à 12:07 dans la rubrique "Ecologie".



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