Au nombre des erreurs grossières établies au sujet de la Nature, il faut compter celle qui- tend à démontrer que la culture a amélioré les conditions productrices du sol et qu'avant la pratique de cette science, les hommes et les animaux n'avaient à leur disposition que de chétifs et maigres végétaux.
Pour qui s'est attaché à l'étude de ce cas primordial, soit par la lecture des ouvrages traitant de la formation de l'humus naturel, soit par sa propre observation, il est facile de reconnaître que la couche de terre propre à la végétation a été formée par les premiers végétaux géants qui ont paru sur le globe. Ces végétaux, sous forme de fougères colossales, formés des principes contenus dans la Terre et l'air, laissaient tous les ans tomber leur feuillage immense, qui, se décomposant, formait un terreau transformant la nature du terrain qui donnait naissance à d'autres végétations toujours géantes, mais qui se développaient avec un rudiment de tronc garni à son sommet de tiges feuillues. Celles-ci firent place aux arbres tels que nous les connaissons, et ces arbres continuèrent la fonction de leurs devanciers, c'est-à-dire, que plongeant profondément leurs racines en tous sens, ils s'alimentaient des principes nécessaires à la croissance de leurs branches et de leur feuillage et que périodiquement, leurs feuilles en tombant chaque année sur le sol augmentaient la couche de terreau ou humus qui donna naissance et substance à la petite végétation à feuilles, à racines et à graines comestibles pour les hommes et les animaux.
Or,quelle ne devait être la richesse et l'épaisseur de cette couche de matière abondante en phosphate et azote, formée par la chute des feuilles pendant des millions d'années.
Et comme la surface en était recouverte de plantes de toutes espèces dont les racines s'entremêlant formaient feutre, ce feutre maintenait la terre nourricière, et les pluies de l'équinoxe, les ondées d'orage et la fonte des neiges pouvaient couler sur le sol sans en emporter une parcelle.
Le trésor était sauf et la graine qui se détachait de la plante sèche, soit secouée par le vent, soit picorée par l'oiseau tombait sur un terrain d'humus tel qu'aucun agriculteur ou maraîcher n'a pu en établir.
Au printemps, à l'époque de la germination, la frêle tige perçait l'enveloppe, et sous l'action du soleil et de la terre, croissait et prenait son développement normal.
Si ces conditions avaient été conservées, chaque individu ( en France ) pourrait avoir pour sa consommation la production 12.500 mètres carrés de ce terrain naturellement fertile. Examinons maintenant quels ont été les effets de la culture.
En remuant le sol avec la charrue, le réseau de racines formant feutre a été déchiré, la terre matière friable mise à nu, exposée à l'action dissolvante et liquéfiante du vent et de l'eau, et comme tous les terrains sont en pente, la terre délayée par la pluie et la fonte des neiges, s'est écoulée au ruisseau, à la rivière et au fleuve qui l'a conduite à la mer. Depuis 1.500 ans et même plus que la culture est pratiquée en Europe le terrain naturellement fertile, que nous avaient formé les forêts, a disparu, nous en sommes arrivés à la croûte dure de la Terre et il est évident qu'une graine jetée et abandonnée sans soins sur ce terrain ne donne plus qu'un maigre produit ; mais la faute en est aux hommes.
Emile Gravelle.
LA NOUVELLE HUMANITE, n°14 et 15, mars-avril 1897.