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Spiritualité écoféministe antimondialisation : "Diplomate, représentante de la tribu des sorcières d'Amérique, Starhawk nous raconte l'histoire d'un mouvement dont elle est la "tête pensante" depuis plusieurs années.
Mouvement à la frontière entre le politique, le spirituel et le psychologique, la première communauté s'est constituée dans les années 60 regroupant une série de membres activistes politiques, en particulier des féministes. La question qui les rassemblait était alors la suivante : pourquoi la révolution n'est-elle pas advenue? N'est-ce pas le signe d'un manque de réflexion concernant les rapports entre genres (sexes), pouvoir et religion? Comment créer d'autres voies de réponse à tous ces questionnements? En s'imprégnant des grandes mythologies du monde, les premiers membres traversent une série de traditions véhiculant des images de divinités féminines très puissantes, en particulier associées à la religion pré-celtique dans laquelle le divin est inséparable du sacré. En replongeant dans ces traditions de guérison, de magie et de sorcellerie, traditions persécutées par les autorités depuis le 14ème siècle, les membres s'initient et tentent de les prolonger sous une forme nouvelle : comment constituer une tradition non-hiérarchique en recherche de nouveaux rituels? Il s'agissait avant tout d'un travail politique : la mondialisation, l'homogénéisation et le moule capitaliste constituent les éléments par rapport auxquels le mouvement se définissait activement. Une déesse est omniprésente dans leurs pratiques : la déesse irlandaise Brigitt. Associée à la fois à l'image du forgeron, à celle de la thérapie et à celle de la poésie, elle préside à la création des rites du groupe.
La singularité de leurs manifestations s'origine dans une connexion pratique entre la magie et la politique. Si la magie consiste en l'art de la modification de la conscience, il s'agit par là d'apprendre aux membres à catalyser leurs énergies de telle sorte qu'elles se concentrent en une source de puissance non-violente. Par exemple, une des premières manifestations politiques auxquelles donna lieu cette pratique : l'union des énergies de centaines de personnes leur permis de faire "bloc" contre une centrale nucléaire.
C'est cette pratique d'"action directe non-violente" qui donna lieu, il y a un an de cela (novembre 1999), au célèbre blocus de Seattle. L'"action directe non-violente" permet de rassembler des milliers de personnes (sorcières, citoyens républicains, bouddhistes et autres...). Son effet fut d'autant plus puissant que la police n'était pas préparée à la non-violence, ainsi qu'au nombre de personnes présentes et à l'engagement des activistes non-violents... Même si le blocus de Seattle fut organisé lors de réunion ouvertes, publiques, et si les stratégies mises en oeuvre n'avaient rien de secret. En quoi consiste l'entraînement à la non-violence, l'empowerment? Cet entraînement, reçu par des milliers de personnes, comprend : des cours d'histoire et de philosophie de la non-violence accompagnés de pratiques réelles impliquant des jeux de rôle (apprendre à rester calme dans des situations tendues, apprendre les tactiques non-violentes, etc.), des exercices préparatoires au séjour en prison (tactiques de solidarité, aspects judiciaires, premiers soins, etc.). Les principes de base de la non-violence sont les suivants : s'abstenir de violence verbale ou physique, ne pas avoir d'armes, de drogues ou d'alcool, ne pas détruire les biens privés. La singularité de ces manifestations réside également dans une organisation non pas centralisée mais organique : une série de goupes d'affinité se constituent, chaque groupe est habilité (empowered), et non manipulé, à prendre en charge ses propres décisions quant à la manière de participer au blocus. Les groupes d'affinité sont organisés en clusters (certains se désignent pour aller en prison, d'autres pour les premiers secours, etc.) et chacun de ces groupes aura à désigner un de ces membres comme porte-parole présent lors des rencontres entre tous les activistes (conseils). Mais en quoi consiste l'action elle-même? L'action est plus qu'une protestation, nous dit Starhawk, c'est la création d'une vision d'abondance véritable, la célébration de la vie et de la connexion... L'action comprend de l'art, de la danse, des célébrations, des rituels, de la magie... Chacun est en charge de lui-même et des autres, sans renvoi à une autorité. Nous, les sorcières, faisions appel aux éléments de la nature pour nous soutenir.
Politiquement parlant, il s'agit de construire un mouvement qui renverse le contrôle de la finance et de l'industrie et tente par là de créer une nouvelle économie basée sur l'honnêteté et la justice, selon une écologie saine et un environnement salubre, économie qui protège les droits humains et qui soit mise au service de la liberté. La lutte contre la mondialisation capitaliste est inséparablement une lutte pour le respect de l'environnement : la terre est un être vivant qui, pour être maintenu en équilibre, doit être respecté. Obligation nous est faite de rendre à cet organisme santé et prospérité. Cette lutte écologique s'inscrit dans une vision du monde qui, à la façon d'une toile de web, est un organisme fait d'une multiplicité de parties imbriquées en résonance : tout est soumis à la loi de la cause et de l'effet, la spiritualité s'ancre ainsi dans la terre et toute action lancée dans l'univers nous revient amplifiée.
La création de rites
Comment créer des rites, comment prolonger des pratiques aussi puissantes que celles-là mêmes qui, depuis des sciècles, consolident le sens d'une tradition? La "justesse" de certains rites peut être à ce point évocatrice que l'on éprouve le besoin de les perpétuer. C'est ainsi que la déesse Birgitt polarisent les pratiques des sorcières sous une forme désormais associée à un mouvement politique. Une série de rituels spécifiques rythment ces pratiques. En rapport avec l'image du forgeron, s'est créé le rituel du chaudron : les sorcières allument des cierges, prononcent des formules d'engagement, chantent et dansent en ronde afin d'élever leurs énergies jusqu'à un sommet, pour ensuite les rendre à la terre. L'enclume, frappée contre le chaudron, permet de consacrer les engagements de chacun : la communauté des sorcières est témoin et support de l'engagement de tous. Un autre élément intervient également dans les rituels : les miroirs. Les miroirs, comme réflecteurs de l'énergie dans l'univers. C'est que la magie constitue avant tout un langage de "symboles" : les symboles appropriés aux choses qu'ils évoquent, en équation avec elles, produisent de l'effet. Au moins une tradition est déculturée, brassée dans le flux homogène de la mondialisation, au plus les symboles qui l'animent sont puissants. Un autre élément encore : le puits sacré accueillant en son fond la collecte des eaux en provenance de différents endroits du monde, de l'Arctique et de l'Antarctique. Ce rituel s'accompagne d'offrandes faites à la terre, aux plantes, aux esprits : offrandes à comprendre comme des dons de respect et non comme sacrifices. Le son du tambour, également, permet de rythmer les visualisations, de rendre vivantes les prises de rôles. Les rituels intègrent enfin une pensée des ancêtres : à la lignée familiale, s'ajoute la lignée spirituelle, les "mighty death", les morts puissants, telles que les sorcières d'autrefois auxquelles il faut rendre hommage pour retrouver la connaissance perdue. Bien que souvent attaquées comme complices du Diable, les sorcières n'invoquent pas Satan, lequel est d'ailleurs absent de leur cosmologie : les mauvaises "énergies" ne sont pas invitées au rituel... Seules sont invitées les énergies bénéfiques, les morts bienfaisants, au moyen de symboles incarnant leurs intentions.
Peut-on identifier les logiques de constitution à l'oeuvre dans ces rites? Nous en pointerons deux. Une logique additive premièrement : le but du rituel consiste à catalyser les énergies, à les regrouper afin de les diriger en connivence. C'est la concentration des énergies qui permet aux choses invoquées d'exister : la force d'agir, les morts, les éléments naturels, etc. Cette logique additive se retrouve dans la collecte des eaux sacrées, puisées au quatre coins du monde. Une fois les eaux rassemblées et les énergies des membres connectées, la force envoyée dans l'univers leur revient amplifiée. Vient se greffer sur cette première logique additive une logique de synchronicité. Il s'agit alors de rechercher l'équation du symbole à la chose évoquée à partir de son intention incarnée dans une image. Le symbole approprié à la chose produit un effet en tant qu'il permet à l'énergie convoquée de se manifester.
Extrait du site ethnopsychiatrie.net